Avant-propos

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« Le cinéma et la toile d’araignée »

Ce numéro thématique de la revue Déméter entend reprendre et approfondir la réflexion menée sur l’œuvre cinématographique de Michel Nedjar lors de deux journées d’études organisées par le ceac et le LaM, Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (les 6 et 7 avril 2017), dans le cadre de l’exposition « Michel Nedjar, introspective » (24 février‑4 juin 2017).

Si Michel Nedjar est avant tout reconnu comme un artiste plasticien – dont les œuvres sont souvent rangées sous la catégorie d’« art brut » –, sa pratique cinématographique constitue une part importante de son travail, essentielle même pour cerner toute la richesse et la complexité de son œuvre. Pourtant, à l’exception des textes précurseurs de Yann Beauvais, Jean-Michel Bouhours et Dominique Noguez1, auxquels il convient d’ajouter le travail de conservation des films réalisé par l’association Light Cone, ainsi que celui de numérisation fait par le Centre Pompidou, l’œuvre cinématographique de Michel Nedjar, une trentaine de films au total, reste encore relativement peu étudiée. Les Journées d’études « Michel Nedjar. Regard sur le cinéma », organisées au LaM en avril 2017, ont ainsi cherché à combler cette lacune et ont permis de commencer à explorer cet aspect de l’œuvre.

La première journée de cette manifestation a été consacrée à Michel Nedjar en tant que cinéphile et à son regard sur le cinéma. (Voir les extraits choisis de cette journée réunis dans la vidéo « Michel Nedjar. Regard sur le cinéma », discussion avec Christophe Bichon, chargé de la gestion de la collection et des missions patrimoniales de Light Cone et Jean-Michel Bouhours, conservateur, historien de l’art et co-commissaire de l’exposition : voir lien). Lors de cette journée, l’artiste – en compagnie de Jean-Michel Bouhours et de Christophe Bichon – a commenté des extraits de sa cinémathèque idéale. Idéale et éclectique comme en témoigne le choix des films, allant du péplum Les Dix Commandements au film expérimental AI (Love) (1962) de Takahiko Iimura, en passant par Nuit et Brouillard (voir liste des films). Pour chacun des films sélectionnés, des liens très forts apparaissent entre l’expérience de cinéphile de l’artiste et sa propre pratique cinématographique comme plastique. Des motifs récurrents dans l’œuvre de Nedjar (le bout de tissu ou schmattès, le corps morcelé, la poupée, le Golem, l’homosexualité ou encore la figure du chamane) ressurgissent ainsi dans certains films comme par un effet de rémanence.

Le présent numéro est essentiellement constitué des interventions revues et remaniées de la seconde journée. Ce deuxième temps a consisté à aborder la pratique cinématographique-même de Michel Nedjar à partir de plusieurs champs disciplinaires : études cinématographiques, danse, esthétique, anthropologie, etc. Différents aspects de son travail ont ainsi été analysés et mis en lumière : sa méthode de filmeur-flâneur ou de filmeur‑collectionneur (voir « L’œil ailé. Michel Nedjar : cinéaste-collectionneur-plasticien » de Lucie Garçon, ainsi que « Capitale-Paysage, la flânerie comme méthode » de Géraldine Sfez) ; l’extrême mobilité de sa caméra ; l’attention qu’il porte à la matière (peau, tissu, eau, lumière) et ses imperceptibles métamorphoses (voir « Coudrage et textures dans les films de Michel Nedjar » d’Éline Grignard) ; l’importance accordée au corps (hiératique ou en mouvement) ainsi qu’au geste (voir la performance commentée de Laetitia Doat, « Nedjar, reprises en corps ») ; sa pratique du cinéma à plusieurs ; son inscription dans l’histoire du cinéma expérimental enfin (voir « Michel Nedjar : désir et liberté » de Yann Beauvais et « Le chaman qui pouvait être géomètre » de Jean-Michel Bouhours). Différents aspects que l’on pourrait résumer sous ces trois entrées : cinéma gestuel, cinéma du corps, cinéma expérimental.

Ce numéro de Déméter s’inscrit donc à la fois dans ces perspectives ouvertes sur l’œuvre cinématographique de Michel Nedjar, tout en prolongeant et en élargissant la réflexion sur d’autres plans. Le nouage entre pratique plastique et pratique cinématographique et plus particulièrement l’analogie entre montage, tissage et « coudrage » (terme qui caractérise la confection de certaines de ses œuvres) se retrouve ainsi d’un texte à l’autre. Le fragment, le bout de tissu (schmattès en yiddish), la poupée, et leur statut dans l’œuvre plastique comme cinématographique, constituent encore autant de fils d’Ariane permettant de circuler et de s’orienter dans l’œuvre de Nedjar. D’autres fils peuvent encore être tirés : parmi eux, la tension entre une approche documentaire et une texture onirique (À quoi rêve l’araignée ?, 1982, Capitale-Paysage, 1982, Monsieur Loulou, 1980) ; la présence d’un bestiaire nedjarien (araignée, oiseau, poisson, etc.) ; ou enfin le dialogue constamment entretenu par Nedjar avec d’autres artistes ou cinéastes, Teo Hernandez en premier lieu. Un dialogue, des rencontres, qui, toujours, reviennent à étendre la toile d’araignée.

À quoi rêve l’araignée ?, photogramme, archives Michel Nedjar, LaM.

À quoi rêve l’araignée ?, photogramme, archives Michel Nedjar, LaM.

Photo Nicolas Dewitte/LaM.

1 Yann Beauvais, Jean-Michel Bouhours, Le Je filmé, Paris, Centre Georges Pompidou, Scratch Projection, 1995 ; Dominique Noguez, Éloge du cinéma

Bibliographie

Acteur dans les films de Teo Hernandez

Michel là-bas, Teo Hernandez, 1970, couleur, sonore, 21 min

Salomé, Teo Hernandez, 1976, couleur, sonore, 70 min

Esmeralda, Teo Hernandez, 1977, couleur, sonore, 60 min

Cristaux, Teo Hernandez, 1978, 80 min

Lacrima Christi, Teo Hernandez, 1979-1980, couleur, sonore, 135 min 5 s

Graal, Teo Hernandez, 1980, couleur, silencieux, 58 min 10 s

Filmographie de Michel Nedjar

Le Gant de l’autre, Michel Nedjar, 1977, avec Teo Hernandez et Gaël Badaud, couleur, silencieux, 15 min 20 s

La Tasse, Michel Nedjar, 1977, avec Gil Brazey, couleur, silencieux, 19 min 20 s

Angle, Michel Nedjar, 1978, avec Teo Hernandez et Gaël Badaud, noir et blanc, silencieux, 9 min 42 s

Gestuel, Michel Nedjar, 1978, avec Gaël Badaud, couleur, sonore, 18 min 30 s

Teo, Michel Nedjar, 1978, avec Teo Hernandez, couleur, silencieux, 6 min

Ailes, Michel Nedjar, 1979, avec Leïla Colin, couleur, sonore, 13 min 52 s

Hors-jeu, Michel Nedjar, 1979, avec Pascal Martin, couleur, sonore, 16 min 25 s

Désir, Michel Nedjar, 1980, avec Teo Hernandez et Gaël Badaud, couleur, silencieux, 10 min

Monsieur Loulou, Michel Nedjar, 1980, couleur, sonore, 26 min 28 s

Ombres-Ailes, Michel Nedjar, 1980, avec Pascal Martin, couleur, sonore, 25 min 13 s

Sara et Teo, Michel Nedjar, 1980, couleur, silencieux, 15 min

Sur Graal de T.H., Michel Nedjar, 1980, avec Teo Hernandez, Gaël Badaud, Pascal Martin et Jakobois, couleur, silencieux, 78 min

Une journée avec les Cantrill et Hélène, Michel Nedjar, 1980, couleur, silencieux, 13 min 35 s

4 à 4 MétroBarBèsRochechou Art, Michel Nedjar, Teo Hernandez, Jakobois et Gaël Badaud, 1980-1983, couleur et noir et blanc, sonore, 70 min 8 s

À quoi rêve l’araignée ?, Michel Nedjar, 1982, avec Teo Hernandez, couleur, sonore, 54 min 31 s

Capitale-paysage, Michel Nedjar, 1982, couleur, sonore, 70 min 55 s

Grappe d’yeux, Michel Nedjar, Teo Hernandez et Jakobois, 1982-1983, couleur, sonore, 14 min 23 s

Diaph.limite 1,2 posture d’exil, Michel Nedjar, 1983, couleur, silencieux, 10 min

Signaux lumineux pour un ballet nuptial, Michel Nedjar, 1983, avec Hélène Goldrach, couleur, silencieux, 12 min

Dona Sara et Artemisa à Paris et à Chantilly, Michel Nedjar, 1985

Journal respiratoire, Michel Nedjar, 1985

Une journée avec André Robillard et Pascal Martin, Michel Nedjar, 1985, 15 min

Michèle Linden, esquisse d’un strip-tease, Michel Nedjar, 1986, 20 min

Strip-tease, le grain de la peau, Michel Nedjar, 1986, 60 min

Plus Venise, Michel Nedjar, 1990, couleur, silencieux, 10 min

Bouche d’œil « Voodoovideo », Michel Nedjar, 2001, couleur et noir et blanc, sonore, 46 min

Black Room révélée, Michel Nedjar, 2004, noir et blanc, sonore, 17 min

Les derniers messages de Madeleine Lommel, Michel Nedjar, couleur, sonore, inachevé, 2009

*Les films de Michel Nedjar sont diffusés par Light Cone, Paris. Ils font partie des collections permanentes du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou.

Bibliographie indicative :

Archives

Fonds Michel Nedjar, Bibliothèque Dominique Bozo, LaM, Villeneuve d’Ascq

Dossier Michel Nedjar, archives de Light Cone, Paris

Fonds Teo Hernandez, Bibliothèque Kandinsky, Musée national d’art moderne, Paris

Cinéma

Barbant Corinne, Bouhours Jean-Michel (dir.), Michel Nedjar, introspective, cat. exp. (Villeneuve-d’Ascq, LaM, 24 février-4 juin 2017), Musée Art Moderne Lille Métropole, 2017.

Beauvais Yann, Bouhours Jean-Michel, Le Je filmé, Paris, Centre Georges Pompidou, Scratch Projection, 1995.

Bouhours Jean-Michel, Nedjar Michel, Noguez Dominique et Camblor-Macherel Xochitl, Teo Hernandez : trois gouttes de mezcal dans une coupe de champagne, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1997

Bouhours Jean-Michel, « La caméra expérimente la ville », Visions urbaines. Villes d’Europe à l’écran, Paris, Centre Georges Pompidou, 1994

Brenez Nicole et Lebrat Christian, Jeune, dure et pure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France, Paris, Cinémathèque française, Milan, Mezzotta, 2001

Dusinberre Deke et Lebrat Christian, MétroBarBèsRochechou Art (1980-1983) : Gaël Badaud, Teo Hernandez, Jakobois, Michel Nedjar, Paris, Paris Expérimental, 2005

Noguez Dominique, Éloge du cinéma expérimental, Paris, Éditions Paris Expérimental, 2010

Noguez Dominique, « Prises de villes », Cités-Cinés, Paris – La Villette, Éditions Ramsay, 1987

Noguez Dominique, Poupées de lumière, Michel Nedjar, 10 ans de cinéma 1977-1987, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987

Noguez Dominique, Trente ans de cinéma expérimental en France, Paris, arcef, 1982

Schefer Jean-Louis, « Fragilité », Technologies et imaginaires, Paris, Dis Voir, 1990

Notes

1 Yann Beauvais, Jean-Michel Bouhours, Le Je filmé, Paris, Centre Georges Pompidou, Scratch Projection, 1995 ; Dominique Noguez, Éloge du cinéma expérimental, Paris, Éditions Paris Expérimental, 2010.

Illustrations

À quoi rêve l’araignée ?, photogramme, archives Michel Nedjar, LaM.

À quoi rêve l’araignée ?, photogramme, archives Michel Nedjar, LaM.

Photo Nicolas Dewitte/LaM.

Citer cet article

Référence électronique

Corinne Barbant et Géraldine Sfez, « Avant-propos », Déméter [En ligne], 3 | Été | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/207

Auteurs

Corinne Barbant

Géraldine Sfez

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