Entretien avec Louise Hervé et Chloé Maillet

DOI : 10.54563/demeter.360

Résumé

Entretien public réalisé par Bérénice Béquet, Aneffel Kadik, Véronique Goudinoux et Claire Walkowski le 13 novembre 2014 à l’université de Lille, Villeneuve d’Ascq.

Index

Mots-clés

entretien, collaboration, arts plastiques, duo, binôme, collectif, installation, performance

Texte

Louise Hervé et Chloé Maillet, vous avez accepté d’intervenir dans le cadre de notre recherche portant sur les nouvelles modalités du travail à plusieurs dans le domaine artistique et de répondre à nos questions. Nous vous en remercions vivement. Pouvons-nous commencer par vous demander comment, généralement, vous vous présentez ? Comme un “duo” d’artistes ou comme un “collectif” ?

Louise Hervé : La plupart du temps, nous répondons à cette question en disant qu’un duo est une forme de collectif à deux.

Chloé Maillet : Duo ou collectif : nous aimons avoir cette double casquette, osciller entre notre duo et notre association, l’I. I. I. I., qui a pris différentes formes au fil de notre travail. Au tout début de notre travail, l'association était un projet en soi. Cela nous a permis d'avoir des activités dissimulées derrière cet anonymat même si nous étions les membres les plus actifs de cette association. Petit à petit, l’association s’est transformée pour pouvoir intégrer d'autres projets et est également devenue notre structure de production.

En regardant certaines de vos vidéos, on s’aperçoit en effet que vous travaillez non seulement à deux mais avec de nombreux autres. Comment gérez-vous cela ?

CM : Travailler ensemble, en dialogue, nous permet de partager des références et cette manière de faire est un moyen de s’ouvrir à d’autres personnes. Nous sommes en collaboration sur le long terme à deux mais nous aimons également concevoir et réaliser des projets avec d'autres groupes de personnes ; c’est ce qui nous nourrit et fait rebondir une idée vers une autre. Nous avons par exemple participé en 2009 à ce laboratoire de création qu’est le « Pavillon » du Palais de Tokyo, qui comprenait une dizaine d’artistes. Ce fut très formateur.

LH : Précisons que tout n’est pas forcément réussi dans ces plateformes collectives mais ces moments d'expériences en commun ont été importants pour nous.

CM : C'est pour cette raison que nous avons postulé cette année à la « Coopérative de recherche » de l'école des Beaux-Arts de Clermont‑Ferrand. Nous sommes sept artistes et travaillons ensemble, en échangeant sur nos projets, ce qui est très stimulant. Le projet sur lequel nous travaillons, une série de performances et un film, Spectacles sans objet, est une façon d’avoir des échanges avec une équipe et de travailler à plusieurs en trouvant des solutions et de nouvelles idées.

Pouvez-vous nous rappeler comment votre projet d’association est né ? Correspondait-il au lancement de votre travail d'artistes ou était-ce plutôt un support, un moyen de communication ?

LH : C’est un peu tout ça à la fois. Dans un premier temps cette association, fondée en 2001, a été une manière de formaliser officiellement notre travail à deux, de mettre en place un certain statut. Dans un second temps, nous nous sommes rendu compte après nos premiers projets de performance que nous avions besoin d’un lieu et que la manière la plus simple et la plus prosaïque de l’obtenir était de constituer une association ; nous nous sommes alors lancées dans ce projet ! Pendant cinq ans, nous avons alimenté son site web, qui nous a permis d’abriter des projets avec d'autres artistes. Par ailleurs, quand j’étais encore en école d’art, l’association nous a permis de nous rapprocher d'autres étudiants et de faire des projets en commun, par exemple avec Dominique Gilliot ou Benjamin Seror. Elle a été une manière pratique d'avoir une plateforme de travail.

Qu'est-ce qu'un collectif pour vous ? Que mettez-vous derrière le mot « collectif » ? Vous avez dit au début de cet entretien que « le duo est une forme de collectif à deux », pouvez-vous expliquer cette formule ?

LH : Dire cela signifie que l'on est toutes les deux auteures, à la même échelle. Il n'y en a pas une qui soit plus auteure que l'autre. L'œuvre est revendiquée de manière égale entre nous deux.

CM : Tout le monde nous demande qui fait quoi, comment les tâches sont réparties ; cette demande est assez récurrente si l’on considère l’histoire des collectifs depuis le Moyen-Âge. Dans les ateliers d’artistes anonymes, l’histoire de l’art distingue Maître et Apprentis, Maîtres et aides, même lorsque tout se fait dans l’anonymat, comme si l’art ne pouvait qu’être l’œuvre d’un artiste créateur. Au Moyen Âge, alors que presque tous les artistes sont des anonymes, ils se trouvent nommés par les historiens de l’art Maître de Boucicaut, ou Maître du retable de X, sous-entendant ainsi qu’ils étaient des hommes, et travaillaient seuls, ce qui est au moins en partie erroné.

En ce qui vous concerne, avez-vous un protocole spécial pour réaliser vos performances ?

CM : On nous pose également souvent cette question ! En réalité nous ne sommes pas du tout des artistes à système ou à protocole et parfois, cela pose problème. La performance est une sorte de laboratoire, un terrain d'expérimentation dans lequel on peut faire figurer toutes les idées que l’on veut. Au fur et à mesure, nous leur trouvons une forme, nous les organisons (Figure 1 et Figure 2) ; nous pouvons par exemple nous rendre compte au fil du travail que le mieux à faire est finalement non pas seulement une performance mais aussi une exposition (je pense à notre performance La nacre de mes nautiles, où nous montrions une collection privée constituée de fossiles au centre d’art les Capucins à Embrun, en 2013).

Figure 1.

Figure 1.

La Nacre de mes nautiles, installation en collaboration avec Ernesto Sartori, et collection privée d'ammnonites, performance, 2013, Centre d'art les Capucin, Embrun.

Photo E. Tabuchi (cur. Solenn Morel).

Figure 2.

Figure 2.

La Nacre de mes nautiles (détail), installation en collaboration avec Ernesto Sartori, et collection privée d'ammnonites, performance, 2013, Centre d'art les Capucin, Embrun.

Photo E. Tabuchi (cur. Solenn Morel).

LH : Prenons un autre exemple. Au cours du travail, nous nous disons que tel personnage est intéressant et qu’il serait bien de faire un film où il apparaîtrait. C’est le cas avec le docteur Marcel Baudouin, un préhistorien passionné par l’Atlantide, découvert lors de recherches dans un musée vendéen (le Musée Sainte Croix aux Sables d’Olonne). Nous en avons parlé lors de la performance Le Passeur (Figure 3 et Figure 4), en 2013, et il est devenu un personnage dans notre film Un passage d’eau, en 2014. On m'a fait remarquer que le seul protocole dans notre travail de performance est notre attachement à ces sources de première main que sont les documents. Nous construisons nos récits par assemblage de faits que nous tentons de vérifier nous-mêmes en retrouvant certaines sources, en allant chercher des documents dans les archives, en regardant des collections, des réserves de musées etc. Ce n’est pas vraiment un protocole mais ça y ressemble.

Figure 3.

Figure 3.

Le Passeur, performance et exposition temporaire de la collection privée de Marcel Baudoin, Musée de l'Abbaye sainte Croix, Les Sables d'Olonne, 2013.

Crédit photo musée Abbaye Sainte Croix (cur. Gaelle Rageot).

Figure 4.

Figure 4.

Le Passeur, performance et exposition temporaire de la collection privée de Marcel Baudoin, Musée de l'Abbaye sainte Croix, Les Sables d'Olonne, 2013.

Crédit photo musée Abbaye Sainte Croix (cur. Gaelle Rageot).

CM : On nous demande souvent si nous inventons les histoires car le récit est vraisemblable mais justement non, rien n’est imaginé. Tout ce dont nous parlons est vrai et c’est pour nous une question d’honnêteté intellectuelle. Au moment où l’idée de faire un monstre de film marin a émergé, nous avons cherché et lu énormément de documents et regardé des dizaines et des dizaines de films de monstres marins avant de nous lancer. Nous assemblons et interprétons les choses à notre manière mais pour nous la phase recherche est plus importante que la phase de restitution qui se passe en public.

Y a-t-il plus d'avantages que d'inconvénients à travailler à deux ?

CM : Il nous semble qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients. Il y a moins de pannes d'inspiration lorsqu’on travaille à deux. La dynamique du dialogue est sans doute la raison principale, la première raison pour laquelle nous travaillons ensemble. La deuxième raison, plus pratique, est que nous nous apportons un soutien mutuel lors de moments de stress, par exemple avant une performance. Généralement nous ne sommes pas stressées en même temps, ce qui permet d’éviter pas mal de chose ! (Rires) Et le fait d'être à deux nous permet de ne pas nous prendre au sérieux !

LH : J’ai aussi l’impression que travailler à deux nous permet de faire des « sauts » de projet en projet et d’arriver à déployer différentes facettes dans notre travail car nous n’amenons pas tout à fait la même chose. Il y a bien sûr un terrain d’entente mais nous n’avons pas forcément les mêmes idées ni le même point de vue sur tel ou tel projet. Le seul inconvénient est le fait qu'il existe peu de structures qui sont pensées pour les duos d'artistes et les collectifs. Les rémunérations ne sont pas doublées systématiquement, donc ça pose des problèmes économiques.

Il est vrai que la forme du duo est plus fréquente aujourd’hui qu’il y a vingt ans et que les structures en arts plastiques ne se sont pas adaptées aux pratiques collaboratives, contrairement à ce qui semble se passer dans le domaine de la danse ou du théâtre.

CM : Il existe un gros décalage entre les arts vivants où le collectif est assez évident et les arts plastiques. Le travail en duo n’est pas beaucoup encouragé, même institutionnellement. Il est impossible par exemple de rédiger un mémoire à deux ou de présenter un diplôme à deux dans une école d’art.

Pouvons-nous parler des aspects juridiques du travail en duo ? Par exemple, comment sont rédigés les contrats de vente d’œuvres ou de commande d’œuvres ? Comment êtes-vous désignées dans les contrats ? Par la formule « l’artiste » ?

LH : Nous sommes désignées par la formule « les artistes » dans nos contrats, pour la rémunération des performances par exemple. Dans les cas concernant la production de nos films, notre association, l’i.i.i.i., est producteur, et nous sommes rémunérées en tant qu’auteures.

Pour en revenir aux sources, que s’est-il passé avant la création de votre site, avant la formation de votre duo, quelle est la genèse de votre histoire ? Racontez-nous votre rencontre, ce qui vous a donné envie de travailler ensemble.

CM : Je pense qu'on ne se rencontre jamais en se disant « Tiens on va faire un duo ! » (Rires). Précisons que nous étions très jeunes quand nous avons commencé à travailler ensemble, nous avions 18 ans. Notre rencontre a eu lieu avant l’école d'art, au tout début de nos études, nous avions juste notre baccalauréat en poche et nous étions en deuxième année de classe préparatoire littéraire, qui comprenait une forte option arts plastiques de six heures par semaine. Ces six heures représentaient un moment de travail assez intense et en même temps une sorte de plage de liberté incroyable au milieu de ce programme très chargé. Le fait de travailler ensemble est advenu de manière très informelle. Au début, nous nous apportions des références l'une à l'autre, mais très vite, nous avons commencé à collaborer. En 2000 et 2001, nous avons décidé de monter notre association et nous avons tout de suite organisé un programme de performances dans divers lieux par l'intermédiaire de l'association. À partir de ce moment, tout est allé très vite.

LH : Dès le début, les projets sont nés d'un dialogue ; j'amène une idée, Chloé en amène une autre et ainsi de suite. Nos performances dialoguées sont la trace de notre travail et permettent de montrer comment ce processus d'assemblage et de montage des idées se met en place. Cela dit, je donne ici une vision idéale du montage des idées car en réalité, les choses ne se passent pas d’une façon aussi linéaire.

Comment décririez-vous le passage entre un travail en solo et un travail au sein d'un collectif ?

CM : Nous travaillions déjà ensemble sans savoir si nous étions artistes. Nous avons fait des projets en solitaire mais le duo est venu tellement tôt pour nous que nous ne nous sommes pas vraiment posé la question de continuer notre travail personnel ou non. Au départ, nous voulions faire des films, donc le fait d'être deux était un avantage pour gérer les aspects lourds de la préparation d’un film. À la fin de nos études, quand Louise est sortie de l’école d’art, nous souhaitions réaliser un film de science-fiction, dont le budget était important ; il était évident que nous devions rester à deux pour mener à bien ce projet.

Avez-vous gardé une pratique artistique individuelle aujourd'hui ?

CM et LH : Non.

Votre duo est une combinaison entre pratique artistique et domaine du savoir qui permet un certain décloisonnement entre art et science, savoir universitaire et proposition artistique. Est-ce que cette combinaison et ce décloisonnement se retrouvent dans vos performances et dans vos films ?

LH : Au départ, il existe des expériences personnelles, vécues par chacune d'entre nous, parmi lesquelles nous partageons le plaisir de recevoir des connaissances. Une conférence dans laquelle on apprend des choses, c'est un plaisir. Remettre en scène cela et essayer de le formuler dans nos performances, c'est retrouver le plaisir de transmettre des choses, d’où notre rapport à l’humour. L’humour est un outil très important de relation avec le spectateur.

CM : Je suis d'accord avec le fait que l'humour est une sorte d'outil. L'humour, ce n'est pas un objectif, nous ne cherchons pas à faire rire les gens, mais cela permet d'articuler les connaissances pour pouvoir les transmettre au public. Il est plus facile de communiquer avec quelqu'un en lui expliquant les aspects intéressants et amusants de nos propos.

Vous parlez de narration et de récit mais pas de fiction. Votre travail fait preuve d’un vif intérêt pour le monde qui vous entoure. Travailler à deux entraîne-t-il le fait de s'intéresser à des objets extérieurs que vous pouvez partager ?

LH : J'ai le souvenir du premier scénario de film que nous avons écrit à deux, l’année 2005-2006, pour lequel l'écriture est partie d'un ensemble de références communes de films de science-fiction marquants et de littérature. C'est à partir de cet ensemble de références ou de choses que nous avons vues, chacune de notre côté et spécifiquement pour ce projet, que nous avons bâti le scénario du film, qui pour le coup est une fiction.

CM : En général, on aime le travail d’artistes en collectif. Nous partons à Vilnius la semaine prochaine et le point de départ de notre travail y est la collection de George Maciunas. Nous nous sommes beaucoup posé la question du rapport entre Maciunas et Fluxus comme une sorte de collectif qui n’en n’est pas un. Il y a beaucoup de cas différents et nous nous y intéressons vivement.

Que ferez-vous à Vilnius ? Y travaillerez-vous dans les archives nationales ?

LH : Le centre d’art de Vilnius n’a pas de collection. C’est seulement dans les années 1990 qu’il y eut en Lituanie un grand mouvement d’intérêt pour Fluxus. Après 1991, la Lituanie s’est cherché une histoire de l’art lituanienne, d’où cet intérêt pour George Maciunas et pour Fluxus.

CM : Cette construction historique est vraiment venue a posteriori. La Lituanie s’est rendu compte qu’elle n’avait plus rien de Maciunas... La seule collection qu’elle possède actuellement est celle qu’un institut américain leur a donnée. Pour notre part, nous allons y commencer un travail qui met en parallèle Fluxus et les saint-simoniens.

On voit que la transmission du savoir est vraiment au cœur de votre travail. Les choix vestimentaires utilisés pendant les performances font-ils également partie de ce processus de transmission ?

LH : Au départ, il y a une raison très pratique au choix de ces vêtements. Nos performances n’ont pas lieu sur scène, on est au milieu du public et elles rassemblent entre 10 et 50 personnes autour de nous. Le plus difficile est de commencer à parler et avoir une tenue qui nous rapproche toutes les deux et qui nous différencie des personnes autour de nous, nous permet de prendre la parole. Cela nous identifie comme deux personnes qui s’apprêtent à faire quelque chose et à commencer une représentation. Ce mode de présentation nous a beaucoup aidées au début et c’est pourquoi nous l’avons conservé.

CM : Prenons l’exemple de la performance que nous avons effectuée à Dallas (A fête in Dallas, 2014 – Figure 5). La ville de Dallas n’est pas une ville dans laquelle on marche. Nos habits permettent de nous identifier auprès des spectateurs et de capter leur attention. Ce costume reconnaissable fonctionne comme une sorte de début de discours avec les gens, ils se disent qu’il y a une raison pour que nous le portions, que s’habiller de manière identique n’est pas anodin.

Figure 5.

Figure 5.

A Fête in Dallas, performance, Dallas contemporary, 2015.

photo N. Serre (cur. Florence Ostende).

Mais vous pouviez choisir d’être habillées de manière identique sans garder ce côté « petit tailleur ». (Rires)

LH : Ahh le petit tailleur !

CM : On nous a souvent posé la question sur le choix de ce costume. J’avoue que nous le gardons un peu comme un fétiche, au sens où nous avons besoin de choses auxquelles s’accrocher. En même temps, nous le conservons car ce n’est pas un costume qui montre une posture d’autorité – on n’en a pas besoin pour avoir de l’autorité. C’est plutôt un costume de sous-fifre. Effectivement, les gens qui portent des uniformes ne sont pas forcément ceux qui sont en posture d’autorité. Pour notre part, nous gardons le même type de costume depuis le début.

LH : Il est assez simple à remplacer et c’est aussi un de ses avantages !

Quelle est la place du récit dans vos performances ?

LH : C’est une narration qui se fait à partir d’assemblages de plusieurs éléments que nous transmettons au public sous la forme de discours didactiques, basés sur des faits, qui basculent quelquefois dans des extraits de films ou de livres. Nous essayons d’assembler plusieurs formes de récits qui eux-mêmes aboutissent à une narration plus générale. Cet ensemble vient de choses très variées comme le cinéma, la littérature, des éléments historiques ou archéologiques.

CM : Nous n’effectuons nos performances qu’une seule fois, elles sont liées à un ici et maintenant. Nos films sont aussi une manière de prolonger ces performances. C’est tout à fait le cas du film Un passage d’eau, de 2014, qui s’est écrit comme la synthèse de deux années de performances (Figure 6). Pour cette prolongation, nous choisissons soit de réécrire la performance de manière compacte afin de la confier à une tierce personne, soit d’en faire un récit sous la forme d’un scénario ou d’un livre. Par exemple, pour un projet précédent, nous avons écrit un roman feuilleton pour un catalogue d'exposition, qui reprend deux ans de performances. Le roman feuilleton s’intitule Attraction Étrange et a aussi donné lieu à une exposition à la Synagogue de Delme, en 2012. Nous l’avons écrit comme un roman d'aventure et pour le compléter, nous avons demandé à des écrivains d'écrire une petite nouvelle. Dans ce livre, Attraction Étrange, il y a trois nouvelles, de Céline Minard, d’Emmanuelle Pireyre, de Stéphane Berard, qui entourent ce petit roman feuilleton et nos œuvres qui sont présentées sous forme de dessins et de relevés archéologiques.

Figure 6.

Figure 6.

Un Passage d'eau, film HD 23', red shoes SOME SHOMES/I. I. I. I., 2014.

Laissez-vous une place à l’improvisation pendant vos performances ?

CM : Non, pas vraiment, le texte est préparé à l’avance et répété. Nous faisons beaucoup de répétitions avant la performance et souvent nous nous rendons sur le lieu trois jours auparavant pour mettre en place la performance, chaque fois adaptée en fonction du lieu qui nous accueille (Figure 7).

Figure 7.

Figure 7.

Planetariumas, performance, cac Vilnius, avec Julija Steponaityte, photo Hakeem Osman, 2014 (cru. Julija Cistakova).

Il semble que vous vous intéressez aux jeux de rôle. Pouvez-vous nous le confirmer ? Par ailleurs, que pensez-vous de l’idée d’un éventuel lien entre la position du joueur dans un jeu de rôle, qui invente et crée des situations, et celle de l’artiste ?

CM : Deux choses nous ont vraiment intéressées dans le jeu de rôle ; la première est le fait qu’il y ait un scénario mais que ce scénario ne soit qu’un embryon qui vise à être interprété. La deuxième est que tout le public y participe, que les participants sont le public lui-même car le jeu de rôle n’est pas quelque chose qu’on vient voir de l’extérieur. Nous avons établi des rapprochements entre le jeu de rôle actuel et ce qu’étaient les “performances” des saint-simoniens dans les années 1830. En effet, ils se mettaient en scène tout en étant eux-mêmes spectateurs de leur propre performance. Nous n’avons jamais participé à un jeu de rôle mais ce qui nous intéresse est l’idée qu’on en a et le rapport entre reconstitution historique et jeu de rôle grandeur nature.
Pour citer un exemple, nous pouvons vous parler du projet sur lequel nous travaillons actuellement : Spectacles sans objet, qui comprend une série de performances et un film. C’est une sorte d’histoire alternative de la performance, dans laquelle l’histoire du collectif a été très importante. Le projet comprend trois épisodes. Il commence au xviie siècle en Grande Bretagne, lorsque la République puritaine de Cromwell a interdit le théâtre et entraîné l’essort de spectacles alternatifs très politisés. Ensuite, le film évoque les saint-simoniens et leur retraite de Ménilmontant, au début des années 1830. Les saint-simoniens voulaient changer la société, mais ils pensaient qu’elle n’était pas encore “prête”. Ils ont alors décidé de faire un spectacle total, avec performance, musique, jeu de rôle, un spectacle participatif, dans le jardin de leur maison, pour montrer comment se déroulerait la vie dans la société du futur. Ils portaient un costume particulier, une tenue symbolique, qu’ils revêtaient durant les cérémonies publiques. La dernière étape se passe au moment de la Révolution Française autour de la figure de David, lorsque ce dernier décide d’abandonner la peinture pour mettre en scène des “performances”, des fêtes révolutionnaires. Lorsqu’il recommence à peindre, certains de ses élèves, surnommés les Barbus, ou Méditateurs de l’Antique, ont quitté l’atelier pour vivre comme dans l’Antiquité grecque, en faisant des petits spectacles dans la rue et des défilés en costume de leur invention.
La première étape de notre projet a été de proposer une sorte de petit jeu de rôle. Nous avons passé une semaine dans le musée d’Oxford à parler de ce travail avec tous les visiteurs de l’exposition avec comme seul accessoire des costumes prêtés par le club théâtre de l’université d’Oxford. Cela permettait aux gens, s’ils le voulaient, de les enfiler, de lire les textes et d’improviser.

Peut-on dire que ce qui vous a le plus intéressées dans le jeu de rôle est la façon dont les gens inventent le jeu au fur et à mesure ainsi que le fait qu’il soit possible d’intégrer des personnes qui ne font pas partie du jeu au départ ?

CM : Non, pas exactement. Ce qui nous plaît est que les spectateurs soient les acteurs. Si on fait un jeu de rôle, moi je suis le sorcier et Louise est l’enchanteur, vous êtes les seigneurs et les chevaliers et le reste de la salle sera les paysans révoltés. En fait, il ne peut pas y avoir d’autres gens. Il n’y a pas de personnes qui regardent ce qu’on est en train de faire, tout le monde à un rôle. Cela recoupe tout à fait ce que Rousseau dit dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles.

LH : Dans certains cas, si une équipe documentaire veut filmer un jeu de rôle grandeur nature, il faut que ses membres aient un rôle dans la partie en cours. Ils ne peuvent pas être extérieurs.

Pour en revenir à vos performances, il est difficile de trouver vos vidéos complètes sur le web. Est-ce vous qui avez édicté une interdiction de filmer vos performances et de les poster sur le web ?

CM : Oui. Si vous avez vu des extraits, ce sont sûrement des vidéos sans autorisation... (Rires)

Pourquoi ce choix ?

LH : En fait, nous n’avons pas procédé ainsi au début. Plusieurs performances ont été filmées jusqu’à une performance particulière lors de laquelle je me souviens d’avoir été gênée par la présence de la caméra. Je me souviens aussi d’avoir été souvent insatisfaite du résultat. Je n’aimais pas la restitution filmique de la performance, je n’aimais pas ce que j’avais ressenti lors du tournage. Malgré cela, tous les lieux qui nous accueillent nous demandent une captation pour des questions d’archivages ou même de communication, mais pour nous ces documents ne rendent pas justice aux performances, il existe d’autres formes plus intéressantes pour cela. Nous avons fini par demander qu’elles ne soient pas filmées (Figure 8).

Figure 8.

Figure 8.

Le phalanstère de Mars, performance dans le cadre de Incorporer le texte 1, Lille Métropole Musée d'art moderne, université Lille 3, 2015, courtesy Galerie Marcelle Alix.

Photo N. Dewitte.

Nous avons cependant pu voir sur le web la vidéo de votre performance Avant le monde et après.

CM : C’est effectivement celle qui est la plus diffusée car nous n’avons pas interdit qu’elle soit filmée. Le projet était très particulier, il s’agissait d’une performance en collaboration avec un paléontologue. Il menait la performance pendant que nous jouions simplement ses assistantes.

LH : Si je me souviens bien ce n’est d’ailleurs qu’un tout petit extrait…

CM : Parfois nous montrons des extraits pour donner une idée de la performance mais nous préférons la transposer car nous trouvons que ça marche mieux de raconter une performance et de laisser les gens imaginer ce qu’ils veulent même si ce n’est pas forcément la réalité. C’est d’ailleurs la même chose pour nous, cela fait des années que nous avons envie de savoir à quoi ressemblaient ces performances des saint-simoniens à Ménilmontant ! S’il y avait un enregistrement, nous serions sûrement déçues. Pouvoir imaginer une chose la rend plus intéressante.

Illustrations

Figure 1.

Figure 1.

La Nacre de mes nautiles, installation en collaboration avec Ernesto Sartori, et collection privée d'ammnonites, performance, 2013, Centre d'art les Capucin, Embrun.

Photo E. Tabuchi (cur. Solenn Morel).

Figure 2.

Figure 2.

La Nacre de mes nautiles (détail), installation en collaboration avec Ernesto Sartori, et collection privée d'ammnonites, performance, 2013, Centre d'art les Capucin, Embrun.

Photo E. Tabuchi (cur. Solenn Morel).

Figure 3.

Figure 3.

Le Passeur, performance et exposition temporaire de la collection privée de Marcel Baudoin, Musée de l'Abbaye sainte Croix, Les Sables d'Olonne, 2013.

Crédit photo musée Abbaye Sainte Croix (cur. Gaelle Rageot).

Figure 4.

Figure 4.

Le Passeur, performance et exposition temporaire de la collection privée de Marcel Baudoin, Musée de l'Abbaye sainte Croix, Les Sables d'Olonne, 2013.

Crédit photo musée Abbaye Sainte Croix (cur. Gaelle Rageot).

Figure 5.

Figure 5.

A Fête in Dallas, performance, Dallas contemporary, 2015.

photo N. Serre (cur. Florence Ostende).

Figure 6.

Figure 6.

Un Passage d'eau, film HD 23', red shoes SOME SHOMES/I. I. I. I., 2014.

Figure 7.

Figure 7.

Planetariumas, performance, cac Vilnius, avec Julija Steponaityte, photo Hakeem Osman, 2014 (cru. Julija Cistakova).

Figure 8.

Figure 8.

Le phalanstère de Mars, performance dans le cadre de Incorporer le texte 1, Lille Métropole Musée d'art moderne, université Lille 3, 2015, courtesy Galerie Marcelle Alix.

Photo N. Dewitte.

Citer cet article

Référence électronique

Bérénice Bequet, Aneffel Kadik, Véronique Goudinoux et Claire Walkowski, « Entretien avec Louise Hervé et Chloé Maillet », Déméter [En ligne], 2 | Hiver | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 17 avril 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/360

Auteurs

Bérénice Bequet

Aneffel Kadik

Véronique Goudinoux

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Claire Walkowski

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