Matière, esprit et mémoire. Une anthropologie du vivant au prisme des pierres

DOI : 10.54563/demeter.472

Résumés

L’article analyse la matière dans la culture japonaise en se concentrant sur le statut particulier qu’elle confère aux pierres, tant pour leur participation à une conception visuelle que pour leur fonction métaphorique, spirituelle et phénoménologique. Au Japon, les pierres permettent d’interroger la présence et l’absence de la matière : dans les jardins zen où elles y sont placées pour être contemplées, dans l’art minimaliste du mouvement artistique Mono‑ha des années 70, où certains artistes comme Suga Kishio et Lee U-Fan les utilisent brutes telles des ready-mades re-sensibilisés, en les collectant et les mettant en scène, jusque dans les vidéos contemporaines de Shitamichi Motoyuki qui les soumet à des expérimentations scientifiques. Ces différentes relations avec la pierre dans l’art montrent que cette matière est vivante, symbole d’une mémoire empreinte d’énergie ; une philosophie de la matière qui trouve résonance notamment dans les théories développées par le courant philosophique des nouveaux matérialismes.

The article analyzes stone-material in Japanese culture, focusing on the special status it confers on stones, both for their participation in a visual design and for their unique metaphorical, spiritual and phenomenological function. In Japan, stones questions the presence and absence of matter: In Zen gardens where they are placed to be contemplated, in the minimalist art of the 70s Mono-ha artistic movement, where artists like Suga Kishio or Lee U-Fan, collect, stage or use them raw like re-sensitized ready-mades; Even in the contemporary videos of Shitamichi Motoyuki who submit them to scientific experiments. These different uses of stone in Art show that the material is alive, symbol of a memory impregnated with energy; an philosophy of matter which is related to the theories developed by the philosophical movement of new materialisms.

Index

Mots-clés

arts visuels, matière, mémoire, ontologie, pierre

Plan

Texte

La pierre, même la plus médiocre qui soit, si on la fixe du regard longuement, apparaît douée d’une existence sacrée, ineffable. Et cette existence se définit sans appel possible comme extérieure à l’homme. La pierre nie l’homme. C’est le sacré transcendant l’homme, l’existence mystérieuse qui dans un même mouvement rejette violemment ce qu’elle attire1.

Matière vivante

Si les binarismes opposant matérialité et signification, nature et culture, objet et sujet, ont été l’une des caractéristiques de la pensée occidentale, les philosophies orientales ont toujours été marquées par l’absence de séparation entre esprit et matière. L’émergence d’un nouveau matérialisme contemporain dans la pensée occidentale depuis le tournant du xxie siècle, marqué par un intérêt croissant pour la matière et la matérialité au sein de la création contemporaine, pousse le concept de matérialité bien au‑delà des matérialismes du xixe siècle, participant dès lors à une extension critique de ce concept et de sa définition, sous une forme de « rematérialisation2 ». Les correspondances nombreuses et opérantes se font ainsi jour entre les pratiques artistiques et ce courant de pensée. Et il semble que ce retour de la matière à une certaine matérialité de l’œuvre retrouve une importance primordiale. Un constat déjà établi par François Dagognet en 1989, dans son essai Rematérialiser auquel nous empruntons le terme. Selon lui, il ne s’agit plus tant de penser la mise en œuvre d’une matière à partir d’une idée (sculpture d’une forme) que de chercher comment des formes se créent par l’ajointement de matières et matériaux bruts.

Le matérialisme véritable consiste à devoir admettre la richesse inexhaustible et sans cesse renouvelée de ce qui est étendu ; le spiritualisme s’est, en effet, montré trop réducteur de ce qu’il jugeait inférieur. Ce sont d’ailleurs ces spiritualistes qu’il faut qualifier de « matérialistes », au sens qu’ils donnent eux-mêmes à ce terme (réprobateur) : ils ont créé ce monstre, la matière, un négatif, afin de mieux s’en séparer et surtout s’auto‑avantager. On ne doit pas, selon eux, ramener le supérieur à l’inférieur, mais d’abord il ne faut pas que le supérieur (prétendu) réduise l’inférieur, qui mérite davantage de considération3.

Cette philosophie de la matière tend à évoluer et prend une autre dimension avec les idées développées par les « nouveaux matérialismes4 » (de l’anglais new materialisms) qui prônent un renouveau des perspectives matérialistes afin de réintégrer la matière dans le débat philosophique et dépasser, enfin, une interprétation polarisée et duelle du monde, qui a favorisé pendant longtemps une approche discursive des pratiques artistiques au détriment de la matière5.

Dans la culture japonaise, et notamment dans le bouddhisme zen, la matière, et plus spécifiquement la pierre, revêt une signification particulière, échappant à la dualité esprit-matière, propre à une certaine pensée occidentale, marquée par la prééminence du sujet pensant sur la nature, et décrit par Descartes comme une épistémologie de la conscience objectivante qui oppose l’Homme et le monde. En effet, pendant de nombreux siècles, le Japon a vénéré les divinités shintoïstes et bouddhistes ou autres gardiens, appelés dôsojin en les représentant par des pierres phalliques placées aux limites des villages, et protégeant les habitants contre les mauvais présages ou les mauvais esprits. Ces pierres demeurent les gardiens de certaines zones ou assurent la fertilité des terres. Les dôsojin sont généralement représentés par des statues de pierre masculines et féminines ou par des marqueurs de pierre portant de simples inscriptions gravées, et entourés d’une corde qui symbolise leur état sacré. Ces pierres sont des objets inconnus qui trônent au milieu des jardins japonais ou sur le bord des routes ; des pierres qui pourraient, si l’on savait longtemps les regarder, nous servir d’indices temporels. Car la pierre est une « chose » vivante qui contient une poésie, une beauté assez puissante, et sa seule présence fait qu’on a l’impression qu’elle a toujours été là, alors même qu’elle se transforme, qu’elle évolue : c’est un objet d’éternité. La pierre, ce simple morceau de terre, existe dans le grand flux incommensurable de la vie, et regarder un simple caillou, c’est finalement retracer l’univers ; une échelle temporelle et un rapport au temps différent puisqu’elles peuvent dater de plusieurs milliards d’années.

En nous focalisant sur le statut spécifique que la culture japonaise confère aux matières, et plus spécifiquement aux pierres, nous interrogerons la façon dont elles s’insèrent dans la pensée japonaise, tant pour leur participation à la conception visuelle que pour leur fonction métaphorique, spirituelle et phénoménologique. Il sera alors question de montrer à travers un questionnement sur la présence et l’absence de l’objet que ces pratiques artistiques tendent à échapper à la dualité esprit-matière, en explorant la richesse matérielle du monde. Depuis les jardins zen qui utilisent les pierres brutes telles des ready-mades re-sensibilisés aux œuvres du mouvement artistique Mono-ha des années 70 qui mettent en scène des dispositifs d’installation spécifique, jusque dans les expérimentations quasi scientifiques de Shitamichi Motoyuki ; les artistes japonais dans de véritables mises en scène de la matière vivante développent des processus révélant l’interdépendance des choses existantes, reprenant les idées bouddhiques selon lesquelles chaque chose n’existe qu’en relation avec les autres. Ces interrogations renvoient aux théories de Dagognet, comme « matériologue », résistant « au penchant que nous avons pour le dualisme6 », et pour qui « le moindre caillou est d’une richesse de données infinies ». En effet, le monde est né avec des pierres et depuis, elles sont omniprésentes et nous leur devons beaucoup. Elles ne sont pas seulement les témoins silencieux de notre vie, elles nous accompagnent également sous d’autres formes ; nous passons la grande majorité de notre quotidien entourés de pierres de toutes sortes : qu’elles soient brutes ou modifiées, elles sont capables de transformer profondément nos existences, ainsi que la vie de la planète entière7. Car comme l’écrit Roger Caillois, « toute pierre est montagne en puissance8 ». Cette substance minérale représente la matérialité du monde, symbolisant l’ossature de l’univers, l’équilibre et la matérialité, la « chose » la plus dure et la moins souple de toutes les choses du monde : la matière concrète, vivante.

Matérialité de l’esprit

Au Japon, selon la croyance animiste du shintoïsme, les pierres sont sacrées, pouvant être considérées comme une divinité, un kami. Ces pierres sont des objets qui contiennent un esprit, un pouvoir envoûtant, un symbolisme, un pouvoir de guérison, une beauté quasi héréditaire, un poids, une surface, un âge. Considérées comme dépositaires de l’ordre et de la beauté du monde, à la forme particulière, certaines d’entre elles sont placées dans les jardins pour y être contemplées. Dans l’art du jardin, on parle de « dresser des pierres » (Ishi wo taken koto), car dans l’acte de disposer des pierres, le caractère sacré et inhumain de la pierre et la volonté humaine se mêlent et se fondent9. Les pierres acquièrent alors une existence entièrement nouvelle, traces dans l’espace d’un acte humain, d’une volonté créatrice. Dans les jardins de plaisirs de l’ère Heian ou dans les jardins du vide des moines zen, ce caractère sacré de la pierre subsiste toujours. Ainsi, créer un jardin, c’est disposer les forces de l’invisible. Les pierres concentrent en elles l’énergie des deux et le jardin est parcouru par un rythme, par cette énergie vitale appelée ki. Dans le jardin le plus raffiné s’inscrit toujours la violence primitive de la culture japonaise, son rapport primordial, limpide, avec le néant, et les pierres sont l’un des aspects les plus importants du jardin japonais : « Les pierres, ici, sont parfois objets de contemplation, presque supports d’exercices spirituels », rappelle Roger Caillois dans une dédicace qui précède son recueil intitulé Pierres et qui fait l’éloge des pierres brutes, ni précieuses, ni sculptées par une main humaine10. Dans le jardin japonais de type sec, sans éléments végétaux, les pierres sont disposées dans un réseau de relations qui révèle le mouvement du vide, le flux du temps et de la vie. Une pierre peut être un centre d’où le mouvement circulaire se propage en ondes concentriques, ou un obstacle qui infléchit le mouvement circulaire des graviers. De même que l’asymétrie dans la disposition des groupes des pierres entraîne notre esprit au-delà de la clôture sévère, rectangulaire de la surface du jardin, vers la pureté et la liberté du néant. Dans la tension que les groupes de rochers ont entre eux et avec la surface, le mouvement intense atteint un état de repos complet, dans lequel le mouvement devient non-mouvement. Les quinze pierres du jardin zen Ryôan-ji situé à Kyôto tracent dans l’espace les résonances multiples d’une phrase musicale, figée, immobile, minérale, mais animée d’un mouvement déferlant. En contemplant ces pierres usées, abandonnées, solitaires, comment ne pas être saisi par l’éclat froid et profond de la vieillesse ? Les pierres, l’attente des pierres ne sont là que comme supports de l’imaginaire11. Car la matérialité de la pierre représente la montagne sèche du jardin japonais, et les graviers, l’eau de la mer. Cette conception est inspirée par l’idée mystérieuse que la beauté cachée est la première beauté et que la substance se trouve à l’intérieur.

Figure 1.

Figure 1.

Jardin de pierres de style kare-sansui, jardin sec du monastère zen du Ryôan-ji, Kyôto, fin xve siècle.

Les différents jardins paysagers du temple Daisen-in sont eux aussi composés de pierres dotées d’une vitalité à la représentation symbolique : on trouve ainsi une pierre en forme de bateau-trésor située immédiatement à côté d’une pierre-tortue. Ces deux pierres doivent être considérées ensemble, l’accumulation de l’expérience de l’Homme adulte émane du bateau-trésor alors que les effets inutiles pour retourner vers la jeunesse se manifestent dans la tortue qui nage à contre-courant. C’est la vie de l’Homme qui est représentée sous une forme symbolique. Car ce sont les pierres de la vie, des pierres symboliques qui s’interposent dans le flux de la vie. Il s’agit de comprendre les pierres comme diverses difficultés que l’Homme rencontre au cours de son existence. Le fleuve de la vie aboutissant à l’expérience du vide symbolisé par la grande étendue de gravier du « grand océan » dans le jardin sud. Ce jardin est unique en ce qu’il parvient à rassembler dans un espace extrêmement réduit un grand nombre de pierres, de taille, de forme, de couleur et de matière très diverses. Ainsi, dresser les pierres demeure un art qui consiste à arranger les pierres selon les lois de la géomancie sino-japonaise, c’est-à-dire sur le principe yin-yang et la conception des cinq phases évolutives. En effet, selon la science sino-japonaise qui classait toutes choses entre le ciel et la terre selon le schéma des cinq phases évolutives, il va de soi que les pierres devaient être classées selon leur couleur, leur taille, leur forme et leur matière. Idéalement, les rochers devaient être plus sombres évitant les arêtes vives des blocs pour des éléments aux contours plus naturels et plus doux. Un problème majeur avec les pierres est la façon dont elles sont placées, et notamment la partie la plus large au niveau du sol. Ce qui signifie parfois que la moitié ou plus de la moitié doit être enterrée, mais doit s’élever du sol de manière naturelle. Les lois régissant l’arrangement des pierres découlent très logiquement de plusieurs classifications. Ainsi, pour désigner ces arrangements de rochers spécifiques plusieurs noms sont utilisés : « pierres jamais vieillissantes », « pierres des dix-mille néons », ou celle du « roi de l’esprit ». D’autres noms évoquent l’effet recherché par les arrangements de pierres à savoir « la pierre des brumes frémissantes », la « pierre recelant la baraque », ou encore la « pierre d’ancrage de pont ». Et enfin, un troisième ensemble de noms désigne l’emplacement des pierres : « pierre poussant vers le haut » ou « pierre dressée et allongée ». C’est ainsi que grâce à ces noms, les pierres en principe dénuées de sens en reçoivent finalement un12. L’art du jardin japonais renvoie à une science de la matière capable de rendre aux « moins-êtres » ou aux « quasi-êtres », une substantialité qui leur est habituellement refusée en raison de leur petitesse, de leur caractère abject, de leur nature amorphe, informe ou encore de leur inutilité. Il s’agit par-là de se mettre à l’écoute de la « vérité du minuscule13 ».

La pierre est un élément fort et spirituel, elle abrite les kami (divinités de la mythologie japonaise), ce qui renvoie au pouvoir des choses (the force of things) décrit par Jane Bennett dans Vibrant matter14 et chez Henri Bergson où la matière est parcourue par un « élan vital », conçu comme une force spirituelle qui parcourt la matière15. L’étude de leur forme et de leur agencement va révéler un « visage », face expressive exposée au regard, comme l’ancrage au sol va lui donner force et stabilité. La mise en scène de la matière et de ses propriétés dans les jardins zen permet d’éviter d’asservir les pierres à un projet esthétique préétabli, pour arriver à une poussée vitale et énergique de la matière, une matière vivante, vibrante devenue matière pour l’art et la conscience humaine : « La forme n’est qu’une vue de l’esprit, une spéculation sur l’étendue réduite à l’intelligibilité géométrique, tant qu’elle ne vit pas dans la matière16 ». Face à l’humanisation du corps de la Terre, à l’obsession de prendre possession de toute la force des pierres, d’occuper la matière de la planète avec nos pensées, nos émotions, notre vie, l’art du jardin zen représente l’inverse, il permet de se laisser envahir par la Terre, de se laisser traverser par les forces cosmiques, de se laisser façonner par ses pouvoirs. Se laisser percer par Gaïa, c’est accepter de changer souvent de forme, de transmettre sa vie à d’autres espèces, de considérer la forme humaine comme une simple configuration mobile de la vie de la planète. Dans l’art des jardins, on apprend à lier les éléments inséparablement, en essayant de sortir de cette dialectique pour reconnaître l’intégration profonde entre toutes les pierres et le ciel. La Terre n’est pas une réalité isolée dans le cosmos ; elle est faite du même matériau dont l’ensemble du ciel est fait, et manipuler la terre, c’est finalement manipuler le ciel – donner forme à la divinité matérielle.

Re-matérialisation : un art des choses

Si le courant philosophique du réalisme spéculatif – aussi désigné sous le label « Ontologie Orientée Objet » Object-Oriented Ontology (ooo) de Timothy Morton et Graham Harman17 a permis de réfléchir à la relation de l’humain au monde des objets, cette notion est demeurée liée au langage, aux discours et à la culture, perpétuant l’idée d’une expérience de la matière purement représentationnelle. Ainsi, au-delà de la seule présence matérielle et de sa représentation, sans retourner à ce que Bruno Latour nomme le « Grand Partage18 » – une recherche ontologique objective typiquement moderne opposée au langage –, les nouveaux matérialismes s’attèlent eux plutôt à mettre sur pied une démarche éthico‑onto‑épistémologique qui vise à montrer l’inséparabilité du monde matériel et discursif19. L’art occupe ainsi une position centrale dans ce processus de rematérialisation, mettant simultanément la matière au profit du sens et la signification au service de la forme. C’est ainsi que les artistes réfléchissent à la reconfiguration de la matière à travers le « fait matériel » de l’art, en pensant la matière, en rematérialisant, et en repensant le rapport même à la matière. La matière qui joue un rôle actif dans la création de sa propre forme : l’artiste ne donne pas seulement forme à un matériau, mais initie aussi un dialogue avec lui. Cela renvoie au concept de poïétique théorisé par René Passeron en 1971 ; l’auteur écrit que la matière n’est pas sans propriétés et qu’elle a des propriétés que l’artiste doit prendre en compte20. La poïétique l’intéresse dans le sens qu’elle est orientée sur le devenir de l’œuvre et son effet sur le créateur plutôt que sur l’impact du créateur sur l’œuvre. Selon lui, la poïétique est une connaissance au service de l’œuvre d’art en naissance. Ainsi, l’objet de la poïétique n’est pas l’artiste, mais le rapport dynamique qui l’unit à son œuvre pendant qu’il est aux prises avec elle21.

Les œuvres des artistes du mouvement artistique japonais Mono‑ha22 s’inscrivent également dans une recherche artistique sur la matérialité de l’esprit en proposant une re-sensibilisation de la matière. C’est la matérialité mise en œuvre par les artistes issus de ce mouvement artistique, dont l’histoire a marqué l’art japonais entre la fin des années 60 et le milieu des années 80 dont il sera question ici. Depuis 1973, le qualificatif de Mono-ha littéralement l’« École des choses », renvoie à la perception courante des œuvres du mouvement représentées notamment par les artistes Lee U-Fan et Suga Kishio. La mouvance Mono-ha se concentre sur la rencontre artistique entre l’objet naturel, la pierre et l’élément industriel, le métal, arrangés de manière interdépendante dans leur état primitif, en cohérence avec leur environnement23. L’intervention de l’artiste reste minimale, et c’est la révélation de l’objet qui compte. Sobre et sophistiquée, cette « École des choses » se présente comme un lieu d’apprentissage, une « expérience des choses » : « Il faut que nous sachions observer le monde tel quel, et non le transformer par le truchement d’une représentation qui le dresse contre l’homme », écrit Lee U-Fan24. L’artiste choisit d’ailleurs des références dans la calligraphie ou dans l’art des jardins zen, en façonnant peu à peu par le vide les contours d’un lieu de vie proprement artistique. Car cette « expérience des choses » est toujours explorée en relation avec l’espace et travaillée autour de la présence et de l’absence d’objets : les choses étant considérées pour elles-mêmes ; c’est bien la théorie de la relation entre les « choses » liée aux notions d’espace et de temps, que le Mono-ha et le concept de l’intervalle du ma25 sous‑tend constamment dans la conception et les processus artistiques de ces œuvres. Il s’agit par cette approche et ces explorations minutieuses, imprégnées d’esthétique et de philosophie zen, de remettre en question les notions de perception et de subjectivité. Les séries de Lee U-Fan intitulées RelatumExistence (datées de 2014) [Figure 2.] montrent de grosses pierres de granit posées sur différents supports : du verre, du caoutchouc ou encore du coton. Alors que le verre est brisé sec sous la masse de la pierre, la bande de caoutchouc reste indifférente et le coton voluptueux engloutit la pierre. Chaque élément agit, mais surtout interagit, et c’est la compacité de la pierre qui réussit à nouer un périlleux dialogue avec la tension d’un autre élément. En fonction des différentes combinaisons choisies par l’artiste, l’œil reconnaît dès lors la nature de chaque chose et impose alors à la conscience un jugement.

Figure 2.

Figure 2.

U-Fan Lee, Relatum – Existence, pierre, acier, verre, dimensions variables, vue d’installation, exposition Habiter le Temps, Centre Pompidou Metz, 2019.

Ainsi, c’est bien l’idée de relation qui demeure essentielle dans les œuvres de l’artiste ; ce qu’il traduit d’ailleurs par le terme latin Relatum (relation, rencontre). En effet, l’artiste pense qu’il faut extraire le geste artistique d’une pratique de domination de la matière par l’individu ; il s’agit pour cela de dépasser tout projet de représentation du monde sur le mode sujet‑objet, sortir de toute volonté d’objectivation du monde que l’artiste asservit à son projet. Face à cette attitude, Lee U-Fan oppose une mise en relation des éléments de la matière entre eux, chacun n’existant pour reprendre les termes du philosophe Nishida Kitaro, que dans le cadre d’un principe « d’auto-identité absolument contradictoire », à la fois élémentaire et fondamentalement relatif ou transitif. Ce que rappelle Tim Ingold dans Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture26 où notre expérience moderne du monde occidental influencée par le positivisme et l’esprit scientifique a perdu en épaisseur en réduisant notre compréhension de ce monde à une connaissance rationnelle de ses constituants27. Ingold plaide alors pour un retour à un mode de perception inspiré des anciens savoirs alchimiques et partant, à une forme de ré-enchantement du monde, en défendant une lecture plus complexe de notre rapport à la matière et, plus généralement, une sorte de relativisation générale des liens qui peuvent unir les artisans aux matières.

Chacun de leurs gestes techniques est une question, à laquelle le matériau répond selon ses dispositions. En suivant leurs matériaux, ce n’est pas tant que les artisans « interagissent », mais plutôt qu’ils « correspondent » avec eux. Et donc, fabriquer est un processus de correspondance, et non l’imposition d’une forme préconçue sur une substance matérielle brute, mais la prolongation ou la présentation de potentiels immanents dans un monde de devenir. Dans le monde phénoménal, chaque matériau est un devenir, un chemin ou une trajectoire à travers un labyrinthe de trajectoires28.

Figure 3.

Figure 3.

Kishio Suga, Law of Peripheral Units, pierres, cordes, métal, dimensions variables, vue d’installation, exposition Utopia/Heterotopia, Wuzhen International Contemporary Art Exhibition, 2016.

L’Homme peut ainsi atteindre une conscience accrue de son environnement à travers des gestes simples qui transforment l’espace en un lieu propice à la médiation. En effet, la question du contexte spatial et temporel de l’œuvre demeure essentielle ; une installation ne pouvant ignorer l’endroit et le moment dans laquelle elle est prise, c’est pourquoi l’artiste Kishio Suga travaille essentiellement dans des lieux à la fois anonymes et publics, porteurs d’une identité et dont il convient de s’adapter. Une telle réflexion signifiant que ce n’est que dans l’acceptation d’un système d’échanges fondamentalement complexe et mouvant que l’Homme peut espérer s’inscrire dans le réel. Les artistes de la mouvance Mono Ha insistent sur la relation au monde et à l’environnement ; un propos largement partagé par Suga qui dans cette perspective crée pour Law of Peripheral Units [Figure. 3), un « jardin de pierres » version radicale d’un jardin minéral, dans la lignée des jardins zen des temples japonais. L’intention de l’artiste est de remettre au centre de nos préoccupations notre rapport à la nature, en utilisant des tubes métalliques, des pierres et des cordes ; Suga, en plus d’utiliser des matériaux bruts, les pierres étant les seuls éléments naturels de son œuvre, emploie aussi des éléments artificiels comme la corde qui évoque l’idée de transition ; ce qui va permettre à l’artiste de jouer sur les interactions entre les pièces constitutives de l’œuvre, et c’est cette relation qui représente l’œuvre dans sa globalité. Car selon l’artiste, l’Homme domine, en ayant la main sur les matériaux artificiels, mais pas sur les éléments naturels. Et pour savoir si un élément naturel peut être choisi ou non, l’artiste dit se concentrer sur sa conscience. La conscience et l’être se détruisent et l’objet, la matière prend son indépendance ; pour résoudre cet écart, il s’agit de réapprendre à voir le monde tel qu’il est, sans en faire l’objet d’un acte de représentation qui l’oppose à l’Homme. Les artistes issus du mouvement Mono Ha utilisent la matière naturelle, non fabriquée donc non imitable, sans faire intervenir la fonction représentative selon les signes de l’Homme29. Face à l’installation, le visiteur est à son tour invité à regarder attentivement ces pierres, à apprécier leur force et leur complémentarité. La compacité des pierres percées maintient les cordes en état de tension et garantit ainsi l’équilibre de l’ensemble. Chaque corde emprunte une trajectoire différente, créant une sorte de champ magnétique sous tension, que Suga qualifie de « densité intérieure ». En réintroduisant l’élément perdu de la vitalité dans l’art, à travers les choses, les objets, les matériaux, Suga nous invite à comprendre la substance du matériau et à le ressentir intuitivement. Il s’agit pour cela de reconnaître le passage d’un objet de son état d’« existence ordinaire » à son état d’« existence extrême » ; c’est « reconnaître la nécessité de l’activité humaine en tant qu’intermédiaire ». L’École des choses est à rapprocher des idées développées par Dagognet en montrant comment l’esprit est déjà matériau (l’esprit est une idée du corps), comment la matière est nécessairement quelque chose de l’esprit (l’esprit a le corps comme objet), et comment nature et culture sont toujours « natures-cultures ». Dès lors, on peut penser que la matière a des capacités morphogénétiques propres capables de générer ainsi des assemblages concrets :

[La] matière pourrait se définir comme notre double ; cessons de la regarder comme le « non-moi » ou un simple réceptacle ; elle réfléchit nos performances et surtout les permet, en même temps qu’elle les concrétise. D’ailleurs, plus on l’enrichit, plus nous nous déposons en elle et pouvons lui déléguer nos propres tâches (la sensibilité subtile des capteurs, la mémoire illimitée, les contrôles et même les calculs). Elle est moins alors le « ce sans quoi » que le « ce en quoi » : la technologie actuelle libère un substrat que l’art contemporain, lui aussi, découvre30.

Matière à mémoire

La matière est aussi capable d’incarner une présence concrète du temps : la pierre usée par les éléments naturels contient une temporalité ; c’est une infiltration du temps dans la matière usée et « meurtrie31 » qui résume tout un passé. Dans son travail artistique intitulé Tsunami Boulder qu’il réalise depuis 2015 [Figure 4.], l’artiste Shitamichi Motoyuki traite de la coexistence de l’humain avec la nature. Depuis plusieurs années, l’artiste filme sous forme de séquences de photographies en noir et blanc observées en points fixes, d’énormes blocs de pierre échoués dans diverses régions du Japon suite à de puissants tsunamis. Ses travaux remettent en question les relations entre la nature et l’humanité qui ont changé à la suite de la modernisation. Le projet Pierre de tsunami symbolise la rencontre de l’artiste avec les îles Miyakojima dans l’archipel d’Okinawa, à l’extrême sud du Japon : un territoire fragmenté et extrêmement volcanique, où de nombreux blocs de pierre ont dévasté de nombreux villages à plusieurs reprises dans le passé. Ces énormes rochers ont été emportés sur la terre depuis la mer, comme autant d’énormes pierres venant de l’océan pour atterrir et s’échouer sur le rivage après les catastrophes.

Figure 4.

Figure 4.

Motoyuki Shitamichi, Tsunami Boulder, vidéo numérique, 2015.

L’artiste montre ainsi la coexistence possible avec la nature, à travers les pierres projetées par les tsunamis du fond des mers jusque sur les plages. Ces masses gigantesques du fond de la mer se retrouvent précipitées sur terre en raison de la force de la nature. Mais c’est leur proximité avec la vie humaine quotidienne, qui permet à chaque pierre d’avoir des significations et valeurs différentes, en devenant des matières mémorielles. Ces rochers se voient ainsi traversés par des forces mémorantes qui font d’eux des seuils vers d’autres dimensions du réel chargé de mémoire, d’imaginaire ou encore d’interprétation. Certains rochers n’existant qu’en tant que mémoire racontant des histoires sur les tsunamis ; d’autres sont considérées comme des dieux, prenant le statut de kami, alors que d’autres encore, deviennent des aires de reproduction de colonies d’oiseaux migrateurs qui y ont formé leurs nids, celles de foyers d’insectes ou d’écosystèmes sur lesquels ont poussé des plantes de façon naturelle. Les vidéos Tsunami Boulder sont en noir et blanc, brouillant ainsi la période à laquelle elles ont été filmées. Dans le même temps, les personnes et les oiseaux qui apparaissent au cours des vidéos sont constamment en mouvement, même si le rocher ressemble à première vue à une image fixe monochrome. La différence est évidente, dans le passage du temps entre les pierres de tsunami qui ont existé depuis qu’elles se sont déplacées il y a des centaines ou des milliers d’années et les humains, les animaux, la nature qui ont une vie beaucoup plus courte. Le décor cadré par Shitamichi traduit diverses valeurs et significations qui sont constamment créées par la superposition de couches de temps avec différentes longueurs et vitesses d’enregistrements.

La richesse mémorielle de la matière engendre sa propre temporalité : la matière n’échappant pas au temps et à ses effets : une matière vivante est une matière qui vieillit aussi. Ces rochers sont donc étroitement liés à la vie des habitants comme un objet de mythe, et ils ne sont pas seulement des rochers naturels qui témoignent des traces de catastrophes, mais ils sont également devenus le sujet de croyances religieuses locales, d’éléments de mythologie et de folklore, créant ainsi des paysages uniques dans lesquels la nature et la culture se mêlent. Un objet mystique qui est à l’origine du concept de l’intervalle ma dans l’esthétique japonaise32. L’artiste Shitamichi Motoyuki compare les pierres de tsunamis, qui ressemblent à des météorites, à des « places publiques » ou des monuments empreints de spiritualité et d’énergie. Depuis l’Antiquité au Japon, la pierre – objet religieux – a été utilisée à d’autres fins, notamment pour la fabrication d’outils ou d’objets traditionnels, ainsi que pour des matériaux d’architecture ou de génie civil. Mais c’est le folklore, qui préoccupe profondément Shitamichi qui révèle la relation entre l’Homme et les pierres. Après la publication de Questions et réponses sur les divinités de pierres (Ishigami mondô)33 de l’ethnologue Kunio Yanagida, une collection d’études demandées par des spécialistes sur le culte des pierres, on peut constater que les activités de l’Homme et des pierres sont très diverses, ce qui montre à quel point l’imagination autour des pierres est très riche et demeure encore aujourd’hui très vivante. Selon Nomoto Hirokazu, les Japonais « lient depuis longtemps les pierres avec leur cœur, les connectant avec leur foi et les mettant au centre de leur vie, au cœur de leur cœur, en leur propre centre ». L’humain considère les pierres comme des vaisseaux, comme des âmes ou comme des dieux ; la pierre est devenue sacrée, se transformant elle-même en un monument religieux, protégé et vénéré. C’est dans une même perspective désanthropocentriste que Jane Bennett cherche à abattre la représentation de l’humain comme « maître et possesseur de la nature », en postulant « une agentivité des forces non humaines (opérant dans la nature, dans le corps humain et dans les artefacts humains) qui tente de contrer le réflexe narcissique du langage et de la pensée humaine34 ». En s’appuyant sur différentes théories, la phénoménologie de Merleau-Ponty, la théorie des affects de Spinoza, celle des actants de Bruno Latour, ou encore celle de la « matière-flux » de Gilles Deleuze et Félix Guattari, Bennett restitue une « vitalité » aux matières35.

Conclusion

Entre contemplation esthétique, croyance spirituelle ou magique, et expérimentation scientifique, ces différentes mises en scène de la pierre créent des relations supprimant le dualisme entre l’objet et la représentation subjective, où tout – les organismes vivants, les éléments inertes, le cosmos – ne formerait qu’un seul et unique « moi » ; ce que rappelle la pensée néo-matérialiste de Bennett qui repose sur le principe d’une « continuité » entre les êtres et les choses, l’humain et la matière, qu’elle soit organique ou non. Ce qu’Augustin Berque, depuis les années 80, à travers sa pensée du milieu, nomme mésologie36, un concept de « trajectivité » du milieu naturel, dépassant la triple dualité subjectif‑objectif, naturel-culturel et collectif-individuel ; nature et culture étant coprésents dans toute réalité37. Une construction réciproque des choses et des êtres qui sont en relation et qui œuvrent ensemble : une « concrescence des choses » (le croître-ensemble) dont parle aussi Jakob von Uexküll au niveau du vivant38, et Tetsuro Watsuji au niveau de l’humain39. Dès lors, il s’agit de continuer de penser « à la fois l’objet et le sujet », mais en ce qu’ils sont « trajectivement unis dans le milieu40 ». Le trajectif, la trajection, désigne ainsi chez Berque ce qui se joue sans cesse entre le subjectif et l’objectif, et par quoi se tisse donc le milieu :

Les choses du milieu ne sont pas des objets substantiels, subsistant dans leur en-soi ; elles sont toujours en train de se faire dans leur interaction avec le sujet. Réciproquement, le sujet aussi est toujours en train de se faire dans son interaction avec les choses41.

Un « processus de correspondance » que définit Tim Ingold42 et que Bennett envisage comme un circuit affectif multilatéral dans lequel l’humain et la matérialité non humaine s’affecteraient mutuellement tout comme les différentes sphères de ladite matérialité s’entre-affecteraient elles-mêmes43. Mais ces relations matérielles ne sont possibles qu’en repensant nos relations à la matière, à la Terre avec sensibilité et humanité ; pensée dans laquelle le processus de rematérialisation serait plus important que la forme liée à une idée. Car il semble que nous quittons « l’illusion d’un monde moderne pour un monde terrestre », rappelle Bruno Latour ajoutant que

Gaïa, c’est une injonction pour rematérialiser l’appartenance au monde [...]. Comme son nom l’indique Gaïa est le signal du retour sur Terre [...] c’est le seul moyen de faire à nouveau trembler d’incertitudes les modernes sur ce qu’ils sont, sur l’époque dans laquelle ils vivent et le sol sur lequel ils se trouvent, en exigeant d’eux qu’ils se mettent enfin à prendre au sérieux le présent44.

Dès lors, la tâche de l’art est d’affirmer l’unité et l’équivalence entre tous les matériaux. La Terre n’est pas seulement le lieu de la disjonction des espèces et des matériaux, mais c’est aussi le lieu de leur recomposition et de leur égalité. Ainsi, chaque élément existe grâce à son évolution, qui passe par la métamorphose et le recyclage d’autres éléments, et ceci est également vrai pour toute matière. La Terre est l’équivalence de toutes les pierres et Gaïa demeure finalement la seule pierre philosophale.

1 Taro Okamoto, L’esthétique et le sacré, Paris, Seghers, 1976.

2 Référence est faite à l’ouvrage de François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989.

3 François Dagognet, Éloge de l’objet, Paris, Vrin, 1989, p. 166.

4 Courant philosophique apparu à la fin du xxe siècle, héritières des matérialismes, de la French Theory et des pensées féministes critiques, les

5 Pour un état des travaux et des débats posés par ce courant, on pourra consulter l’ouvrage de Diana H. Coole et SamanthaFrost, New Materialisms:

6 François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989.

7 On se reportera notamment à l’ouvrage d’Emanuele Coccia, Métamorphoses, Paris, Rivages, 2020.

8 Roger Caillois, Pierres : suivi d’autres textes, Paris, Gallimard, 1966.

9 Augustin Berque, « Dresser les pierres, ou le lieu de l’œuvre », Communications, n° 64, 1997, p. 211‑219.

10 Pour le regard porté sur la matérialité, voir Roger Caillois, Pierres : suivi d’autres textes, op. cit., 1966 et L’écriture des pierres, Genève

11 François Berthier, Le jardin du Ryôan-ji : lire le zen dans les pierres, Paris, Adam Biro, 1997.

12 Nitschke Günter, Le jardin japonais : angle droit et forme naturelle, Cologne, Taschen, 2007.

13 Jean Salem, Démocrite, Épicure, Lucrèce : la vérité du minuscule, Fougères, Encre marine, 1998.

14 Pour davantage de détails sur cette question, voir Jane Bennett, Vibrant matter. A political ecology of things, Durham/London, Duke University

15 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Presses universitaires de France, (1907) 2013, p. 73.

16 Henri Focillon, La vie des formes, suivi de L’éloge de la main, Paris, Presses Universitaires de France (1934) 1981.

17 Sur ces questions, voir Timothy Morton, La pensée écologique, Paris, Zulma, (2010) 2019 et du même auteur Hyperobjets : philosophie et écologie

18 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997.

19 Karen Barad, « Getting Real: Technoscientific Practices and the Materialization of Reality », Differences: A Journal of Feminist Cultural Studies

20 Sur cette question, on se reportera aux recherches de René Passeron, et notamment son ouvrage Recherches poïétiques, t. ii, « Les problèmes du

21 René Passeron, La naissance d’Icare. Éléments d’une poïétique générale, Marly-le-Roi, Presses universitaires de Valenciennes, 1996, p. 16.

22 « Mono » est en japonais un terme très fréquent, utilisé tant comme substantif que comme mot-outil signifiant chose ou objet. « Mono » correspond

23 « Japon 1970 » : matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, Saint‑Étienne, Musée d’Art Moderne, 1996.

24 U-fan Lee, Deai o motomete. Atarashii geijutsu no hajimari ni, Tokyo, Tahata shoten, Tokyo, Bijustu shuppansha, (1971) 2000, p. 9.

25 Sur cette question, voir l’ouvrage Ma et Aida : des possibilités de la pensée et de la culture japonaises, Arles, Philippe Picquier, 2016.

26 Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, Éditions Dehors, 2013.

27 David Abram, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, Paris, La Découverte, 2013.

28 Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, Éditions Dehors, 2013.

29 « Japon 1970 » : matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, Saint-Étienne, Musée d’Art Moderne, 1996.

30 François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989, p. 256.

31 Voir François Dagognet, « Postface », Françoise Monnoyeur, Qu’est-ce que la matière ? Regards scientifiques et philosophiques, Paris, Le Livre de

32 Dans la mythologie japonaise, le rocher représente un intervalle, un espace de dialogue, un espace séparant physiquement deux entités au potentiel

33 Kunio Yanagida,Questions et réponses sur les divinités de pierres (Ishigami mondô), Tokyo, Chikuma shobô, (1910) 1999.

34 Ibid., p. xviii.

35 Sur ces différentes théories, voir Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, (1945) 1976 ; Spinoza, L’Ethique

36 Voir Augustin Berque, La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2014.

37 Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, (1986) 2007.

38 Jakob Von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010.

39 Tetsuro Watsuji, Fûdo, Le milieu humain, Paris, cnrs Éditions, 2011.

40 Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2010, p. 200.

41 Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2010, p. 179.

42 Tim Ingold, Correspondences, Knowing from the inside, Aberdeen, Aberdeen University Press, 2017.

43 Jane Bennett, « Matérialismes métalliques », Rue Descartes, n° 59(1), 2008, p. 57-66.

44 Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.

Bibliographie

« Japon 1970 » : matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, Saint-Étienne, Musée d’Art Moderne, 1996.

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Kunio Yanagida, Questions et réponses sur les divinités de pierres (Ishigami mondô), Tokyo, Chikuma shobô, (1910) 1999.

Notes

1 Taro Okamoto, L’esthétique et le sacré, Paris, Seghers, 1976.

2 Référence est faite à l’ouvrage de François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989.

3 François Dagognet, Éloge de l’objet, Paris, Vrin, 1989, p. 166.

4 Courant philosophique apparu à la fin du xxe siècle, héritières des matérialismes, de la French Theory et des pensées féministes critiques, les nouveaux matérialismes ont entrepris de repenser les rapports entre l’humain et les choses, l’humain et la nature, en s’appuyant notamment sur l’effacement de la dualité moderne séparant l’humain du non humain et défendent au contraire un rééquilibrage de ces rapports, pour les envisager dans une perspective plus équitable ; une approche fondée sur les ontologies mêlées associant êtres humains et non humains (animaux, végétaux, minéraux, objets), mais aussi un certain nombre de positionnements critiques (post-capitalisme, post-humanisme, post‑colonialisme, refus de l’anthropocentrisme, distance avec le constructivisme).

5 Pour un état des travaux et des débats posés par ce courant, on pourra consulter l’ouvrage de Diana H. Coole et Samantha Frost, New Materialisms: Ontology, Agency, and Politics, Durham, Duke University Press, 2013.

6 François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989.

7 On se reportera notamment à l’ouvrage d’Emanuele Coccia, Métamorphoses, Paris, Rivages, 2020.

8 Roger Caillois, Pierres : suivi d’autres textes, Paris, Gallimard, 1966.

9 Augustin Berque, « Dresser les pierres, ou le lieu de l’œuvre », Communications, n° 64, 1997, p. 211‑219.

10 Pour le regard porté sur la matérialité, voir Roger Caillois, Pierres : suivi d’autres textes, op. cit., 1966 et L’écriture des pierres, Genève, Skira, coll. les sentiers de la création, 1970.

11 François Berthier, Le jardin du Ryôan-ji : lire le zen dans les pierres, Paris, Adam Biro, 1997.

12 Nitschke Günter, Le jardin japonais : angle droit et forme naturelle, Cologne, Taschen, 2007.

13 Jean Salem, Démocrite, Épicure, Lucrèce : la vérité du minuscule, Fougères, Encre marine, 1998.

14 Pour davantage de détails sur cette question, voir Jane Bennett, Vibrant matter. A political ecology of things, Durham/London, Duke University Press, 2010.

15 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Presses universitaires de France, (1907) 2013, p. 73.

16 Henri Focillon, La vie des formes, suivi de L’éloge de la main, Paris, Presses Universitaires de France (1934) 1981.

17 Sur ces questions, voir Timothy Morton, La pensée écologique, Paris, Zulma, (2010) 2019 et du même auteur Hyperobjets : philosophie et écologie après la fin du monde, Saint-Étienne, epcc Cité du design, (2013) 2018 ; ainsi que l’ouvrage de Graham Harman, L’objet quadruple, Paris, puf, 2010.

18 Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997.

19 Karen Barad, « Getting Real: Technoscientific Practices and the Materialization of Reality », Differences: A Journal of Feminist Cultural Studies, vol. 10, n° 2, 1998, p. 87-128.

20 Sur cette question, on se reportera aux recherches de René Passeron, et notamment son ouvrage Recherches poïétiques, t. ii, « Les problèmes du matériau », Paris, Klincksieck, 1976.

21 René Passeron, La naissance d’Icare. Éléments d’une poïétique générale, Marly-le-Roi, Presses universitaires de Valenciennes, 1996, p. 16.

22 « Mono » est en japonais un terme très fréquent, utilisé tant comme substantif que comme mot-outil signifiant chose ou objet. « Mono » correspond à la chose primordiale qui constitue le monde dont chacun procède ; la nature profonde de la chose est anonyme, sans qu’il n’y ait rien auquel elle soit connectée.

23 « Japon 1970 » : matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, Saint‑Étienne, Musée d’Art Moderne, 1996.

24 U-fan Lee, Deai o motomete. Atarashii geijutsu no hajimari ni, Tokyo, Tahata shoten, Tokyo, Bijustu shuppansha, (1971) 2000, p. 9.

25 Sur cette question, voir l’ouvrage Ma et Aida : des possibilités de la pensée et de la culture japonaises, Arles, Philippe Picquier, 2016.

26 Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, Éditions Dehors, 2013.

27 David Abram, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, Paris, La Découverte, 2013.

28 Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, Éditions Dehors, 2013.

29 « Japon 1970 » : matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, Saint-Étienne, Musée d’Art Moderne, 1996.

30 François Dagognet, Rematérialiser : matières et matérialismes, Paris, Vrin, 1989, p. 256.

31 Voir François Dagognet, « Postface », Françoise Monnoyeur, Qu’est-ce que la matière ? Regards scientifiques et philosophiques, Paris, Le Livre de Poche, 2017, p. 145.

32 Dans la mythologie japonaise, le rocher représente un intervalle, un espace de dialogue, un espace séparant physiquement deux entités au potentiel interactif, et qui au Japon symbolise la naissance de l’esthétique. Voir Noriko Hashimoto, « Le Concept de Ma et ses transformations sémantiques comme voie d’accès à l’esthétique japonaise », Japon, Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1990, p. 77-82.

33 Kunio Yanagida, Questions et réponses sur les divinités de pierres (Ishigami mondô), Tokyo, Chikuma shobô, (1910) 1999.

34 Ibid., p. xviii.

35 Sur ces différentes théories, voir Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, (1945) 1976 ; Spinoza, L’Ethique, 19677 ; Bruno Latour, Reassembling the social: An introduction to social life, Oxford, Oxford University Press, 2005 ; Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980.

36 Voir Augustin Berque, La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2014.

37 Augustin Berque, Le sauvage et l’artifice : les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, (1986) 2007.

38 Jakob Von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010.

39 Tetsuro Watsuji, Fûdo, Le milieu humain, Paris, cnrs Éditions, 2011.

40 Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2010, p. 200.

41 Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2010, p. 179.

42 Tim Ingold, Correspondences, Knowing from the inside, Aberdeen, Aberdeen University Press, 2017.

43 Jane Bennett, « Matérialismes métalliques », Rue Descartes, n° 59(1), 2008, p. 57-66.

44 Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.

Illustrations

Figure 1.

Figure 1.

Jardin de pierres de style kare-sansui, jardin sec du monastère zen du Ryôan-ji, Kyôto, fin xve siècle.

Figure 2.

Figure 2.

U-Fan Lee, Relatum – Existence, pierre, acier, verre, dimensions variables, vue d’installation, exposition Habiter le Temps, Centre Pompidou Metz, 2019.

Figure 3.

Figure 3.

Kishio Suga, Law of Peripheral Units, pierres, cordes, métal, dimensions variables, vue d’installation, exposition Utopia/Heterotopia, Wuzhen International Contemporary Art Exhibition, 2016.

Figure 4.

Figure 4.

Motoyuki Shitamichi, Tsunami Boulder, vidéo numérique, 2015.

Citer cet article

Référence électronique

Alexandre Melay, « Matière, esprit et mémoire. Une anthropologie du vivant au prisme des pierres », Déméter [En ligne], 7 | Hiver | 2022, mis en ligne le 15 janvier 2022, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/472

Auteur

Alexandre Melay

Alexandre Melay est docteur en arts, esthétique et théorie des arts contemporains de l’Université de Lyon. Auteur d’une thèse sur les concepts de temporalité et spatialité dans l’esthétique japonaise, ses recherches actuelles explorent la relation entre les arts visuels et les réalités constitutives et réflexives du monde contemporain ; les formes de modernité et les phénomènes de mutations spécifiques à l’ère de la globalisation et de l’Anthropocène.

Droits d'auteur

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