Guirlandes de fleurs et sorcellerie. Féminin naturel, féminin surnaturel et autres perspectives sur l’art brut au prisme du genre

Flower garlands and witchcraft. Natural feminine, supernatural feminine and other perspectives on art brut through a gender lens

DOI : 10.54563/demeter.825

Résumés

L’art brut a d’abord été pensé par le peintre Jean Dubuffet comme opposé à « l’art culturel », ce qui recouvre davantage une binarité entre valeurs de « l’homme du commun » et valeurs de la bourgeoisie qu’entre nature et culture. Pour autant, l’art brut n’échappe pas à une tendance à désigner certaines caractéristiques des œuvres et des artistes comme étant naturelles. À travers l’examen de plusieurs textes, notamment de Dubuffet, nous démontrons que la « brutification » des œuvres réalisées par des créatrices passe notamment par la réaffirmation de caractéristiques considérées comme naturellement féminines (ce qui inclut des caractéristiques « surnaturelles »). D’autres approches de ces œuvres au prisme du genre ont néanmoins été proposées : nous en examinons certaines et en prolongeons la réflexion.

Art brut was first conceived by the painter Jean Dubuffet as opposed to cultural art, which covers more a binarity between the values of the "common man" and the values of the bourgeoisie than between nature and culture. Nevertheless, art brut does not escape the tendency to designate certain characteristics of the works and artists as natural. Through the examination of several texts, notably by Dubuffet, we demonstrate that the "brutification" of works produced by female creators involves the reaffirmation of characteristics considered naturally feminine (including “supernatural” characteristics). Other approaches to these works through the prism of gender have nevertheless been proposed : we examine some of them and extend the reflection.

Index

Mots-clés

art brut, genre, nature, surnaturel, féminin

Keywords

art brut, genre, nature, supernatural, feminine

Plan

Texte

1966 marque un moment particulier dans l’histoire de l’art brut, qui a alors une vingtaine d’années. Cette année-là, le peintre Jean Dubuffet, à l’origine de cette quête d’un art « exécuté par des personnes indemnes de culture artistique1 », affirme explicitement l’existence d’une différence sexuelle dans l’art brut. Il publie alors six textes, dans trois numéros des fascicules de L’Art brut, sur des créatrices : Laure Pigeon, Anaïs, Simone Marye, Marguerite Sirvins, Aloïse Corbaz et Jeanne Tripier2. Si c’est dans l’article consacré à Aloïse Corbaz (1886-1964), intitulé « Haut art d’Aloïse » et paru dans le septième fascicule, que le peintre fait état pour la première fois de son opinion sur le lien entre art et féminin, on peut déceler dans ses textes précédemment consacrés à des autrices l’influence de leur genre sur son appréhension de leurs créations. Comment ce paramètre s’inscrit-il dans le discours du peintre, et au-delà, dans celui de celles et ceux qui perçoivent les œuvres à travers le filtre du mythe, du fantasme qu’est l’art brut3 ? Dans la perspective qui est la nôtre, à savoir nourrie des travaux réfutant tout fondement biologique aux différences de genre4, nous allons examiner en quoi certains discours sur les autrices assimilées à l’art brut et leurs œuvres révèlent une vision naturalisante de faits sociaux considérés comme « féminins »5, mais surtout en quoi cette « nature féminine » – qui inclut une disposition particulière à exercer des pouvoirs surnaturels – peut s’avérer être un argument en faveur de la « brutification »6, c’est-à-dire de l’assimilation à l’art brut de ces mêmes autrices et œuvres. Par ailleurs, nous analyserons et proposerons d’autres pistes ouvrant à de nouvelles possibilités d’interprétation de ces objets au prisme du genre.

Déconstruction et reconstruction du féminin dans l’œuvre d’Aloïse Corbaz

L’opposition érigée par Dubuffet entre « art brut » et « art culturel » recouvre davantage une binarité entre valeurs de « l’homme du commun » et valeurs de la bourgeoisie qu’entre nature et culture, ce qui place l’entreprise du peintre dans un à-côté par rapport aux discours primitivistes du milieu du xxe siècle, comme l’a démontré Baptiste Brun7. Toutefois, force est de constater que, dans les textes qu’il publie sur les autrices qu’il « découvre », certains des arguments que Dubuffet utilise pour « conformer l'objet de l'attention aux nécessités de l'art brut appréhendé comme mythe8 » prennent appui sur l’idée d’une « nature féminine » dont on ne retrouve pas l’équivalent dans son discours sur les œuvres créées par des hommes. Il semble bien que le partage ontologique qui place la femme et le féminin plus proches de la nature et de l’immanence et l’homme et le masculin plus proches de la culture et de la transcendance9 joue son rôle structurant dans la pensée du peintre. C’est ce que nous allons examiner à présent dans le texte qu’il consacre à Aloïse Corbaz.

La visée de ce « Haut art d’Aloïse » est bien de démontrer en quoi l’œuvre de Corbaz relève du « brut », c’est-à-dire de mettre en avant, ou plutôt de constituer, des preuves que son œuvre tranche avec les traits dominants de l’« art culturel ». Comme l’a analysé Pauline Goutain dans sa thèse, la stratégie de Dubuffet consiste d’abord à essayer de démontrer que l’œuvre d’Aloïse Corbaz s’oppose aux canons de représentation classiques du corps féminin10. À cette fin, le peintre décrit l’œuvre de Corbaz comme dénué de toute sensualité : « Tout y est désincarné, blanchi dans le miroir d’une cérébralité reconstructrice de toutes choses à sa mode. Cérébralité où l’affectif n’a plus de part, à ce que je crois ressentir. Toutes choses sont vidées de sève et de sang et réanimées au gaz artificiel des cogitations cérébrales11 », écrit-il. Or, s’il est approprié d’insister sur le caractère éminemment symbolique des motifs dans l’œuvre de Corbaz12, Pauline Goutain souligne à juste titre que l’argument d’un art qui n’aurait rien de sensuel est « questionnable quand on regarde les dessins animés de poitrines, de chevelures, de roses, et de rouge de l'artiste13 ». Ainsi, dans le but de démontrer que l’œuvre d’Aloïse Corbaz s’oppose aux œuvres culturelles, Dubuffet le construit « contre le discours dominant qui prône le “sentiment de vie”, le “moelleux” des chairs, la “grâce” et la “sensualité” comme critères de beauté du corps de la femme14 ». « Plus que de rendre justice à la réalité de l'œuvre, conclut Pauline Goutain, Dubuffet utilise des détours interprétatifs qui s'opposent clairement aux tropes employés habituellement par la critique d'art masculine en matière d'art15 ». La suite du texte de Dubuffet nous révèle que le peintre ne joue pas seulement de cette opposition aux canons de représentation des corps féminins, mais également de l’idée selon laquelle représenter des corps « désincarnés » est à l’opposé de ce à quoi on pourrait s’attendre de la part d’une femme. Ainsi, il poursuit :

Où l’amour lui-même se fait annoncer  l’amour tient d’ordinaire dans la pensée des femmes plus de place que dans celle des hommes et on pourrait s’attendre à voir, au moins parfois, s’éveiller chez Aloïse [Corbaz] quelque chose de son ordre  c’est pareillement pour apparaître sans corps, sous forme de célébration totalement platonique […]16.

En renvoyant les corps nus, opulents et les bouches entremêlées dessinés par l’artiste au seul monde des idées, le peintre pense désamorcer le lien qui lui paraît logique (et à bien d’autres) entre amour et féminin mais aussi entre corps, sexualité et féminin. C’est aussi ce qui semble sous-entendu lorsqu’il écrit : « Si confinée qu’elle soit devenue dans la zone incorporelle des idées, si étrangère à toute chair et vie réelle, si aliénée, Aloïse [Corbaz] est demeurée femme17 ». Autrement dit, ce que nous dit ici Dubuffet, c’est à peu près ceci : peu d’amour dans les dessins d’une femme, c’est déjà surprenant, mais en plus un amour qui quand il se devine est « sans corps, sous forme de célébration totalement platonique », c’est très déroutant - et cela concourt à charger l’œuvre en brut. Ces stéréotypes essentialisants se confirment puisqu’il affirme, dans sa lancée, que

[…] les camélias, nénuphars et roses qui déferlent dans ses peintures sont purement métaphoriques et n’ont de fleurs que le nom ; les fleurs n’intéressent pas du tout Aloïse [Corbaz]. Elle ne porte pas davantage d’intérêt aux seins, aux chevelures, aux joyaux, aux vêtements ; c’est là choses auxquelles elle se sent étrangère et indifférente et qui n’ont de motivation que rhétorique. Pas la moindre chair jamais conférée à rien qui soit : idéation pure18.

Difficile de ne pas avoir l’impression ici que Dubuffet exorcise avant tout la liste de ce qu’il considère de l’ordre du féminin dans l’œuvre de l’artiste. C’est d’autant plus frappant qu’une version assez proche de cette liste reviendra un peu plus loin dans le texte du peintre, mais cette fois-ci pour montrer en quoi l’œuvre de Corbaz est en fait profondément féminine, en quoi elle est « très particulièrement la cosmogonie d’une femme19 » : « Toute la thématique proprement féminine des guirlandes et diadèmes, îles et kiosques d’amour, escalades de balcon, lits d’apparat, urnes, cloches, flambeaux et fleurs […] s’épanouit dans les peintures d’Aloïse [Corbaz] en majestueuse apothéose20. » Ce qui peut apparaître au premier abord comme un revirement total de stratégie de la part de Dubuffet peut sans doute s’expliquer par le fait qu’ayant convaincu son lectorat que l’œuvre de Corbaz était particulièrement étonnante, originale – notamment parce que ne correspondant ni aux canons de représentation du corps féminin, ni à l’art féminin tel que Dubuffet le conçoit, il souhaite à présent montrer en quoi elle est particulièrement authentique21. Or, l’authenticité, telle que conçue par le peintre, est ce qui chez l’artiste brut·e n’a pas été contaminé par les valeurs culturelles, et, dans le cas de Corbaz, il s’agirait entre autres de sa féminité. Il ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « […] Aloïse [Corbaz] est restée femme et l’est même peut-être plus intégralement qu’une autre pour s’être toujours si opiniâtrement refusée à aucun contact ou échange22 ». Ainsi la marginalisation permettrait la préservation d’une « vraie » féminité. Aloïse Corbaz aurait donc préservé une féminité authentique et son œuvre en serait le témoin : « Je crois que la vaste tapisserie à mille volets d’Aloïse [Corbaz] peut être regardée comme la seule manifestation vraiment resplendissante, dans la peinture, de la pulsation proprement féminine23 », écrit le peintre, qui insiste sur le caractère unique de l’œuvre :

Le peuplement de son empyrée est fait des éléments – couronnes de roses, fastes nuptiaux, amours légendaires, brocards et ruissellements de pierreries – qui sont les grandes ailes du moulin des filles et dont les peintures d’Aloïse [Corbaz] me paraissent être la seule solennisation qui en ait jamais été faite – du moins veux-je dire avec une telle autorité24.

Et c’est ici, pour argumenter en quoi l’œuvre de Corbaz serait si unique, que Dubuffet développe explicitement son point de vue sur « l’art et les femmes » :

Il est curieux […] que les femmes n’ont pas brillé dans notre art d’Occident. Elles n’y ont autant dire rien apporté qui vienne vraiment d’elles. C’est d’autant plus surprenant que les femmes sont, me semble-t-il, mieux douées que les hommes pour les enluminures et décorations ; elles s’y montrent plus désinvoltes, plus entreprenantes et hardies, moins empêtrées de logique, de bien-fondé, de systématisation ; elles sont servies par une familiarité avec la tricherie et par une confiante assurance, qui manque aux hommes, dans la mise en œuvre de faibles moyens au départ. Mais sur le terrain de l’art culturel qui, dans la société d’Occident, a toujours été, comme la guerre et la chasse, un jeu masculin, les femmes se sont presque toujours contrefaites et obligées à imiter la peinture des hommes, à quoi bien sûr elles réussissent imparfaitement25.

Ainsi les femmes qui s’adonnent à l’art culturel, art de mimétisme pour Dubuffet, tiendraient selon lui encore davantage que les hommes « du caméléon et du singe26 ». Si le peintre reconnaît la mainmise des hommes sur l’art culturel, il ne remet pas en cause le préjugé selon lequel les femmes y seraient moins talentueuses. Au contraire, cela lui permet de créer l’idée de l’art brut comme le lieu où les femmes pourraient échapper à leur moindre talent pour ce qui est « un jeu masculin » et révéler leur authentique nature féminine. Ce que confirme ce qu’il écrit, une quinzaine d’années plus tard, dans une lettre à Michel Thévoz :

Il m’a toujours semblé que l’art culturel est une invention d’hommes à destination des hommes et que les femmes y sont peu aptes. Mais s’agissant d’art brut je suis frappé de constater le contraire : les femmes sont bien plus à l’aise que les hommes. Probablement parce que moins conditionnées par les normes de l’art culturel27.

Ces dernières phrases sont particulièrement intéressantes car elles révèlent deux processus de naturalisation qui se nourrissent l’un l’autre : d’un côté la naturalisation de l’art brut – ici : l’art brut existe sans avoir besoin d’être nommé, puisque les femmes y sont plus à l’aise – , et de l’autre la naturalisation du féminin : si c’est parce qu’elles ont échappé à un processus de conditionnement culturel que les femmes sont « plus à l’aise » dans l’art brut, alors les éléments qui témoignent du brut dans leurs œuvres, c’est-à-dire l’amour, les bijoux, les fleurs…, sont soit sous-jacents, soit antérieurs à ce conditionnement… donc naturels. Certes, Dubuffet, qui développe ailleurs l’« idée d’un art, d’une langue, d’une écriture créés par les femmes et pour elles seules28 », c’est-à-dire l’« idée d’un art féminin destiné aux femmes, qui se développerait parallèlement et à l’ombre d’un art masculin destiné aux hommes29 », n’aurait pas parlé de nature, mais sans doute plutôt de « valeurs sauvages féminines ». Mais que révèle un tel différentialisme si ce n’est la conviction que l’art des femmes et l’art des hommes sont naturellement différents ? Le texte que Dubuffet consacre à Corbaz révèle non seulement cette conviction chez le peintre, mais aussi ses tâtonnements, son expérimentation avec différentes façons d’articuler le féminin au brut : la tension entre les valeurs d’originalité et d’authenticité, participant toutes deux à la construction du mythe de l’art brut, pousse Dubuffet à passer d’une argumentation basée sur la non-conformité de l’œuvre à la « nature féminine » de l’autrice à une argumentation basée sur sa conformité ; c’est finalement cette dernière que le peintre semble avoir trouvé la plus convaincante. Avec un regard rétrospectif nourri des études de genre30, ces tâtonnements de Dubuffet avec la question du « féminin » nous apparaissent comme les signes du carcan de la naturalisation des différences de genre, dont le cadre emprisonne la pensée du peintre, l’empêchant de rendre tout à fait justice à l’incroyable singularité de l’œuvre de Corbaz, qu’il avait pourtant perçue avec acuité.

Majesté des figures féminines et « transmutations de matière »

D’autres auteur·rices ont toutefois abordé la question du genre dans l’œuvre de Corbaz et proposé de nouvelles pistes d’interprétations. C’est en premier lieu le cas de Jacqueline Porret-Forel, qui fut la médecin de l’artiste et fit connaître son œuvre à Dubuffet. Dans le texte qu’elle publie dans le septième fascicule de L’Art brut, remanié à partir de sa thèse, elle analyse l’importance de l’amour dans l’œuvre de Corbaz, mais d’une façon bien différente de celle de Dubuffet. Évoquant les « deux passions délirantes31 » de l’artiste et citant longuement les écrits de celle-ci témoignant de son amour pour l’empereur Guillaume ii, elle avance une interprétation de la relation de Corbaz à l’amour bien plus ambivalente que ce que de nombreux commentaires postérieurs, insistant sur la déception amoureuse de l’autrice comme principale ressort de son œuvre, ont pu proposer. En effet, d’après son étude d’un dessin figurant un personnage féminin derrière lequel apparaît un visage qu’elle juge « horrible », la médecin estime qu’il est possible que l’artiste ait « été la victime d’un attentat à la pudeur des enfants », ce qui expliquerait « l’horreur qu’Aloïse [Corbaz] a ressentie à l’égard de l’homme », et le fait qu’elle ait eu des « ambivalence à l’égard de l’amour32 ». Cette « horreur » vis-à-vis des hommes expliquerait ainsi le rôle inférieur accordé par Corbaz aux figures masculines par rapport aux figures féminines dans ses dessins :

Il n’est que de voir la beauté et l’importance de la femme comparées à l’insignifiance de l’homme pour comprendre l’attitude d’Aloïse [Corbaz] à l’égard de l’amour. La femme est grande, belle, charnelle. […] Tout autre est la représentation de l’homme. À le peindre, Aloïse [Corbaz] n’apporte ni soin, ni technique, ni considération, ni amour, exception faite du Pape […]. Jamais la femme ne semble aussi triomphante que lorsque l’homme est ainsi quasi invisible33.

Bien que Porret-Forel ait par la suite nuancé son propos, notamment concernant les dessins postérieurs à 195034, il est frappant de constater effectivement la très grande importance en termes de taille, d’emplacement dans l’espace de l’œuvre, mais aussi d’ornements, que Corbaz confère aux figures féminines. Prenons par exemple une œuvre pourtant tardive, Le Sphinx du général Guisan, datée de 1960-1963 [Fig. 1]. Le personnage de gauche, que l’on peut identifier comme féminin du fait de ses seins opulents en forme de camélias, est deux si ce n’est trois fois plus grand en taille que le personnage que l’on peut identifier comme masculin, du fait de sa veste et de son bicorne verts qui font penser à un uniforme militaire. Ainsi, ce personnage féminin occupe non seulement la quasi-totalité de la hauteur de la feuille, mais aussi les deux tiers de sa largeur, quand le personnage masculin est confiné à son coin inférieur droit. Enfin, à la sobriété de l’habillement et de la coiffure de ce petit homme répondent la voluptueuse coiffure tout en hauteur de la femme, ainsi que son décolleté (ou son écharpe) constitué de fleurs rouge vif dont on peut constater en regardant leur texture qu’elles ont été colorées avec intensité. Cette majesté des corps féminins fait écho à la grande place que confère Corbaz à des figures historiques ou mythologiques féminines ou qu’elle féminise : outre le sphinx (dont le personnage féminin que nous venons de décrire est une incarnation, ce que l’on voit à ses griffes35), elle emplit son monde graphique de représentations et références à l’impératrice Élisabeth, à Marie Stuart, Cléopâtre, Marie-Antoinette, la reine Victoria… Elle « réintègre ainsi les femmes de l’Histoire dans sa cosmogonie36 » et « propose une vision du monde où les femmes sont puissantes37 ». Selon Porret-Forel, Corbaz peut s’identifier à ces différentes figures, par le biais d’un mécanisme psychique que la médecin nomme le « ricochet solaire », d’après une expression de l’artiste. « Ce mécanisme permet à Aloïse [Corbaz] de s’identifier à n’importe quelle créature, n’importe quel monde, ou n’importe quel objet en même temps. Il la rend omniprésente, omnipotente dans son monde intemporel38 », écrit la médecin, qui parle aussi de « transmutations de matière39 ». Ainsi, Corbaz ne s’identifie pas seulement à des femmes, mais aussi par exemple, au Bon-Enfant (« le Père Noël du pays vaudois40 »), qui « représente aussi le Créateur en qui Aloïse [Corbaz] s'est incarnée, faisant d'elle-même un véritable démiurge41 ». L’omnipotence que ces « transmutations » confèrent à Corbaz lui permet de construire un monde théâtral où les barrières ont sauté : « Tout y est soi-même et autre chose. Une femme peut être un sphinx et une chaise vide, un pape42 ». Du point de vue de la question des identités de genre assignées aux personnages convoqués par Corbaz, mais aussi à Corbaz elle-même, de nouvelles possibilités semblent ouvertes, bien que cela ne signifie pas qu’elles le soient ni consciemment, ni volontairement. Ce sont peut-être ces possibilités qui permettent par exemple à Corbaz de représenter à plusieurs reprises des femmes tenant à la main des palettes de peintres [Fig. 2], allégories de la peinture selon Porret-Forel mais sans doute aussi projections de Corbaz elle-même en tant que femme artiste43. Il existait bien sûr des femmes artistes à l’époque de Corbaz, mais le poids de l’association entre création artistique et masculinité44 amène à se demander si Aloïse Corbaz se serait autorisée à s’identifier à une artiste peintre sans le « ricochet solaire ».

Notons également que Porret-Forel insistait dans ses premières analyses de l’œuvre de Corbaz sur la répétition du motif de la fleur de camélia, qu’elle interprétait comme la représentation d’un sexe féminin. Cette lecture nous semble essentielle en tant qu’elle révèle l’importance de la question du plaisir sexuel dans l’œuvre de Corbaz, que lui déniait d’une certaine façon Dubuffet en la qualifiant de désincarnée45. Récemment, Flavie Beuvin a poursuivi cette étude symbolique des « zones sexuelles florales46 » dans sa thèse. Son étude du Cloisonné de théâtre, l’œuvre monumentale de Corbaz, repose notamment sur une exploration d’un vécu temporel et charnel du féminin, perçu comme cyclique47. Mais c’est dans sa proposition de replacer l’œuvre de Corbaz (ainsi que celui d’autres autrices assimilées à l’art brut) dans son contexte social, et précisément dans les relations sociales genrées au sein desquelles il voit le jour, que l’approche de Beuvin apparaît tout à fait novatrice, ouvrant ainsi des perspectives de recherche tout à fait stimulantes pour une appréhension de l’art brut du point de vue du genre.

Fig. 1

Fig. 1

Le Sphinx du général Guisan

Fig. 2

Fig. 2

Laure Pigeon et Jeanne Tripier sous l’ombre de la sorcellerie

Hormis dans son « Haut art d’Aloïse », Dubuffet n’explicite pas dans les textes qu’il consacre à des femmes dont il assimile les créations à l’art brut le rapport entre le sexe / genre des autrices et leurs œuvres. Pour autant, dans certains cas, comme dans les textes dédiés à Laure Pigeon (1882-1964) et Jeanne Tripier (1869-1944), on peut déceler la prégnance de certains schémas archétypaux qui reflètent l’influence que le genre de l’artiste peut exercer sur l’analyse de l’œuvre. Ces schémas ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux révélés par notre étude du texte consacré à Aloïse Corbaz, ce qui est possiblement dû à une différence majeure entre son activité artistique et celle de Laure Pigeon et de Jeanne Tripier, différence qui impacte sans nul doute l’imaginaire qui entoure leur réception : les œuvres de ces deux dernières sont étroitement liés à leur pratique médiumnique. Les dessins et les écrits de Laure Pigeon, tout comme les dessins, les textes et les broderies de Jeanne Tripier constituent en effet des traces, des réceptacles, ou des déclencheurs de communication entre elles et des esprits. Ces deux autrices s’inscrivent dans l’une des dernières « vagues spiritualistes » qui ont déferlé sur l’Europe entre le milieu du xixe et le début du xxe siècle48. Au sein des cercles spirites, les médiums étaient principalement des femmes, ce qui peut s’expliquer à la fois par la croyance collective en leurs plus grandes capacités à la médiumnité (elles étaient vues comme « intuitives, fragiles, influençables, hystériques et comme poreuses aux influences des esprits49 ») mais aussi par leur mise à profit de cette assignation pour acquérir un pouvoir social certain50. Quelles que soient les raisons qui ont pu pousser Jeanne Tripier et Laure Pigeon à pratiquer le spiritisme – elles n’en font pas mention explicite dans leurs écrits –, leurs œuvres sont appréhendées à travers l’idée culturellement ancrée que les femmes, par leur essence même, entretiennent des accointances particulières avec le surnaturel. Selon l’anthropologue Sherry B. Ortner, cette croyance s’expliquerait notamment par la position des femmes entre nature et culture : si elles sont plus proches de la nature que les hommes, elles ne sont pas pour autant identifiées à celle-ci mais occupent plutôt une place intermédiaire sur l’échelle nature-culture, ce qui leur confère un statut ambigu – et donc potentiellement inquiétant51. En Europe, cette croyance en des liens étroits qui uniraient féminin et surnaturel a notamment été diffusée au xve siècle par le Malleus Maleficarum, manuel de démonologie destiné aux inquisiteurs des procès en sorcellerie, qui « établit la nature diabolique du lien existant entre féminité et sorcellerie52 ». Bien que les spiritismes des xixe et xxe siècles ne se soient absolument pas revendiqués de la sorcellerie, ils furent assimilés à des pratiques maléfiques et condamnés par l’Église catholique53. Cette histoire culturelle tisse la toile de fond devant laquelle les œuvres de Jeanne Tripier et Laure Pigeon sont perçues et reconstruites dans les discours. Ainsi, le vocabulaire du maléfique, du démoniaque, n’est jamais loin dans la plupart des commentaires qui leur sont consacrés – et notamment dans les textes de Dubuffet54.

Le peintre semble en effet avoir été particulièrement sensible au lien qu’entretenaient ces objets avec l’invisible et la mort, se laissant manifestement séduire par l’imaginaire de la magie, mais aussi du maléfique. La biographie de Laure Pigeon proposée par le peintre est à ce titre particulièrement intéressante. Intitulée de façon révélatrice « La double vie de Laure », elle commence par établir l’image d’une femme à la vie banale, tranquille :

Le 26 août dernier mourait à Nogent-sur-Marne, dans un immeuble aisé dont elle occupait seule, depuis plus de vingt ans, au rez-de-chaussée, un appartement coquettement aménagé, une dame de quatre-vingt-trois ans, nommée Laure Pigeon, de comportement digne et paisible et fort estimée du quartier. […] Laure était grande et corpulente, remarquablement alerte, avenante et gaie, et, de toute évidence, des mieux équilibrées55.

Puis, immédiatement : « Tout autre est pourtant l’impression qu’inspirent de leur auteur les dessins ». Pourquoi Dubuffet construirait-il son texte ainsi, si ce n’était pour susciter l’impression que Laure Pigeon est secrètement une femme qui n’a rien de « digne et paisible » ? Qu’espère-t-il faire naître dans l’esprit de son lectorat, si ce n’est l’image d’une femme inquiétante, voire déviante ? Il poursuit en présentant les dessins de la créatrice comme « un long hymne à la mort », car « Laure [Pigeon] se délectait des noires eaux de la mort, elle en avait fait son séjour, elle y vivait ravie56 ». Au regard des pratiques spirites de la créatrice, attestées par sa belle-sœur Lily et par les livres qu’on a retrouvés chez elle, il est indéniable que les dessins de Pigeon sont liés à la mort et aux esprits57. Toutefois Dubuffet y voit davantage qu’une communication avec les défunts ; pour lui,

[…] la longue suite de ses dessins constitue une célébration de la mort, une épopée de la mort, un grand théâtre de la mort, d’une puissance poétique rarement atteinte ; qui, sans aucun doute, surpasse de très loin ce que nous a légué, dans la même ferveur nécrophile, la vieille Égypte58.

Quelques lignes plus haut, à propos du prénom du mari de Laure Pigeon, Edmond, qui revient très fréquemment dans les dessins de l’artiste, Dubuffet écrit qu’il est « entraîné au pays des morts et […] hurlé de manière ininterrompue par un perroquet fantôme comme les rengaines bouddhistes des moulins à prière59 ». Par ailleurs, le peintre discerne avec certitude un cercueil dans un motif plutôt difficile à interpréter de notre point de vue60, et voit dans la couleur de l’encre « le profond bleu de nuit pour catafalques61 ». Enfin, il distingue dans l’un des dessins de l’artiste « deux mufles de bêtes dont l’un porte au front une tête de femme et l’autre une grande corne […]62 » [Fig. 3], et évoque les « vaticinations » de la créatrice et « [se]s familiers invoqués63 », ces derniers mots faisant explicitement référence à la sorcellerie.

Fig. 3

Fig. 3

Laure Pigeon, sans titre (page d'un cahier), 1938, encre sur papier, 31 x 24 cm, Collection d'Art Brut, Lausanne, no inv. cab-1956-07

Crédit photo Marie Humair, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

On retrouve cette assimilation entre créatrice et sorcière dans le texte que le peintre consacre à Jeanne Tripier. Celle-ci « vit dans le commerce de […] terrifiants arcanes avec une telle familiarité qu’ils ne l’intimident aucunement64 », écrit le peintre, qui parle également de son « tumultueux pandémonium65 ». Il insiste aussi sur la froideur qu’il sent dans les œuvres de la créatrice :

On serait dans l’erreur en […] prêtant [aux formules tendres qu’elle s’adresse à elle-même] si peu que ce soit de chaleur, qu’elles n’ont pas sous la plume de Jeanne [Tripier]. Nulle place pour la chaleur dans le monde étincelant, mais incorporel et glacé, des doubles planétaires, où elle a depuis longtemps transféré son exclusive et définitive résidence66.

On peut d’ailleurs noter que ce monde « étincelant, mais incorporel et glacé » rappelle celui « désincarné, blanchi », « sans corps », « vidé de sève et de sang » d’Aloïse Corbaz67.

L’assimilation plus ou moins latente chez Dubuffet de Laure Pigeon et de Jeanne Tripier à des sorcières a connu un certain succès à la suite du peintre. On peut le constater à la lecture de l’ouvrage Le Langage de la rupture de Michel Thévoz, paru en 1978. Dans un chapitre intitulé « La sorcellerie des mots », le premier conservateur de la Collection de l’Art Brut à Lausanne analyse l’œuvre de Jeanne Tripier en effectuant un raccourci qui n’est pas anodin : partant du constat que le spiritisme « s’oppose à la religion, c’est-à-dire au système de croyances officiel et hiérarchisé », il en déduit qu’« il se rapproche plutôt de la magie, c’est-à-dire du rite illicite, du maléfice68 », adoptant par là-même la position de l’Église vis-à-vis du spiritisme et non celle des spirites elles-mêmes69. Dans le même ouvrage, prenant un détour extra-occidental qui ne parvient pas à cacher le même imaginaire, Thévoz ajoute : « On peut présumer que si Jeanne Tripier avait appartenu à un candomblé brésilien ou à une tribu nord-américaine, elle aurait été investie du pouvoir de prêtresse-reine pour son aptitude à la possession et à la divination70 ». De son côté, Roger Cardinal qualifie les écrits de l’artiste de « débridés et comme crachés71 ». Dans le catalogue de l’exposition À corps perdus. ABCD, une collection d’art brut, Jeanne Tripier « s’offr[e] aux esprits qui guident son aiguille », laquelle « devient pour elle une arme redoutable72 » ; quant à ses écrits, ils « lancent des imprécations, déclenchent des guerres73 ». Finalement, elle « utilis[e] l’outil de sa domination comme arme symbolique74 ». Tripier est présentée en femme vengeresse, qui se retournerait contre l’oppression patriarcale avec l’arme que serait son aiguille. On peut aussi remarquer que la psychiatre et psychanalyste Lise Maurer synthétise d’une manière particulière les informations qu’a pu recueillir Dubuffet sur le caractère et l’aspect physique de Jeanne Tripier : « On raconte que cette femme au verbe haut, au port altier, volontiers gouailleuse, teignait ses cheveux blancs à l’encre violette, ce qui lui seyait particulièrement bien. Cette batailleuse œuvrera sans relâche, en dépit de la famine asilaire, jusqu’à son dernier souffle75 ». On a ici l’impression d’une capacité de résistance hors-normes, presque surnaturelle. Dans le même ordre d’idées, il est dit dans divers ouvrages qu’elle s’adonnait « fiévreusement », « compulsivement », à sa création, qui est qualifiée de « tumulte », de « déchaînée mystagogie », d’« obsession »76.

Les imaginaires qui rôdent dans la réception des artistes et de leurs œuvres se dévoilent en général dans les écrits qui se veulent plus littéraires que ceux des historien·nes d’art. L’écrivain et critique d’art Henri Raynal dépeint ainsi Laure Pigeon en « prêtresse et servante » d’une « cérémonie secrète77 » dans son Journal de bord d’un voyage en peinture. Jeanne Tripier, qui s’identifiait à Jeanne d’Arc – laquelle fut effectivement brûlée comme sorcière78 –, est quant à elle au cœur de la nouvelle La Chute de la Maison Tripier de Jean-Noël Vuarnet. Elle y est accusée de possession par un inquisiteur, qui la condamne au bûcher :

Parfois, l'Inquisiteur parlait à leur place et criait. Au milieu d'un cercle d'évêques, Jeanne faisait de la dentelle… Qui es-tu, Jeanne ? - Je suis la sorcière qu'on va brûler, J.T. Tripier […]. Elle brûle sur le quatrième écran. Sur son bûcher, vêtue d'une chemise blanche, au milieu d'un cercle d'exorcistes et de docteurs, elle prononce, encore une fois, ses dernières paroles79.

Faisant sienne la façon d’écrire de Tripier (les questions-réponses séparées par des tirets et les initiales répétées, notamment), Vuarnet écrit à sa place la confession qu’elle n’a jamais faite mais qu’il semble brûler d’entendre.

Du point de vue de la stratégie anti-culturelle que porte l’art brut, entretenir l’imaginaire de la sorcellerie qui s’impose facilement à l’esprit lorsqu’il est question de féminin et de surnaturel est sans conteste judicieux. Quoi de plus anti-culturel que des pratiques secrètes, magiques, instinctives, voire dangereuses pour la société ? Toutefois, on peut aujourd’hui remarquer que cette approche qui (sur)naturalise les autrices et leurs œuvres gagnerait à être dépassée afin de pouvoir rendre compte de la complexité des liens qui unissent ces artefacts à la question du genre.

L’artiste et le « chevalier au genre trouble »

Comme dans le cas d’Aloïse Corbaz, il est possible néanmoins de se tourner vers des auteur·rices qui se sont penché·es sur les œuvres de Pigeon et de Tripier avec une autre approche que celle de Dubuffet. Après le peintre, c’est principalement la psychiatre Lise Maurer qui a entrepris l’étude de leurs œuvres, ouvrant par son travail de nouvelles pistes d’interprétation des créations des deux artistes. Elle propose ainsi de voir dans l’œuvre graphique de Pigeon un travail de « greffe », une tentative de réassemblage de liens familiaux brisés, et notamment des liens qui l’unissent à sa mère, décédée quand elle était enfant, et à sa grand-mère, qui l’a élevée80 ; elles font en effet partie des principaux esprits qui guident le travail de Pigeon. Le lien est aussi établi avec la belle-sœur de l’artiste, Lily, dont elle était très proche et qui l’a aidée dans son activité spirite à la fin de sa vie. Maurer suggère ainsi que Laure Pigeon restitue une lignée de femmes par le dessin et l’écrit. Sans faire de lien explicite avec la question du genre, elle écrit aussi que « le spiritisme, son discours sur la survivance et la croyance en la communication avec les esprits, apaise Laure [Pigeon], la soutient et l’autorise81 ». Si Maurer ne dit pas à quoi le spiritisme autorise Laure Pigeon, nous proposons de rattacher cette question de l’autorisation à la théorie de « l’alibi spirite » suggérée par Dubuffet : « […] Dubuffet verra dans l’idéologie spirite un alibi astucieux et plus ou moins conscient à la faveur duquel des gens du commun, étrangers aux milieux artistiques, ont pu s’exprimer sans avoir à justifier leur production82 », résume Michel Thévoz. Ce dernier, comme Charlotte Foucher-Zarmanian et Sarah Lombardi, a de son côté souligné le lien entre cette délégation de la paternité (ou devrait-on dire en l’occurrence, de la maternité) de l’œuvre à un esprit et le fait que les femmes aient été « traditionnellement écartées de l’institution artistique83 », comme l’ont démontré notamment les travaux pionniers de Linda Nochlin, Griselda Pollock et Rozsika Parker84. Et en effet, non seulement le contact avec des esprits autorise Laure Pigeon à créer, mais ceux-ci lui font écrire qu’elle est une artiste. On peut ainsi lire dans les « messages » rédigés par l’autrice qu’elle est « créature sacrée en face les artistes85 », qu’elle dessine des « pages merveilleuses », enfin, qu’elle est « Laure artiste »86. Laure Pigeon ne se dit pas elle-même artiste, ce sont les esprits qui le lui disent. Mais n’a-t-elle pas « souhaité être reconnue comme artiste en montrant ses travaux à la Maison des spirites87 », comme le souligne Lise Maurer ? Cette dernière remarque également : « de même que se pose la question du destinataire des messages, se pose la question du regard. La présence de la belle-sœur, le regard de celle qui eut une pratique de l’aquarelle n’est sans doute pas indifférent à Laure [Pigeon]88 ». Maurer note également l’inscription du nom « Utrillo », mêlé aux volutes d’un dessin daté du 14 décembre 1955 [Fig. 4]. Le peintre Maurice Utrillo, qui vient de décéder, était « le fils d’une femme peintre, Suzanne Valadon89 » écrit-elle. Sans en dire plus, on devine que n’a pas échappé à la psychanalyste le fait qu’ailleurs Laure Pigeon sous-entend que sa mère aurait été peintre dans une autre vie90 ; Maurer pense aussi probablement au désir latent que l’on devine chez la créatrice d’être elle-même une peintre. À l’aune de tous ces éléments, on ne peut qu’être en désaccord avec Jean Dubuffet, lorsqu’il écrivait dans son article sur l’artiste : « dans l’esprit de Lily – et sans doute en était-il de même aussi bien dans celui de Laure [Pigeon] – ces œuvres ne relèvent en aucune façon de ce qu’on appelle l’art et ne sauraient le moins du monde y être assimilées91 ». De notre côté, nous soutenons que lorsque Laure Pigeon passe par la voix des esprits pour écrire qu’elle est artiste, pour se définir comme telle, elle ne revendique pas seulement un accès à la création, mais un accès au statut d’artiste.

Fig. 4

Fig. 4

Laure Pigeon, 1955, encre sur papier, 65 x 50 cm, Collection de l'Art Brut, no Inv. cab-1787

Crédit photo Caroline Smyrliadis, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

Du côté de l’étude des œuvres de Jeanne Tripier, c’est à nouveau principalement Lise Maurer qui a pris la suite de Dubuffet. Comme dans le cas de Laure Pigeon, c’est son travail qui nous permet de mesurer à quel point l’œuvre de Tripier fait explicitement référence au monde de l’art. Elle souligne la grande récurrence des mots « Art moderne modernisé » dans les écrits de Tripier, ainsi que les nombreuses références au cinéma. Elle insiste sur la « mission » de Tripier consistant à rédiger un ouvrage, Le Roi des astres, qui lui permet de s’inscrire dans la fonction de l’écrivain, et sur son projet d’exposer ses nouvelles créations dans les sous-sols du Trocadéro92. Elle met également en avant ce « message » reçu par Tripier le 24 février 1937 : « il est une très grande Artiste en tous genres, qui ne tient pas à se faire connaître ; - Et ns ns informons que c’est Mme J.T. J. d’Arc qui s’est incarnée elle-même dans la chair promise […]93 ». Dans le dossier médical de Tripier, on peut lire qu’elle était « sertisseuse en joaillerie, en chômage depuis 3-4 ans94 » : aussi, contrairement semble-t-il à Laure Pigeon, Jeanne Tripier exerçait une profession artisanale, ce qui l’autorise peut-être davantage à se dire artiste. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure la médiumnité lui permet de s’affirmer comme telle, et de magnifier son statut (« très grande Artiste en tous genres »), contournant peut-être elle aussi des interdits sociaux liés non seulement à des normes de classe sociale, mais aussi de genre95.

Mais encore davantage que le fait de se définir comme artiste, c’est surtout le fait que Tripier se considère comme la réincarnation de Jeanne d’Arc qui nous paraît le plus questionner les normes de genre auxquelles toute femme du début du xxe siècle (et au-delà) ne pouvait manquer d’être assignée. Au-delà de l’homonymie de leurs deux prénoms, cette identification vient sans doute, comme l’explique Lise Maurer, du contexte politique d’alors : les débats et commémorations se succèdent au moment de la canonisation de Jeanne d’Arc, en 1920, et il est possible que Tripier ait visionné La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer, tourné en 1927. Nous pensons également que Tripier a lu la Jeanne d’Arc médium96 du théoricien spirite Léon Denis, ouvrage qui affirme que Jeanne d’Arc était une grande médium et qui la présente sous un angle nationaliste dont on retrouve les échos dans les écrits de Tripier [fig. 5]. Au-delà de son identification à Jeanne d’Arc en tant que martyre – ce qui révèle l’intensité de ses souffrances, dans sa maladie et dans son internement –, Jeanne Tripier laisse percevoir le plaisir qu’elle éprouve à endosser le rôle d’une cheffe de guerre, ce qui est loin d’être anodin en terme de genre. Jeanne d’Arc a combattu aux côtés d’hommes et a porté leurs vêtements, dont des armes – ce qui l’amena à être accusée au moment de son procès d’« usurpation des offices virils97 ». Connue pour avoir refusé son rôle de femme tel que conçu par la société chrétienne de l’époque, c’est-à-dire « à l’écart du monde, vêtue modestement, parlant peu et agissant moins encore98 », Jeanne d’Arc est aussi la « pucelle ». « Jeanne adorée vierge si pure et si saine99 », écrit Jeanne Tripier. Or, « bénie comme Marie, la vierge échappe au sort d'Ève ; elle n'enfante pas et n'est pas soumise à l'homme100 », nous dit l’historienne Colette Beaune. Finalement, pour une femme, s’identifier à cette figure historique semble être révélateur d’une volonté d’insoumission. Au début du xxe siècle, cela signifie notamment ne pas accepter un rôle féminin passif, à une époque où les femmes doivent en majorité rester au foyer et sont exclues de toute fonction politique. Mais Jeanne d’Arc est aussi une figure androgyne, un « chevalier au genre trouble101 », ce qui ne peut manquer de nous interroger lorsqu’on constate, à la suite de Lise Maurer, que Jeanne Tripier incarne aussi des « doubles masculins » qui se nomment souvent Jean (Jean de Lumière, St Jean de Dieu, Jean d’Arc-en-ciel, Jean Colbert, Jean Couturier, Jean Baudouin…)102. À quoi s’ajoute cette phrase que lui dicte un esprit ou une voix : « Tu es astronome et Devin ! Prend garde à toi, sois rigide ! Tu posséderas le sexe masculin !103 ». On note également plusieurs allusions au transformisme dans les écrits de Tripier : elle est « célèbre dessinateur transformiste104 », ses anciens travaux (qui ont été détruits) « se promenaient même dans les Music-hall modernes et se transformaient comme ils le voulaient105 », et surtout elle écrit : « à tous instants, je me transformerai, soit en homme, soit en femme, en vieillards, en malandrins divers que sais-je encore !106 ». Cela peut-il être mis en rapport avec le fait que Tripier vivait à Montmartre avant son internement, là où justement se sont installés les premiers music-halls parisiens de transformisme dans les années 1920 ? Une autre question : le « double fluidique107 » de Tripier, outre la possibilité de communiquer avec des entités supraterrestres, lui permettait-il également de passer d’une identité de genre à une autre ? Autrement dit, et si l’on ose l’anachronisme, le double fluidique de Jeanne Tripier était-il gender fluid108 ?

Afin d’enquêter plus avant sur ces œuvres et leurs autrices, de plus amples recherches gagneraient à être menées, entre autres sur le contexte social de création. Ce contexte est notamment celui des relations et des normes de genre : les autrices s’y sont vues assigner une place et elles n’ont cessé, comme chaque individu, de négocier cette place, de l’aménager, de la contester ou de la réaffirmer, se (re)définissant ainsi comme sujets, notamment au travers de leurs créations.

Fig. 5

Fig. 5

Jeanne Tripier, Jeanne d'Arc médium, entre 1935 et 1939, broderie, 15 x 27 cm, Collection d'Art Brut, Lausanne, no inv. cab-A643

Crédit photo Amélie Blanc, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

1 Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels » (1949), Prospectus et tous écrits suivants, t. i., Paris, Gallimard, 1967, p. 201.

2 Les fascicules de l’art brut sont des recueils de textes présentant des artistes, dont la publication a été initiée par la Compagnie de l’art brut

3 Céline Delavaux, L’Art brut, un fantasme de peintre. Jean Dubuffet et les enjeux d’un discours, Paris, Flammarion, (2010) 2018.

4 Nous pensons notamment aux ouvrages de Judith Butler (Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006

5 Nous devons ici citer notre dette à l’égard des travaux de Pauline Goutain, Baptiste Brun, Elena Leclercq et Flavie Beuvin sur ce sujet. Voir

6 Nous entendons par « brutification » le processus discursif par lequel un objet mais aussi son auteur·rice en viennent à être considéré·es comme

7 Voir Baptiste Brun, Jean Dubuffet et la besogne de l’Art Brut. Critique du primitivisme, Dijon, Les presses du réel, 2019.

8 Baptiste Brun, « Le fou, le nègre, le montagnard. Chercher l’Art Brut aujourd’hui : l’écueil postcolonial de l’essentialisme ? », dans Vincent Capt

9 Voir par exemple à ce sujet Sherry B. Ortner, « Is Female to Male as Nature Is to Culture ? », Feminist Studies, vol. 1, n° 2, 1972, p. 5-31, qui

10 Pauline Goutain, op. cit., p. 180.

11 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 308.

12 Jacqueline Porret-Forel, médecin qui a connu Corbaz et qui a été la grande spécialiste de son œuvre, a analysé la signification symbolique de l’

13 Pauline Goutain, op. cit., p. 181.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), op. cit., p. 308.

17 Ibid., p. 313.

18 Ibid., p. 308.

19 Ibid., p. 313.

20 Ibid., p. 314.

21 L’originalité et l’authenticité sont les deux valeurs retenues par Nathalie Heinich dans l’examen de l’axiologie de l’art brut (Nathalie Heinich, «

22 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), op. cit., p. 313.

23 Ibid.

24 Ibid.

25 Ibid.

26 Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels » (1949), op. cit., p. 202.

27 Jean Dubuffet, « À Michel Thévoz » (15 avril 1981), Prospectus et tous écrits suivants, t. iv., Paris, Gallimard, 1995, p. 404. Remarquons que l’

28 Jean Dubuffet, « À Jean Paulhan » (janvier 1947), Prospectus et tous écrits suivants, t. iv., op. cit., p. 108.

29 Baptiste Brun et Christophe David, op. cit., p. 279.

30 Bien que la notion de genre ait fait son apparition dès la fin des années 1940 avec les travaux de l’Américain John Money, les réflexions sur la

31 Jacqueline Porret-Forel, « Aloïse et son théâtre », Publications de la Compagnie de l’Art Brut, fascicule VII, 1966, p. 65.

32 Ibid., p. 69-70.

33 Ibid., p. 70-72

34 Ibid., p. 27.

35 Nous nous basons ici sur l’interprétation proposée par Jacqueline Porret-Forel (voir « Le monde d’Aloïse », dans Aloïse. Le ricochet solaire, op.

36 Pauline Goutain, op. cit., p. 178.

37 Elena Leclercq, Les autrices d’art brut et leurs ouvrages au prisme de l’affect (1868-1973). Du débordement à la subversion, mémoire de Master 2

38 Jacqueline Porret-Forel, « Aloïse et son théâtre », op. cit., p. 36.

39 Jacqueline Porret-Forel, « Les spectacles », dans Aloïse. Le ricochet solaire, op. cit., p. 40-41.

40 Jacqueline Poret-Forel, « Le monde d’Aloïse », op. cit., p. 24.

41 Ibid.

42 Ibid., p. 30.

43 Aloïse. Le ricochet solaire, op. cit., p. 85.

44 Voir notamment à ce sujet Charlotte Foucher-Zarmanian, Créatrices en 1900. Femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Ma

45 Par ailleurs, Jacqueline Porret-Forel écrit qu’au début de son internement à l’asile de la Rosière, Aloïse Corbaz « […] adoptait des attitudes

46 Flavie Beuvin, L’art brut au féminin : la végétalité à l’œuvre, op. cit., p. 188. Pauline Goutain a également développé cette symbolique (Pauline

47 Ibid., p. 182.

48 Nicole Edelman, Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1785-1914, Paris, Albin Michel, 1995.

49 Ibid., p. 106.

50 « Femmes habituellement minorisées par les hommes d[u] xixe siècle, elles sont écoutées, admirées, louées, entourées par les spirites » (Ibid., p. 

51 Voir Sherry B. Ortner, op. cit., p. 26.

52 Eliane Camerlynck, « Féminité et sorcellerie chez les théoriciens de la démonologie à la fin du Moyen Age : étude du Malleus Maleficarum »

53 Nicole Edelman, op. cit., p. 167-171.

54 La première étude à aborder directement cette question est le mémoire soutenu par Elena Leclercq en 2020 intitulé Les sirènes de l’Art Brut (

55 Jean Dubuffet, « La double vie de Laure » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 385.

56 Ibid.

57 Ibid., p. 394.

58 Ibid., p. 388-389.

59 Ibid., p. 387.

60 Ibid., fig. 23 p. 91.

61 Ibid., p. 396.

62 Ibid., p. 392.

63 Ibid., p. 394.

64 Jean Dubuffet, « Messages et clichés de Jeanne Tripier la planétaire » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 402-403.

65 Ibid., p. 405.

66 Ibid., p. 416.

67 Par ailleurs, on remarque qu’usant du même terme qu’il avait employé à propos d’Aloïse Corbaz, Dubuffet insiste sur la « cérébralité » de Jeanne

68 Michel Thévoz, Le langage de la rupture, Paris, Presses universitaires de France, 1978, p. 65.

69 Nicole Edelman, op. cit., p. 168-171.

70 Michel Thévoz, op. cit., p. 75-76.

71 Roger Cardinal, « L’art et la transe », dans Art spirite, médiumnique, visionnaire, mess’ges d'outre-monde,cat. expo. (Paris, Halle Saint Pierre

72 « Notices biographiques », dans A corps perdus : ABCD, une collection d’art brut, cat. expo. (Paris, Pavillons des arts, 30 avril-26 septembre 2004

73 Ibid.

74 Ibid.

75 Lise Maurer, « L’aclé des chants », dans Écriture en délire, cat. expo. (Lausanne, Collection de l’Art Brut, 12 février – 5 septembre 2004, Paris

76 L’Art Brut. Sélection des collections de la Compagnie de l’Art Brut,cat. expo. (Paris, musée des Arts décoratifs, 7 avril – 5 juin 1967), Paris

77 Henri Raynal, La double origine. Journal de bord d'un voyage en peinture : extraits, Paris, Galerie Michèle Heyraud, 1996, p. 20.

78 Véronique Alemany, Monique Cottret, Bernard Cottret (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, Paris, Les Éditions de Paris

79 Jean-Noël Vuarnet, La Chute de la Maison Tripier, Saint-Michel, Incorpore, (1976) 2016, p. 65.

80 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », Publications de la Compagnie de l’Art Brut, fascicule XXV, 2014.

81 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », Essaim, n° 23, 2009, p. 8.

82 Michel Thévoz, Art brut, psychose et médiumnité, Paris, Éditions de la Différence, 1999, p. 114. Voir aussi Michel Thévoz, Le langage de la rupture

83 Michel Thévoz, « Le ciel comme alibi », dans Michel Thévoz et al., Du ciel à la terre, Montauban, Musée Ingres, 1997, p. 25, cité dans Sarah

84 Linda Nochlin, Femmes, art et pouvoir et autres essais, Nîmes, J. Chambon, 1993 ; Griselda Pollock et Rozsika Parker, Old mistresses. Women, art

85 Message du 30 septembre 1960, retranscrit dans Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », op. cit., p. 111.

86 Messages du 7 septembre 1958 et du 15 août 1960 (ibid., p. 106 et 92).

87 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », op. cit., p. 16.

88 Ibid., p. 14.

89 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », op. cit., p. 61.

90 « Alida aurait été peintre dans des vies antérieures » (Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », op. cit., p. 8).

91 Jean Dubuffet, « La double vie de Laure », op. cit., p. 386.

92 Lise Maurer, Le « Remémoirer » de Jeanne Tripier, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1999.

93 Ibid., p. 80.

94 Dossier médical de Jeanne Tripier établi lors de son internement à Maison-Blanche, conservé aux archives de Paris (3619W150). Nous remercions

95 Lise Maurer pense que Tripier a également été vendeuse dans un grand magasin boulevard Barbès ; son père était marchand de vin (Lise Maurer, Le « 

96 Léon Denis, Jeanne d’Arc médium. Ses voix, ses visions, ses prémonitions, ses vues actuelles exprimées en ses propres messages, Paris, Librairie

97 Colette Beaune, « Préambule. Jeanne entre modèle et exception », dans Véronique Alemany, Monique Cottret et Bernard Cottret (dir.), op. cit., p. 20

98 Ibid., p. 17.

99 Citée dans Lise Maurer, Le « Remémoirer » …, op. cit., p. 45.

100 Colette Beaune, op. cit., p. 17.

101 Clovis Maillet, Les genres fluides. De Jeanne d’Arc aux saintes trans, Paris, Arkhê, 2020, p. 47.

102 Lise Maurer, Le « Remémoirer » …, op. cit., p. 65.

103 Ibid., p. 46.

104 Ibid., p. 106.

105 Ibid., p. 112.

106 Ibid., p. 110.

107 Ce terme, souvent utilisé par Jeanne Tripier, vient probablement de sa lecture du théoricien spirite Léon Denis. Le double fluidique, ou corps

108 Les personnes gender fluid ne se reconnaissent pas dans une identité de genre stable, mais revendiquent un genre fluctuant, mobile. Si l’idée et

Bibliographie

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Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », Essaim, n° 23, 2009, p. 8.

Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », Publications de la Compagnie de l’Art Brut, fascicule XXV, 2014.

Linda Nochlin, Femmes, art et pouvoir et autres essais, Nîmes, J. Chambon, 1993.

Griselda Pollock et Rozsika Parker, Old mistresses. Women, art and ideology, Londres, Pandora Press, 1995.

Jacqueline Porret-Forel, Aloïse et le théâtre de l’univers, Genève / Paris, Skira, 1993.

Henri Raynal, La double origine. Journal de bord d'un voyage en peinture : extraits, Paris, Galerie Michèle Heyraud, 1996.

Michel Thévoz, Le langage de la rupture, Paris, Presses universitaires de France, 1978.

Michel Thévoz, Art brut, psychose et médiumnité, Paris, Éditions de la Différence, 1999.

Jean-Noël Vuarnet, La Chute de la Maison Tripier, Saint-Michel, Incorpore (1976) 2016.

Catalogues d’exposition

À corps perdus : ABCD, une collection d’art brut cat. expo. (Paris, Pavillons des arts, 30 avril-26 septembre 2004), Paris, Paris musées, 2004.

Aloïse. Le ricochet solaire, cat. expo. (Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts / Collection de l’Art Brut, 2 juin – 26 août 2012 / 2 juin – 28 octobre 2012), Milan, 5 Continents, 2012.

Art spirite, médiumnique, visionnaire, messages d'outre-monde, cat. expo. (Paris, Halle Saint Pierre, 13 septembre 1999 – 27 février 2000), Paris, Hoëbeke / Halle Saint Pierre, 1999.

Écrire en dessinant. Quand la langue cherche son autre, cat. expo. (Genève, Centre d’Art Contemporain de Genève, 29 janvier – 23 août 2020), Genève, Skira, 2020.

Écriture en délire, cat. expo. (Lausanne, Collection de l’Art Brut, 12 février – 5 septembre 2004, Paris, Halle Saint-Pierre, février – juin 2005, Nice, Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky, décembre 2005-février 2006), Milan, 5 Continents, 2004.

Flying High. Künstlerinnen der Art Brut, cat. expo. (Vienne, Kunstforum, 15 février-23 juin 2019), Heidelberg, Kehrer, 2019.

Jeanne Tripier : Creación y delirio, cat. expo. (Madrid, La Casa Encendida, 10 octobre 2018 – 5 janvier 2019), Madrid, La Casa Encendida, 2018.

L’Art Brut. Sélection des collections de la Compagnie de l’Art Brut, cat. expo. (Paris, musée des Arts décoratifs, 7 avril – 5 juin 1967), Paris, Compagnie de l’Art Brut et Union centrale des Arts décoratifs, 1967.

Notes

1 Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels » (1949), Prospectus et tous écrits suivants, t. i., Paris, Gallimard, 1967, p. 201.

2 Les fascicules de l’art brut sont des recueils de textes présentant des artistes, dont la publication a été initiée par la Compagnie de l’art brut en 1964. Sarah Lombardi souligne le fait que 1966 constitue une année particulière dans l’intérêt que porte Dubuffet à des créations réalisées par des femmes dans son article « Weibliche Art Brut im Sinne von Jean Dubuffet », dans Flying High. Künstlerinnen der Art Brut, cat. exp. (Vienne, Kunstforum, 15 février-23 juin 2019), Heidelberg, Kehrer, 2019, p. 226.

3 Céline Delavaux, L’Art brut, un fantasme de peintre. Jean Dubuffet et les enjeux d’un discours, Paris, Flammarion, (2010) 2018.

4 Nous pensons notamment aux ouvrages de Judith Butler (Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006 ; Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du sexe, Paris, Éditions Amsterdam, 2009). Butler établit plus particulièrement le fait qu’il n’existe pas de nature pré-discursive ou pré-langagière aux différences de genre et de sexe – mais cette perspective dépasse le cadre de notre réflexion dans cet article.

5 Nous devons ici citer notre dette à l’égard des travaux de Pauline Goutain, Baptiste Brun, Elena Leclercq et Flavie Beuvin sur ce sujet. Voir Pauline Goutain, Les Mythologies matérielles de l’Art Brut (1945-1976), dimensions, processus créateurs et matériaux à l'œuvre, thèse de doctorat, sous la direction de Fabrice Flahutez et de Jill Carrick, Université Paris Nanterre et Carleton University, 2017 ; Baptiste Brun et Christophe David, « “Femmisme” et sauvagerie, un aspect de la critique de la culture de Jean Dubuffet », dans B. Boerner, C. Ferlampin-Acher (dir.), Femmes sauvages et ensauvagées dans les arts et les lettres, Presses Universitaires de Rennes, 2021, p. 273-283 ; Elena Leclercq, Les sirènes de l’Art Brut (1964-1973). L’hystérique, la sorcière, la folle, mémoire de Master 2 sous la direction de Baptiste Brun, Université Rennes 2, 2020 ; Flavie Beuvin, L’Art brut au féminin : la végétalité à l’œuvre, thèse de doctorat sous la direction d’Anne Boissière, Université de Lille, 2021.

6 Nous entendons par « brutification » le processus discursif par lequel un objet mais aussi son auteur·rice en viennent à être considéré·es comme appartenant au domaine de l’art brut.

7 Voir Baptiste Brun, Jean Dubuffet et la besogne de l’Art Brut. Critique du primitivisme, Dijon, Les presses du réel, 2019.

8 Baptiste Brun, « Le fou, le nègre, le montagnard. Chercher l’Art Brut aujourd’hui : l’écueil postcolonial de l’essentialisme ? », dans Vincent Capt, Sarah Lombardi, Jérôme Meizoz (dir.), L’Art Brut. Actualités et enjeux critiques, Lausanne, Antipodes, 2017, p. 106.

9 Voir par exemple à ce sujet Sherry B. Ortner, « Is Female to Male as Nature Is to Culture ? », Feminist Studies, vol. 1, n° 2, 1972, p. 5-31, qui reprend notamment les analyses de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe.

10 Pauline Goutain, op. cit., p. 180.

11 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 308.

12 Jacqueline Porret-Forel, médecin qui a connu Corbaz et qui a été la grande spécialiste de son œuvre, a analysé la signification symbolique de l’œuvre de l’artiste ; voir notamment Jacqueline Porret-Forel, Aloïse et le théâtre de l’univers, Genève / Paris, Skira, 1993 ; Aloïse. Le ricochet solaire, cat. exp. (Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts / Collection de l’Art Brut, 2 juin – 26 août 2012 / 2 juin – 28 octobre 2012), Milan, 5 Continents, 2012.

13 Pauline Goutain, op. cit., p. 181.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), op. cit., p. 308.

17 Ibid., p. 313.

18 Ibid., p. 308.

19 Ibid., p. 313.

20 Ibid., p. 314.

21 L’originalité et l’authenticité sont les deux valeurs retenues par Nathalie Heinich dans l’examen de l’axiologie de l’art brut (Nathalie Heinich, « L’Art Brut : axiologie d’une artification », dans L’Art brut. Actualités et enjeux critiques, V. Capt, S. Lombardi, J. Meizoz (dir.), Lausanne, Antipodes, 2017, p. 25).

22 Jean Dubuffet, « Haut art d’Aloïse » (1966), op. cit., p. 313.

23 Ibid.

24 Ibid.

25 Ibid.

26 Jean Dubuffet, « L’art brut préféré aux arts culturels » (1949), op. cit., p. 202.

27 Jean Dubuffet, « À Michel Thévoz » (15 avril 1981), Prospectus et tous écrits suivants, t. iv., Paris, Gallimard, 1995, p. 404. Remarquons que l’idée selon laquelle « s’agissant d’art brut […] les femmes sont bien plus à l’aise que les hommes » est contredite par les chiffres (les femmes représentaient 22,7 % des artistes présenté·es lors de l’exposition L'Art brut, sélection des collections de la Compagnie de l'Art Brut qui s’est tenue en 1967 au Musée des Arts Décoratifs et 30 % des artistes présent·es dans l’inventaire de la collection de la Compagnie en 1971 ; voir Baptiste Brun et Christophe David, op. cit., p. 280, et Pauline Goutain, op. cit., p. 174). Dubuffet ne semble pas voir – ou ne pas vouloir voir – que les femmes ne sont pas « plus à l’aise dans l’art brut », simplement moins exclues qu’ailleurs.

28 Jean Dubuffet, « À Jean Paulhan » (janvier 1947), Prospectus et tous écrits suivants, t. iv., op. cit., p. 108.

29 Baptiste Brun et Christophe David, op. cit., p. 279.

30 Bien que la notion de genre ait fait son apparition dès la fin des années 1940 avec les travaux de l’Américain John Money, les réflexions sur la construction sociale du féminin et du masculin se sont développées aux États-Unis à partir de la fin des années 1960 et ne sont arrivées en France que bien plus tard.

31 Jacqueline Porret-Forel, « Aloïse et son théâtre », Publications de la Compagnie de l’Art Brut, fascicule VII, 1966, p. 65.

32 Ibid., p. 69-70.

33 Ibid., p. 70-72

34 Ibid., p. 27.

35 Nous nous basons ici sur l’interprétation proposée par Jacqueline Porret-Forel (voir « Le monde d’Aloïse », dans Aloïse. Le ricochet solaire, op. cit., p. 25-26).

36 Pauline Goutain, op. cit., p. 178.

37 Elena Leclercq, Les autrices d’art brut et leurs ouvrages au prisme de l’affect (1868-1973). Du débordement à la subversion, mémoire de Master 2 sous la direction de Caroline Ibos et Elvan Zabunyan, Université d’Angers, 2021, p. 95.

38 Jacqueline Porret-Forel, « Aloïse et son théâtre », op. cit., p. 36.

39 Jacqueline Porret-Forel, « Les spectacles », dans Aloïse. Le ricochet solaire, op. cit., p. 40-41.

40 Jacqueline Poret-Forel, « Le monde d’Aloïse », op. cit., p. 24.

41 Ibid.

42 Ibid., p. 30.

43 Aloïse. Le ricochet solaire, op. cit., p. 85.

44 Voir notamment à ce sujet Charlotte Foucher-Zarmanian, Créatrices en 1900. Femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, 2015, p. 42.

45 Par ailleurs, Jacqueline Porret-Forel écrit qu’au début de son internement à l’asile de la Rosière, Aloïse Corbaz « […] adoptait des attitudes libidineuses, et exhibait volontiers ses seins » (Jacqueline Porret-Forel, op. cit., p. 20).

46 Flavie Beuvin, L’art brut au féminin : la végétalité à l’œuvre, op. cit., p. 188. Pauline Goutain a également développé cette symbolique (Pauline Goutain, op. cit., p. 177).

47 Ibid., p. 182.

48 Nicole Edelman, Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1785-1914, Paris, Albin Michel, 1995.

49 Ibid., p. 106.

50 « Femmes habituellement minorisées par les hommes d[u] xixe siècle, elles sont écoutées, admirées, louées, entourées par les spirites » (Ibid., p. 106).

51 Voir Sherry B. Ortner, op. cit., p. 26.

52 Eliane Camerlynck, « Féminité et sorcellerie chez les théoriciens de la démonologie à la fin du Moyen Age : étude du Malleus Maleficarum », Renaissance et Réforme, vol. 7, n° 1, 1983, p. 18.

53 Nicole Edelman, op. cit., p. 167-171.

54 La première étude à aborder directement cette question est le mémoire soutenu par Elena Leclercq en 2020 intitulé Les sirènes de l’Art Brut (1964-1973). L’hystérique, la sorcière, la folle (op. cit).

55 Jean Dubuffet, « La double vie de Laure » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 385.

56 Ibid.

57 Ibid., p. 394.

58 Ibid., p. 388-389.

59 Ibid., p. 387.

60 Ibid., fig. 23 p. 91.

61 Ibid., p. 396.

62 Ibid., p. 392.

63 Ibid., p. 394.

64 Jean Dubuffet, « Messages et clichés de Jeanne Tripier la planétaire » (1966), Prospectus et tous écrits suivants, t. i, op. cit., p. 402-403.

65 Ibid., p. 405.

66 Ibid., p. 416.

67 Par ailleurs, on remarque qu’usant du même terme qu’il avait employé à propos d’Aloïse Corbaz, Dubuffet insiste sur la « cérébralité » de Jeanne Tripier, notamment lorsqu’il est question de corps et de sexualité (voir Jean Dubuffet, « Messages et clichés de Jeanne Tripier la planétaire », op. cit., p. 409).

68 Michel Thévoz, Le langage de la rupture, Paris, Presses universitaires de France, 1978, p. 65.

69 Nicole Edelman, op. cit., p. 168-171.

70 Michel Thévoz, op. cit., p. 75-76.

71 Roger Cardinal, « L’art et la transe », dans Art spirite, médiumnique, visionnaire, mess’ges d'outre-monde, cat. expo. (Paris, Halle Saint Pierre, 13 septembre 1999 – 27 février 2000), Paris, Hoëbeke / Halle Saint Pierre, 1999, p. 23 (article paru à l’origine en anglais sous le titre « The Art of Entrancement : European Mediumnistic Art in the Outsider Domain » dans Raw Vision, n° 2, hiver 1989, p. 22-31).

72 « Notices biographiques », dans A corps perdus : ABCD, une collection d’art brut, cat. expo. (Paris, Pavillons des arts, 30 avril-26 septembre 2004), Paris musées, 2004, p. 149.

73 Ibid.

74 Ibid.

75 Lise Maurer, « L’aclé des chants », dans Écriture en délire, cat. expo. (Lausanne, Collection de l’Art Brut, 12 février – 5 septembre 2004, Paris, Halle Saint-Pierre, février – juin 2005, Nice, Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky, décembre 2005-février 2006), Milan, 5 Continents, 2004, p. 84.

76 L’Art Brut. Sélection des collections de la Compagnie de l’Art Brut, cat. expo. (Paris, musée des Arts décoratifs, 7 avril – 5 juin 1967), Paris, Compagnie de l’Art Brut et Union centrale des Arts décoratifs, 1967, p. 108 ; Aurora Herrera Gomez, « Creation & Delirium : Jeanne Tripier », dans Jeanne Tripier : Creación y delirio, cat. expo. (Madrid, La Casa Encendida, 10 octobre 2018 – 5 janvier 2019), Madrid, La Casa Encendida, 2018., p. 55, 57 et 66 ; Jean Dubuffet, « Messages et clichés… », op. cit., p. 400 et 402.

77 Henri Raynal, La double origine. Journal de bord d'un voyage en peinture : extraits, Paris, Galerie Michèle Heyraud, 1996, p. 20.

78 Véronique Alemany, Monique Cottret, Bernard Cottret (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, Paris, Les Éditions de Paris, 2006.

79 Jean-Noël Vuarnet, La Chute de la Maison Tripier, Saint-Michel, Incorpore, (1976) 2016, p. 65.

80 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », Publications de la Compagnie de l’Art Brut, fascicule XXV, 2014.

81 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », Essaim, n° 23, 2009, p. 8.

82 Michel Thévoz, Art brut, psychose et médiumnité, Paris, Éditions de la Différence, 1999, p. 114. Voir aussi Michel Thévoz, Le langage de la rupture, op. cit., p. 64-71.

83 Michel Thévoz, « Le ciel comme alibi », dans Michel Thévoz et al., Du ciel à la terre, Montauban, Musée Ingres, 1997, p. 25, cité dans Sarah Lombardi, « Expressions du refoulé culturel dans les productions féminines d’Art Brut », dans Écrire en dessinant. Quand la langue cherche son autre, cat. expo. (Genève, Centre d’Art Contemporain de Genève, 29 janvier – 23 août 2020), Genève, Skira, 2020, p. 31 ; Charlotte Foucher-Zarmanian, Créatrices en 1900. Femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, 2015, p. 158.

84 Linda Nochlin, Femmes, art et pouvoir et autres essais, Nîmes, J. Chambon, 1993 ; Griselda Pollock et Rozsika Parker, Old mistresses. Women, art and ideology, Londres, Pandora Press, 1995.

85 Message du 30 septembre 1960, retranscrit dans Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », op. cit., p. 111.

86 Messages du 7 septembre 1958 et du 15 août 1960 (ibid., p. 106 et 92).

87 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », op. cit., p. 16.

88 Ibid., p. 14.

89 Lise Maurer, « Laure Pigeon, la femme plume », op. cit., p. 61.

90 « Alida aurait été peintre dans des vies antérieures » (Lise Maurer, « Laure Pigeon, la ménade bleue », op. cit., p. 8).

91 Jean Dubuffet, « La double vie de Laure », op. cit., p. 386.

92 Lise Maurer, Le « Remémoirer » de Jeanne Tripier, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1999.

93 Ibid., p. 80.

94 Dossier médical de Jeanne Tripier établi lors de son internement à Maison-Blanche, conservé aux archives de Paris (3619W150). Nous remercions Chiara Sartor pour son aide dans la consultation de ce document.

95 Lise Maurer pense que Tripier a également été vendeuse dans un grand magasin boulevard Barbès ; son père était marchand de vin (Lise Maurer, Le « Remémoirer » …, op. cit., p. 16-17). Quant à Laure Pigeon, bien qu’ayant épousé un chirurgien-dentiste, elle était fille de blanchisseuse et née de père inconnu (Lise Maurer, Laure Pigeon, la femme plume, op. cit.).

96 Léon Denis, Jeanne d’Arc médium. Ses voix, ses visions, ses prémonitions, ses vues actuelles exprimées en ses propres messages, Paris, Librairie des sciences psychiques, 1910.

97 Colette Beaune, « Préambule. Jeanne entre modèle et exception », dans Véronique Alemany, Monique Cottret et Bernard Cottret (dir.), op. cit., p. 20.

98 Ibid., p. 17.

99 Citée dans Lise Maurer, Le « Remémoirer » …, op. cit., p. 45.

100 Colette Beaune, op. cit., p. 17.

101 Clovis Maillet, Les genres fluides. De Jeanne d’Arc aux saintes trans, Paris, Arkhê, 2020, p. 47.

102 Lise Maurer, Le « Remémoirer » …, op. cit., p. 65.

103 Ibid., p. 46.

104 Ibid., p. 106.

105 Ibid., p. 112.

106 Ibid., p. 110.

107 Ce terme, souvent utilisé par Jeanne Tripier, vient probablement de sa lecture du théoricien spirite Léon Denis. Le double fluidique, ou corps fluidique (périsprit ou corps spirituel chez Kardec) « est la forme préexistante et survivante de l'être humain, le plan d'ensemble sur lequel se modèle l'enveloppe charnelle, comme un double vêtement invisible, formé d'une matière quintessenciée, qui pénètre tous les corps, quelque impénétrables qu'ils nous paraissent » (Léon Denis, Après la mort. Exposé de la doctrine des esprits, Paris, Librairie des sciences psychiques, 1909, p. 227).

108 Les personnes gender fluid ne se reconnaissent pas dans une identité de genre stable, mais revendiquent un genre fluctuant, mobile. Si l’idée et la pratique de la fluidité du genre ne sont pas historiquement récentes (ni propres à une culture précise), l’usage que nous en faisons ici se réfère à son développement depuis une trentaine d’années au sein de la culture queer, d’où l’anachronisme.

Illustrations

Fig. 1

Fig. 1

Le Sphinx du général Guisan

Fig. 2
Fig. 3

Fig. 3

Laure Pigeon, sans titre (page d'un cahier), 1938, encre sur papier, 31 x 24 cm, Collection d'Art Brut, Lausanne, no inv. cab-1956-07

Crédit photo Marie Humair, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

Fig. 4

Fig. 4

Laure Pigeon, 1955, encre sur papier, 65 x 50 cm, Collection de l'Art Brut, no Inv. cab-1787

Crédit photo Caroline Smyrliadis, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

Fig. 5

Fig. 5

Jeanne Tripier, Jeanne d'Arc médium, entre 1935 et 1939, broderie, 15 x 27 cm, Collection d'Art Brut, Lausanne, no inv. cab-A643

Crédit photo Amélie Blanc, Atelier de numérisation - Ville de Lausanne

Citer cet article

Référence électronique

Cécile Cunin, « Guirlandes de fleurs et sorcellerie. Féminin naturel, féminin surnaturel et autres perspectives sur l’art brut au prisme du genre », Déméter [En ligne], 8 | Été | 2022, mis en ligne le 15 septembre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/825

Auteur

Cécile Cunin

Après des études d’histoire de l’art, d’anglais, d’anthropologie et de médiation culturelle, Cécile Cunin prépare une thèse sur les artefacts issus du milieu asilaire de la première moitié du xxe siècle au prisme des études de genre. Elle a soutenu en 2021 un mémoire de master intitulé « Des créatrices d’art brut et des “objets à charge”. Jeanne Tripier, Laure Pigeon et Judith Scott, entre essentialisation et émancipation ». Elle est par ailleurs médiatrice culturelle et anime des ateliers plastiques et d’histoire de l’art, notamment au sein de structures de santé.

Droits d'auteur

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