I. — Géologie et préhistoire dans le Nord de la France : une longue histoire commune et des apports reciproques
L'origine des recherches sur les dépôts quaternaires du nord de la France est intimement liée à celle de la Préhistoire depuis les travaux de Jacques Boucher de Perthes, publiés en 1847. Ce dernier démontra l'association, au sein d'alluvions anciennes de la Somme à Abbeville, d'outils en silex taillés par l'homme avec des restes d'animaux fossiles. La couverture loessique attire également l'attention des chercheurs (Auguste et al., 2014), toujours avec prise en compte des « produits de l'industrie humaine » (Ladrière, 1890). La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont féconds en recherches sur les formations quaternaires et les industries paléolithiques associées (Antoine et al., 2010), grâce aux nombreuses carrières (gravières et briqueteries) ouvertes dans les dépôts alluviaux et les formations de couverture (Commont, 1909). Nombre de briqueteries restent encore visibles bien après-guerre. Les coupes dans les loess sont ainsi largement exposées dans la thèse de J. Sommé (1975), telles que Marquion, Vimy… Les travaux de P. Antoine s'inscrivent dans cette lignée, avec l'étude détaillée des paléosols présents dans les couvertures des terrasses de la Somme, l'insertion chronostratigraphique des occupations associées et l'établissement d'une coupe-type en contexte loessique pour le Début Glaciaire weichsélien (Antoine, 1989, 1990). Au cours des années 1990 et 2000, les recherches sur les loess de Picardie et des régions avoisinantes connurent un essor sans précédent en liaison avec le développement rapide de l'archéologie de sauvetage sur les grands travaux d'aménagement, en particulier les tracés linéaires (TGV Nord, autoroutes A16 [Locht, 2002], A29, Canal Seine-Nord-Europe entre autres…). La réalisation de sondages destinés à la découverte de gisements paléolithiques et l'étude des occupations préhistoriques dans leur contexte géomorphologique, chronostratigraphique et paléoenvironnemental ont alors mené à la constitution d'équipes pluridisciplinaires informelles alliant Afan-Inrap, CNRS, MNHN… (Coutard et al., 2012).
II. — L'étude des couvertures lœssiques en archéologie
L'objectif des sondages réalisés lors de la phase dite de diagnostic est de déterminer la présence ou l'absence de vestiges archéologiques. Les sondages sont réalisés avec une pelle hydraulique à godet lisse (Locht et al., 2010). Ils permettent d'observer les grandes lignes des séquences sédimentaires, l'accumulation des observations (plus de 2 500 sondages, plus de 80 profils détaillés) et des corrélations menant à l'élaboration de séquences pédosédimentaires synthétiques et de séquences de référence, prenant en compte la répartition spatiale des différentes formations à l'échelle régionale. Les fouilles préventives sont le lieu des études pluridisciplinaires approfondies (près de 20 fouilles paléolithiques à ce jour). Les fouilles programmées, complémentaires, offrent l'avantage du temps de réflexion, mais concernent des surfaces beaucoup plus petites.
III. — Exemple du canal Seine-Nord-Europe
Les diagnostics archéologiques sur le tracé du futur Canal Seine-Nord-Europe, réalisés par l'Inrap, ont débuté en 2008. La couverture loessique et diverses formations alluviales ont été explorées grâce à plus de 800 sondages en puits entre Noyon (Oise) et Oisy-le-Verger (Pas-de-Calais). Les sondages ont été effectués par des équipes locales alliant préhistoriens et géomorphologues. Une pelle au bras rallongé a permis de traverser des épaisseurs de limons variables, dépassant 13 m dans certains secteurs du Pas-de-Calais. Les séquences observées, reposant sur la craie ou des formations tertiaires, correspondent majoritairement au Pléistocène supérieur. De nombreux silex taillés ont été récoltés mais les sites archéologiques bien conservés sont en nombre restreint. Trois fouilles de grande ampleur ont eu lieu. Deux fouilles à Havrincourt (Pas-de-Calais) ont permis des avancées importantes quant à la chronostratigraphie du Pléniglaciaire inférieur et moyen du Weichsélien (Antoine et al., 2014) (Fig. 1). Une fouille à Etricourt-Manancourt (Somme) a été effectuée sur des niveaux acheuléens et moustériens pris dans une séquence pédosédimentaire unique couvrant les MIS 11 à 5. Cette fouille a montré que le modèle d'occupation humaine lié aux phases climatiques et pédosédimentaires, construit en Picardie pour le Weichsélien, peut servir de base de réflexion pour d'autres cycles interglaciaire-glaciaire, ainsi que pour d'autres régions de France et d'Europe.