Introduction
Le 4 mai 2019, la SGN (Société géologique du Nord) et la SHNA (Société d’Histoire naturelle des Ardennes) s’associèrent dans une visite de terrain autour du Noirieu, affluent de rive droite de l’Oise, qui témoigne d’une forte empreinte anthropique sur la dynamique géologique régionale (Meilliez et al., 2019). Le 21 juin 2022, les auteurs de la présente note, parcourant le même circuit, ont eu l’opportunité d’y trouver un chantier ordonné par VNF (Voies Navigables de France). À Vadencourt, juste en amont de la confluence du Noirieu avec l’Oise, la prise d’eau qui alimente la Rigole avait été victime d’un effondrement local de voûte, dont la réparation était urgente. Cette note brève témoigne de l’importance stratégique, toujours actuelle, d’un ouvrage conçu et réalisé dans le premier tiers du XIXe siècle, alors que la connaissance géologique locale n’était liée qu’à des pratiques locales (matériaux, agriculture), nourrissant une science géologique balbutiante.
Observation de l’ouvrage et du chantier
L’ingénieur de VNF qui veillait aux opérations de réparation, nous a expliqué que le tirant d’eau disponible dans le canal de Saint-Quentin avait baissé de façon inquiétante dans le bief de jonction avec le canal Crozat, entre Ham et Tergnier. En conséquence, la circulation des péniches chargées de grain était menacée, alors que s’annonce la période des moissons. Il était nécessaire de remonter le niveau de navigabilité, en assurant une alimentation en eau soutenue et constante. C’est pour cette raison que la Rigole du Noirieu avait été conçue.
La réduction du débit d’eau dans la Rigole a été imputée à un effondrement partiel de voûte, à moins d’une centaine de mètres de la prise d’eau (Fig. 1). Cette partie avait été aménagée dans un cône alluvial que Leriche (1944) qualifie de « basse terrasse de Vadencourt », dont la base est localisée à 5 m au-dessus du cours du Noirieu ; elle est notée Fy sur la carte géologique (Celet et Monciardini, 1972). L’état d’avancement du chantier ne permettait plus de vérifier de façon précise les parois de la tranchée. Les parties encore visibles sont constituées de remblais ayant comblé la tranchée ouverte après construction des anciennes maçonneries, en briques. Leur compacité n’a pu empêcher les infiltrations qui, avec le temps, sont venues à bout du mortier et ont déstabilisé la voûte. La réparation consiste à dresser des piédroits en parpaings, et à les couronner par un hourdis de parpaings encadrés de fers en I. La voûte en briques sera (sans doute) reconstituée car c’est le meilleur profil pour reprendre les charges dues aux terrains de couverture.
Contexte historique et enjeux de la Rigole du Noirieu
La Rigole du Noirieu est un ouvrage de transfert d’eau du bassin versant de l’Oise vers celui de la Somme (Fig. 2A), réalisé entre 1827 et 1831, pour soutenir le niveau d’eau dans le canal de Saint-Quentin1. Dans son Histoire de la navigation intérieure en France, Dutens (1829) raconte en détail les démarches et travaux ayant abouti à la construction de cet ouvrage. Initialement, cette voie d’eau était même destinée à devenir un canal navigable, souterrain en grande partie, à l’image de ce qui s’était fait en 1810, sur le canal de Saint-Quentin, entre Vendhuile et Le Tronquoy, pour relier l’Escaut à la Somme (Fig. 2A : voie 1). Mais ce projet n’a jamais été réellement instruit.
La seconde moitié du XVIIIe siècle fut marquée par de grands projets d’équipements en France, notamment par un plan ambitieux de canaux, pour compléter le réseau naturel des cours d’eau. Une liaison Mer du Nord – Méditerranée était envisagée. Reliant la Somme à l’Oise, le canal Crozat en était un barreau. L’étude fut engagée en 1738, et la mise en service se fit en 1776, les difficultés administratives n’étant pas moindres que les difficultés techniques (webographie : ProjetBabel). Dès lors, deux voies étaient possibles (Fig. 2A) :
- soit par l’ouest, en reliant la Somme à l’Escaut (voie 1) : projet du canal de Saint-Quentin prolongeant le canal Crozat ; projet réalisé ;
- soit par l’est, en reliant l’Oise à la Sambre (bief de partage de Oisy, réalisé en 1839), puis la Sambre à l’Escaut, soit via la vallée de la Selle depuis Oisy (voie 2a), soit via la vallée de l’Écaillon avec un bief de partage dans la forêt de Mormal (voie 2b).
La solution de l’actuel canal de Saint-Quentin fut retenue après que de nombreuses commissions se soient prononcées sur les projets. L’une d’elles émanait de l’Académie des Sciences : à Condorcet, à l’origine de remarques scientifiques majeures, furent associés l’encyclopédiste d’Alembert et l’Abbé Bossut, hydraulicien. La géologie était encore une science balbutiante (Ellenberger, 1994). L’objection principale concernait l’alimentation du bief de partage entre Vendhuile et Le Tronquoy (Fig. 2) : la crainte était que les niveaux d’eau naturels (aérien dans l’Escaut, souterrain dans le bief de partage) ne suffisent pas à compenser les pertes par infiltration dans les couches crayeuses. Après d’âpres et longues discussions, le canal de Saint-Quentin fut construit et inauguré par Napoléon 1er en 1810. Il comporte deux tronçons souterrains, encadrés de trois tronçons aériens qui se raccordent à l’Escaut canalisé au nord, et à la Somme au sud (Lesdins sur Fig. 2B).
L’utilité de ce canal fut rapidement vérifiée. Près de 1800 bateaux de marchandises en vrac l’ont emprunté en 1825 (Dutens, 1829, t.2, p. 482). Toutefois les périodes d’étiage étaient suffisamment inquiétantes pour que deux mesures soient engagées. D’une part un contrat que l’on qualifierait aujourd’hui de public-privé concéda la réalisation d’améliorations (étanchéité notamment) du canal à peine achevé, et d’autre part les études nécessaires à la réalisation de la Rigole du Noirieu furent entreprises pour soutenir le niveau dans le canal de Saint-Quentin. Il fut décidé que la Rigole mesurerait 22 km de long, dont 13,5 en souterrain. Toutefois, à la parution de l’ouvrage de Dutens (1829), elle n’était pas encore en service mais le chantier était lancé.
Contexte géologique et géomorphologique de la Rigole du Noirieu
Large de 1,50 m à la base, haute d’un peu plus de 2,50 m en voûte (Fig. 1), la Rigole était supposée fournir une hauteur d’eau de 1,80 m (webographie Wikipédia). Cette donnée est cohérente avec le besoin exprimé par l’ingénieur de VNF rencontré le 21 juin 2022. Une carte géologique simplifiée (Fig. 3) montre que la Rigole est essentiellement insérée dans les couches crayeuses du Crétacé supérieur (Tableau 1). La ligne de crête qui sépare les bassins versants de l’Oise à l’est et de la Somme à l’ouest (Fig. 2), est coiffée de dépôts thanétiens (base de la série cénozoïque régionale). La Banque de Données du Sous-Sol (dite BSS ; voir webographie : Infoterre/BRGM) contient quelques sondages avec documents, utilisés pour caler une coupe à peu près superposée à la Rigole (ouest-sud-ouest à est-nord-est) qui représente notre compréhension de la structure géologique locale (Fig. 4).
À lire Dutens (1829), les études de préparation des travaux de percement consistaient en nivellements, assortis d’hypothèses sur la nature des matériaux attendus en souterrain. La prise d’eau de Vadencourt est insérée dans la basse terrasse (Fy) décrite par Leriche (1944 : fig. 1), située au moins 5 m au-dessus du cours du Noirieu. Elle est composée de près de 2 m de groise (alluvions détritiques grossières : voir Meilliez et al., 2019 : fig. 5), reposant directement sur la craie du Turonien supérieur qui forme les falaises en rive droite du Noirieu ; au-dessus, environ 2 m de « limon jaune clair (ergeron), avec traînées de granules de craie » passent vers le haut à la terre à briques pour l’exploitation de laquelle une carrière était alors ouverte. La nature des matériaux et la présence de cette carrière à cet endroit laissent à penser qu’elle a fourni les briques nécessaires au parement du tunnel. La prise d’eau est positionnée à la cote 91 et son émergence à la cote 88 (Fig. 2B). Les 3 m de dénivelé autorisent à supposer que le tracé ne s’écarte pas sensiblement des matériaux crayeux observés aux deux extrémités. La coupe (Fig. 4) valide cette hypothèse. Les matériaux extraits étaient utilisés dans la construction, comme en témoignent encore nombre de maisons des villages environnants. Il y avait donc un savoir-faire pour identifier la pierre, la travailler et la valoriser. On sait aujourd’hui (Meilliez et al., 2019, arrêt 6) que les couches traversées sont analogues aux niveaux exploités dans la région lilloise sous le nom de Pierre de Lezennes (CRHL, 2009) : les couches crayeuses du Turonien supérieur et leur passage progressif au Coniacien (Tableau 1). Cette transition est lithologiquement indiscernable sur le terrain. C’est pourquoi le niveau très induré le plus élevé, formé de craie phosphatée, souvent à texture congloméroïde, connu sous le nom de tun, fait consensus parmi les cartographes pour localiser cette limite.
Les sondages effectués sur les territoires de Montigny-en-Arrouaise (EFTW), Aisonville-et-Bernoville (EFWN), sont localisés sur la ligne de partage des eaux entre les bassins versants adjacents de l’Oise et de la Somme (Fig. 2). Historiquement, la ressource en eau des villages situés sur ces lignes de crête se résumait à la capacité de stockage des sables landéniens (Tableau 1 ; Leriche, 1909, 1923). Le tunnel est situé à 70 m de profondeur sous la crête.
Le plancher de la série landénienne est quasi horizontal dans le territoire considéré ici ; il se trouve entre les cotes 130 et 140, à la précision près des tracés de terrain (solifluxions locales quaternaires). Comme démontré par Leriche (1909, 1923) et illustré sur la carte (Fig. 3), les sables continentaux (e2c) qui accompagnent la régression fini-thanétienne ravinent les dépôts marins sous-jacents, et même localement les couches supérieures de craie (Richez et Bonte, 1953). Le trait de coupe en suggère une représentation (Fig. 4), et la carte géologique en montre un gisement près de Fresnoy-le-Grand (Fig. 3).
En profondeur sur la coupe, le toit des Dièves (Turonien inférieur et moyen = c3ab) est dessiné à partir des courbes isohypses représentées par Celet (1969), puis affinées sur la carte géologique de Bohain-en-Vermandois (Celet et Monciardini, 1972). Ce tracé est cohérent avec les deux sondages qui en ont atteint le toit (EFRC et EFWN sur Fig. 3 et 4). Une bosse antiforme, elliptique, dont le grand axe, orienté ouest-sud-ouest à est-nord-est passe sous Étaves-et-Bocquiaux (Fig. 3).
Enfin, la coupe passe à l’extrémité méridionale d’une modeste structure qui, en carte, se présente comme une synforme comblée par la craie phosphatée du Campanien (c6), curieusement positionnée à l’aplomb de l’antiforme que souligne le toit des Dièves (Fig. 3). La base, subhorizontale, de la série landénienne, transgressive durant le Thanétien (voir ci-dessus, et Leriche, 1923), est discordante sur la synforme qu’elle tronque. Observation très importante, discutée ci-dessous. Durant le dernier quart du XIXe siècle, la Picardie produisait des phosphates, recherchés pour l’agriculture entre autres. De nombreux gisements restreints apportaient emplois et revenus à nombre de bourgs (voir les statistiques démographiques des sites municipaux). Fresnoy-le-Grand, Étaves-et-Bocquiaux ont participé à cette fébrilité (Gosselet, 1893, 1896, 1897, 1901). La découverte et l’exploitation de gisements plus conséquents au Maroc a cassé cette dynamique avant la Première Guerre mondiale. Un rapport a été publié récemment afin de formaliser l’abandon des sites miniers (DRIRE-Picardie, 1994). Il mériterait d’être complété par les nombreuses communications publiées dans les Annales de la SGN. La carte géologique de Bohain-en-Vermandois (Celet et Monciardini, 1972) ne fait pas état des observations structurales détaillées décrites, et même illustrées pour certaines, dans les Annales de la SGN. Toutefois la coupe (Fig. 4) contraint à admettre que sous la base de la série landénienne, la série attribuée au Turonien supérieur - Coniacien varie fortement en épaisseur. Aujourd’hui, ce territoire ne montre plus aucun affleurement frais favorable aux observations structurales à l’échelle métrique. Les enjeux sur la connaissance géologique justifieraient un projet d’étude, esquissé ci-dessous.
Discussions nouvelles et perspectives
Élaborer a posteriori le dossier d’étude géologique d’un aménagement comme la Rigole du Noirieu est un très bon exercice. Il permet d’apprécier d’une part les savoir-faire mobilisés sur la connaissance des matériaux à une époque où la géologie régionale était encore ignorée dans ses détails (vers 1820), et d’autre part la conduite des travaux alors que la seule technique possible pour le contrôle du tracé était le nivellement topographique. La lecture de Dutens (1829) montre aussi que la question obsédante pour les canaux de liaison (qui franchissent une limite de bassin versant) est la quantité d’eau dans le bief de partage, et son alimentation à l’étiage. La Rigole du Noirieu a été entreprise dès que l’utilisation du canal de Saint-Quentin s’est avérée utile. C’était reconnaître la validité de l’objection initiale de Condorcet. Il n’empêche qu’après la sécheresse de 1856, l’apport venu du Noirieu s’est montré insuffisant. Un canal complémentaire a été construit en 1857 : long de 4 km, il prélève de l’eau dans l’Oise à Lesquielles et l’amène dans la Rigole du Noirieu, via la prise d’eau de Vadencourt (in Meilliez et al., 2019 : arrêt 4). Ceci doit inciter à réfléchir sur l’intégration des enjeux dans un territoire large pour tout projet à venir (exemple : canal Seine-Nord-Europe) afin d’assurer une ressource a priori surabondante et pérenne. Il n’est pas nécessaire de construire un réservoir pour cela : recycler un tronçon du futur ex-canal du Nord comme bassin de rétention dans le tronçon du bief de partage pourrait être une solution économique, puisque les travaux relevant du génie civil sont déjà réalisés. Par ailleurs, il faut aussi s’interroger sur l’évolution à long terme de la ressource en eau du Massif de l’Arrouaise, au sens de Leriche (1943). Sous les effets combinés du réchauffement climatique et des prélèvements de plus en plus abondants depuis un bon demi-siècle, la migration des sources pérennes vers l’aval, déjà avérée à l’échelle de quelques siècles, est un signal d’alerte qui doit être pris au sérieux.
Réfléchir sur la coupe géologique (Fig. 4) suggère dans quel sens reprendre une recherche appropriée pour actualiser la connaissance géologique régionale. Deux sujets notamment, simplement posés ici, sont à rediscuter :
- Affiner la caractérisation de la surface pré-thanétienne.
- Reprendre avec des moyens actuels l’analyse de la structuration interne des couches crayeuses du Crétacé supérieur.
La surface qui supporte ici la série landénienne (Leriche, 1909, 1923), se raccorde vers l’est à la surface d’aplanissement (Tableau 1) qui enveloppe la moitié occidentale du Massif ardennais (Sommé, 1977 ; Voisin, 1983 ; Demoulin et Hallot, 2009 ; Demoulin et al., 2020). Elle a été façonnée par un long épisode d’érosion dont la durée minimale est de l’ordre de 10 millions d’années, entre le Campanien et les premiers dépôts d’âge Thanétien. Cependant deux processus ont certainement contribué à dénoyer le paysage vers la fin du Crétacé, puis à l’ennoyer durant le Thanétien : les variations du niveau marin et une influence de la tectonique qui, à ce moment-là, au sud de l’Europe, participe à l’émergence des premiers reliefs pyrénéens et alpins (Amédro et Robaszynski, 2014 ; Vrielynck, 2014 ; Wyns, 2014). Une amélioration de la connaissance de la succession biostratigraphique des craies du Crétacé supérieur devrait apporter des éléments de réponse. Un patient travail d’analyse paléoenvironnementale des dépôts thanétiens, en dépit de l’aspect morcelé des affleurements, devrait en apporter d’autres. Ce territoire est placé à l’intersection de provinces géologiques spécifiques (Meilliez, 2016, 2018) ; il a donc enregistré les effets des interactions entre divers processus. Un seul exemple témoignant de la difficulté, mais aussi de la richesse d’informations à redécouvrir : Gosselet (1893, 1896, 1897, 1901) a été particulièrement intrigué par les structures tectoniques de taille métrique à décamétrique, observées dans les craies phosphatées de ce secteur. Sans introduire une notion qui n’apparaîtra que plus tard, il décrit des conglomérats intraformationnels dont le faciès se trouve associé à plusieurs affleurements de tun dans toute la région (Bonte et al., 1964). Cette information n’est pas intégrée aux légendes des cartes géologiques à 1/50 000 du secteur. Or ce qu’il décrit ici est antérieur à l’émersion fini-crétacée, ce que Gosselet (1901) a très bien compris en constatant que ces conglomérats ont été déformés avant que la série landénienne ne les recouvre en discordance ; il a dû avouer ne pas être en mesure d’expliquer cette configuration. Actuellement, ce genre de structure peut être considéré, à titre d’hypothèse, comme un effet distant de la mise en compression de la croûte continentale européenne qui commence à agir au cours du Crétacé supérieur (Vrielynck, 2014 ; Wyns, 2014), en lien avec la mise en place des Pyrénées.
Conclusion
Il y a 200 ans était mis en chantier le percement de la Rigole du Noirieu, un équipement public important qui ne bousculait pas trop les paysages, mais qui soustrayait quand même un volume d’eau d’un bassin versant majeur vers son voisin. À l’époque, personne ne soupçonnait même que l’emprise des activités humaines sur l’environnement pourrait avoir, avec le temps, des effets susceptibles d’apporter des perturbations suffisamment fortes pour entraîner des effets négatifs en interne. Les effets positifs attendus étaient immédiats et d’ordre économique : en garantissant la sécurité du niveau de l’eau dans le canal de Saint-Quentin, on répondait aux besoins d’approvisionnement de la région parisienne : grains, matériaux, ressources énergétiques (bois, charbon). Le territoire traversé étant à faible densité démographique, aucune protestation de voisinage n’a laissé de trace historique. De toute façon, à cette époque, personne n’aurait eu l’impudence de s’y opposer car aucun ouvrage antérieur, de même nature, n’avait alors démontré un quelconque impact sur la biodiversité et les paysages. D’ailleurs l’emprise foncière de cet ouvrage est assez limitée. La principale objection était la crainte de ne pouvoir garantir la pérennité de l’alimentation en eau. Tout au plus savait-on qu’à la fin du XVIIe siècle, la source permanente de l’Escaut se trouvait à Beaurevoir (Fig. 2B), environ 4 km en amont de sa localisation actuelle. Et la Rigole a été percée pour répondre à cette objection.
Plus tard, au début du dernier tiers du XIXe siècle, la découverte des gisements picards de craies phosphatées a révélé des observations à l’échelle métrique (affleurement), très importantes pour préciser l’histoire géologique régionale. En effet, la période du Turonien au Santonien (Tableau 1) est celle durant laquelle le niveau marin a atteint un maximum dans ce qui constitue aujourd’hui l’Europe occidentale (Amédro et Robaszynski, 2014). Le territoire considéré ici est situé à quelques kilomètres, au plus quelques dizaines, à l’ouest de la grande île ardenno-rhénane, relief résiduel des chaînons de l’avant-pays varisque. Et cette période est cruciale : à l’ouest, l’océan Atlantique nord s’élargit et le Golfe de Gascogne s’ouvre ; l’activité magmatique intense des rides médianes exhausse le niveau marin ; au sud, l’Afrique a commencé son mouvement de rotation anti-horaire qui lui fait fermer l’océan Téthys (à l’emplacement de l’actuelle Méditerranée centrale et orientale). Il s’ensuit que la croûte continentale de l’Europe occidentale, mise peu à peu en compression, commence doucement à se gaufrer (Vrielynck, 2014 ; Wyns, 2014). Les conséquences éloignées, au cœur du continent, sont de deux ordres : les vieilles fractures crustales sont des cicatrices varisques formant l’essentiel des structures profondes de ces territoires. Selon leur degré de cicatrisation et selon leur orientation relative par rapport à la distribution du champ de contraintes, elles sont susceptibles de se remobiliser, avec une diversité de modalités locales possibles. À la suite de quoi, les sédiments frais et non consolidés (boues crayeuses principalement) peuvent se trouver déstabilisés, activant des glissements de terrain générateurs de conglomérats intraformationnels, d’autant plus facilement s’ils sont assujettis aux effets profonds des fortes tempêtes. Il faudrait pouvoir dimensionner une étude dans le secteur d’Étaves-et-Bocquiaux pour retrouver ce que Gosselet a illustré sans trouver d’explication. Les connaissances acquises aujourd’hui sur la dynamique crustale et ses conséquences sur l’érosion et la sédimentation autorisent à considérer le territoire examiné ici comme critique pour améliorer la compréhension de la dynamique pendant le Crétacé supérieur, et donc les déterminants des répartitions spatiale et temporelle des gisements de phosphates.
Remerciements. — Les auteurs expriment leur reconnaissance à l’ingénieur de VNF qui les a autorisés à observer le site du chantier de réparation de la Rigole. Cette visite a été effectuée avec le soutien du CAUE-59 en vue d’instruire un projet de coopération interne à l’Union Régionale des CAUE. Nos remerciements vont aussi aux deux relecteurs, Christian Dupuis et Frédéric Lacquement, qui ont su minutieusement suggérer des améliorations de forme et inciter à poursuivre les recherches que cette mise au point ouvre.