Introduction
Des origines de la Société Géologique du Nord (SGN) en 1870 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la vie de la Société Géologique du Nord a été rythmée par de nombreuses séances de communications organisées dans les locaux de la Faculté des Sciences, sise à l’époque rue Gosselet à Lille, ainsi que par des excursions pluriannuelles emmenant les membres de la Société sur le terrain. C’est ainsi que de nombreuses sorties organisées par nos illustres prédécesseurs comme Jules Gosselet, Charles Barrois, Pierre Pruvost et bien d’autres ont fait découvrir la diversité et la richesse du sous-sol de notre région à de nombreux géologues professionnels et amateurs, chacune d’entre elles faisant l’objet d’un compte rendu publié dans les Annales de la SGN. Cette tradition s’est ensuite perdue. Elle renaît progressivement suite au nouvel élan impulsé depuis deux décennies par les derniers présidents, dont Francis Robaszynski a été le pionnier. Le compte rendu de l’excursion SGN du samedi 21 octobre à Arras s’inscrit dans cette démarche.
L’Artois présente peu d’affleurements naturels continus et les accidents tectoniques, tout comme la stratigraphie de la craie, ont été reconnus essentiellement grâce aux travaux miniers, aux forages, à la géophysique ainsi que, ponctuellement, à l’occasion d’exploitations à ciel ouvert, de travaux ou de fouilles archéologiques. Les carrières souterraines d’Arras constituent pour cette raison une importante source d’informations. Les objectifs de cette sortie sur le terrain sont de présenter aux membres de la SGN la stratigraphie et la fracturation de la craie à silex coniacienne dans les carrières souterraines d’Arras. Cependant la géologie étant étroitement liée à l’histoire de ces carrières, que ce soit celle de leur exploitation du Xe au XVIIIe siècle ou celle de leur utilisation pendant les derniers conflits mondiaux, quelques brefs paragraphes évoquent ces différents domaines. Le lecteur intéressé par ces aspects « extra-géologiques » pourra également trouver dans la bibliographie de quoi satisfaire sa curiosité.
L’excursion comprend 4 points d’arrêt permettant d’étudier la succession lithologique et la fracturation des craies coniaciennes dans les carrières du centre-ville (les Boves de la place des Héros) et du faubourg de Ronville (carrières Auckland, Blenheim et Wellington qui sont connectées par des tunnels), mais aussi d’avoir un aperçu sur l’histoire de ces carrières durant leur exploitation, puis pendant la Grande Guerre :
- Arrêt 1 : les Boves de la place des Héros (stratigraphie)
- Arrêt 2 : la carrière Auckland (stratigraphie)
- Arrêt 3 : la carrière Blenheim (fracturation)
- Arrêt 4 : la carrière Wellington (histoire).
Les adresses et coordonnées des lieux d’accès à ces points d’observation sont les suivants.
Les Boves de la place des Héros
Entrée par l'Office de Tourisme d'Arras
Hôtel de Ville (Beffroi), place des Héros
Coordonnées : 50° 17’ 27.68’’ N, 2° 46’ 38.15’’ E
Les carrières du Faubourg de Ronville
Entrée par la Carrière Wellington
Rue Arthur Delétoile, Arras
Coordonnées : 50° 16’ 51.39’’ N, 2° 46’ 58.81’’ E
Le bassin carrier d’Arras
Comme de nombreuses villes du Nord de la France, Arras a exploité son sous-sol pour extraire les matériaux nécessaires à sa construction, c’est-à-dire ici la craie coniacienne. La cité d'Arras remonte à l'Antiquité (Nemetacum ; e.g. Jacques & Davy, 1986), mais s'est surtout développée au Moyen Âge, époque à laquelle la craie était réservée à l’édification des édifices religieux et à la construction des fortifications. Au XVIe siècle, l’emploi de ce matériau s’est généralisé, entraînant la création de nombreuses carrières dont l’exploitation s'est poursuivie jusqu'au XVIIe siècle en s'étendant au sud et à l'est de la ville.
Ce bassin d’exploitation s’appuie au sud sur la vallée du Crinchon et au nord sur celle de la Scarpe, dont le cours est navigable depuis le début du XVIIe siècle, offrant ainsi des débouchés vers la Flandre où ce matériau était recherché. Cet arc carrier se développe aussi vers l’est en suivant les routes de Cambrai et Bapaume, qui constituent également des axes de transport pour alimenter les chantiers de constructions urbains (fig. 1).
L’exploitation de la craie à Arras
Les carrières constituent les premiers indices de l’occupation du site d’Arras avec les puits d’extraction retrouvés à la périphérie du Rond-point Baudimont, datés entre les années – 10 et +20 de notre ère ; ils délimitent le noyau de la ville antique que l’on peut estimer à environ 3 ha. L’existence de trous de pieux autour des puits suppose l’installation de treuils pour la descente des carriers et la remontée des matériaux. Dans le courant du Ier siècle, ce mode d’extraction a été relayé par des carrières à ciel ouvert pour alimenter les chantiers de construction de la ville en pleine expansion, sur le versant sud de la colline Baudimont. Cette exploitation cessera son activité à la fin du IIIe siècle - début du IVe siècle.
Aux Xe et XIe siècles, la ville médiévale est en plein essor et on trouve d’autres témoins de l’extraction de la craie avec des méthodes identiques à celles de l’époque romaine : exploitation verticale par puits aboutissant, environ 12 m plus bas, à des galeries d’extraction de 2,50 m de hauteur. L’exploitation par « chambres et piliers » apparaît à la fin du Moyen Âge, consistant à laisser en place des piliers de roche à distance régulière, destinés à soutenir le ciel des salles d’extraction. Elle se développe dans le bassin carrier d'Arras jusqu'à la fin du XVIIe siècle.
Des carrières de craie aux dimensions importantes existent sous les faubourgs Ronville et Saint-Sauveur. D’anciens fronts de taille sont visibles dans ces carrières et il possible d’y observer l’empreinte des blocs arrachés à la paroi et des traces d’outils (Béghin & Bergerat, 2021). Le développement des quartiers suburbains le long des routes de Cambrai et de Bapaume a ensuite entraîné l’abandon de l’exploitation.
Les carrières d’Arras pendant la guerre de 14-18
Les carrières arrageoises seront réoccupées au cours de la Première Guerre mondiale quelques mois avant l’offensive du 9 avril 1917 (e.g. Girardet et al., 2003 ; Jacques & Mortier, 2008 ; Bergerat et al., 2018).
C’est lors de la conférence de Chantilly, en novembre 1916, que les états-majors des armées anglaises (général Haig) et françaises (général Joffre) décidèrent d’une action commune pour rompre le front allemand. La ville d’Arras située en zone britannique fut pressentie pour être la base de départ d’une offensive de diversion confiée au haut commandement britannique, combinée avec une attaque d’envergure au chemin des Dames en secteur français. Le site convenait parfaitement à la concentration discrète de troupes et à leur hébergement sans attirer l’attention des Allemands, puisque, lors du creusement de souterrains dans le cadre de la « guerre des mines », les sapeurs avaient redécouvert les grandes carrières souterraines qui étaient tombées dans l’oubli. Les carrières d’Arras furent ainsi cartographiées par les Britanniques et, pendant près de six mois, des travaux furent réalisés pour relier les caves du centre-ville aux carrières des faubourgs de Saint-Sauveur et de Ronville et pour les aménager (eau, électricité) afin d’y installer des cantonnements. Pour réaliser ces travaux, l’état-major fit appel à une unité de tunneliers néo-zélandais (New Zealand Engineers Tunnelling Company) présents pour des travaux de sape dans le cadre de la guerre des mines, renforcée par des bataillons des Scottish Rifles et des King’s Own Borderers et par le West Yorkshire Regiment. Fin mars, les travaux souterrains étaient achevés et dès le 3 avril 1917, un premier bataillon put utiliser les galeries et passer de la Grand Place aux carrières du quartier Saint-Sauveur.
Les différents secteurs de ce cantonnement ont été baptisés de noms de villes d’où ils étaient originaires, ainsi les carrières de Ronville portent les noms de villes néo-zélandaises (dans la même « position géographique » qu’en Nouvelle-Zélande, de Russell au nord à Bluff au sud ; fig. 2). Les caves et carrières pouvaient héberger plus de 24 400 hommes dont 13 000 dans le secteur des places. La capacité d’accueil dans le secteur Saint-Sauveur était de 2 000 hommes et de 9 400 dans les cantonnements souterrains de Ronville.
Le lundi 9 avril 1917 à 5h30 du matin, après un bombardement intensif de quatre jours, destiné à annihiler toute action des forces adverses, les troupes stationnées dans les souterrains surgirent à quelques mètres de la 1re ligne allemande et, profitant de l’effet de surprise, atteignirent rapidement leur objectif avec des pertes relativement faibles. Les jours suivants virent cependant les pertes humaines s’intensifier. Si la bataille d’Arras a permis le désenclavement de la ville qui subissait des bombardements depuis octobre 1914, un peu plus de 150 000 hommes, dans les armées alliées, ont été mis hors de combat durant les mois d’avril et mai 1917.
Notons enfin qu’au milieu des années 1930, les rumeurs d’une nouvelle guerre avec l’Allemagne décidèrent les autorités locales à aménager en abris de la Défense passive les carrières localisées dans le quartier de la gare, puis celles des faubourgs. Ces abris ont été utilisés par les habitants en particulier en mai 1940 et lors des bombardements anglo-américains de 1944.
L’environnement géologique des carrières de craie d’Arras
Le trait morpho-structural fondamental du Nord-Pas de Calais est le bombement anticlinal faillé de l’Artois qui s’étend du Boulonnais à l’ouest jusqu’à la région d’Arras à l’est, en suivant un axe globalement WNW-ESE (fig. 3). Il constitue une limite majeure tant sur le plan géologique que géomorphologique entre la plaine des Flandres, au nord, où affleurent principalement les sédiments tertiaires sableux et argileux, et le plateau picard au sud, constitué des formations crayeuses du Crétacé supérieur. Cet anticlinal, bien marqué dans la topographie par les collines de l’Artois, est un pli dissymétrique à flanc sud doux et flanc nord plus redressé. Il est affecté, dans la couverture mésozoïque, de failles longitudinales classiquement liées au rejeu inverse de failles tardi-hercyniennes qui, sauf dans le Boulonnais où elles sont en partie visibles en surface (Averbuch et al., 2001), sont surtout connues grâce aux forages et aux profils sismiques.
Ces failles, à fort pendage vers le sud, ont été interprétées par Bouroz (1956) comme des accidents très redressés recoupant la Faille du Midi puis, plus récemment, comme des accidents se raccordant en profondeur aux chevauchements varisques (Mansy et al., 2003 ; Minguely et al., 2010). Elles ont d’abord rejoué à la fin de l’Hercynien, localisant ponctuellement de petits demi-grabens remplis de sédiments fluviatiles stéphano-permiens (inversion tectonique négative). Le décalage inverse observé pour les niveaux du Crétacé moyen à l’Éocène inférieur, démontre l’existence d’une autre réactivation (positive), au Tertiaire (Minguely et al., 2010). Ce jeu inverse pourrait comprendre une certain composante décrochante (Auffret & Colbeaux, 1977 ; Mansy et al., 2003).
La faille la plus orientale du système de failles de l’Artois – et la plus proche d’Arras – est la faille de Marqueffles dont on a trouvé des traces jusque dans le Quaternaire dans le site archéologique de Biache-Saint-Vaast (Colbeaux et al., 1981) et qui a probablement été la faille responsable de l’important séisme du 2 septembre 1896 dont la zone épicentrale comprend les villages de Vimy, Farbus, Vitry-en-Artois, Biache-Saint-Vaast et Fampoux (fig. 3). L’intensité, évaluée à partir des dommages observés, est de l’ordre de VI ce qui correspondrait à une magnitude de 4,6 ± 0,3 (Kusman et al., 2010).
Stratigraphie des craies coniaciennes
Au regard du nombre impressionnant de carrières souterraines creusées dans le sous-sol d’Arras et de ses faubourgs depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin du XVIIe siècle, on pourrait s’attendre à ce que la constitution géologique du sous-sol de la ville ait fait l’objet de nombreuses publications. Curieusement, il n’en est rien, à l’exception d’un travail récent de Bergerat et al. (2015). La première description, très courte, est fournie par Jules Gosselet (1881) dans le fascicule consacré aux Terrains secondaires de son « Esquisse Géologique du Nord de la France ». La craie d’Arras est attribuée à l’étage Sénonien. Il s’agit d’une « craie blanche, tendre, homogène, qui appartient au niveau inférieur de la zone à Micraster coranguinum caractérisé par la coexistence de l’espèce index et de l’Inoceramus involutus ». Les Annales de la Société géologique du Nord, consultées depuis leur création en 1870, contiennent seulement deux notes rédigées à l’occasion du levé de la Carte géologique à 1/80 000 (Gosselet, 1900, 1910), dans lesquelles on retrouve la même description. Enfin, la légende de la Carte géologique à 1/50 000 d’Arras (Delattre, 1969) n’apporte aucune information complémentaire. Que peut-on dire aujourd’hui ?
L’usage du terme Sénonien est abandonné dans les craies du bassin anglo-parisien au profit de la succession des étages Coniacien, Santonien, Campanien et Maastrichtien qui couvrent le même intervalle dans l’échelle des temps géologiques. Par ailleurs, l’assimilation de l’étage Coniacien à la zone d’échinides à Micraster cortestudinarium et, au-dessus, de l’étage Santonien à la zone à Micraster coranguinum en usage dans la notice de la carte géologique à 1/50 000 d’Arras (Delattre, 1969) n’est pas exacte. Depuis 1995, suivant les recommandations formulées par la Sous-Commission pour la Stratigraphie du Crétacé (Lamolda & Hancock, 1996), qui ont depuis été adoptées par la Commission Stratigraphique Internationale (Lamolda et al., 2014), la base du Santonien est définie par l’apparition de l’inocérame Cladoceramus undulatoplicatus (Roemer, 1849). Dans les craies du bassin anglo-parisien, l’apparition de l’espèce s’effectue dans la partie moyenne de la zone à M. coranguinum. L’étage Coniacien englobe la totalité de la zone à M. cortestudinarium et la moitié inférieure de la zone suivante à M. coranguinum.
L’examen de la figure 4 montre qu’une grande partie du sous-sol de l’Artois est constituée de craies à silex dont l’attribution stratigraphique varie du Turonien supérieur au Santonien. Le Turonien supérieur et la partie inférieure du Coniacien sont caractérisés par la présence de nombreux bancs durcis ou hardgrounds qui sont associés à une diminution du taux de sédimentation. Ces hardgrounds sont des niveaux précocement indurés lors de la cimentation du sédiment crayeux originel et qui ont pu servir de substrats durs lors du dépôt des couches sus-jacentes. Le sommet du Turonien supérieur et la base du Coniacien coïncident avec l’intervalle transgressif d’un cycle eustatique de 3e ordre superposé à une phase transgressive de 2e ordre (Gale, 1996) et la genèse de ces hardgrounds souvent très fossilifères s’inscrit dans ce contexte transgressif. La craie à niveaux durcis affleure largement le long de la partie septentrionale de la ride de l’Artois entre Saint-Omer et Liévin (Gosselet, 1911 ; Briquet, 1920 ; Amédro & Robaszynski, 2006).
Les deux tiers supérieurs du Coniacien et le Santonien sont en revanche représentés par une craie blanche, fine, tendre et traçante qui correspond à des dépôts sédimentaires fins, par décantation, dans un milieu d’offshore supérieur dans la mer de la craie, pendant une période de haut niveau marin (Amédro & Robaszynski, 2001 ; Amédro et al., 2006). C’est à cette craie blanche tendre, riche en lits de silex, que se rapporte le sous-sol d’Arras.
Si les travaux précurseurs de Jules Gosselet restent toujours valables, une nouvelle méthode de corrélation très précise a été élaborée durant les trente dernières années : la stratigraphie événementielle. Son principe est fondé sur la recherche, dans les successions sédimentaires, de niveaux repères à grande extension géographique utilisables pour des corrélations intra- ou inter-bassins. Ces niveaux repères sont caractérisés, dans les faciès crayeux étudiés ici, soit par une particularité lithologique (niveaux marneux de teinte sombre, bentonite, hardgrounds, lits de silex à Thalassinoides ou remarquablement épais…), soit par l’abondance momentanée d’un macrofossile (horizons riches en inocérames, échinides, spongiaires…). Il s’agit le plus souvent de la traduction lisible sur le terrain d’événements eustatiques, écologiques ou volcaniques. Le premier inventaire systématique des niveaux repères présents dans les craies à silex du Coniacien-Santonien de la partie septentrionale du bassin anglo-parisien a été réalisé, dans les falaises du Kent et du Sussex, où les affleurements sont continus, par Gale & Smith (1982), Bailey et al. (1983), Mortimore (1983, 1986), Robinson (1986), Jenkyns et al. (1994) et Mortimore et al. (2001). Les travaux ultérieurs d’Amédro & Robaszynski (2001, 2006), Amédro et al. (2006) et Bergerat et al. (2015) ont révélé la continuité de ces niveaux repères depuis le sud-est de l’Angleterre jusque dans le Boulonnais, l’Artois et les environs de Lille. La figure 4 résume la succession des principaux litho- ou bio-événements reconnus de part et d’autre de la Manche dans l’intervalle qui nous intéresse. Deux d’entre eux méritent une attention particulière : l’East Cliff Marl 2 et les Hope Point Marls.
- East Cliff Marl 2 (Gale & Smith, 1982). Ce niveau marneux beige, épais en moyenne de 4 cm, coïncide sensiblement avec la limite entre les zones d’échinides successives à Micraster cortestudinarium, puis à Micraster coranguinum. Les premiers inocérames appartenant aux genres Platyceramus et Volviceramus sont récoltés 2 m au-dessus de l’East Cliff Marl 2. L’apparition du genre Volviceramus étant le critère définissant la limite Coniacien inférieur-Coniacien moyen, c’est à ce niveau que doit être placée la limite entre les deux sous-étages.
- Hope Point Marls (Gale & Smith, 1982). Dans le Kent, il s’agit d’un faisceau de 5 niveaux marneux centimétriques échelonnés sur une hauteur d’1,50 à 2 m, dont trois seulement sont généralement bien exprimés. Les Hope Point Marls sont situés 6 à 7 m au-dessus de l’East Cliff Marl 2. Dans le Boulonnais, ces niveaux marneux, ainsi que l’East Cliff Marl 2, sont oblitérés et remplacés par de minces lits de silex tabulaires (Amédro & Robaszynski, 2006).
La figure 5 présente la suite lithologique visible dans plusieurs carrières souterraines du centre-ville d’Arras (les « Boves ») exploitées pour la pierre de taille entre les XIe et XIIIe siècles (puis utilisées comme lieux de stockage et caves), ainsi que dans la carrière Auckland située au sud-est de la ville (ancienne carrière souterraine de craie aménagée durant la Première Guerre mondiale). La coupe des Boves de la place des Héros et celle de la carrière Auckland ont déjà été décrites par nous-mêmes il y a quelques années (Bergerat et al., 2015). La succession composite mesure 20 m d’épaisseur.
La moitié inférieure de la suite lithologique, dans laquelle se situent les Boves de la rue Saint-Denis, de la place des Héros, de l’abbaye de Saint-Vaast et la partie inférieure de la carrière Auckland jusqu’au niveau 5,20 m, montre une craie blanche, tendre, fine, traçante, entrecoupée de lits de silex noirs décimétriques en rognons. Des silex digitiformes, épigénisant des bioturbations de type Thalassinoides, sont fréquents dans les Boves de l’abbaye de Saint-Vaast à 0,50 m. Un lit plus épais et plus dense de gros silex, dont certains atteignent 30 cm, constitue le toit de la plupart des chambres et galeries dans la carrière Auckland, au niveau 2,70 m. Mais la principale particularité de cet intervalle est la présence de trois lits de silex tabulaires noir, à cortex gris-blanc. Les deux lits supérieurs sont bien exprimés, tandis que le lit inférieur tend à s’effilocher par endroits. Cet ensemble de trois lits de silex tabulaires, échelonnés sur une hauteur de 4 m, constitue un excellent repère visuel que l’on peut suivre dans toutes les carrières. Les fossiles trouvés en place sont les suivants :
- sous la rue Saint-Denis : un bivalve rapporté au genre Pinna à 3,65 m ;
- sous la place des Héros : un échinide spatangoïde identifié comme Micraster coranguinum (Leske, 1778) au niveau –1,50 m ;
- sous l’abbaye de Saint-Vaast : Micraster coranguinum à 2,35 m, associé à un lit de fragments de coquilles d’inocérames appartenant à l’espèce Platyceramus mantelli (de Mercey, 1872) et, à 4,80 m, Volviceramus involutus (J. de C. Sowerby, 1829).
À ces fossiles, il convient d’ajouter un banc riche en inocérames (P. mantelli et V. involutus), situé 1,80 m au-dessus du lit de silex tabulaire le plus élevé et qui affleure au plafond du tunnel reliant les carrières Auckland et Wellington, à la sortie de celui-ci (côté Wellington).
La moitié supérieure de la suite lithologique est visible uniquement dans la carrière Auckland (intervalle 5,20 m – 13,10 m de la coupe partielle) grâce à la présence, dans une des chambres d’extraction, d’un escalier remontant à la surface. On observe ici aussi une craie blanche, tendre, fine, traçante, mais la succession lithologique est un peu différente de celle décrite dans l’intervalle précédent, les silex devenant moins fréquents, deux lits étant simplement observés aux niveaux 8,20 m et 9,00 m. Au point de vue paléontologique, quatre lits riches en fragments d’inocérames (Platyceramus mantelli) existent à 7,40 m, 9,20 m, 10,20 m et entre 12,20 m et 12,90 m. De nombreuses éponges limonitisées sont également présentes à 10,20 m et à 12,60 m.
En définitive, si l’attribution des craies à silex d’Arras à la zone à Micraster coranguinum proposée par Jules Gosselet en 1881 reste exacte, il est aujourd’hui possible de préciser leur position au sein de la succession stratigraphique. La récolte de plusieurs Micraster coranguinum et Volviceramus involutus, associés à de nombreux fragments de Platyceramus mantelli, montre que l’on se trouve au-dessus de l’East Cliff Marl 2. Ceci permet d’interpréter le faisceau de trois lits de silex tabulaires comme représentant les Hope Point Marls définis dans le Kent par Gale & Smith (1982). De façon comparable à ce que l’on observe dans le Boulonnais, les niveaux marneux sont oblitérés par une silicification. Et, comme le Kent au sud-est de l’Angleterre, les Hope Point Marls sont surmontées de plusieurs lits riches en débris d’inocérames (Platyceramus et Volviceramus). On se trouve dans le Coniacien moyen, à la base de la zone d’échinides à Micraster coranguinum.
La fracturation de la craie observée dans les carrières souterraines
Observations et mesures
L’exploitation de la craie dans les carrières d’Arras a été largement guidée par la fracturation. Une étude détaillée de quatre carrières dans le faubourg de Ronville (Auckland, Wellington, Nelson, Blenheim, voir localisation figure 2) a permis de cartographier et de mesurer avec précision les fractures et d’en caractériser les mécanismes (Bergerat et al., 2015). Au total, 1715 failles et diaclases ont été mesurées mettant en évidence deux familles directionnelles importantes, représentant plus de 60 % des mesures :
- une famille N 160°-180°E de grands décrochements senestres
- une famille N 105°-125°E, comprenant de très nombreuses et longues diaclases ainsi que des failles normales.
Les autres fractures sont des diaclases, beaucoup plus dispersées en direction et peu développées spatialement (de dimension généralement métriques).
La carrière Blenheim a été visitée pendant l’excursion (cf. infra). Les mesures et observations faites dans les autres carrières peuvent être trouvées dans Bergerat et al. (2015).
Régimes de contrainte et chronologie
Les failles mesurées dans les carrières de Ronville ont été analysées en termes de tenseur de contraintes, caractérisant ainsi le régime dans lequel elles se sont formées : extensif ou décrochant. Le lecteur peu familier avec l’analyse des régimes de contraintes peut se reporter, par exemple, à l’article d’Angelier (1989) où les principes sont énoncés en détail ; on rappellera juste ici que l’état de contraintes liées à la création des failles est classiquement représenté par un ellipsoïde dont les axes sont les contraintes principales σ1, σ2 et σ3 et caractérisé par un « rapport de forme » Φ = σ2 – σ3/ σ1 – σ3 (fig. 6). Le tenseur des contraintes décrit l’orientation et les magnitudes des trois axes principaux. Dans un dispositif de failles néoformées (cisaillements conjugués), les deux familles de failles contiennent l'axe σ1 et ont pour bissectrices les axes σ2 et σ3.
Les traces de mouvement portées par les failles dans l’ensemble des quatre carrières étudiées révèlent l’existence d’au moins deux régimes tectoniques bien marqués :
- un régime décrochant, représenté par les décrochements senestres subméridiens et caractérisé par un état de contrainte grossièrement en compression NW-SE/extension SW-NE (fig. 7) ;
- un régime extensif, marqué par quelques failles normales conjuguées ESE-WNW – direction qui est aussi celle des abondantes diaclases – et caractérisé par un état de contrainte en extension NNE-SSW (fig. 8).
Cependant, malgré l’existence de ces deux familles de fractures nettement contrastées tant par leurs directions que par leurs mécanismes, il est très délicat d’établir une chronologie des régimes tectoniques identifiés dans les carrières d’Arras :
- quand il est possible d’observer les recoupements de factures dans les piliers ou au ciel de carrière, on note parfois – mais pas systématiquement – un recoupement des plans ESE-WNW par les plans subméridiens, ce qui signifierait que ces derniers sont postérieurs ;
- la continuité spatiale est également plus importante pour les plans subméridiens (dans la carrière Wellington en particulier).
Néanmoins, les plans d’azimut (noté az. dans la suite du texte) 105°-125° étant majoritairement des diaclases, le fait qu’ils ne traversent pas les plans d’az. 160°-180° n’est pas une preuve de leur antériorité, ils peuvent en effet leur être postérieurs et venir buter contre eux. Et par ailleurs, dans la carrière Blenheim, ces mêmes plans ESE-WNW se suivent sur des distances équivalentes à celles des plans subméridiens.
En fait, le plus souvent, les plans des deux familles se coupent sans qu’aucun décalage ne soit observé et sans que l’une des familles vienne se terminer contre l’autre. Il est donc, au final, impossible d’établir une chronologie relative à partir des recoupements de fractures.
Par ailleurs, les superpositions de stries sur les fractures sont extrêmement rares, seules 9 ont été observées sur les 200 plans striés mesurés dans l’ensemble des carrières étudiées… et elles ne sont pas concluantes.
Enfin, on remarque que, si les plans N 160°-180° E constituent une famille de décrochements senestres remarquable, il n’est pratiquement jamais observé de famille dextre conjuguée (5 décrochements dextres au total ont été observés dans l’ensemble des 4 carrières mesurées et ce avec des critères de sens peu fiables), or celle-ci, conformément aux propriétés mécaniques de la craie (angle de frottement interne ~ 30°) devrait avoir une direction proche de ESE-WNW. Si les diaclases N105°-125° E étaient antérieures aux décrochements senestres, elles auraient pu, vu leur direction et leur pendage particulièrement favorables, être très facilement remobilisées dans un état de contrainte en compression NW-SE/extension NE-SW, or ceci n’a pas été observé.
Finalement le seul élément de chronologie fiable est l’âge des terrains affectés ! Ceux-ci étant datés du Coniacien, les deux événements tectoniques reconnus sont forcément syn- ou post-Crétacé supérieur… ce qui laisse beaucoup de possibilités quant à leur âge !
Discussion sur l’âge des épisodes tectoniques
En prenant en compte l’ensemble des informations disponibles (données recueillies dans les carrières d’Arras et observations dans le Nord-Ouest européen), plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
- L’antériorité du régime extensif. Elle serait cohérente avec une extension qui perdurerait pendant tout ou partie de la subsidence thermique du Crétacé supérieur, comme cela a été proposé ailleurs dans le Nord-Ouest européen (Vandycke, 2002) ; les mouvements senestres subméridiens pourraient alors être liés à la période d’inversion tertiaire marquée ici dans la craie par des jeux de décrochements et non par des failles inverses. Mais alors pourquoi n’y a-t-il pas de rejeux dextres des plans ESE-WNW pourtant nombreux et bien orientés ?
- L’antériorité du régime décrochant. Toujours dans l’hypothèse où il correspondrait à la phase d’inversion tertiaire, l’événement distensif NNE-SSW serait alors un épisode tectonique tardif, peut-être mio-pliocène, comme la tectonique proposée en Angleterre par Bevan et Hancock (1986) et responsable de structures majeures telles que le fossé du Rhin inférieur (Lower Rhine Embayment). Il est à noter que la direction ESE-WNW des failles normales est également bien marquée dans le réseau hydrographique régional.
- L’existence d’une seule phase tectonique, produisant à la fois un système de décrochements senestres et des failles normales. Si on analyse en termes de tenseur de contraintes l’ensemble des plans senestres subméridiens et des plans normaux ESE-WNW (fig. 9), on obtient un axe d’extension (σ3) d’azimut 23° et un ellipsoïde des contraintes « en galette » autour de cet axe (rapport de forme Φ proche de 1), c’est-à-dire des magnitudes similaires pour les contraintes σ1 et σ2, le changement de régime résultant alors d’une simple permutation entre ces deux axes, (e.g. Angelier & Bergerat, 1983). Cette hypothèse permettrait d’expliquer à la fois l’absence de mouvements dextres sur les plans ESE-WNW et les chronologies relatives contradictoires observées. L’absence de rejeux observables sur les fractures laisserait à penser qu’il s’agit d’une tectonique récente, probablement syn- et/ou post-Miocène.
Compte rendu de l’excursion SGN à Arras du samedi 21 octobre 2023
Le matin : les Boves de la place des Héros au centre-ville d’Arras
La journée d’étude du samedi 21 octobre 2023 a réuni 16 membres de la Société. Après accueil des participants sur la place des Héros, devant le beffroi de l’hôtel de ville, la matinée a débuté par une présentation générale de l’excursion, suivie par la descente dans les Boves de la place des Héros.
Suivant le Dictionnaire du Moyen Français (Greima & Keane, 2007), le terme de bove, aujourd’hui désuet, est synonyme de grotte, caverne ou souterrain. Il proviendrait du latin hypogea, littéralement « sous la Terre ».
Ce premier arrêt, axé sur la stratigraphie, a permis d’observer la partie inférieure de la succession lithologique, en particulier les alternances craie blanche-lits de silex, ainsi qu’un ensemble de trois lits de silex tabulaires interprété comme les Hope Point Marls.
La craie blanche d’Arras, tendre, fine et tachant les doigts, est essentiellement composée de coccolithes ou de fragments de ces derniers, c’est-à-dire de petites couronnes de quelques millièmes de mm de diamètre, formées elles-mêmes de minuscules pièces de carbonate de calcium cristallisé en calcite. Ces coccolithes étaient à l’origine assemblés en coccosphères sécrétées par des algues unicellulaires vivant à l’intérieur. Après la mort de l’algue, les coccosphères tombent vers le fond marin en formant une vase, ou boue crayeuse, au fond de la mer. On estime le taux de sédimentation après compaction à 0,025 mm par an, soit 2,5 cm par millier d’années (ka) (Gale & Kennedy, 2002), ce qui correspond à un dépôt initial de boue crayeuse d’environ 7 à 8 cm/ka, la vase contenant en moyenne 70 % d’eau. La compaction ultérieure due au poids des sédiments a chassé l’eau entre les éléments, aboutissant à la genèse de la craie. On estime généralement que la craie blanche à silex du Coniacien-Santonien du bassin anglo-parisien s’est déposée à une profondeur de l’ordre de plusieurs centaines de mètres (entre 100 et 500 m) sans qu’il soit possible d’être plus précis (Mortimore et al., 2001). La porosité de la craie coniacienne est élevée (30 à 40 % du volume), ce qui lui permet d’héberger une importante nappe phréatique à l’échelle régionale : celle du Turonien supérieur-Coniacien qui est une nappe libre.
Les lits de silex soulignent des horizons bioturbés. Les silex, à cassure conchoïdale de teinte noire et à cortex crayeux blanc, sont constitués de silice essentiellement sous forme de calcédoine. Dans certains cas, il s’agit de silex digitiformes : la silice envahit des traces fossiles de fouisseurs ; le cas le plus fréquent se rapporte aux bioturbations de crustacés callianasse : les Thalassinoides. Dans le cas des silex en rognons, la silice déborde les bioturbations et l’on ne peut plus voir leur forme originelle. Les alternances craie-lits de silex, épaisses en moyenne de 0,50 m à 2 m, sont probablement le reflet de cycles astronomiques (cycles de précession des équinoxes d’environ 20 000 ans entraînant des variations périodiques de la concentration en silice au sein des mers et océans). La quantité de silice captée par les organismes (éponges, radiolaires) serait plus importante lors des époques de plus faible insolation, correspondant à des minima de productivité des formes planctoniques carbonatées comme les coccolithes. Cette silice très soluble se dissout et se concentre dans les zones à oxygène réduit sous la surface du sédiment et envahit petit à petit les bioturbations où elle se dépose sous forme d’opale évoluant ensuite en calcédoine (Robaszynski & Amédro, 2003). Les alternances niveaux marneux-bancs crayeux du Cénomanien, bien visibles dans les falaises des côtes de la Manche, résultent d’un mécanisme identique. L’évolution du rapport des isotopes de l’oxygène (18O/16O) au sein de ces cycles a permis d’estimer à 4 °C la différence de température des eaux superficielles entre le dépôt des niveaux marneux (plus froids) et des bancs crayeux (plus chauds) (Gale et al., 1999).
Les silex tabulaires sont quant à eux continus et présentent une grande extension géographique allant des falaises de la Manche à l’Artois et aux environs de Lille. Dans le cas présent, il semble qu’il s’agisse à l’origine de niveaux marneux (les Hope Point Marls du sud de l’Angleterre) qui seraient oblitérés par une silicification côté France. L’origine de cette transformation n’est pas élucidée.
L’après-midi : les carrières Auckland, Bleinheim et Wellington dans le faubourg de Ronville
Après un repas convivial qui a permis aux participants d’avoir des discussions fructueuses, notre groupe a pu accéder, en passant par la carrière Wellington à laquelle elle est connectée par un tunnel, à la carrière Auckland qui, en temps normal, n’est pas ouverte au public, afin d’observer les parties moyenne et supérieure de la succession lithologique.
On retrouve près du plancher de la carrière le lit de silex tabulaire le plus élevé des Hope Point Marls et, 1,80 m plus haut, un niveau riche en Volviceramus involutus et surtout Platyceramus mantelli (fig. 10). Deux mètres au-dessus du sol, un lit de gros silex pluridécimétriques constitue le toit des galeries de la carrière. La suite crayeuse est ici identique à celle observée dans les Boves de la place des Héros. Un escalier remontant vers la surface (sortie 7) permet cependant d’atteindre des niveaux plus élevés. Les silex se raréfient, tandis que la craie présente deux niveaux riches en éponges de type Stauronema et Paraplocia (« Plocoscyphia » auct.) et surtout quatre lits pluricentimétriques constitués de débris de grands inocérames plats rapportés à l’espèce Platyceramus mantelli. La particularité de ce taxon est la taille de la coquille qui peut atteindre 1 m2. Cette forme plate d’inocérame à test mince devait vivre à plat sur des vases molles. La récolte de plusieurs Micraster coranguinum, des échinides spatangoïdes vivant enfouis dans des substrats de vase fine, confirme la nature semi-fluide du sédiment.
En revenant sur nos pas, puis en traversant la carrière Wellington et la carrière Nelson, on atteint la carrière Bleinheim, également non accessible au public, où s’est poursuivie notre excursion orientée maintenant vers les aspects tectoniques.
Le bon état de la carrière et ses dimensions ont permis d'effectuer un relevé quasi exhaustif des fractures majeures, plurimétriques, même si le plan anglais disponible est assez grossier. Les côtés des piliers sont très fréquemment des plans de fractures de même que les parois rocheuses en limite de la carrière sont souvent constituées par des plans remarquablement réguliers sur de grandes distances (fig. 11A).
Trois sortes de fractures peuvent être observées dans la carrière Blenheim :
- des diaclases, c’est-à-dire des fractures sans déplacement visible à l’œil nu des deux compartiments séparés ; elles sont subverticales (fig. 12A et B),
- des décrochements, subverticaux également, (fig. 12A, B et C) séparant des compartiments qui se sont déplacés horizontalement l’un par rapport à l’autre et portant des stries matérialisant la direction du mouvement – et donc horizontales,
- des failles normales, assez rares et en général plutôt redressées (en moyenne 70°), séparant deux compartiments qui se sont déplacés verticalement l’un par rapport à l’autre (le compartiment au-dessus de la faille se déplaçant vers le bas par rapport au compartiment situé en-dessous) et portant des stries dip-slip (suivant la ligne de plus grande pente).
Il n’existe pas, ici, de critères (tels des décalages d’objets) permettant de chiffrer le rejet des décrochements ; ceux des failles normales, quand ils sont visibles, c’est-à-dire quand ils décalent des lits de silex, sont de l’ordre de quelques centimètres (fig. 13).
Les critères permettant de déterminer le sens de mouvement sur les plans de failles ont été décrits par de nombreux auteurs depuis Vialon et al. (1976), ceux utilisés ici – pratiquement les seuls existants dans les craies coniaciennes d’Arras – sont les zones striées et abritées et les traces d’objets striateurs. Les plans de failles, même quand ils sont très plats comme c’est le cas ici, présentent cependant de petites irrégularités de surface, celles qui sont en amont du mouvement du compartiment manquant sont striées par le frottement alors que celles situées en aval sont protégées et ne présentent pas de stries (fig. 14A et 15A). Il arrive également que des objets plus durs que la surface du plan de faille – dans le cas présent, il peut s’agir de petits morceaux de silex – marquent cette surface par des rainures plus ou moins prononcées, on les trouve parfois à l’extrémité de ces rainures mais la plupart du temps, ils ont disparu lors du dégagement des surfaces (fig. 14B et 15B)
Les directions de fractures (405 failles et diaclases mesurées ; fig. 11B) se distribuent en deux familles, autour des azimuts 110° et 170°, avec une prépondérance visible de la famille 110° : 49 % des fractures ont un azimut compris entre 100° et 125° et 15 %, un azimut compris entre 165° et 180°. Près de 65 % des fractures appartiennent ainsi aux deux familles principales. Le reste des mesures est, comme dans les autres carrières, assez dispersé.
Les nombreux plans subméridiens portent les traces, en général très bien conservées, d’un jeu senestre mais aucun jeu conjugué dextre n’a pu être observé. Les plans d’az. 100°-130° sont, comme dans les autres carrières, généralement très redressés et sont, pour l’essentiel, des diaclases et pour le reste des failles normales. Une discussion s’engage sur l’âge et les relations entre les différentes familles de fractures… la question reste ouverte !
La visite se termine enfin dans la carrière Wellington où un guide nous retrace les aspects historiques liés à la « Grande Guerre » (Première Guerre mondiale). Il aurait été dommage de ne faire que de la géologie dans ces sites. Les participants vigilants ont pu y reconnaître au passage les lits de silex ainsi que les failles et diaclases vus dans les autres carrières au fil de la journée. Un film retraçant les étapes de la bataille d’Arras conclut cette visite.
La dispersion des participants a lieu à 17 heures, en attendant de se retrouver pour une future autre excursion.
Remerciements : Les paragraphes concernant l’histoire de l’exploitation et de l’utilisation des carrières d’Arras, de l’Antiquité aux conflits mondiaux du XXe siècle, sont largement redevables aux travaux d’Alain Jacques et Mathieu Béghin (service archéologique municipal d’Arras). Merci à Patrick Auguste (université de Lille) qui nous a renseigné sur l’origine du terme « boves ». Et enfin tous nos remerciements à Pascal Loosfelt (office du tourisme d’Arras) pour son aide dans la préparation logistique de l’excursion.
Les * marquent les articles ou ouvrages permettant d’en savoir plus sur les aspects géologiques et extra-géologiques des carrières d’Arras.