Introduction
Sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille (MEL), le contact géologique entre la série tertiaire du Paléocène (Thanétien, régulièrement nommé « Landénien ») discordante sur la craie du Crétacé supérieur (Turonien-Coniacien) est un important marqueur géologique régional. En considérant que le dernier dépôt de craie s’est fait il y a environ 75 millions d’année (Ma) durant le Campanien (Amédro & Robaszynski, 2014) et que le premier dépôt du Paléocène est daté autour de 56-60 Ma, la surface de contact entre ces deux formations caractérise une importante lacune temporelle de l’ordre de 15 à 20 Ma.
D’après les données des cartes géologiques de Lille-Halluin (Sangnier et al., 1968), Carvin (Desoignies & Sangnier, 1968) et Saint-Amand-Crespin-Mons (Desoignies et al., 1973), la craie apparaît largement au Sud de la MEL le long de la structure anticlinale du Mélantois (Fig. 1). Comme pour l’essentiel du territoire des Hauts-de-France, cette craie affleure rarement directement car elle est fréquemment recouverte de plusieurs décimètres voire quelques mètres d’une formation limoneuse rousse rattachée au Quaternaire sous la couverture superficielle de sol (Lacquement et al., 2004 ; Waterlot, 1969). Ces limons sont considérés comme correspondant aux dépôts de la dernière grande période glaciaire du Pléistocène supérieur (Weichsélien ou Würm ; 125-11 ka) (Deschodt, 2012 ; Sommé, 1977).
Le contact entre la craie du Crétacé supérieur et le Tertiaire est rarement observé car la topographie modérée, la faible incision des cours d’eau, l’urbanisme, et l’agriculture ne permettent pas de bonnes conditions d’affleurement. En considérant l’âge paléogène des buttes témoins des Monts de Flandres et de Mons-en-Pévèle (Steurbaut & Nolf, 2021; Waterlot, 1969), respectivement au Nord et au Sud du Mélantois, il est probable que l’essentiel du Paléocène qui était présent dans l’axe du Mélantois ait été érodé par la surrection de ce dernier. Les seules informations dont on dispose pour analyser le contact tuffeau/craie proviennent alors de données ponctuelles liées à des sondages ou des forages, ainsi que de rares descriptions effectuées lors de travaux tels que la tranchée de l’autoroute A1 à Lesquin (Fig. 1, étoile jaune) (Bonte, 1957) ou le chantier de construction de la Cité Scientifique de Villeneuve d’Ascq (Fig. 1, étoile bleue) (Bonte, 1966), chaque fois au niveau de lambeaux de Thanétien préservés sur la craie du Mélantois.
Pendant une année complète (mai 2020 – mai 2021), le contact tuffeau/craie a pu être observé dans des conditions exceptionnelles à l’occasion d’un important chantier de terrassement préalable à l’édification de bâtiments commerciaux et de bureaux aux limites des villes de Lezennes et de Villeneuve d’Ascq (Fig. 1, étoile rouge). Une note préliminaire de description de l’affleurement éphémère avait confirmé la présence de la série thanétienne en concordance sur la craie (Meilliez and Graveleau, 2020). Aucun accident structural n’avait cependant été observé. Grâce au concours bienveillant des acteurs immobiliers du projet (Société AVENTIM), du bureau d’étude sous-sol (SEMOFI) et de l’entreprise de terrassement (RENARD), il a été possible d’accéder régulièrement aux fouilles du chantier et de recueillir de précieuses observations au cours de l’avancement des travaux. Les observations réalisées permettent d’apporter des éléments à l’histoire géologique du Mélantois.
En supplément des apports pour la compréhension de l’évolution géologique régionale, nos observations présentent aussi un intérêt sociétal important, en particulier pour l’hydrogéologie avec la gestion des ressources en eau. La MEL prélève actuellement 30-40 % de ses besoins en eau dans les champs captants du secteur Emmerin-Houplin-Ancoisne-Wavrin (Fig. 1). L’aquifère de la craie y est fracturé et localement « libre » en l’absence de Tertiaire au toit, mais il est rapidement « captif » vers l’Ouest et le Sud lorsque les séries gréso-argileuses du Paléocène le recouvre (Journet & Ramon, 1971). Ces paramètres sont d’une importance cruciale pour la gestion quantitative et qualitative de la ressource en eau. Mieux comprendre la géologie du Mélantois, et notamment le lien entre la craie et la série paléocène qui la recouvre, permet donc de mieux comprendre l’hydrodynamique du réservoir en eau de la MEL.
Par ailleurs, le territoire sud métropolitain de Lille est largement sous-cavé (Cercle de Recherche Historique Lezennois, 2009) et donc soumis à des risques de mouvements de terrain liés à l’effondrement d’anciennes carrières souterraines d’exploitation de la craie (carrières de types « catiches » et de type « chambres et piliers »). Ce risque est actuellement traité par un service commun de la Ville de Lille et de la MEL. Mieux comprendre la géologie du Mélantois, et notamment l’organisation des réseaux de fracturation (failles, diaclases) qui parcourent la craie, est important pour caractériser les mécanismes conduisant à la dégradation des cavités (Rafeh, 2015 ; Ramadan, 2016).
Enfin, la structure du Mélantois est jugée comme tectoniquement active sur la période récente du Quaternaire (Sommé, 1977 ; Waterlot, 1960). De fait, elle est considérée comme potentiellement sismogénique par l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) dans sa base de données compilant l’aléa sismique sur le territoire de la France métropolitaine (Jomard et al., 2017) (https://bdfa.irsn.fr/). Mieux comprendre la géologie du Mélantois, et notamment les géométries, sens de déplacement et histoires des failles qui le parcourent, est important pour caractériser l’histoire structurale et les mécanismes de soulèvement de l’anticlinal du Mélantois au cours du temps et ainsi évaluer son éventuelle activité tectonique récente.
Grâce aux observations réalisées sur ce chantier, nous avons pu préciser la nature et la géométrie du contact entre la craie et sa couverture tertiaire. Notre étude vise ainsi à caractériser et à documenter ce contact par des descriptions de la succession sédimentaire dans l’objectif d’apporter des éléments sur la paléogéographie et les paléoenvironnements régionaux. Quelques observations préliminaires sur les structures tectoniques (failles) observées sont présentées, mais elles seront détaillées dans une prochaine publication.
Géologie du Mélantois et de la discordance Crétacé/Tertiaire
Le « Dôme du Mélantois-Tournaisis » (Gosselet, 1905) est une structure géologique anticlinale, orientée E-W en carte, avec un très fort angle d’ouverture qui délimite au sud l’agglomération lilloise (Fig. 1). En carte, l’affleurement des séries crétacées sépare les bassins tertiaires d’Orchies au sud et des Flandres au Nord. Les séries du Crétacé reposent directement en discordance sur le socle primaire structuré durant l’orogenèse hercynienne (Minguely, 2007; Pruvost, 1914; Waterlot, 1969). Ce socle primaire n’affleure pas dans le Mélantois où il est seulement connu en sondage à une profondeur de l’ordre de 10 m à l’Est et 40-50 m à l’Ouest, en charnière de l’anticlinal (Ortlieb, 1884), mais il affleure vers l’Est en Belgique, en direction de Tournai (Hennebert, 1998).
En surface, l’anticlinal du Mélantois est accompagné de failles longitudinales (Faille de Seclin et Faille d’Haubourdin – Fig. 1), d’orientation N110 à N120. Ces failles sont dues au rejeu de structures hercyniennes profondes et affectent pour certaines la base de la couverture crétacée (Beckelynck, 1981 ; Besbes & Talbot, 1984 ; Bessières et al., 2015 ; Waterlot, 1960, 1969). Rarement visibles à l’affleurement, ces failles sont surtout contraintes par l’analyse des données de sondages utilisant le marqueur de la base de la craie comme horizon repère (Desoignies & Sangnier, 1968 ; Dezwarte et al., 1965 ; Sangnier et al., 1968) (Fig. 1). Des couloirs de fracturation qu’occasionnent les failles dans la craie peuvent cependant être observés à l’occasion d’excavations de carrières pérennes à Haubourdin (Dezwarte et al., 1965 ; Fenet, 1965) ou éphémères à Sainghin-en-Mélantois (Colbeaux et al., 1975).
Les observations sur le terrain du contact entre le tuffeau thanétien et la craie demeurent assez rares mais les cartes géologiques indiquent toutefois que le Thanétien repose sur différents faciès du Crétacé supérieur sur le Mélantois (Fig. 1). À l’Ouest, dans le secteur de Lesquin-Ronchin-Lezennes, le Thanétien repose sur la craie blanche du Coniacien tandis que vers l’Est, dans le secteur de Sainghin-en-Mélantois, il repose sur la craie grise/glauconieuse du Turonien supérieur. Encore plus à l’est, dans le secteur de Bourghelles, le Thanétien repose même directement sur le Turonien moyen-inférieur (des marnes ou « Dièves » dans la terminologie régionale). La variabilité latérale des âges des terrains sur lequel repose le Thanétien illustre donc une discordance cartographique du Thanétien sur une surface d’abrasion postérieure au Coniacien. La craie a donc été plus ou moins érodée avant le dépôt des sédiments marins thanétiens.
Sur le terrain, seules les constructions de l’autoroute A1 (Bonte, 1957) et de la Cité Scientifique à Villeneuve d’Ascq (Bonte, 1966 ; Fenet, 1965) (Fig. 1), ont conduit à des descriptions détaillées des caractéristiques géologiques du contact tuffeau/craie dans le secteur du Mélantois. Ainsi, tout d’abord, la surface de contact apparaît « généralement normale, avec intercalation d’un lit de silex roulés souvent de grande taille » (Bonte, 1957). Fenet (1965) confirme que le Thanétien repose « par l’intermédiaire d’une surface strictement plane et faiblement altérée, sur la craie blanche dont la partie supérieure est parcourue par des tubulures à remplissage landénien ». Ces « tubulures », pénétrant dans la craie sur une profondeur de 50 cm environ, ne sont pas décrites plus en détail. En outre, Bonte (1965) indique que la surface de la craie se présente sous deux aspects. Là où le tuffeau est préservé au toit de la craie, cette dernière est « pratiquement inaltérée et sa surface est absolument régulière ». Au contraire, là où le tuffeau est absent, la surface de la craie est irrégulière et caractérisée par une frange d’altération appelée « marnettes ». Enfin, sur le site de la Cité Scientifique (étoile bleue, Fig. 1), des poches de dissolution ont été observées dans la craie, avec ou sans la présence de couverture thanétienne. De largeur métrique à décamétrique et profondes de plusieurs mètres, ces poches affaissent le toit du tuffeau et ont ponctuellement permis la préservation des Argiles de Louvil. Au niveau de ces poches de dissolution, le contact tuffeau/craie apparaît souligné par un liseré noir d’argiles riches en oxydes de manganèse caractéristiques d’une « dissolution lente sous couverture » (Bonte, 1966). Ces poches de dissolution affaissent la base des couches du Thanétien ainsi que les limons superficiels rattachés au Quaternaire. L’activité de ces poches de dissolution apparaît donc comme très récente (Quaternaire).
Méthodologie
A la faveur de travaux importants réalisés à proximité du Stade Pierre Mauroy de Lille sur le site de la « Borne de l’Espoir » (Fig. 2), il a été possible de visiter régulièrement l’important chantier de terrassement. La parcelle aménagée se trouve au-dessus d’une partie des sites historiques de l’exploitation de la « Pierre de Lezennes », dédiés à l’extraction de la craie du Coniacien dans des carrières souterraines (Amédro & Robaszynski, 2006 ; Cercle de Recherche Historique Lezennois, 2009). Le terrassement avait pour objectif d’excaver le terrain sur plus de 15 m jusqu’à la base des carrières, puis de remblayer l’ensemble afin de reconstruire un terrain affranchi de potentiels problèmes d’effondrements de cavités.
D’après les relevés de la Banque de données du Sous-Sol (BSS) accessibles sur la plateforme InfoTerre du BRGM (https://infoterre.brgm.fr/), quelques sondages sur la bordure ouest de la zone du chantier (BSS000BLSA, BSS000BLPJ, BSS000NLPL et BSS000BLPP – Fig. 1) indiquent en moyenne la présence d’un Thanétien gréseux et glauconieux à une profondeur de 2 m sous une épaisseur d’1,5 m environ de quaternaire limoneux brun. Ensuite, la craie atteinte vers 4-5 m de profondeur passe aux marnes (Dièves) vers 18 m de profondeur.
Il a été possible de visiter une douzaine de fois le chantier au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Les opérations de terrassement ne pouvant s’arrêter durant nos visites, ces dernières ont dû être réalisées très rapidement et ont reposé essentiellement sur l’observation directe des fronts de tailles dégagés, le relevé régulier de mesures structurales et le prélèvement d’échantillons. L’usage de photographies géoréférencées a permis de replacer l’ensemble des observations dans un même cadre cartographique. Enfin, des données aéroportées (vidéos de survol, topographie par reconstitution photogrammétrique) issues de relevés de drones réalisés par l’entreprise GEO2R (https://www.geo2r.com/home) nous ont été gracieusement fournies par l’entreprise de terrassement. L’analyse de ces données a permis un suivi quantitatif précis de l’interface tuffeau/craie. Les résultats seront détaillés dans une publication ultérieure.
Description du contact sédimentaire
À l’image de ce qui avait pu être observé ponctuellement à Lesquin (Bonte, 1957) et Villeneuve d’Ascq (Bonte, 1966) et reporté ci-dessus, nous avons observé un contact stratigraphique très net entre le Coniacien crayeux (Amédro & Robaszynski, 2006) et le Thanétien gréseux (Sangnier et al., 1968) en raison du contraste de couleur entre les deux formations (Fig. 3). À l’échelle de l’ensemble de l’emprise du chantier, soit ~ 100 000 m2 (10 ha), le contact apparaît remarquablement plan et d’apparence peu ou pas incliné. Aucune discordance angulaire évidente n’est observée entre les deux séries qui présentent au premier ordre un pendage sub-horizontal de part et d’autre de l’interface. Aucune franges d’altération dans la craie (marnettes) ni aucune poches de dissolution franches n’ont été constatées ; contrairement au site de la cité scientifique situé à seulement 600-800 m vers l’Est (Bonte, 1966). Cette observation tend donc à confirmer la conclusion que la craie est dépourvue de « marnettes » dans sa partie supérieure au contact avec les limons du Quaternaire dès lors que le tuffeau est présent (Bonte, 1966). Celui-ci a sans doute agit comme un écran protecteur à l’altération durant les périodes glaciaires.
L’analyse détaillée des affleurements a permis de constater que le Thanétien est constitué à sa base d’un dépôt sableux, en plaquettes, mal consolidé avec une proportion variable de craie remaniée dans sa matrice. Localement, ce dépôt montre des stratifications obliques à faible pendage (10-20°) (Fig. 4A). Ces dépôts passent vers le haut à des silts argileux fortement bioturbés.
La surface de contact entre le tuffeau et la craie est localement marquée par la présence de galets noirs de silex (Fig. 4B) et également de galets remaniés de la craie sous-jacente. Franchement émoussés mais non sphériques, les galets de silex témoignent a priori d’un transport modéré sur la surface de contact. Bonte (1957) en avait également observé le long de la tranchée de l’Autoroute A1. De même des granules de silex (appelées « yeux de crapaud » dans la littérature régionale) ont également été observés sur cette surface de contact (Fig. 4C), tout comme quelques rares stratifications obliques à la base de la série thanétienne (Fig. 4D). Ces stratifications obliques présentaient un pendage apparent vers le Sud.
Dans les 20 centimètres du toit de la craie, de très nombreux vestiges de terriers et galeries d’organismes fossiles sont présents (Fig. 5). Ces terriers sont remplis de sédiments grossiers analogues au tuffeau, et contiennent fréquemment des graviers de silex et des fragments de craie (Fig. 5B-C). D’après nos observations, les terriers forment un réseau de type Thalassinoides isp, probablement formé par des crustacés décapodes marins (principalement des crabes). Associé à un remplissage de sédiments clastiques sur une surface de ravinement, ce réseau correspond à l’ichnofaciès Glossifungites (Frey & Seilacher, 1980), ce qui souligne le caractère ferme mais non lithifié du sédiment (firm-ground) lors de l’activité de fouissage des organismes (MacEachern et al., 1992) (Fig. 6). La plupart des sections de terriers sont sub-circulaires mais certaines présentent une forme elliptique.
Description du contact tectonique par faille
La surface de contact entre la série détritique du Thanétien et la craie du Coniacien est particulièrement nette et constitue donc un excellent repère pour identifier des déformations qui l’ont affectée. Plus particulièrement, elle représente un excellent marqueur pour estimer l’amplitude des éventuels rejets verticaux, le sens du jeu sur des failles, et donc leur cinématique (Fig. 6). Dans Meilliez & Graveleau (2020), aucune mention de déformation n’avait été reportée en raison de l’analyse extrêmement partielle qu’offrait le point de vue depuis l’extérieur du chantier. Au cours des différentes visites menées par la suite, de nombreuses failles ont pu être observées, mesurées, et certaines ont pu être suivies latéralement au cours de la progression du terrassement. L’analyse détaillée de la géométrie et de la cinématique de ces fractures fera l’objet d’une future publication lorsque le chantier de terrassement sera terminé et que toutes les observations recueillies auront été synthétisées. Néanmoins, à ce stade du recueil des données structurales, deux principales familles de failles, distinctes par leur orientation et leur cinématique, ont été observées dans la craie. Toutes deux se propagent dans la couverture tertiaire et témoignent donc d’une activité syn ou post-Thanétien qui sera analysée dans une publication prochaine.
Une première famille de failles verticales, orientées N-S et présentant des stries horizontales, a été interprétée comme des décrochements (Fig. 6A). Sans décaler verticalement le contact craie/tuffeau, une prolongation dans le tuffeau est cependant perceptible. Aucun marqueur n’a permis d’estimer l’amplitude du déplacement horizontal. De même, les stries sur les plans de failles n’ont pas fourni de marqueurs de déplacements clairs même si une cinématique dextre a été suspectée en plusieurs sites.
La seconde famille, la plus significative et la plus remarquable, est orientée N110 ± 10°, avec un pendage moyen de l’ordre de 60 degrés et des stries de glissement selon la ligne de plus grande pente (dip-slip). Décalant la surface de contact craie/tuffeau de plusieurs décimètres à 1 mètre en jeu normal (Fig. 6B), ces failles sont majoritairement inclinées vers le Sud-Ouest bien que quelques-unes le soient vers le Nord-Est.
Si l’occurrence des failles normales orientées N100-110 avait été soulignée à Lesquin par Bonte (1957), en accord avec l’orientation globale des failles de Haubourdin et Seclin (Fig. 1), l’observation de failles décrochantes N-S n’avait pas été mentionnée dans l’étude. Seuls Colbeaux et al. (1975) font mention de failles décrochantes d’orientation N54-62° et N154-162° au Sud de notre zone d’étude au niveau de Sainghin-en-Mélantois. Leurs significations au regard de nos observations seront discutées plus en détail dans une future publication.
Discussion
L’étude de ce chantier de terrassement aux confins des villes de Lezennes et de Villeneuve d’Ascq a permis pour la première fois de caractériser et illustrer avec détails la surface de contact entre le tuffeau du Thanétien et la craie du Coniacien sur le flanc nord de l’anticlinal du Mélantois. Nos observations soulèvent plusieurs questions concernant l’histoire de cette surface de contact et donc son interprétation dans un contexte de transgression au Paléocène sur la craie.
Nos observations du contact entre le tuffeau et la craie ont montré qu’il s’agit d’une surface présentant une géométrie remarquablement plane en 3 dimensions et d’apparence sub-horizontale (Fig. 3). Les faciès de la craie au mur de cette surface apparaissent sub-horizontaux à l’affleurement même si un pendage vers l’W de quelques degrés est attesté tant par la carte géologique (Fig. 1) que par l’étude régionale de la craie blanche exploitée dans les carrières souterraines de Lezennes (Cercle de Recherche Historique Lezennois, 2009) ou bien par les synthèses des données de sondages (Waterlot, 1959). Au toit de cette surface de contact, les faciès du tuffeau apparaissent également subhorizontaux à grande échelle (Fig. 3), même si des stratifications obliques à pendages apparents vers le Sud ont été localement observées au sein des strates de base du Thanétien (Fig. 4). Ces stratifications obliques illustrent alors une avancée de dunes hydrauliques en direction du Sud, et donc un environnement hydrodynamique assez énergétique.
La planéité de la surface de contact tuffeau/craie soulève une première interrogation sur les mécanismes à l’origine de sa formation. Cette surface représente un hiatus sédimentaire de l’ordre de 15 à 20 Ma durant lequel une émersion du Mélantois est envisagée. Au regard des conditions paléoenvironnementales reportées pour la période du Paléocène inférieur (Danien et Sélandien) dans le Bassin de Paris (Wyns, 2014), cela suggère que la craie émergée à la fin du Crétacé supérieur a dû être altérée, érodée, pédogénéisée et potentiellement karstifiée. Les nouvelles observations obtenues sur ce site semblent aller à l’encontre de cette proposition dans la mesure ou la surface est presque parfaitement plane et ne montre pas d’horizon d’altération ni de traces significatives de dissolution. Pour rester cohérent avec l’émersion proposée dans le modèle conceptuel habituel, il conviendrait donc d’envisager une abrasion importante de la surface juste avant le dépôt du tuffeau.
Par ailleurs, notre étude a permis de décrire pour la première fois des ichnotraces à remplissage de Thanétien préservées dans les premiers décimètres de la craie protégée par le tuffeau. Il semble que ces marqueurs paléontologiques aient déjà été observés et décrits sommairement sous le terme de « tubulures » (Fenet, 1965) ; mais sans pour autant qu’une description n’ait pu en être faite ni une interprétation proposée. D’après nos observations de la géométrie de ces terriers, nous pensons qu’ils correspondent à des réseaux de type Thalassinoides isp, associé à l’ichnofaciès Glossifungites, probablement formé par des crustacés décapodes marins (principalement des crustacés, type crabes). Cependant, cette interprétation des ichnofaciès soulève des contradictions qui concernent principalement l’état d’induration de la craie au regard du hiatus de 15-20 Ma enregistré par la surface, ainsi que les conditions de régression et transgression à la transition Crétacé-Tertiaire.
Comme le suggère l’ichnofaciès Glossifungites, le substrat devait être peu induré pour qu’il y ait un fouissement de type Thalassinoides. La craie devait donc présenter un état géomécanique peu résistant, d’aspect ferme et tendre pour permettre sa bioturbation par des crustacés. Or, comment est-il possible d’avoir une craie peu indurée alors que 15-20 Ma séparent l’âge de dépôt de la craie (Coniacien) et l’âge de la transgression (Thanétien) et le fouissage des terriers ? Rappelons que les terriers semblent à remplissage de Thanétien basal grossier et que leur fouissement apparaît donc contemporain de la transgression. La craie serait-elle donc restée meuble durant 15-20 Ma ? Ou bien a-t-elle pu être « ramollie » superficiellement au moment de la transgression marine ? Dans le premier cas, il faudrait certainement des conditions singulières de paléo-environnement pour maintenir la craie dans un état non induré aussi longtemps (immersion permanente, faible diagenèse et compaction, etc.). Dans le second cas, la craie se serait naturellement indurée durant la diagenèse, aurait passé quelques 15-20 Ma dans un état géomécanique résistant (analogue à ses propriétés actuelles), mais elle se serait temporairement « ramollie » lors de la transgression du Paléocène. Plus tard, cette craie se serait indurée de nouveau pour adopter sa consistance actuelle.
Ces questions sont cruciales pour bien comprendre le contexte paléo-environnemental de cette partie Nord du Bassin de Paris au cours de la transition entre le Crétacé supérieur et le Tertiaire. Dans l’attente d’observations complémentaires et d’analyses sédimentologiques plus poussées, nous pouvons cependant proposer les deux scenarii suivants qui permettent de rendre compte des caractéristiques de cette surface de discontinuité particulière. La première hypothèse relate une émersion du Mélantois et donc une érosion aérienne ; la seconde implique une immersion continue du Mélantois et donc une abrasion sous-marine.
Dans l’hypothèse classique de la formation de la surface à Glossifungites, le dépôt formant le substrat correspond le plus souvent à un faciès argileux estuarien transgressé peu de temps après son dépôt, ce qui explique qu’il soit encore non consolidé. Le sable en remplissage des terriers est alors produit en aval du ravinement transgressif par l’action des vagues sur la côte ouverte, qui avancent sur les dépôts estuariens en les érodant (Posamentier & Allen, 1999). Cette hypothèse de ravinement transgressif sur un substrat ancien de plus de 15 millions d’années, implique alors que le substrat (la craie coniacienne) ait été, avant la transgression, exposé en domaine continental, et donc potentiellement en partie affecté par la dissolution via les eaux météoriques et localement karstifié. En outre, on ne peut exclure que le ravinement transgressif ait été si efficace que l’érosion associée ait effacé toute trace de continentalisation au toit de la craie. Mais dans ce cas, ce serait bien un substrat lithifié (une craie indurée) qui aurait été exposé, au pied du prisme littoral, à l’activité des organismes fouisseurs. À moins que la craie ait pu être « ramollie » a posteriori durant la transgression.
L’autre hypothèse suppose que le toit de la craie aurait été progressivement dénudé à partir de la fin du Crétacé supérieur sous l’effet du début de la surrection du secteur (Amédro & Robaszynski, 2006), tout en restant en domaine marin (Fig. 7). Cela aurait alors conduit à la formation d’une surface régressive d’érosion marine sous l’effet de l’action des vagues au pied du prisme littoral. Au maximum de la régression, un dépôt littoral clastique de bas niveau marin aurait recouvert cette surface (Plint, 1988). C’est une situation dans laquelle on peut retrouver, à la base des sables littoraux régressifs, des surfaces à Glossifungites (MacEachern et al., 1992). Dans ce cas, il faut envisager la non-consolidation de la craie durant 15-20 Ma.
Des études sédimentologiques plus approfondies (e.g. études de lames minces, analyses granulométriques, calcimétrie, cathodo-luminescence) des niveaux de craie bioturbée, des remplissages de bioturbations, et du tuffeau sus-jacent devraient permettre de préciser les conditions de formation de la surface de contact. Des analyses de la faune benthique de ces sables devraient aussi permettre de caractériser les environnements de dépôt relatifs au tuffeau ainsi que les conditions de remplissage des terriers.
Conclusion
Notre étude de terrain permet de préciser de manière significative le contact stratigraphique de la transition Crétacé-Tertiaire dans la région Lilloise. Cette étude est basée sur des affleurements particulièrement importants et rares dans cette région marquée par de très faibles contrastes topographiques et une forte urbanisation. Ces affleurements spectaculaires sont liés à un grand chantier de construction avec un terrassement particulièrement profond qui est naturellement dédié à être comblé très rapidement. Il s’agit donc d’affleurements éphémères et rares et il nous apparaît naturellement très important d’en préserver la description.
Ces affleurements observés en continu pendant la progression du chantier ont permis de caractériser le contact géologique entre le tuffeau du Thanétien et la craie du Coniacien. Cette surface est remarquablement plane sur l’emprise de la zone étudiée, ce qui a permis de qualifier et de quantifier les rejets d’un certain nombre de failles qui affectent l’ensemble Crétacé-Paléogène et qui semblent liées à la structuration de l’anticlinal du Mélantois. La surface est par ailleurs marquée par des bioturbations attribuées à l’ichnofaciès Glossifungites, qui développe des terriers pénétrant la craie sur une vingtaine de centimètres d’épaisseur. Ces terriers sont comblés par les premiers dépôts sableux du tertiaire (tuffeau). Le faciès des premiers dépôts de la transgression tertiaire dans ce secteur a aussi pu être précisé ; il s’agit d’une formation sableuse glauconieuse, souvent très bioturbée dans la masse, qui comporte des éléments très grossiers à la base (éléments de craie et de silex). Cette formation de base du tertiaire montre localement des structures sédimentaires caractéristiques d’un milieu marin avec des courants suffisamment importants pour former des stratifications obliques.
Avoir l’opportunité de suivre un chantier régional fait ici la démonstration de son intérêt primordial pour la réalisation d’observations inédites et la documentation de l’histoire géologique locale. Cette publication montre tout l’intérêt de renouer et de renforcer le lien entre les acteurs des travaux, les bureaux d’étude, les chercheurs et les sociétés savantes pour permettre l’observation et la valorisation des coupes et fronts de taille éphémères avant leur inéluctable disparition.
Remerciements. — Les auteurs, tout particulièrement F. GRAVELEAU, F. MEILLIEZ et F. CHANIER, adressent leurs remerciements sincères aux acteurs des entreprises du projet immobilier, du bureau d’étude et du terrassement pour leur bienveillance et leur aide primordiale pour la réalisation de cette étude. Sans leur accord, l’ouverture régulière de leur porte et la mise à disposition de leur personnel pendant nos visites, aucune de nos observations n’auraient pu être consignées dans cet article et dans ceux qui suivront. Merci donc à l’ensemble de la chaîne de contact qui n’a jamais rompu et qui s’est montrée chaque fois aidante pour nous amener à transformer notre intérêt scientifique pour ce chantier en cette publication scientifique originale. Merci donc, successivement, à M. Laurent DUTRUEL (responsable d’agence SEMOFI Nord) pour nous avoir promptement guidé vers Mme Isabelle ENGELHARDT (ex-responsable Technique AVENTIM), laquelle nous a aimablement mis en contact avec M. Christophe WAREMBOURG (conducteur de travaux chez RENARD) qui a ouvert régulièrement les portes du chantier de la ZAC « Borne de l’Espoir ». Notre douzaine de visites en un an n’aurait pas été possible sans ses accords systématiques ni même l’assistance de ses ingénieurs (MM. Nadhir BALIT, Jean-Baptiste MAHIEUX et Thierry ROUSSEL) qui nous ont accompagné lors des travaux et ont parfois détourné les engins de chantier le temps de nos observations. Tous ces actes bienveillants témoignent d’une marque de confiance significative de ces entreprises envers notre approche de recherche académique. Cela souligne aussi la conscience du rôle majeur que toutes ces entreprises peuvent jouer dans l’amélioration de la connaissance géologique régionale du Nord de la France.
Enfin, nous tenons à remercier le comité éditorial ainsi que les relecteurs (MM. Christian DUPUIS et Francis AMEDRO) pour leur corrections et suggestions pertinentes. Nous tenons également à remercier les personnels de l’UMR 8187 LOG (notamment Mme M. GENTRIC) qui ont permis de réaliser nos missions sur le terrain, souvent à l’improviste, et pour leurs discussions.