Ce beau livre est une forme d’aboutissement de la procédure d’établissement de l’inventaire géologique du territoire de la France métropolitaine et outre-marine. Comme le rappelle son introduction « Un inventaire n’est généralement pas une finalité, mais plutôt un outil, un outil multifonction même, une sorte de couteau suisse. L’inventaire national du patrimoine géologique n’est donc pas une exception et devrait permettre d’établir, à terme, une stratégie de conservation et de valorisation des sites, que ce soit pour l’aménagement du territoire, pour le développement du géotourisme, ou à des fins pédagogiques. » (p. 7). « L’ouvrage n’est pas destiné uniquement à des géologues » (ibid., p. 7), c’est de fait un livre tout public, au format 25 x 25 cm en couleur, sur papier glacé.
Cet inventaire national du patrimoine géologique (INPG), élément de l’inventaire national du patrimoine naturel (INPN, sous la houlette du Muséum national d’Histoire naturelle : https://inpn.mnhn.fr/programme/patrimoine-geologique/presentation), est le résultat de la mise en œuvre de la loi dite de « démocratie de proximité » (2002), du lancement officiel de l’INPG (2007) et de la loi Grenelle I (2009). L’inventaire a été mené région par région (celles d’avant 2016). Pour réaliser le livre présenté ici, chaque Commission régionale du patrimoine géologique (CRPG) a proposé une liste de trois sites remarquables par département à la commission nationale. Celle-ci en a sélectionné un seul par département « en essayant d’éviter les doublons et de garder une certaine représentativité. » (ibid.). Ce qui aboutit à un ensemble de 102 fiches où chaque site est traité sur deux pages, un verso présentant un texte court – évitant autant que faire se peut les termes trop spécialisés (mais un glossaire de sept pages aide le lecteur non géologue), avec une carte de localisation et deux petites illustrations couleur en bas de page, faisant face à une page recto avec une belle photo du site.
L’ouvrage commence en rappelant comment l’inventaire fut mis en œuvre, avec son contexte historique et légal, la méthodologie adoptée et la procédure longue de réalisation, autant d’éléments qui ont déjà été présentés à la communauté des géologues (par ex. De Wever et al., 2006, 2014). A la date de parution du livre, la majorité des inventaires régionaux a été menée à bien et validée par la commission nationale. Ces inventaires ont mobilisé plus de 550 intervenants dont la liste est fournie à la fin du livre, appartenant à 68 structures différentes des milieux académiques (universités, CNRS …), administratifs, associatifs et industriels. Comme rappelé ci-dessus, l’INPG n’est pas un but en soi, il est continu, certains sites font déjà l’objet de réévaluations, des sites nouveaux sont sélectionnés… Ses données permettent de définir les sites de la Stratégie de création d’aires protégées (SCAP : https://inpn.mnhn.fr/programme/espaces-proteges/scap) et de mettre en place des sites d'intérêt géologique après adoption d'Arrêtés préfectoraux de protection de géotope (APPG). Cette opération, à terme, participe au programme Vigie Terre, « un programme de sciences participatives, inclus dans le projet collaboratif « 65 Millions d’Observateurs », porté par le Muséum national d’histoire naturelle » (https://geosoc.fr/actu/1591-qu-est-ce-que-vigie-terre.html). C’est ici le moment de rappeler que deux régions furent pionnières en matière de patrimoine géologique, la Bretagne, suivie de près par le Nord - Pas-de-Calais, qui réalisèrent leurs premiers inventaires dès les années 1990. Leurs secondes versions, mises à jour, font partie de l’INPG en cours (voir Jonin, 2008 ; Robaszynski & Guyétant, 2009).
Le premier site illustré dans le livre est le site de Plagne (Ain) dans les monts du Jura, près de Nantua, présentant une grande piste de dinosaure sauropode du Jurassique. Le site est spectaculaire. Il donne le ton pour l’ensemble du livre. [Signalons que plusieurs sites à empreintes de dinosaures sont connus dans le Jura, tant français que suisse]. On y découvre ensuite des sites géomorphologiques comme la butte de Laon (Aisne), les méandres de l’Ardèche (Pont d’Arc), le Pech de Bugarach (Aude), des sites relevant des matériaux et/ou des minéraux (carrières de kaolin de l’Allier, les sites à quincyite du Cher), des sites paléontologiques (la dalle à ammonites de Digne-les-Bains dans les Alpes-de-Haute-Provence, les coraux dévoniens des Ardennes, les sites à ambre fossile de Charente-Maritime), des sites d’intérêt tectonique et/ou magmatique, illustrant l’activité de la planète Terre (ophiolites des Hautes-Alpes, prismes rhyolitiques de Corse-du-Sud), des sites d’intérêt hydrogéologique (résurgence du Creux bleu de Villecomte, en Côte-d’Or), etc. Bien entendu, la plupart des sites de l’inventaire relèvent de plusieurs thèmes de la géologie et même, d’un patrimoine autre que géologique. Par exemple, la Formation des Eyzies, en Dordogne, illustre la stratigraphie et la paléontologie du Crétacé, l'hydrogéologie, la géomorphologie (falaises de La Roque-Gageac), mais aussi la préhistoire (“Homme de Cro-Magnon” des Eyzies) et même l’histoire (manoir de Tarde du XVe siècle, ruines troglodytes du XIIe siècle), sans oublier qu’on est ici en Périgord qui, comme le disent les auteurs du livre, « évoque pour beaucoup le canard confit et les pommes de terre salardaises. » (ibid., p. 72). Je ne dévoilerai pas davantage les nombreuses surprises que le lecteur trouvera dans cet ouvrage très bien fait. Je voudrais juste signaler qu’il vient en complément d’un autre livre remarquable qui, me semble-t-il, n’avait pas assez fait parler de lui à sa parution, le Guide de la géologie en France de Christiane Sabouraud (2004). Le livre, préfacé par un certain P. De Wever…, était destiné à tous les publics, lui aussi. L’auteure y décrit plusieurs centaines de localités géologiques en fournissant des informations sur les sites naturels, les musées, les associations locales, les sentiers à thèmes, les réserves géologiques… Il est destiné à être emmené avec soi en vacances et peut être accompagné de la carte touristique des Curiosités géologiques de France, qui illustre sur une face la carte de France au 1:1 000 000 avec l’emplacement de nombre des sites décrits par Sabouraud (2004), et sur l’autre face la carte géologique au 1:1 000 000 du BRGM sur fond du réseau routier et autoroutier de l’IGN (IGN & BRGM, 2005).
J’ai noté quelques défauts dans le livre de De Wever et al. (2018). L’échelle des temps géologiques de la page 6 ne reprend pas tous les noms d’étages cités au long du livre. L’auteur de la légende de la photo de la page 149 semble ne pas faire de différence entre le Pas de Calais (qui est l’objet de la photo) et le Pas-de-Calais (le département). Ceci dit, la photo du détroit est superbe et laisse voir les falaises de craie de Douvres comme on les voit rarement. Les “conglomérats côtiers” de Bourogne (Territoire de Belfort) de la page 205, ne sont pas “gris jaunes”, mais (d’un) gris jaune. Ces quelques fautes mineures n’enlèvent rien à l’ouvrage que je recommande à tout lecteur intéressé par le patrimoine géologique de France et de Navarre et, au-delà, à tout amateur de géologie.