I. — Introduction
L’exploitation, l’extraction et le traitement des minerais sont à l’origine de la production des rejets acides qui auront des conséquences fatales sur l’environnement. Ces rejets miniers engendrent des problèmes majeurs pour l’environnement. Le DMA qui s’y déclenche en constitue un exemple très répandu à l’échelle de la planète au niveau des parcs à résidus miniers. Ce phénomène est provoqué naturellement dès que des sulfures acidogènes (pyrite, pyrrhotite …) sont en contact avec l’eau et l’air (Fig. 1), générant ainsi un pH bas et d’énormes quantités de sulfates, de fer et de métaux toxiques susceptibles de déséquilibrer, voir même détruire, les écosystèmes naturels et d’infecter les ressources en eau (Aubertin et al., 2002; Sracek et al., 2004; Álvarez-Valero et al., 2009).
Plusieurs méthodes visant l’atténuation du DMA ont été développées parmi lesquelles on peut citer la désulfuration environnementale (Benzaazoua et al., 2000a; Benzaazoua & Kongolo, 2003; Mermillod-Blondin et al., 2005), les traitements des effluents actif et passif (Ouakibi et al., 2013), les recouvrements de type couvertures à effets de barrière capillaire (Bossé, 2013) et l’amendement alcalin qui consiste à mélanger les résidus générateurs de DMA avec des matériaux alcalins pour limiter l’oxydation des sulfures et neutraliser l’acidité générée (Hakkou et al., 2009; Nfissi et al., 2014, 2017).
Figure 1
Interactions rejets-atmosphère et bilan hydrique d’un parc à rejets de concentrateur générateur de DMA (Bossé, 2013).
Release-atmosphere interactions and water balance of an AMD-generating concentrator release plant (Bossé, 2013).
La présente étude se propose d’évaluer l’efficacité d’un amendement composé de boues de sucrerie (SPS) et d’argiles (Clys) pour le contrôle du phénomène du DMA. Elle s’intègre dans le cadre d’un projet de recherche sur la gestion et stabilisation des rejets miniers et industriels qui s’articulent autour de plusieurs axes parmi lesquels la caractérisation des déchets miniers, l’étude d’impact sur l’environnement et la santé et la proposition de scenarios de restauration.
Le site pilote choisi fait partie des mines abandonnées du Maroc et qui ont suscité une attention particulière étant donné l’étendue de son parc à résidus (16 hectares) qui renferme plus de 3 millions de tonnes de résidus sulfurés. Il s’agit de la mine de Kettara, située dans les Jebilets centrales à environ 32 Km au Nord-Ouest de la ville de Marrakech (Fig. 2). Elle a été exploitée pendant 35 ans, au début pour les ocres de 1945 à 1961, ensuite pour la pyrite et le cuivre de 1956 à 1963 essentiellement dans la zone de cémentation et enfin pour la pyrrhotine de 1965 à 1980.
Figure 2
Localisation géographique de la mine de Kettara (Khalil et al., 2014).
Geographical location of the Kettara mine (Khalil et al., 2014).
La mine de Kettara correspond à un amas sulfuré datée du Viséen supérieur. Elle se situe entre deux plaines ; au Nord la plaine de la Bahira et au Sud la plaine du Haouz (Fig. 3). Cet amas sulfuré est caractérisé par une minéralisation constituée principalement de pyrrhotine et de pyrite, mais appauvrie en métaux de base (Bordonaro, 1984).
Les principales caractéristiques gîtologiques de l’amas sulfuré de Kettara sont rattachées à sa position stratigraphique au-dessus du volcanisme acide du membre supérieur d’une série dite de Sarhlef (Jebilets centrales) et en dessous d’une autre dite de Teksim (Jebilets orientales). La minéralisation présente des structures primaires témoignant de sa contemporanéité avec la sédimentation. Le contrôle structural joue un rôle important dans les positions du corps minéralisé avec développement d’une altération hydrothermale importante à séricite, chlorite, qui accompagne la mise en place de l’amas (Felenc et al., 1986).
Figure 3
Carte géologique du massif des Jebilet (modifiée d’après Huvelin, 1972).
Geological map of the Jebilet massif (modified after Huvelin, 1972).
La lixiviation des résidus miniers de cette ancienne mine engendre un précipité de couleur rouge brique très acide. Les valeurs mesurées du pH varient entre 1,5 et 3 (Fig. 4) (Nfissi, 2013). Les pH acides des résidus sont similaires à ceux produit lors des tests en cellules humides effectués sur les déchets miniers de Kettara (Hakkou et al., 2008b).
Ces résidus très perméables à texture grossière (Nfissi et al., 2011, 2013), assurent un bon drainage et une oxydation très poussée des résidus et par ailleurs l’accentuation du processus du DMA. La paragenèse minérale à l’origine du DMA est dominée par la pyrrhotine et la pyrite, à qui sont associés, en faible quantités, la chalcopyrite, la sphalérite, la gœthite, les aluminosilicates, la chlorite-serpentine, le talc et le quartz.
Figure 4
Eaux de ruissellement aux alentours de la mine abandonnée de Kettara (Effet DMA).
Runoff water around the abandoned Kettara mine (AMD effect).
Hakkou et al., (2008a) ont déterminé le potentiel de génération d’acide (PA) et le potentiel de neutralisation (PN) des résidus de Kettara par le test statique. Ce test permet d’établir la capacité d’un échantillon de produire de l’acide et de le neutraliser. Il s’agit de créer un bilan chimique entre les minéraux producteurs d’acide et les minéraux acidivores pouvant le neutraliser. Le test statique le plus couramment utilisé est la méthode standard (Acid-Base Accounting : ABA), développée par Smith et al. (1974) et modifiée par différents auteurs (Sobek et al., 1978; Lawrence et Wang, 1997; MEND, 2009; Bouzahzah, 2013).
La comparaison entre PA (Pouvoir d’Acidité) et PN (Pouvoir de Neutralisation) obtenus par les tests statiques permet de classer les rejets miniers. Il existe deux critères de classification qui sont le Pouvoir Net de Neutralisation (PNN = PN - PA) et le rapport PN/PA appelé NPR (NPR = PN/PA).
En se basant sur le rapport NPR, les auteurs (Adam et al. (1997) et Price et al. (1997)) suggèrent des valeurs de classifications des rejets. La classification basée sur ce rapport confirme que les rejets sont générateurs d’acidité, lorsque le rapport NPR < 1. La figure 5 représente le résultat de la prévision statique de génération de l’acidité de Kettara, en utilisant le rapport PN/PA.
Les valeurs de PNN < -20kgCaCO3/t indiquent un matériau produisant de l’acide, tandis que les matériaux à PNN > 20kgCaCO3/t sont considérés comme consommateur d’acide (Miller et al., 1991; Ferguson et Morin, 1991).
Les résidus miniers de Kettara, dotés d’un faible potentiel net de neutralisation (-453 à -22,5 kg CaCO3/t), d’un potentiel net de génération d’acide élevé entre (51 à 453 kg CaCO3/t) et d’un potentiel de neutralisation négligeable (Fig.5), sont responsables d’une manière incontestable du déclanchement du DMA dans ce site (Hakkou et al., 2008a).
Figure 5
Résultat de la prévision statique de génération de l’acidité de Kettara.
Acidity generation static prediction result of Kettara.
II. — Matériaux initiaux
Les matériaux alcalins utilisés dans cette étude sont les boues de sucrerie et les argiles qui proviennent respectivement de la station d’épuration des eaux usées de la Compagnie Sucrière Marocaine de Casablanca (COSUMAR), considérée comme étant l’une des plus grandes raffineries d’Afrique, et d’une carrière d’argile du barrage de Sidi Abderrahmane à une dizaine de Km à l’Est de la ville de Safi (Fig. 6).
La caractérisation physico-chimique et minéralogique des matériaux étudiés (Zerhouni et al., 2016) a montré qu’ils sont dotés d’un potentiel de neutralisation assez élevé. Il est de l’ordre de 878,5 kg CaCO3/t pour les SPS et de 299 kg CaCO3/t pour les Clys (Tabl. 1). En ce qui concerne les boues de sucrerie, la principale phase détectée par diffraction des rayons X est représentée par la calcite et des traces de quartz. Leur teneur en matière organique est de l’ordre de 8,35%. Pour les argiles, le spectre de diffraction des rayons X a révélé la présence de la kaolinite, de la muscovite, du quartz et de la calcite. Leur teneur moyenne en matière organique est de l’ordre de 0,53%. Ces deux matériaux peuvent donc être retenus pour la stabilisation des rejets miniers acides de Kettara.
Figure 6
Situation des différents sites de collecte de matériaux utilisés (SPS et Clys) (Nfissi et al., 2014).
Situation of the different material collection sites used (SPS and Cly) (Nfissi et al., 2014).
Tableau 1
Dosage de la matière organique, des carbonates et du potentiel de neutralisation dans les boues de sucrerie et les argiles (Zerhouni et al., 2016).
Determination of organic matter carbonates and neutralization potential in mud pulp sweets and clays (Zerhouni et al., 2016).
III. — Matériels et méthodes
Plusieurs essais cinétiques peuvent être utilisés. Nous citons les essais en colonnes, les mini-cellules d’altération et les cellules humides (Lawrence, 1990; Price et al., 1997; Villeneuve et al., 2003; Villeneuve et al., 2009; MEND, 2009; Sapsford et al., 2009; Plante et al., 2012). Les tests cinétiques adoptés dans cette étude ont été effectués en mini-cellules d’altération. Cette méthodologie est basée sur les travaux de Cruz et al. (2001a, 2001b) qui ont développé le protocole standardisé de l’essai en cellules humides de l’ASTM (American Society for Testing and Materials) (1998) et de Morin & Hutt (1997). Les mini-cellules d’altération ont été retenues comme test cinétique parmi plusieurs parce qu’elles nécessitent une petite quantité d’échantillon, sont faciles à mettre en place, peu coûteuses et donnent des résultats assez rapides dans le temps (Villeneuve, 2004). Ces essais ont permis de suivre le comportement des matériaux initiaux et l’effet de l’amendement sur les résidus miniers à petite échelle.
Le dispositif expérimental retenu comporte cinq essais refermant 2/3 de résidus miniers, mélangés à 1/3 des matériaux choisis. La lixiviation consiste à faire percoler 50 ml d’eau distillée à travers l’entonnoir Buchner et ce, deux fois par semaine pendant 67 jours. Les différentes configurations choisies sont décrites ci-dessous (Fig. 7):
Essai 1 : comporte exclusivement des résidus miniers fins de Kettara (TK).
Essai 2 : comporte uniquement les argiles de Safi (Clys).
Essai 3 : comporte les boues de pâte de sucrerie de la COSUMAR (SPS) seuls.
Essai 4 : renferme 2/3 de résidus miniers (TK) mélangés avec 1/3 d’argiles (Clys).
Essai 5 : renferme 2/3 de résidus miniers (TK) mélangés avec 1/3 de boues (SPS).
Figure 7
Description du protocole expérimental.
Experimental protocol description.
Les lixiviats récoltés après chaque rinçage ont fait l’objet de plusieurs mesures : volume récupéré, pH, conductivité, acidité et alcalinité. Le pH des lixiviats obtenus est mesuré à l’aide d’un pH-mètre type (pH/Ion 510, Bench pH meter); la conductivité des lixiviats récoltés est mesurée à l’aide d’un conductivimètre type (con510, Bench conductivity). L’acidité est déterminée à l’aide du titrage par l’hydroxyde de sodium (norme PE3-AC-08) et l’alcalinité des mélanges par titration à l’acide sulfurique (norme PE3-AC-07).
IV. — Résultats et discussions
L’évolution du pH, de la conductivité, de l’acidité et de l’alcalinité des lixiviats des cinq colonnes a été suivie pendant 67 jours. L’essai 1 (résidus seuls) se distingue de l’ensemble des autres par le volume le plus élevé des lixiviats, alors que l’essai 2 (argiles seules) a donné le volume le plus faible qui est dû au pouvoir de rétention des argiles. Le volume recueilli dans l’essai 3 (Boues de pâte de sucrerie seule) bien qu’élevé ne dépasse guerre celui de l’essai 1. Les essais 4 et 5, qui comportent un mélange des Tk avec les SPS ou les Clys, produisent un volume important probablement dû au ratio des résidus miniers (2/3) par rapport à celui des SPS et Clys (1/3).
Figure 8
Cinétique des mesures ponctuelles du pH et de conductivité électrique des lixiviats.
Kinetics of point measurements of pH and electrical conductivity of leachates.
Durant les 67 jours, le pH le plus bas (2,14) a été enregistré pour l’essai 1 (TK seuls) qui est considéré comme essai témoin (Fig. 8a). Le pH des lixiviats des boues de sucrerie (Essai 3) est compris entre 6,12 et 8,47 alors que celui des argiles seules (Essai 2) est compris entre 6,68 à 9,05 (Fig. 9a). Les argiles seules ont un pouvoir de rétention très grand, d’où la difficulté de récupérer des lixiviats chaque semaine. Les argiles jouent un rôle très important pour empêcher le drainage des eaux acides étant donnée leurs propriétés d’adsorption et d’absorption (Parker & Rae, 1998). Pour les essais 4 et 5 comportant l’amendement, l’évolution du pH montre une certaine tendance vers la neutralité. Ces deux matériaux peuvent donc jouer un rôle très important pour la neutralisation des eaux acides. L’essai 4, contenant 2/3 TK et 1/3 Clys, a fourni le pH le plus élevé (pH=8) (Fig. 8a).
Au début de l’essai cinétique, la conductivité électrique pour les colonnes 1, 3, 4 et 5 augmente pour atteindre des valeurs de 8620 µS/cm pour l’essai 1; 4100 µS/cm pour l’essai 3; 5030 µS/cm pour l’essai 4 et 7290 µS/cm pour l’essai 5 (Fig. 8b). Puis une diminution rapide de la conductivité a été notée pour les quatre essais. A la fin de l’essai, les valeurs les plus élevées ont été enregistré pour l’essai 1 qui comporte uniquement les résidus miniers. La courbe de la conductivité de l’essai 2 montre une augmentation de la conductivité dès le premier rinçage puis une chute remarquable de celle-ci dès le troisième rinçage (Fig. 9b). Pour l’essai 3, la conductivité est au minimum à partir du 7ème rinçage (4ème semaine) par opposition aux essais 4 et 5 qui n’atteignent le minimum de conductivité qu’à partir du 17ème rinçage (Fig. 8b). Nous constatons donc que les SPS et les Clys contribuent à la diminution de la conductivité des lixiviats qui atteint son minimum à partir de la 8ème semaine.
Figure 9
Cinétique des mesures ponctuelles de pH et de la conductivité électrique des lixiviats d’argile.
Kinetics of point measurements of pH and electrical conductivity of clay leachates.
L’acidité la plus élevée est enregistrée dans l’essai 1 qui comporte uniquement les résidus miniers de Kettara. Par contre, les essais renfermant l’amendement à base des SPS ou des argiles ne génèrent aucune acidité (Fig. 10a), celle-ci reste faible jusqu’à la fin de l’essai cinétique.
Les lixiviats de l’essai 4 présentaient des niveaux élevés d’alcalinité, compris entre 16,4 et 677,42 mg de CaCO3/l, alors que celui des boues de pâte de sucrerie (essai 5) sont compris entre 9,9 et 878,472 mg de CaCO3/l (Fig. 10b). On en conclut donc que l’amendement par les SPS ou les Clys (essais 4 et 5) a permis une diminution progressive de l’alcalinité et l’activation des processus de neutralisation et ce jusqu’à épuisement des carbonates.
Figure 10
Cinétique des mesures ponctuelles de l’acidité et de l’alcalinité des lixiviats.
Kinetics of point measurements of leachate acidity and alkalinity.
V. — Conclusion
Les essais en mini cellules d’altération, ont permis de suivre sur une durée de dix semaines l’effet d’un amendement alcalin à base de boues de sucrerie (SPS) et d’argiles (Clys) sur la neutralisation du drainage minier acide produit par les résidus miniers de la mine abandonnée de Kettara. L’ensemble des analyses effectuées ont montré que ces deux matériaux (SPS et Clys) sont tout à fait appropriés et aptes pour la stabilisation des rejets miniers acides. En se basant sur le pH et l’alcalinité, il semblerait que l’amendement à base des SPS et des Clys seuls s’avère actif et capital pour la neutralisation des lixiviats acides. Ces matériaux peuvent être utilisés seules ou mélangées avec d’autres matériaux. A l’issus des résultats obtenus, des tests cinétiques seront conduits au laboratoire pour déterminer les proportions relative de SPS et des Clys propices pour atténuer le drainage minier acide dans ce site minier. Cette étude vise l’atténuation de l’impact du drainage minier acide dans le site minier de Kettara, qui pourrait s’étendre sur d’autres régions à climat semi-aride présentant une problématique similaire.
Remerciements. — Les auteurs tiennent à remercier les organismes subventionnaires de cette étude; en particulier la Compagnie Sucrière Marocaine (COSUMAR, Casablanca), le Centre National de la Recherche Scientifique et Technique (CNRST, Rabat) et le laboratoire de Géodynamique des chaînes anciennes de la Faculté des Sciences Ben M’Sik (FSBM, Casablanca). Nos remerciements vont aussi au Directeur de la publication ainsi qu’aux membres de la revue des Annales de la Société Géologique du Nord et aux relecteurs qui ont bien voulu lire et critiquer la présente note.











