La notion de diglossie a été largement centrale dans la sociolinguistique des années 80 et suivantes. Les chercheurs se sont abondamment interrogés sur les contacts et conflits de langues et ont puisé à la source de cette notion des outils pour décrire les rapports des groupes sociaux à leurs langues, dans le droit fil des travaux de Ferguson (1959) ou de Fishman (1965). Cette notion fait aujourd’hui l’objet d’un certain nombre de réserves, liées au figement des situations qu’elle décrit dans un schéma statique (v. par exemple Jaspers 2020).
Au sein des populations concernées, la présence de plusieurs variétés plus ou moins nettement identifiées et individuées (v. Eloy 1997 pour le cas du picard) génère un discours foisonnant, qui va des déclarations de guerre à l’encontre des variétés minorisées, avec comme corolaire l’ode à la norme et à la langue de prestige (Houdebine 2016), jusqu’à l’extrême inverse, la revendication d’une identité régionale à travers sa langue, avec la dénonciation d’un impérialisme linguistique vu comme un péril mortel pour la variété locale. Entre les deux, de nombreux auteurs évoquent un attachement aux deux langues, attachement souvent de nature différente cependant. Dans un tel contexte, la notion de diglossie constitue encore une grille satisfaisante pour analyser les discours. Pour le picard, on citera l’exemple célèbre de Jules Mousseron dans son hommage au Patois, écrit en picard mais en vers français :
J’ai fort quièr el français, ch’est l’ pu joli langache,
Comm’ j’aime el biau vêt’mint qué j’ mets dins les honneurs.
Mais j’ préfèr’ min patois, musiqu’ dé m’ premier âche,
Qui, chaqu’ jour, fait canter chu qu’a busié min cœur.
Cette sociolinguistique populaire se dit dans les textes que l’on peut considérer comme des témoignages, mais elle est aussi un ressort majeur des textes littéraires. Le numéro 40 de Bien Dire et Bien Aprandre (2025) cherche à percevoir les traces de cette diglossie, les enjeux de pouvoir, d’identité, de lien à la langue de culture au sein de la littérature écrite en langue mineure.
Au départ d’études de cas, on interrogera la place (centrale ou marginale) de la diglossie dans les textes et dans l’éthos des personnages. Comment la loyauté à une langue est-elle mise à mal dans le jeu social, comment les conflits qui en résultent sont-ils surmontés par les protagonistes, quelle(s) posture(s) et quelle(s) langue(s) sont-elles mises en scène ? Cette diglossie littéraire peut être pittoresque, esthétique, politique ou revêtir bien d’autres valeurs encore. Est-il possible de dégager des traits communs par-delà les époques et les langues régionales concernées ?
Tous les corpus littéraires sont les bienvenus, qu’il s’agisse de prose, de poésie, de théâtre, de chanson ; le propos s’intéresse au premier chef à la Galloromania, du Moyen Âge à nos jours, mais on ne s’interdira pas les incursions dans d’autres territoires. S’il s’agit bien d’investiguer au sein des littératures en langues mineures, les œuvres bilingues ne seront pas exclues.
Les projets d’article (entre 3000 et 5000 caractères, avec bibliographie primaire et secondaire indicative, 5-10 mots-clés, et un bref curriculum-vitae de 5-10 lignes) sont à adresser avant le 10 septembre 2024 à : esther.baiwir@univ-lille.fr et contact-revue-bdba@univ-lille.fr
Bibliographie
J.-M. Eloy, La constitution du picard : une approche de la notion de langue, Louvain, Peeters (Bibliothèque des Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain), 1997.
Ch. A. Ferguson, « Diglossia », World 15/2, 1959, p. 325-340.
J.A. Fishman, « Who speaks what language to whom and when? », La Linguistique 2, 1965, p. 67–88.
A.-M. Houdebine, « Le centralisme linguistique. Brève histoire d’une norme prescriptive », La linguistique, 2016/1 (Vol. 52), p. 35-54.
J. Jaspers, « Sujet toxique ou d’actualité ? La diglossie aujourd’hui », Langage et société, 2020/3 (N° 171), p. 123-135.
Procédure d’évaluation : évaluation par double expertise.
Calendrier :
- 10 septembre 2024 : réception des projets d’article.
- 15 octobre 2024 : notification des décisions d’acceptation ou de refus aux auteurs.
- 1er mars 2025 : réception de la première version des articles, puis début de la double évaluation.
- 15 juin 2025 : livraison des textes définitifs par les auteurs dont les articles ont été acceptés, après les éventuelles corrections d’ordre scientifique ou de forme.
- Octobre 2025 : publication du numéro de la revue.
La revue Bien Dire et Bien Aprandre, fondée en 1978 et publiée par le Centre d’Études médiévales et dialectales de l’Université de Lille et l’ULR ALITHILA, n’accueille que des contributions scientifiques originales (non encore publiées ou soumises à d’autres revues).
Bien Dire et Bien Aprandre est une revue mixte, diffusée en version imprimée et numérique, en accès libre différé (après un délai de restriction d’un an) : https://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/
La revue contient également une section « Miscellanées » incluant des articles originaux de Varia, qui peuvent aussi être envoyés à : contact-revue-bdba@univ-lille.fr.