La transmission comme performance : déplacer les formats de partage du savoir

  • Transmission as performance: shifting kwowledge sharing formats

DOI : 10.54563/demeter.1542

Abstracts

L’article propose l’analyse conjointe de trois performances qui reprennent des dispositifs de transmission du savoir – Le laboratoire de la contre-performance IMAVI, 2018, Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019 et Alain Michard, La carpe et le lapin, 2020. Il s’agit de faire apparaître la façon dont les écarts introduits par les artistes vis-à-vis des normes communicationnelles des formats performés, renseignent, tout en les déplaçant, les situations didactiques investies.

The article proposes the analysis of three performances which take up knowledge transmission devices – Le laboratoire de la contre-performance IMAVI, 2018, Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019 et Alain Michard, La carpe et le lapin, 2020. We try to show the way in which the deviations introduced by the artists regarding the communicational norms of the formats performed, inform, while shifting them, the didactic situations invested.

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Text

Introduction

On considère le plus souvent que la création artistique et la critique des œuvres sont des activités séparées, investies par des acteur.rice.s différent.e.s1, cependant on constate que des artistes produisent un discours sur l’art et en font un matériau de leurs créations. C’est le cas d’Alain Michard dans sa performance La carpe et le lapin réalisée en mars 2020 au musée d’arts de Nantes. Adoptant le format de la conférence, il présente deux artistes au groupe venu l’écouter. Le laboratoire de la contre-performance, dans sa performance IMAVI réalisée en 2018 au musée Cognacq-Jay à Paris, met aussi l’histoire de l’art au centre de sa proposition. Les artistes portent un buste en bois sur lequel se trouvent des images d’œuvres qui entrent en résonance avec les tableaux accrochés aux murs du musée. Dans leur performance L’ami 8 réalisée en 2019 dans le cadre de la biennale d’art contemporain La revanche des milieux2, Dector & Dupuy proposent quant à eux une visite de la ville de Vern-sur-Seiche dans laquelle se tient la biennale. Dans ces performances, le discours porte sur les œuvres et les lieux désigné.e.s par les artistes ; il constitue dans le même temps l’œuvre performative qu’elles.ils sont en train de réaliser. En ce sens deux niveaux de discours cohabitent : le discours sur l’art, et le discours en tant qu’art.

Carole Talon-Hugon voit dans les pratiques artistiques contemporaines qui manipulent du savoir une menace pour les sciences humaines. Les œuvres pointées par l’autrice feraient le lit d’un relativisme scientifique et seraient incapables de produire des connaissances3. Dans le cas des trois œuvres qui nous intéressent, nous rappellerons que si elles convoquent l’histoire de l’art et miment les situations didactiques instaurées par les institutions culturelles, elles constituent avant tout un geste artistique. En ce sens nous ne chercherons pas à valider ou invalider les informations partagées ni à évaluer le caractère démocratique du dispositif de transmission du savoir. Loin de souscrire à l’idée selon laquelle le caractère fictionnel de certaines œuvres les priverait de tout lien avec le réel, nous tâcherons, à partir de l’analyse des trois performances, de comprendre comment elles renseignent, tout en les déplaçant, les formats qu’elles investissent.

La médiation comme dispositif artistique

Les trois performances que nous venons d’évoquer s’inscrivent dans un dispositif didactique précis : une visite urbaine pour Dector & Dupuy, une conférence pour Alain Michard et une médiation4 pour Le laboratoire de la contre-performance. Elles portent respectivement sur le patrimoine, l’art contemporain et l’art classique.

Chaque situation d’énonciation comporte ses règles et ses usages5 : dans une conférence, l’intervenant.e se tient face à un public statique, elle.il partage son opinion sur un sujet, dans un style « ordinairement sérieux et un peu impersonnel6 ». Au cours d’une visite guidée au contraire, les participant.e.s se déplacent7. Le discours est accompagné par un ensemble de gestes désignant l’objet du propos, le regard de la.du guide alterne entre le public et ce qu’elle.il commente8. Conformément aux situations didactiques qu’ils investissent, Dector & Dupuy adoptent les normes communicationnelles de la visite guidée, Alain Michard celles de la conférence. Les deux premiers portent une veste, un jean et des lunettes. Le fait qu’ils revêtent une veste traditionnellement portée en France quand il s’agit d’intervenir dans une situation officielle ou à caractère intellectuel, construit la fonction de guide qu’ils assument. Après avoir été présentés par les organisateur.rice.s de la biennale9, ils commentent, lors d’un tour d’environ 2h, ponctué de seize arrêts, des éléments urbains banals, comme un banc, un transformateur E.D.F., un muret [Figure 1]. Avec fluidité, la parole circule d’un artiste à l’autre. D’un lieu au suivant, les participant.e.s échangent entre elles.eux de façon informelle à propos de ce qu’elles·ils viennent d’entendre. Alain Michard porte une veste semblable à celle de Dector & Dupuy. Il accueille le public dans le hall du musée et le conduit en silence dans une première salle d’exposition où il l’invite à observer les œuvres en suivant ses consignes (à titre d’exemple : s’arrêter devant une toile, se décaler, s’accroupir, écouter les sons de l’espace). Après cette courte introduction, il le conduit jusqu’à la salle choisie pour la conférence et prend la parole debout, face à un groupe assis [Figure 2]. Son propos, clair et articulé, est ponctué par le son des percussions maniées par Carla, son assistante. Dans le cas de ces deux événements, un rendez-vous a été donné au public par le biais du programme de la biennale de Vern-sur-Seiche et du musée d’arts de Nantes ; ils ont été présentés comme des performances. Dans ces deux propositions, les artistes appliquent un certain nombre de codes spécifiques au rôle assumé (choix vestimentaire, élocution, énoncés instructionnels), afin d’endosser une fonction qui n’est pas la leur – guide ou conférencier. Le caractère ordinaire de ces normes contribue généralement à ne pas les identifier comme telles, mais leur mise en scène, accompagnée de la subversion partielle d’autres caractéristiques des formats adoptés (choix des expôts, pratique corporelle, percussions) conduit ici à les faire apparaître. En effet, comme l’analyse Jean-Philippe Antoine à propos de la conférence-performance, les écarts introduits par les artistes dans « le rituel ordinaire10 » des situations didactiques investies, contribuent à révéler les rouages de ces formats et la façon dont ils mettent en scène le savoir scientifique11.

Fig. 1

Fig. 1

Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019, Vern-sur-Seiche

 

Fig. 2

Fig. 2

Alain Michard, La Carpe et le lapin, 2020, Musée d'art de Nantes.

Le dispositif est différent en ce qui concerne IMAVI, la proposition du laboratoire de la contre-performance. Les trois artistes n’accueillent pas les visiteur.se.s, elles sont réparties dans les salles du musée Cognacq-Jay et leur présence crée la surprise. Pas de veste de costume en ce qui les concerne, mais son pendant féminin : robe noire et escarpins. Elles portent aussi un masque et sont coiffées d’oreilles de lapin. Par ailleurs, elles ne parlent pas. La médiation se fait par le montage d’images présenté sur leur buste, qu’elles dévoilent devant les spectateur.rice.s. Ce ne sont pas les responsables d’un groupe qu’elles mèneraient dans les salles du musée ; les visiteur.se.s, pourront s’arrêter pour les observer ou passer à la salle suivante sans leur prêter attention [Figure 3]. Si elle était déjà présente dans le cas des deux premières performances, la subversion des normes spécifiques au cadre reproduit est ici manifeste. Nous commençons à voir que les écarts produits par les artistes du corpus rendent visibles des convenances communicationnelles pensées comme ordinaires – du choix vestimentaire au fait de transmettre un savoir par un discours – tout en ouvrant les situations investies à de nouveaux possibles, c’est ce que nous allons analyser plus en détail à présent.

Fig. 3

Fig. 3

Le laboratoire de la contre-performance, IMAVI, 2018, Musée Cognacq-Jay

© Liliane Cima

Déjouer le déroulement oratoire 

Afin d’observer de plus près les transgressions produites par les artistes vis-à-vis de certaines normes des situations didactiques investies, commençons par voir comment elles.ils déjouent le déroulement oratoire des activités de transmission performées.

Comme nous venons de l’indiquer, les membres du laboratoire de la contre-performance proposent une médiation muette12. Leurs accessoires (masque, oreilles de lapin) n’incarnent pas le sérieux de leur fonction. Leur proposition semble ainsi s’appuyer sur la notion de rupture : rupture entre les images d’œuvres présentées conjointement, rupture entre leur rôle et leur attitude, entre une présence animale et le sérieux de leur fonction. Alain Michard quant à lui, en plus d’établir des analogies inattendues entre les deux artistes de son discours, bouleverse l’organisation de la transmission des informations : il ne donne le nom des deux protagonistes qu’à la fin de sa conférence. En ce sens le « sujet » de la conférence n’est pas exposé alors qu’il est censé justifier la présence du conférencier et de son public13. De leur côté, Dector & Dupuy construisent tous leurs commentaires sur le même modèle : ils sont courts, la prise de parole alterne, et ils terminent par une chute. Au quartier La Touche, les artistes mentionnent par exemple les rues portant des noms d’oiseaux et commentent conjointement le déclin du nombre d’ouvriers (habitants originels du quartier) et le déclin du nombre d’hirondelles. La présentation termine ainsi : « En 25 ans on est passé de 14000 à 4000 ouvriers chez Citroën. En 10 ans la population des hirondelles a diminué de 40 %. En statistique c’est ce qu’on appelle une corrélation positive. » Le caractère scientifique de la notion convoquée (« la corrélation positive ») produit un effet cocasse car on ne s’attend pas à ce qu’elle soit employée dans une démonstration empirique, dont le point de départ est le nom des rues d’un quartier. On a ici l’impression que l’objectif de chaque intervention est d’aboutir au bon mot final, comme si les connaissances transmises n’étaient qu’une étape pour y parvenir.

Détourner l’attention des expôts

Les performeur.se.s surprennent nos attentes vis-à-vis du déroulement oratoire des situations investies ; par ailleurs elles.ils s’affranchissent du contenu implicitement attendu par les visiteur.se.s en choisissant pour sujet des éléments surprenants14.

Les seize lieux dans lesquels Dector & Dupuy s’arrêtent n’ont rien de pittoresque ni de marquant. Comme indiqué par le programme de la biennale d’art contemporain La revanche des milieux : « L’itinéraire de cette déambulation symbolique tentera de s’écarter des chemins attendus. Un regard différent sur la ville essaiera de se construire par une parole partagée et de petits gestes performatifs15 ». Un massif en ciment, une clôture ou un arbre, voici quelques-unes des étapes du parcours. La ville de Vern-sur-Seiche renferme pourtant des traces historiques et des monuments. Les artistes les ont bien repéré·e·s et ils s’évertuent à les contourner, à regarder derrière, ou à côté, pour observer ce qui se cache dans l’ombre de l’Histoire officielle. Ils nous rassemblent par exemple devant ce qui ressemble à un obélisque (on se rendra compte ensuite qu’il s’agit du monument aux morts) et pointent une petite brèche dans laquelle ils voient le portrait d’une Bretonne en habits traditionnels [Figure 4]. En début de parcours ils se placent à côté d’un lavoir, élément pittoresque de la ville, mais ils n’y prêtent pas attention et nous orientent plutôt vers un arbre menacé de déracinement. Ils nous mènent ensuite à l’arrière de l’église afin d’observer un vitrail représentant Saint-Martin de Tours coupant son manteau en deux pour en donner la doublure à un mendiant. Rappelant avec humour que notre corps de spectateur.rice.s ne se trouve pas à la place attendue, les artistes commentent : « Normalement ça se regarde de l’autre côté, mais là on a la chance, placé.e.s ici, de voir à l’envers et donc de voir la doublure de son manteau ».

Fig. 4

Fig. 4

Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019, Vern-sur-Seiche

Les membres du laboratoire de la contre-performance nous conduisent aussi à observer ce que l’on ne pensait pas être venu·e regarder. Au sein du musée Cognacq-Jay, il semblerait cohérent que la médiation concerne les œuvres du XVIIIe siècle qui ornent les murs. Chaque performeuse en « porte » une sur son buste, mais aucune n’est accompagnée d’éléments de contextualisation historique ni d’analyses iconographiques : les reproductions sont associées à des images de performances d’artistes du XXe siècle16. La synchronie produite invite à observer le tableau du XVIIIe à partir de la grille de lecture offerte par les images de performances, alors que la muséologie classique nous a plutôt habitué·e·s à étudier les œuvres des plus anciennes aux plus contemporaines17 [Figure 5]. L’attention est aussi détournée des œuvres vers les prétendues médiatrices faisant image, et des cimaises vers la cimaise portative.

Fig. 5

Fig. 5

Le laboratoire de la contre-performance, IMAVI, 2018, Musée Cognacq-Jay

© Liliane Cima

Alain Michard consacre sa performance à Robert Filliou et Daniel Johnston. Il ne construit pas non plus son discours chronologiquement et son propos concerne autant des anecdotes liées à la vie des protagonistes, au contexte social et économique dans lequel ils s’inscrivent, qu’à leur pratique artistique18. Il commence par les situer (l’un dans son garage, l’autre dans une caravane), il justifie ensuite le surnom qu’il leur a attribué, commente leur mode de vie et leur situation financière, évoque leur pratique puis explique comment il les a connus. Ensuite il parlera à nouveau de la pratique de l’un, de l’autre, et établira des analogies entre les deux : l’imbrication chez eux de l’art et de la vie, l’importance qu’ils accordent à leur famille, leur goût pour ce qui relève du bricolage. Après avoir une nouvelle fois présenté quelques-uns de leurs travaux, fait une longue digression sur l’origine géographique du premier, sur la postérité du second (due à un t-shirt porté par Kurt Cobain), le performeur commentera d’autres similitudes : ils sont morts jeunes, mais ont certainement beaucoup ri dans leur vie. À rebours des catégories qui classent les artistes et leurs œuvres en genre, école ou courant19, il s’agit pour le performeur de faire apparaître des réseaux de ressemblances ou de différences inattendus. La présentation d’Alain Michard est faite de va-et-vient, de détours et on peut aussi dire de retours, au performeur qui nous parle. Celui-ci égraine au fil de ses paroles des commentaires sur son appréciation personnelle, des anecdotes concernant la façon dont il a découvert ces artistes, des réflexions sur sa pratique, à partir de la leur.

Mettre en critique les topoï du discours sur l’art

Si le contenu des interventions est surprenant eu égard aux situations didactiques investies, ce constat est renforcé par le fait que les artistes s’affranchissent de certains topoï du discours sur l’art.

Pour ne pas dévoiler l’identité des deux artistes évoqués lors de la performance, Alain Michard leur donne le surnom de « Génie » (Robert Filliou) et de « Cœur-brisé » (Daniel Johnston). La notion de « génie » est un topos du discours sur la création. Elle est liée à la conception de l’artiste telle qu’elle s’est développée dans les sociétés occidentales à partir de la Renaissance. Pour Pierre-Michel Menger, le terme « génie » désigne celui qui est « propulsé au sommet de l’histoire par la seule force de ses considérables talents, dont l’aveuglante évidence suffirait à expliquer la réussite du grand homme et l’admiration des connaisseurs, puis des foules20 ». L’idée selon laquelle l’artiste serait un être à part pourvu de dons est encore largement partagée21. En employant le terme « génie », on peut supposer qu’Alain Michard souscrit à cette conception de la création, pourtant il nous dit de Robert Filliou qu’il propose de « ne rien faire » et qu’il est « sans talent ».

Un autre mythe semble reconduit par le performeur au début de son discours, celui de l’artiste maudit22. Les protagonistes apparaissent en effet comme deux marginaux qui se dédient exclusivement à leur pratique artistique. Si le Cœur-brisé « a commencé dans son garage », le Génie, de son côté, « a fini, ou presque fini, dans une caravane ». Le premier peut être imaginé sous les traits d’un « visage, un visage qui souffre ; qui peut sourire, mais qui toujours derrière ce sourire a l’air de souffrir », le second « s’est toujours défendu, battu, il a toujours été un peu en conflit ». Se dessinent ici les contours de deux créateurs en marge de la société… mais cette image s’avère dans le même temps tournée en dérision par le performeur. Johnston travaillait certes dans un garage, mais « au-dessus de sa tête il y avait la maison où se trouvaient ses parents, papa et maman ; […] Toute sa vie il a vécu chez son papa et sa maman. Donc je pense qu’il avait un toit sur la tête et à manger dans son assiette ». La répétition du son [-ette], l’enchainement final de deux fois huit syllabes, l’évocation naïve du « papa » et de la « maman » donnent au portrait du musicien un caractère enfantin : à l’image de l’artiste maudit se substitue celle d’un personnage de comptine, qui chante « à côté du rythme, à côté de la chanson, à côté de la tonalité ». À propos de Filliou, on apprend que son travail consiste dans le fait d’« imaginer des situations », d’« organiser la rencontre avec des personnes, de manière fictionnelle, ou de manière réelle », autrement dit, de « créer des moments de vie ». L’image de l’artiste hors de la société, en conflit avec ses contemporain.e.s, est ainsi nuancée.

En définitive, Alain Michard convoque l’image du génie, celle de l’artiste maudit, mais il semble s’en moquer dans le même temps. À l’opposé du mythe selon lequel les artistes ne se consacrent qu’à leur art, s’affranchissent du reste de la société pour pouvoir produire des chefs-d’œuvre, le performeur souligne le caractère modeste des pratiques dont il parle et s’attache à montrer comment les protagonistes de son discours articulent création et vie quotidienne.

Dector & Dupuy déplacent à leur tour les catégories qui définissent le domaine artistique via leurs commentaires centrés sur des objets quelconques. Ils rompent ici avec ce que Bourdieu analyse du fonctionnement du milieu de l’art : « […] la rupture avec le monde ordinaire […] est inséparable de la constitution du monde de l’art comme un monde à part23 ». Plutôt que de renforcer, par le discours, le caractère exceptionnel d’objets d’art, de montrer en quoi ils se distinguent d’objets ordinaires, les artistes montrent que n’importe quelle chose peut être digne d’intérêt et mériter l’attention. En quelque sorte les artistes investissent le discours sur l’art, mais renoncent aux effets de distinction qu’il produit : il ne s’agit pas de mettre sur un piédestal le mobilier urbain commenté mais plutôt de renouer, depuis le champ de l’art, avec le monde ordinaire. Face à l’église par exemple, il n’est pas question de commenter son plan en croix latine ni son clocher en façade, mais d’attirer l’attention sur le banc installé devant [Figure 6], dans les termes suivants :

  • Est-ce que c’est vraiment un banc ? Certains disent que c’est un autel de plein air, d’autres que c’est une table, d’autres que c’est un podium pour prendre des photos des marié·e·s au sortir de l’église. 

  • Notre hypothèse c’est qu’il s’agit d’un dolmen. Comme les dolmens il est composé d’une table posée sur quatre orthostates. C’est un dolmen nain poli.

Fig. 6

Fig. 6

Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019, Vern-sur-Seiche

En comparant un objet de mobilier urbain contemporain à une construction mégalithique, les artistes évoquent avec humour les traces préhistoriques qui se trouvent dans la région, en tournant en dérision leur caractère vénérable. Les dolmens sont des témoins du passé, ils contribuent à la constitution d’un récit historique. Dector & Dupuy s’affranchissent précisément de ce type de récit et déçoivent de la sorte les attentes liées au format de la visite guidée dans laquelle ils s’inscrivent. Leur discours, non-scientifique, se propose de révéler le potentiel fictionnel des éléments qui nous entourent. Il ne s’agit pas de dénigrer le contenu traditionnel des visites guidées urbaines, mais de proposer une autre façon d’observer et de commenter le patrimoine, en convoquant l’imagination.

La désacralisation des tableaux sur lesquels porte la médiation semble aussi à l’œuvre dans la proposition du laboratoire de la contre-performance. Sur l’un des bustes, Le retour de chasse de Diane peint par Boucher en 1745 côtoie une représentation antique du même mythe ainsi que la photo de performances de Valie Export, Rebecca Horn et Niki de Saint-Phalle. Diane est la déesse de la chasse. C’est une guerrière. Quand Actéon la surprend nue, se baignant, elle n’hésite pas à le transformer en cerf et à le laisser se faire dévorer par ses chiens. Or, ce que Boucher décide de conserver et de montrer de ce mythe, c’est une femme plantureuse, le teint laiteux (conformément aux critères de beauté du XVIIIe) en train de se déshabiller [Figure 7]. Sa poitrine est nue, et au centre du tableau, observé par trois paires d’yeux, se trouve un pied gracile, sur le point d’être délacé. Seuls les carquois, dans l’ombre des coins gauche et droit, ainsi que le gibier, nous renseignent sur l’activité précédente des quatre femmes représentées. Mais force est de constater que la Diane de Boucher ne s’est pas attaquée à un chevreuil ni à un sanglier : c’est un petit lièvre et deux oiseaux qu’elle a attrapés. Ils seront plumés et dépouillés, les quatre divinités quant à elles seront bientôt nues. Les autres images sur le buste de la performeuse présentent au contraire des femmes armées et en action, excepté Valie Export dont l’attitude (jambes écartées dévoilant son sexe, regard soutenu) n’en est pas moins menaçante. Tout comme Rebecca Horn et Niki de Saint-Phalle, cette artiste a fait de la performance un espace d’agentivité24 dans lequel les femmes peuvent s’émanciper de la fonction de modèle pour être maîtresses de leur représentation. À leur tour, les membres du laboratoire de la contre-performance semblent agir en ce sens. En se réappropriant l’image stéréotypée de la pin-up, elles soulignent la répartition sexuée des rôles dans l’art, répartition selon laquelle les hommes sont associés au génie créateur et les femmes à la muse. L’analyse nous permet ici de comprendre que l’écart vis-à-vis d’une médiation traditionnelle contribue à faire apparaître la façon dont une idéologie sexiste parcourt le champ de l’art, des œuvres jusqu’à la répartition des rôles de celles.ceux qui y contribuent.

Fig. 7

Fig. 7

Boucher, Le retour de chasse de Diane, 1745, huile sur toile 94x131, Musée Cognacq‑Jay, Paris.

Susciter l’interprétation

Les dispositifs analysés mettent en critique certains topoï du discours sur l’art et ne se consacrent pas exclusivement à diffuser un savoir ratifié à propos de leurs référents. Nous pouvons étudier à présent comment ils suscitent l’interprétation des spectateur.rice.s qui les découvrent. Au sein du musée où se tient la performance IMAVI, le tableau Diane chasseresse côtoie entre autres Danaé recevant la pluie d’or, La Belle Cuisinière de Boucher, Perrette et le pot de lait de Fragonard, autrement dit des femmes peintes par des hommes, dont on voit la poitrine, les cuisses ou bien les deux. À l’inverse, les cimaises portées par les performeuses, tel un miroir déformant, donnent à voir des femmes qui choisissent comment montrer leur corps. Nous pouvons souligner ici que ces cimaises ne remplacent pas celles du musée, mais leur font face. Autrement dit, le dispositif d’IMAVI n’est pas de substituer certaines représentations du corps féminin à d’autres, mais de faire cohabiter différents partis-pris en ce qui concerne la représentation des femmes. Il suscite des « associations » et des « dissociations », nécessaires, selon Rancière, à l’émancipation des spectateur.rice.s :

C’est dans ce pouvoir d’associer et de dissocier que réside l’émancipation du spectateur, c’est-à-dire l’émancipation de chacun de nous comme spectateur. Être spectateur n’est pas la condition passive qu’il nous faudrait changer en activité. C’est notre situation normale. Nous apprenons et nous enseignons, nous agissons et nous connaissons aussi en spectateurs qui lient à tout instant ce qu’ils voient à ce qu’ils ont vu et dit, fait et rêvé. […] Nous n’avons pas à transformer les spectateurs en acteurs et les ignorants en savants. Nous avons à reconnaître le savoir à l’œuvre dans l’ignorant et l’activité propre au spectateur. Tout spectateur est déjà acteur de son histoire, tout acteur, tout homme d’action spectateur de la même histoire25.

Contrairement au préjugé qui associe la vision à la passivité, l’auteur en fait le point de départ du savoir. Selon lui, nous percevons le réel à l’aune de ce que nous avons déjà vu et c’est dans ce lien que s’élaborent nos connaissances. Dans la performance que nous analysons, la proximité physique des cimaises fixes et mobiles suscite l’association des images qui y sont accrochées. Dans le même temps, l’écart iconographique entraîne leur dissociation et souligne la différence de traitement du corps féminin. Le dispositif peut ici être qualifié d’heuristique dans le sens où les artistes ne transmettent pas un discours défini, mais mettent en œuvre des conditions de compréhension quant aux partis-pris qui orientent la représentation des corps féminins. Le masque et la voilette que portent les artistes entravent leur regard et les mots qu’elles pourraient prononcer ; elles deviennent à leur tour une image mécanique dont le rôle est d’activer un dispositif et non de prononcer un discours qui viendrait se substituer à celui du musée. En ce sens les médiatrices délèguent leur parole aux spectateur.rice.s venu.e.s les observer : elles donnent des clefs de lecture pour réfléchir à ce qui est montré et si le public le souhaite, c’est à lui de mettre en mots la médiation qu’elles amorcent.

La parole circule aussi dans la performance de Dector & Dupuy, de façon plus ou moins inattendue, car leur discours laisse place à des interventions du public. Nous avons évoqué que toutes leurs prises de parole terminaient par un bon mot. À propos du transformateur E.D.F., Dector & Dupuy indiquent qu’il a subi des « modifications ». Ils commentent ensuite un fait de langue sans rapport manifeste, qui leur permet d’introduire leur chute :

Dans la langue française, c’est assez rare qu’on puisse appliquer un participe passé à un substantif de même racine. Il y a un cas célèbre, celui de l’Arroseur arrosé, le titre d’un des premiers films produit en 1895 par les Frères Lumière, les inventeurs du cinéma. Et maintenant il y a un autre exemple : le transformateur transformé.

Décliner un modèle de prise de parole identique, dans lequel le rapport entre le lieu et les propos n’apparaît qu’à la fin de la séquence, crée une connivence entre les artistes et les participant.e.s. Ces dernier.e.s attendent la fin de l’intervention pour apprécier la chute et comprendre l’intérêt des digressions des artistes. Nous remarquons que les spectateur.rice.s tentent d’anticiper le bon mot final ; l’un d’entre elles.eux dira d’ailleurs « le transformateur transformé » avant les artistes. Si cette polyphonie apparaît comme le fruit du dispositif mis en place par les performeurs, une autre intervention est plus surprenante. Alors que Dector & Dupuy achèvent de présenter un arbre qui se serait fait déraciner si une association ne s’y était opposée, un membre du public prend la parole. Un projet immobilier menace le Boël, un cours d’eau. Le participant dit profiter de la présence d’élu.e.s car selon lui, seule la mairie peut empêcher la construction de l’immeuble. Les œuvres d’art sont généralement perçues comme intouchables (au sens figuré et au sens propre), il est donc surprenant que cet homme s’autorise à perturber le déroulement de la performance en prenant la parole, au même titre que les artistes. Selon nous, l’intervenant a retenu du discours de Dector & Dupuy son contenu sémantique (une menace écologique locale) en dépit du contexte artistique dans lequel il a été prononcé. Les artistes se mettent de côté pour laisser cet homme parler et la visite reprend une fois qu’il a fini [Figure 8] ; les artistes-guides autorisent cette parole qui se substitue à la leur.

Fig. 8

Fig. 8

Dector & Dupuy, L’ami 8, 2019, Vern-sur-Seiche

Le fait de déléguer regard et parole aux participant.e.s à la performance apparaît de façon encore plus évidente dans La carpe et le lapin d’Alain Michard. À la fin de son discours au cours duquel il a ponctuellement sollicité le public (notamment pour traduire le titre des chansons de Daniel Johnston), il l’invite à « une petite pratique ». Deux par deux, nous sommes invité.e.s à « dire » à l’autre une œuvre, à voix basse. Considérant que chacun.e porte en soi son histoire de l’art (qui n’est pas forcément composée des objets légitimés par les institutions), il s’agit de partager avec un.e inconnu.e, dans l’intimité de la parole chuchotée, une œuvre qui nous habite. Cette proposition s’inspire du titre d’un texte de Robert Filliou L’histoire chuchotée de l’art, dans lequel il est répété que les êtres dont il est question sont morts, mais que « l’art est vivant ». Cette invitation est aussi l’occasion de s’approprier la performance à laquelle nous assistons : tout comme vient de le faire Alain Michard, nous allons, en binôme, faire cohabiter les travaux de deux artistes qui n’ont peut-être rien à voir. Et comme l’a fait le performeur, certain.e.s se sentiront autorisé.e.s à évoquer des détails qui peuvent sembler insignifiants, à évoquer un.e auteur.rice dont elles.ils ne se souviennent plus forcément du nom26.

L’analyse des dispositifs de transmission mis en œuvre nous permet de constater que les artistes invitent le public à prendre part à l’élaboration du discours des performances : elles.ils délèguent leur parole.

Partager un rapport à l’art

Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer en repérant les dispositifs didactiques investis par les artistes (visite guidée, médiation, conférence), nous constatons, à l’issue de l’analyse, que les performances transmettent des informations, mais surtout une façon d’être, de voir et d’appréhender les œuvres ainsi que ce qui nous entoure. Via un commentaire sur Robert Filliou et Daniel Johnston, Alain Michard montre comment l’art peut être imbriqué dans la vie de celles.ceux qui le pratiquent. Il évoque un rapport au monde qu’il invite à adopter puisqu’il conduit à chercher, en nous, une œuvre qui nous habite, au lieu de nous faire observer et étudier des objets inconnus. Il rend ainsi les participant.e.s légitimes à parler d’une œuvre parce qu’elle les a touché.e.s et non parce qu’elles.ils auraient des connaissances dessus.

En commentant des objets banals du patrimoine urbain, Dector & Dupuy transmettent aussi la conception d’un art imbriqué dans la vie. Ils invitent à poser un regard nouveau sur un paysage quotidien et soulignent que la dimension « artistique » des objets dépend de la façon dont on les observe. À leur tour, ils transmettent plus une façon d’appréhender le monde que des connaissances patrimoniales à retenir, et l’interruption du participant défendant le Boël va dans ce sens. Au premier abord, cette prise de parole semble malvenue et inappropriée au cadre de la situation dans laquelle seuls les artistes seraient autorisés à parler. Avec humour, une des organisatrices la qualifie de « putsch de performance27 ». Mais ce « putsch », plus qu’une attaque, paraît en adéquation avec la proposition artistique. C’est la notion de résistance qui a orienté le choix des lieux commentés par Dector et Dupuy, qui s’opposent quant à eux aux prérequis du format d’une visite urbaine dans lequel ils s’inscrivent. Plutôt que de transmettre en détail des connaissances liées à la ville, la visite apparaît comme un prétexte à l’enseignement d’une forme d’indiscipline, qui est de suite mis en application par cet orateur impromptu : il résiste au cadre de la performance en tant qu’intervention artistique intouchable, et le transforme, l’espace d’un instant, en une tribune politique.

Les membres du laboratoire de la contre-performance véhiculent à leur tour plus une démarche que des informations précises sur les œuvres du musée. Loin de présenter les tableaux comme des objets admirables face auxquels on s’attendrait à ressentir une émotion esthétique profonde, il s’agit de développer un regard critique quant aux choix de représentation faits par les peintres et d’envisager l’art comme un espace à partir duquel penser les rapports de pouvoir que l’on peut ressentir soi-même.

On peut donc se demander si ces propositions n’instaureraient pas un troisième niveau de discours. Au discours sur l’art et au discours en tant qu’art s’ajouterait un discours qui rend celle.celui qui l’énonce, légitime à parler d’art. Bourdieu voit dans la « complaisance à professer que l’expérience de l’œuvre d’art est ineffable28 », un moyen de distinction pour les créateur.rice.s et celles.ceux qui s’y identifient. En proposant un commentaire (verbal ou visuel) intime et situé des œuvres, en donnant la parole aux spectateur.rice.s, les performeur.se.s rompent avec l’idée selon laquelle les objets artistiques seraient si distingués que les profanes seraient dans l’incapacité de s’exprimer à leur sujet. Les performances font cohabiter ces trois types de discours et la parole passe des artistes au public venu les écouter ; elle circule entre celles.ceux qui s’en saisissent.

Conclusion

Il apparaît, à l’issue de l’analyse, que les œuvres de ce corpus révèlent les normes communicationnelles des situations didactiques investies. Les écarts introduits par les artistes – qu’il s’agisse de déjouer le déroulement oratoire attendu dans chaque cadre, de détourner l’attention des expôts supposés, de s’affranchir de certains topoï du discours sur l’art, de susciter l’interprétation et de partager un rapport intime à l’art – font indirectement apparaître les rouages des dispositifs de transmission performés. Les artistes s’approprient la partition de ces dispositifs et révèlent leur caractère spectaculaire. En ce sens, l’analyse de Bénédicte Boisson, Laurence Corbel, Anne Creissels et Camille Noûs quant à la mise en scène du discours dans les conférences, peut aussi s’appliquer aux autres situations didactiques investies ici : « si le discours est façonné par une rhétorique qui assure une certaine efficience de la parole, il l’est aussi par des gestes, des postures, des dictions plus ou moins codifiées ou théâtralisées29. » La subversion des normes communicationnelles des dispositifs investis par les performeur.se.s restreint peut-être l’efficacité de leur parole, et certain.e.s membres du public retiendront peut-être que le format d’apprentissage qu’elles.ils recherchent est discrédité par les artistes. Mais plutôt que d’évaluer la puissance didactique des performances par rapport à celle des situations investies, nous considérons que l’enjeu de ces propositions réside dans la façon dont elles informent les dispositifs performés et font apparaître comment ils contribuent à légitimer les informations transmises. Par ailleurs, si la diffusion du savoir est l’objectif premier des différents formats de médiation, il nous semble que les performances, en réunissant artistes et public dans une même expérience, soulignent un autre rôle de ces dispositifs : celui de créer du commun, de conduire des personnes qui ne se connaissent pas à se réunir autour de pratiques artistiques qui alimenteront une histoire partagée de l’art.

Bibliography

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Notes

1 Laurence Corbel, Le discours de l’art, écrits d’artistes 1960-1980, Rennes, PUR, 2012, p. 24 : « Que l’on se réfère à la critique, à l’histoire, à la théorie ou encore à la philosophie de l’art, on constate que toutes les formes de réflexion sur l’art sont majoritairement restées l’affaire de ceux qui, pour être spécialistes d’une discipline ou d’un domaine de réflexion, n’en ont aucune pratique ». Return to text

2 22e biennale d’art contemporain de Vern-sur-Seiche, commissariat L’île d’en face. Return to text

3 Carole Talon-Hugon, L’Artiste en habit de chercheur, Paris, PUF, 2021. Return to text

4 Nous employons ce terme en nous appuyant sur la définition qu’en donne Jean Davallon dans « La médiation : la communication en procès ? », MEI « Médiation et information », n° 19, 2004, p. 37-59 : « [l’action de la médiation culturelle] consiste à construire une interface entre ces deux univers étrangers l’un à l’autre (celui du public et celui, disons, de l’objet culturel) dans le but précisément de permettre une appropriation du second par le premier ». Return to text

5 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, vol. 1, Paris, Les Éditions de Minuit, (1959) 1973, p. 18 : « Tous les participants contribuent ensemble à une même définition globale de la situation : l’établissement de cette définition n’implique pas tant que l’on s’accorde sur le réel que sur la question de savoir qui est en droit de parler sur quoi ». Return to text

6 Erving Goffman, Façons de parler, Paris, Les Éditions de Minuit, (1981) 1987, p. 171. Return to text

7 Véronique Traverso, « Délimitation et partage des espaces », dans Les visites guidées. Discours, interaction, multimodalité, Jean-Paul Dufiet (dir.), Trento, Dipartimento di Studi Letterari, Linguistici e Filologici, 2012, p. 56 : « Une des particularités de la visite guidée à cet égard est le fait que les participants déambulent et que l’activité se déroule à travers une succession de déplacements et de stations, qui occassionnent des réorganisations multiples ». Return to text

8 Elisa Ravazzolo, « Les manifestations de l’interaction entre le guide et son public en situation de visite guidée », dans Les visites guidées. Discours, interaction, multimodalité, Jean-Paul Dufiet (dir.), ibid., p. 87. Return to text

9 Le collectif L’île d’en face composé d’Antoine Bertron, Chloé Beulin et Laura Donnet. Return to text

10 Jean-Philippe Antoine, « Un art exemplaire : la conférence-performance », dans Quand le discours se fait geste – Regards croisés sur la conférence-performance, Vangelis Athanassopoulos (dir.), Dijon, Les presses du réel, 2018, p. 105. Return to text

11 Erving Goffman, Façon de parler, op. cit. Return to text

12 Nous avons déjà noté que dans les musées, différents types de textes assurent une médiation entre les œuvres et le public. Par ailleurs, comme le montrent Coavoux et Giraud à partir de l’analyse des médiations au sein de Eoz, d’un musée des beaux-arts et d’un musée d’art moderne national, quand des médiateur.rice.s sont présent.e.s, les interactions avec le public passent principalement par des commentaires oraux. Samuel Coavoux, Frédérique Giraud, « La forme scolaire déniée des médiations muséales. Enquête sur l’accompagnement des publics », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, Hors-série n° 7, 2020, p. 133-157 : « Dans la quasi-totalité des activités observées, ce sont les commentaires des médiateurs sur les œuvres qui occupent la majeure partie du temps de l’interaction ». Return to text

13 Erving Goffman, Façon de parler, op. cit., p. 173 : « Les conférences en effet reposent sur un idéal précaire : certes, il convient que les auditeurs soient emportés au point de ne pas voir le temps passer, mais ce doit être à cause du sujet traité et non à cause du jeu du locuteur : c’est le sujet lui-même qui est censé avoir un effet durable sur les auditeurs, indépendamment du plus ou moins grand bonheur de sa présentation ». Return to text

14  Jean-Paul Dufiet, « Les visites guidées culturelles : définition générique et caractérisation discursive », Les visites guidées. Discours, interaction, multimodalité, Jean-Paul Dufiet (dir.), 2012, p. 19 : « La parole du guide organise des effets de découverte, dirige l’admiration du visiteur vers des objets exceptionnels […] ». Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, et comme nous allons l’analyser, les objets désignés par les artistes ne sont pas exceptionnels. Return to text

15 Dossier de presse, La revanche des milieux Vern Volume 22e biennale d’art contemporain 7 sept-12 oct., p. 6 Return to text

16 Comme l’explique Jean-Paul Dufiet, dans les musées, de nombreux types d’écrits assurent une fonction de médiation entre l’expôt et le public ; il est donc ici surprenant que le dispositif, tout en reproduisant une situation de médiation, propose une association d’images et non un texte. Jean-Paul Dufiet, « L’art écrit dans le Guide de Musée : l’exemple du guide du Louvre », Comment parler d’art ? Approches discursives et sémiotiques, Mélissa Barkat-Defradas et Stéphanie Benoist (dir.), Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 14 : En tant que texte de médiation, le guide de musée s’inscrit dans un univers d’écrits médiateurs très diversifiés : outre les différents types de guide de musée, il faut prendre en compte aussi les textes expographiques, les dépliants, les catalogues d’exposition, etc. Il y a donc une pluralité générique des écrits de musée […] ». Return to text

17 Comme le montre par exemple Jean-Paul Dufiet, ibid., p. 21 : « La chronologie artistique repose sur un ordre scientifiquement reconnu : le Moyen-Âge (GM 2009 : 258), puis “les débuts de la Renaissance”, “la première Renaissance” (GM 2009 : 215) ; viennent ensuite le “classicisme français”, “le romantisme”, le “premier romantisme”, “le néoclassicisme” (GM 2009 : 231). Deux critères complémentaires structurent la chronologie artistique : la conservation des formes et le renouveau de la peinture. […] Ce sémème de la nouveauté est récurrent dans la chronologie, et il explique que le Moyen-Âge soit présenté comme une époque artistique inaccomplie et dévalorisée, parce qu’elle ne repose pas sur une représentation anthropocentrée de l’espace : “la maladresse de la perspective” (GM 2009 : 214). La transformation des représentations du monde est pensée comme un “accomplissement supérieur” de l’art (Morana, Oudin, 2010). On ne peut pas ne pas noter ici une conception très hégélienne de l’histoire de l’art (Cometti, Morizot, Pouviet 2000 : 155-158) ». Return to text

18 On peut voir ici un lien entre la façon dont Alain Michard pratique l’histoire de l’art et ce que Laurence Corbel analyse de l’histoire de l’art élaborée par des artistes des années 1960 dans Laurence Corbel, « À rebrousse-poil : d’une histoire de l’art revue et relue par les artistes », nouvelle Revue d’esthétique, n° 4, 2009, p. 126 : « Cette inscription des œuvres dans un contexte social, politique et économique invite donc à sortir d’une histoire de l’art trop restrictive. Engagés dans les voies d’un art en prise avec la vie, ces artistes ne conçoivent donc plus cette histoire comme un champ spécifique, replié sur lui-même ». Return to text

19 Ces classements sont particulièrement fréquents dans les guides de musée et les manuels d’histoire de l’art comme l’explique Jean-Paul Dufiet à propos des œuvres peintes, op. cit., p. 37 : « L’expôt de peinture est défini par son appartenance à un ensemble de thèmes, de sujets, de genres qui dépendent de l’histoire de la peinture. En ce sens, le genre du guide muséal a des points communs avec le genre du manuel d’histoire de l’art : on pourrait même dire qu’au plan cognitif, il est une mise en œuvre de l’histoire de l’art, orientée vers le rapport au réalisme et au réel ». Return to text

20 Pierre-Michel Menger, « Le génie et sa sociologie. Controverses interprétatives sur le cas Beethoven », Anales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 57, n° 4, 2002, p. 978. Return to text

21 C’est par exemple ce que véhiculent deux expositions récentes : La ligne du génie, 11.06.21-16.01.22, Guggenheim, Bilbao, Tintoret, naissance d’un génie, 07.03-01.07.18, Musée du Luxembourg, Paris, mais aussi des articles : Annick Colonna-Césari « Rodin, genèse d’un génie de la sculpture », Connaissance des arts, 12 nov. 2020, Didier Ryckner, « Jean-Baptiste Perronneau. Portraitiste de génie dans l’Europe des Lumières », La Tribune de l’Art, 17 juil. 2017, ou encore la monographie sous la direction de Michel Draguet, Rubens, a genius at work, Tielt, Lannoo, 2008. Return to text

22 À partir de Paul Verlaine, Les poètes maudits, Paris, Léon Vanier, 1888, on entend par « artiste maudit » un.e créateur.rice détaché.e de besoins matériels, qui se consacre avant tout à son art et ne parvient pas à s’adapter à la société et à ses normes. Return to text

23 Pierre Bourdieu, Les règles de l’art – Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 103. Return to text

24 Anne Bénichou définit l’agentivité de la façon suivante : « L’agentivité consiste à s’aménager une marge de liberté face aux prescriptions afin de resignifier et de réélaborer les normes qui nous définissent et nous contraignent. » dans Rémy Besson, « Le reenactment en questions : entretien avec Anne Bénichou », Entre‑temps, 2018. URL : https://entre-temps.net/le-reenactment-en-questions-entretien-avec-anne-benichou/ [consulté le 04 juillet 2023]. Return to text

25 Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 23. Return to text

26 Témoignage de Q. Gralepois à l’issue de la performance, Musée d’arts de Nantes, mars 2020. Return to text

27 Commentaire prononcé par C. Beulin lors de la visite-performance à Vern-sur-Seiche le 7 septembre 2019. Return to text

28 Pierre Bourdieu, Les règles de l’art – Genèse et structure du champ littéraire, op. cit., p. 11. Return to text

29 Bénédicte Boisson, Laurence Corbel, Anne Creissels, Camille Noûs, « Introduction », Déméter. Théories & pratiques artistiques contemporaines, n° 5, 2020, p. 4. Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Clémence Canet, « La transmission comme performance : déplacer les formats de partage du savoir », Déméter [Online], 11 | Hiver | 2024, Online since 28 mai 2024, connection on 13 décembre 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1542

Author

Clémence Canet

Clémence Canet réalise une recherche doctorale en arts plastiques et linguistique à l’Université Paris 8, sous la direction d’Anne Creissels et de Luca Greco. Sa thèse porte sur des artistes qui réalisent des visites-performances et subvertissent les normes communicationnelles de la visite guidée. Investie dans une démarche de recherche-création, elle articule sa réflexion sur la circulation des savoirs à des activités de transmission qui prennent des formes à la fois académiques et artistiques. Elle rédige régulièrement des textes pour des artistes et a publié des articles dans plusieurs revues scientifiques (notamment Mosaïque, Écriture de soi-R, Itinera).

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