L’inflation patrimoniale comme érosion des créativités

Approche lévi-straussienne des processus de patrimonialisation à l’ère de la mondialisation

DOI : 10.54563/demeter.441

Résumés

Nous sommes passés d’un temps hésitant à conserver les décors de ballet peints par Picasso pour Parade à celui où sont, par exemple, exposés sans ambages quatre cents objets de scène ayant appartenu aux Rolling Stones.

Partant de ce constat, le présent article inscrit la réflexion sur la conservation des objets au sein du processus plus général d’extension de la notion de patrimoine qui s’opère au vingtième siècle. Beaucoup commentée, cette « inflation patrimoniale » réactive ici le débat sur le relativisme entre les cultures mais également sur le nivellement des valeurs.

À partir de la pensée de Claude Lévi-Strauss, l’auteur revient sur le processus d’intégration des créations culturelles au sein d’un patrimoine mondialisé (unesco : 1972). Souvent présenté comme une « source d’inspiration et de création » pour les générations à venir, il est néanmoins possible d’y voir un marqueur d’entropie et un signe de crise de la civilisation occidentale.

Les ambiguïtés au cœur des prescriptions formulées par les institutions internationales sont questionnées afin de renouer avec une idée prospective du patrimoine, de l’histoire et de la création.

We have gone from a hesitant time to keeping the ballet sets painted by Picasso for Parade to one in which, for example, four hundred stage objects that belonged to the Rolling Stones are on display unabated.

Based on this observation, this article inscribes the reflection on the conservation of objects within the more general process of extending the notion of heritage which took place in the twentieth century. Much commented, this “patrimonial inflation” reactivates here the debate on the relativism between cultures but also on the leveling of values.

Based on the thought of Claude Lévi-Strauss, the author returns to the process of integrating cultural creations into a globalized heritage (unesco: 1972). Often presented as a "source of inspiration and creation" for generations to come, it is nonetheless possible to see it as a marker of entropy and a sign of crisis in Western civilization.

The ambiguities at the heart of the prescriptions formulated by international institutions are questioned in order to reconnect with a forward-looking idea of heritage, history and creation.

Plan

Texte

Évaluer c’est créer : écoutez donc, vous qui êtes créateurs ! […] C’est par l’évaluation que se fixe la valeur : sans l’évaluation, la noix de l’existence serait creuse. […] Celui qui doit créer détruit toujours1.

Au début du vingtième siècle, les objets de spectacle ont pu s’affirmer pour certains artistes d’avant‑garde comme des moyens de remettre en question le principe de l’objet d’art pérenne. Qu’il s’agisse des fragiles masques2 en carton de Marcel Janco utilisés lors des improvisations dada du Cabaret Voltaire à Zurich ou des créations éphémères accompagnant peinture, musique et poésie dans les soirées futuristes, l’idée semblait germer que les valeurs établies autour de l’art comme « objet de musée » devenaient suffocantes. En mêlant l’art au vivant, ces objets de spectacle (bientôt de performance) permettaient de descendre la création de son piédestal muséal en s’éloignant du statut fétichiste promu par le marché. Évidemment, en rompant avec l’objet d’art traditionnellement consacré, les artistes ont indirectement invité le musée à repenser le patrimoine. Le succès de « l’art nègre », ainsi que la pratique du ready-made ou encore les recherches menées par le Bauhaus, ébranleront aussi par d’autres chemins les lignes de démarcation entre les différents objets, qu’ils soient d’art, d’arts appliqués, vernaculaires, de cultes ou de folklores. Cette ouverture sera accompagnée au début des années 30 par des figures inventives de la muséographie comme Jean-Louis Vaudoyer, Georges Henri Rivière ou encore Hugues de Varine. Le pari était d’attirer « la foule des curieux3 », de rompre avec la seule collecte du rare et du reconnu, pour redéfinir le rapport des musées aux publics en se basant sur la valorisation d’objets jusqu’alors délaissés par les institutions culturelles. Au regard des fonds et des expositions du Musée des Arts Décoratifs de Paris, de la Cinémathèque Française, du Centre National du Costume de Scène, ou encore du Mucem, force est de constater que l’idée a fait son chemin et que les publics répondent présents.

Nous sommes ainsi passés du temps des objets rescapés (ex : Le fauteuil de Molière4, la robe de Reine de Sarah Bernhardt5, le rideau de scène6 de Parade par Picasso.) à celui où sont par exemple exposés sans ambages quatre cents objets (costumes de scène, instruments, maquettes de décors) ayant appartenu aux Rolling Stones7.

Dans un vaste numéro consacré aux mutations actuelles du musée, Monique Veaute voyait avec enthousiasme dans l’élargissement de la notion de patrimoine un « éloge de la diversité » :

Le musée conçu par des savants pour des savants, par des experts pour des artistes, est mort. Aujourd’hui, depuis la seconde partie du xxe siècle, la situation a radicalement changé. Le musée est devenu un média de masse, un véritable enjeu de débats sur les cultures, les arts et les sciences. Le public se déplace nombreux et les musées poussent comme des champignons8.

Mais cette extension vertigineuse de la notion de patrimoine et, à travers elle, de la mission des musées9, divise aussi. L’historien Pierre Nora en signale ainsi la tendance :

La métamorphose de la notion de patrimoine a fait de lui, pour le dire brutalement, le contraire de ce qu’il était : du plus élevé et rare de la création, il est passé au quotidien le plus traditionnel […]. C’était autrefois les traces les plus remarquables du passé ; c’est aujourd’hui la totalité des traces du passé en tant que passé. Le patrimoine a quitté son âge historique, national et monumental pour entrer dans un âge mémoriel, social et identitaire10.

Dans cet article, nous tenterons de déterminer de quelle manière cette « inflation patrimoniale11 » (heritage boom12), dont la réalité est avérée par de nombreux observateurs13, peut être lue comme un symptôme de la crise des valeurs qui frappe les sociétés occidentales depuis les années 80. La singularité de notre démarche se situera dans la tentative, à partir d’outils lévi-straussiens, d’en rendre compte de façon systémique. Il s’agira de montrer dans un premier temps que cette inflation patrimoniale est notamment le fruit d’une application non‑maîtrisée de la notion de relativisme culturel dans le contexte de mondialisation. Nous reviendrons sur les grandes étapes de cette tendance aujourd’hui manifeste jusque dans les institutions de l’unesco sur lesquelles est adossé l’icom, prescripteur des musées. Nous tenterons ensuite d’en formuler une lecture critique en montrant combien l’inflation patrimoniale14 participe aussi d’une dévaluation de ce que créer veut dire. Nous prenons donc ici délibérément la notion de création dans son sens « radical15 » disait René Passeron, à savoir celui des conduites créatrices (poïétique) dépassant largement la seule sphère consacrée par l’art.

Patrimoine chaud & patrimoine froid

Avant toute chose, explicitons quelques principes du modèle thermodynamique16 des cultures que Lévi-Strauss développera tout au long de son œuvre17. L’anthropologue utilise les notions de sociétés « froides » et « chaudes18 » pour décrire et dialectiser des modes de vie dont les impacts entropiques sur la nature et les autres cultures sont jugés particulièrement distincts.

Les sociétés les plus froides seraient comparables à des horloges ayant besoin de peu d’énergie pour fonctionner. À l’inverse, les sociétés les plus chaudes sont décrites comme des machines à vapeur qui, pour avancer, « fonctionnent sur une différence de température […] entre la chaudière et le condenseur ».

Dans ce cadre, les sociétés occidentales sont décrites comme particulièrement « chaudes », car relevant d’un idéal pratique et intellectuel dominé par des fins de croissance. Dans leur rapport au temps, elles se caractérisent aussi par une certaine difficulté à accepter la mort et à lui donner sens spontanément, ce qui les poussent à domestiquer l’histoire19 et à penser cette dernière comme un projet inachevé.

Par la manière dont ils exploitent leurs milieux, les Nambikwara20, les Caduveo, les Bororo ou encore les Tupi-Kawahib21 constituent des exemples de sociétés froides, c’est‑à‑dire se pensant de manière achevée. Ils ne cherchent pas à croître, mais à se maintenir. Cela va de pair avec un niveau de vie modeste, la régulation responsable des ressources naturelles et la recherche d’un taux constant de fécondité. En outre, les récits cosmogoniques qui fondent leurs institutions leur permettent de n’être angoissées par nulle transcendance, fût-ce sous forme larvée22. Cette acceptation de leur condition expliquerait pour bonne part l’absence d’organisation autour d’un projet historique.

Comprenons bien, qu’assurément, toute société est dans l’histoire et change, mais toutes les sociétés ne thématisent pas le temps comme histoire23. Contre certaines critiques24, Lévi‑Strauss rappellera interroger la conscience subjective qu’une culture se donne de sa propre histoire. Ces notions de chaud et de froid ne postulent donc pas entre les sociétés une différence de nature ni ne les placent dans des catégories exclusives. En outre, les sociétés empiriques peuvent occuper autant de positions intermédiaires dans l’espace ouvert par ces deux types distincts25.

Le patrimoine, « construction sociale26 » dont les « processus s’effectuent suivant des finalités »27 jouerait également un rôle différent selon la température historique d’une société. Les sociétés les plus froides, souvent sans écriture28, ne possèdent que peu de dispositifs de mise en perspective du patrimoine culturel. Elles ne visent pas l’autoreprésentation29 comme moyen de produire du devenir. Au travers des rituels, des mythes et de divers savoir‑faire, chaque membre réactualise et incarne vivant le récit de l’origine, représentation et présentation y forment généralement les deux moments simultanés de la manifestation culturelle. À ce titre, Richard West constate combien certains peuples autochtones n’envisagent pas leur monde en termes muséographiques : « Ils ne manifestent aucun intérêt pour la présentation de leur patrimoine dans des vitrines rassemblant de superbes objets de curiosité […]30. »

Les sociétés les plus chaudes fixent par écrit les connaissances, enregistrent les produits du travail accompli, repèrent et extraient certains objets de leur monde et développent des dispositifs de stockage et de conservation variés (à la manière de nos bibliothèques, de nos archives ou de nos musées) en vue de les préserver, mais également de s’y mesurer et si possible de les dépasser afin de donner collectivement sens à l’histoire31. En somme, les sociétés occidentales font du patrimoine un vecteur prospectif de développement et une source d’inspiration et de création32 renouvelée.

On comprend dès lors que le postulat qui travaille les propositions de Lévi‑Strauss est d’origine marxiste. Il invite à considérer la création culturelle comme étroitement liée à la manière dont les sociétés créent les biens matériels33. Selon un regard éloigné, la conservation patrimoniale est, dans sa forme chaude, solidaire du vaste processus de fructification des richesses qui n’est pas nécessairement neutre sur un plan moral ; car porteur notamment de l’ambivalence entretenue par l’Occident vis‑à‑vis de certaines franges de la population et d’autres cultures :

Nos sociétés […] utilisent pour leur fonctionnement une différence de potentiel, laquelle se trouve réalisée par différentes formes de hiérarchie sociale, que cela s’appelle l’esclavage, le servage, ou qu’il s’agisse d’une division en classe, cela n’a pas une importance fondamentale quand nous regardons les choses d’aussi loin et dans une perspective aussi largement panoramique34. […] Mais cet écart est toujours provisoire, comme dans une machine à vapeur qui tend à l’immobilité, parce que la source froide se réchauffe et que la source chaude voit sa température s’abaisser35.

Notons enfin que, la « température historique » d’une société n’est jamais définitivement figée et que certains événements peuvent en modifier profondément la tendance. Ce dernier point va nous intéresser ici tout particulièrement pour tenter d’expliquer la crise des valeurs que rencontre la civilisation occidentale. Pour le dire schématiquement, notre propos va être de montrer comment, sous l’effet de la mondialisation, certains aspects des sociétés chaudes (impact anthropocène) et des sociétés froides (histoire achevée) tendent de plus en plus à être réunis, sorte de mort thermique des créativités.

Le patrimoine mondial : de l’universalisme au relativisme culturel humaniste

L’unesco36 est à l’origine du fameux programme Patrimoine Mondial, établi par une convention en 1972. Proposons d’abord de montrer comment cette institution supranationale est passée d’un universalisme au relativisme mais sans remise en question profonde du modèle épistémologique occidental basé notamment sur une conception chaude du patrimoine. Ce point de passage est d’autant plus nécessaire que l’icom, en tant que prescripteur des institutions patrimoniales à travers le monde, est adossé aux directives de l’unesco37.

Chloé Maurel, spécialiste de l’institution onusienne, rappelle que dans les années 40-50, l’organisation avait notamment pour but « de rapprocher les systèmes de pensée et les référentiels culturels, d’unifier les cultures et les modes de vie38. » Dès 1952, avec Race et histoire39, Lévi‑Strauss avait exprimé à la tribune de la jeune unesco ses réserves envers une certaine pensée universaliste humaniste qui, en dépit de ses intentions émancipatrices, acculturait ouvertement certains peuples sous l’effet, par exemple, de la colonisation. Prônant le relativisme culturel40, l’anthropologue réclamait de tourner la page des considérations évolutionnistes et proposait, non pas de comparer les cultures en fonction d’un modèle de développement unique, mais en ce que chacune a « sa façon particulière de résoudre des problèmes » et « de mettre en perspective des valeurs (…)41. » L’intervention sera applaudie, car elle venait couronner un travail mené de l’intérieur42 pour déconstruire les préjugés racistes. Toutefois, dans les faits, cette prise de conscience ne se fera réellement sentir qu’à partir de 1960. L’unesco, qui jusqu’alors était critiquée de tarder à soutenir les mouvements de décolonisation43, s’engage à « enrayer le processus en cours d’uniformisation culturelle44. »

En mars 1971, Lévi-Strauss fut invité une seconde fois à la tribune de l’institution. Il y présente une conférence intitulée Race et Culture. Contre le modèle de la diversité en dialogue qui commence à être prôné par l’institution, il défend l’idée qu’une certaine fermeture culturelle est justement essentielle à la sauvegarde de la richesse et de la diversité : « Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente […] au point que les échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité 45. » Pour ralentir ce cours des choses, l’anthropologue préconise de garder la « bonne distance », principe rustique prélevé auprès des Indiens Mandan et Hidasta46. Plus encore, il conteste le modèle civilisateur occidental (écoles, hôpitaux, musées, transports, télécommunications…) qui, en dépit d’intentions louables, mène à la croissance des populations et favorise les échanges culturels ce qui conduit à l’égalisation de la diversité culturelle ainsi que la mise en péril de l’écosystème (anthropocène).

Il ne s’agissait évidemment pas pour Lévi‑Strauss de s’illusionner sur un quelconque nativisme, nationalisme ou fondationnalisme ni même de prôner une authenticité primitive, homogène et permanente, mais bien de tenir à distance deux écueils opposés et qui menaceraient à terme les cultures : le repli essentialiste et, son pendant inverse, l’uniformisation par excès de contacts. En dehors de tout manichéisme de principe, Lévi-Strauss réclamait de réhabiliter les vertus d’une prise de distance suffisante entre les cultures47. La conférence fut « un joli scandale48. » Il est vrai qu’elle n’allait guère dans le sens de la future convention pour la création d’un Patrimoine mondial qui devait paraître l’année suivante. Le projet lévi‑straussien, invitant à un refroidissement planétaire, ne semblait guère engageant pour la communauté internationale, car il n’était porteur d’aucun dépassement historique. De surcroît, la détresse de certaines parties du globe rendait moralement difficile la réaffirmation de frontières. Enfin, des intérêts économiques non avoués, mais réels étaient également tapis dans l’ombre de cette mondialisation. On serait tenté de dire qu’il était malheureusement déjà trop tard pour prôner le relativisme culturel et à travers lui la « bonne distance » entre les cultures. Lévi‑Strauss y a‑t‑il vraiment cru ? Dans un monde où allaient croissant l’interdépendance et l’interconnexion, la complexité culturelle semblait désormais imposer une conception de la culture elle-même renouvelée. Pendant plusieurs décennies, la doctrine de l’unesco va donc tourner le dos à Lévi‑Strauss. En 1982, la convention de Mexico donnait la définition suivante de la culture :

[…] la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui‑même. C’est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. […] C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience de lui‑même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui les transcendent49.

unesco produisait ainsi une définition particulièrement localisée (occidentale et moderne50) de la culture. Les idées de projet inachevé, de raison constituante et de transcendance y régnaient sans partage en restreignant l’humain à la capacité de réflexion sur lui‑même, et la culture à l’instrument de cette prise de conscience. En plus d’être à contretemps du débat postmoderne, qui à l’époque commence déjà à agiter les pays dits développés, tout un pan de conduites créatrices inconscientes, cosmocentrées51 ou simplement « sauvages » paraissait réduit à l’inventaire des vestiges du passé.

En 2002, le discours de l’unesco prend même des accents évolutionnistes. La pensée consciente comme les sociétés démocratiques sont présentées comme venant à elles-mêmes comme « désir nu avec l’Occident52 » :

Une société arrivée à maturité est déterminée par sa capacité à gérer le pluralisme culturel qui l’a fait évoluer d’un état d’ignorance politique vers le choix rationnel de bâtir une société démocratique pouvant intégrer toutes les différences. Dans ce sens, la diversité culturelle enrichit et vivifie la société53.

Il faudra attendre 2005, et notamment la thèse de Samuel Huntington sur l’inéluctabilité du « choc des cultures et des civilisations54 », pour que la Conférence générale soumette un projet de Convention55 afin de favoriser cette fois la « diversité en dialogue » selon le modèle de l’interculturalité. Cette dernière est définie en ce qu’elle « renvoie à l’existence et à l’interaction équitable de diverses cultures ainsi qu’à la possibilité de générer des expressions culturelles partagées par le dialogue et le respect mutuel56. » Le texte élève désormais la « diversité culturelle » elle‑même au rang de « patrimoine commun de l’humanité ». Néanmoins, cette même année 2005, Lévi‑Strauss remarque que le problème de l’hégémonisme occidental persiste dans sa forme diffuse. Le caractère prétendument « équitable » étant compromis par des règles du jeu proprement occidentales :

Les petits peuples que nous appelions indigènes reçoivent maintenant l'attention de l'Organisation des Nations Unies. Conviés à des réunions internationales, ils prennent conscience de l'existence les uns des autres. Les Indiens américains, les Maori de Nouvelle Zélande, les aborigènes australiens découvrent qu'ils ont connu des sorts comparables, et qu'ils possèdent des intérêts communs. Une conscience collective se dégage au‑delà des particularismes qui donnaient à chaque culture sa spécificité. En même temps, chacune d'elles se pénètre des méthodes, des techniques et des valeurs de l'Occident57. »

Le risque signalé relevait d’un processus d’acculturation passive58. La critique était essentiellement épistémologique et semblait dénoncer la marche forcée de ce qu’on nomme le relativisme culturel humaniste59. Michel Melot remarque par exemple que « l’écrit et plus encore le livre ne sont nullement des biens universels », or « à quel titre l’imposerions-nous à des cultures orales qui viendraient y perdre leur mémoire60 ? » Il n’empêche que seront déployés de vastes programmes d’alphabétisation à travers le monde.

L’interculturalité aujourd’hui défendue par les institutions s’adossant à l’unesco est toujours systémiquement ethnocentrée. Son système aura beau « être aussi procédural que possible, il ne pourra s'abstenir de véhiculer et promouvoir des contenus culturels déterminés61 » comme le concède Patrick Savidan. En somme, au relativisme culturel qui invitait à une prise de distance, l’unesco a réellement répondu par un « universalisme pluraliste », dans le sillage des pensées de Jürgen Habermas ou de Martha Nussbaum.

En 2006, année du soixantième anniversaire de l’unesco, Lévi‑Strauss revient une troisième et dernière fois s’exprimer. Il y répète dans les grandes lignes les idées de 1971. Dans un contexte de réchauffement climatique de moins en moins nié, le propos fut cette fois salué62. Il faut dire que l’anthropologue avait, dès 1951, dénoncé le péril écologique et ouvert la voie aux pensées liées à la décroissance. La difficulté reste que l’unesco continue de construire où elle peut « des sociétés du savoir63 » en même temps qu’elle affirme s’engager « en faveur de la biodiversité ». Qu’elles soient nommées « sociétés des savoirs » ne doit pourtant pas faire oublier qu’il s’agit structuralement de sociétés chaudes, dont les modes de vie associés font porter un coût non négligeable à la planète.

Comment créer à « bonne distance » dans un monde qui rétrécit ? 

Ainsi, selon le modèle thermodynamique lévi‑straussien toute culture vit d’échanges. Toutefois, si les échanges permettent de créer de nouvelles combinaisons culturelles et augmentent pour un temps les différences, il y a un seuil au-delà duquel ils finissent par se nourrir des différences et par les neutraliser. La question n’est pas de savoir si un dialogue interculturel est possible ou nécessaire, la vraie question concerne la finalité et l’intensité de ce dialogue à l’échelle mondiale. La recherche de la « bonne distance » aurait peut-être pu permettre d’enrayer un processus de modélisation des savoirs qui tend à uniformiser la manière dont les cultures répondent aux problèmes qui se posent à l’humanité. Ce processus se caractérise par l’hégémonie progressive de quelques valeurs et de quelques savoir-faire régionaux dans chacun des secteurs qui forme la culture. Certains domaines font actuellement la démonstration progressive de ce nivellement. L’internationalisation du marché de l’art contemporain, véritable espace mondialisé où convergent les critères de jugement, de création et de monstration (Moulin : 2003) en figure un exemple éloquent. Selon Catherine Choron-Baix et Franck Mermier, le marché tendrait même à la « répétition des procédés et des œuvres », les artistes s’engageant dans de mêmes types de productions « faisant une large place aux performances, aux installations, à la vidéo et au multimédia, tandis que les publics adaptent leurs goûts à ces canons64. » Ce type de transformation génère le sentiment que le « monde rétrécit », car il y a de plus en plus d’êtres humains, mais de moins en moins d’expressions culturelles variées.

Début 2008, l’ong Survival international estimait qu’une langue du monde disparaît « toutes les deux semaines » parmi les six mille recensées et que « même minutieusement étudiée et transcrite, une langue sans locuteurs ne représente pas grand-chose »65. En somme, il faudrait être capable de sauver la diversité des conduites créatrices, autrement dit la diversité en acte (poïèse) et non simplement le contenu historique figé que chaque époque lui a donné. Lévi-Strauss semblait signaler cela :

[…] on ne peut se dissimuler qu’en dépit de son urgente nécessité pratique et des fins morales élevées qu’elle s’assigne, la lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce même mouvement qui entraîne l’humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie, et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins capables de les produire66.

Se faisant, nous voyons se dialectiser de manière antagoniste deux attitudes généralement considérées comme s’épaulant dans nos sociétés : la création et la conservation. Préserver une large variété de potentialités humaines et culturelles n’aurait surtout de sens que si elles offrent aux hommes davantage d’options vivantes créatrices. Michel Melot remarque

[qu’] à l’unesco, les responsables du classement des sites et monuments au titre de « patrimoine mondial » savent bien qu’ils exportent cette valeur dans des pays qui l’ignorent. Au Cameroun, le palais du roi doit être, à sa mort, abandonné aux rigueurs du temps pour disparaître peu à peu, ce qui est peu compatible avec notre notion de conservation. En Roumanie, les moines repeignent eux-mêmes les fresques de leurs monastères, à la grande surprise des techniciens envoyés par la France pour les restaurer selon nos normes. 67

Ainsi, paradoxalement, conserver c’est aussi détruire par d’autres chemins des « trésors vivants » de créativités qui ne peuvent s’établir sur le principe de l’objet pérenne.

Le risque que les cultures deviennent des pièces de musée pour visiteurs d’altérités culturelles momifiées, semblait inquiéter le conservateur Zeev Gourarier en 1987 :

Par exemple, on est passé de l’intérêt du folkloriste pour un coffre, à celui de l’ethnologue pour des ensembles mobiliers puis immobiliers, pour aboutir aujourd’hui aux écomusées qui, voulant prendre en compte non seulement les objets et leur contexte, c’est-à-dire des sites, conservent également des savoir-faire, donc à mes yeux des hommes ! Un tel cheminement est nécessairement à contenir, car, poussé à l’absurde, il tendrait à faire d'une société toute entière un musée68.

Le goût de plus en plus prononcé de nos sociétés pour la patrimonialisation ne relève-t-il pas désormais, à une échelle anthropologique, de la thésaurisation pathologique, véritable besoin irrépressible de recueillir, de stocker et de conserver des créations à défaut d’être capable, non pas simplement de les produire comme affirmait Lévi‑Strauss, mais d’ordonner à travers eux un sens à notre histoire ?

Il ne s’agit donc pas tant de dénoncer un processus d’hégémonie que de pointer un problème qui engage à terme une situation d’anomie pour la civilisation occidentale elle-même, car « pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création69 ».

En ce sens, une civilisation mondialisée et obnubilée par la conservation des patrimoines est peut-être le symptôme d’un processus d’épuisement de l’intérieur. S’il n’y a plus de différence de potentialité marquée (écarts différentiels), aucun souffle nouveau ne peut désormais alimenter la « machine à vapeur » qui s’apparente alors culturellement à une sudation en vase clos. Sorte d’emballement systémique où la conservation des richesses peine aujourd’hui à engendrer durablement du devenir dans l’histoire.

Cette lecture paraît étayée par le fait que l’inflation patrimoniale s’accompagne assez peu d’une dépatrimonialisation. C’est en ce sens que l’expression peut avoir, comme l’explique Jean-Benoît Bouron :

[…] une dimension critique, celle du « tout-patrimoine ». Dans ce cas, elle n’est pas une remise en cause de la légitimité des nouveaux objets patrimonialisés par rapport aux anciens, mais plutôt un questionnement sur le sens donné au patrimoine dans son ensemble, en l’absence d’un mouvement de dépatrimonialisation70.

Fernand Braudel voyait dans le « bouclage du monde71 », opéré par les explorateurs européens entre le xve et le xviie siècle, une des étapes importantes de la mondialisation. Peut-être sommes-nous en train d’assister au bouclage culturel du monde ? Si de plus en plus d’observateurs s’accordent à dire que nous vivons dans un monde matériellement fini72 et que la planète ne peut offrir d’infinies richesses, un constat du même ordre serait alors peut-être à dresser concernant le fait culturel ?

Du relativisme culturel au relativisme statique73 : la création au prisme du tout se vaut

En 2005, Lévi-Strauss remarquait que « l’uniformisation ne sera sans doute jamais totale » mais que « dans une humanité devenue solidaire, les différences entre les cultures seront d'une autre nature : non plus externes à la civilisation occidentale, mais internes aux formes métissées de celle-ci étendues à toute la terre74. » Or, le relativisme culturel qui relevait d’une prescription formulée à l’Occident pour trouver la bonne distance vis-à-vis des autres cultures est finalement lui aussi devenu « interne » à la civilisation mondialisée. Nous allons voir que cela explique pour bonne part l’inflation patrimoniale à laquelle nous assistons et l’entropie des valeurs qui en découle.

À l’approche des années 80, le mot « postmoderne » a pu être utilisé pour qualifier un sentiment de perte des repères et d’incrédulité grandissante envers les valeurs des sociétés développées. Dans son rapport sur le savoir75, Jean-François Lyotard attribuait cette désillusion à l’échec des grands récits76modernes d’émancipation qui avaient pour dessein d’affranchir l’homme des particularismes politiques, religieux ou plus généralement culturels, afin de fédérer l’humanité dans la paix et autour d’un destin historique commun. Sur le plan de la création architecturale et artistique, des tendances ont pu entériner cette désillusion en prônant délibérément un usage éclectique de toutes les formes offertes par les différents patrimoines. Prenons l’exemple du mouvement pictural qui émerge en Italie au début des années 80 et qui sera consolidé et élargi ensuite par le théoricien Achille Bonito Oliva sous le nom de trans‑avant‑garde :

La trans-avant-garde est aujourd’hui la seule avant-garde possible, en ce qu’elle permet à l’artiste de garder en main son patrimoine historique dans l’éventail de ses choix a priori, à côté des autres traditions culturelles qui peuvent en réanimer le tissu77.

L’idée que les patrimoines puissent « réanimer » le tissu de l’art occidental et ainsi devenir à la fois une forme de conservation et de dépassement au sein même de la création artistique n’a toutefois pas su convaincre sur un plan esthétique. Le mouvement est encore aujourd’hui largement déclassé. L’éclectisme de la trans-avant-garde a paru incarner par son relativisme statique un premier état d’aporie propre à un contexte multiculturel aux valeurs devenues interchangeables et relativisées. Elle n’a pas non plus su éviter l’encombrant paradoxe de se présenter à la fois comme la dernière avant-garde permise et comme le dépassement du récit moderniste lui‑même par l’usage de la citation et de l’emprunt. Lyotard verra dans cet éclectisme, que l’on retrouve également dans le postmodernisme architectural (Venturi : 1972, Jencks : 1977), une forme de dérive populiste et kitsch : « L’éclectisme est le degré zéro de la culture générale contemporaine78. »

Pourtant, dans ses meilleures intentions, cet éclectisme se nourrissait des résultats de l’anthropologie – notamment structurale – pour justifier d’en finir avec les « grands récits ». Il cherchait une issue aux illusions et aux excès du progrès et de la modernité, espérant les déjouer par un regard pluriel où « tout se vaut ».

Il s’agissait aussi parfois de mettre au jour une expérience qui fasse enfin entendre les patrimoines des vaincus de l’histoire79. Sur le plan de la création muséographique, la célèbre exposition de Jean-Hubert Martin, Magiciens de la terre en 1989 (Centre G. Pompidou, Grande Halle de la Villette), revendiquait aussi un éclectisme salvateur en rassemblant des œuvres et des artistes issus d’horizons fondamentalement différents. La moitié de la centaine d’artistes vivants provenait de contextes dits « exotiques » ou « autochtones » (inuits, aborigènes, etc.), l’autre moitié était des superstars de l’art contemporain occidental. Faire l’état des lieux de cette diversité mondiale afin de produire l’exposition de la terre entière80 était l’enjeu annoncé par Jean-Hubert Martin : « nous voulons monter une exposition vraiment internationale […] je veux montrer les divergences réelles entre les différentes cultures81. » Mais alors, le choix opéré de sélectionner les artistes à partir de critères82 d’originalité et de radicalité propres à la modernité des avant-gardes n’aura-t-il pas eu là encore tendance à normaliser l’image que l’on se faisait des pratiques artistiques à travers le monde, plutôt qu’à en signaler la variété ? On retrouvait une nouvelle fois à l’œuvre l’ambiguïté épistémologique de l’unesco dans cette muséographie faitière. De ce second motif aporétique, Jean-Hubert Martin semblait avoir conscience sans néanmoins le dépasser :

C’est vrai que c’est le premier piège auquel on pense, mais j’affirme d’entrée de jeu qu’il est bel et bien inévitable. Ce serait pire encore de prétendre qu’on peut organiser ce genre d’exposition dans une optique objective « a‑culturée », sous un point de vue « décentré » justement83.

Les tenants de la transculturalité et du troisième pattern y ont généralement vu un processus inéluctable et continu de créolisation des cultures où s’affirmera à terme une esthétique de la globalisation84. D’autres, sans nier cette globalisation, ont tenté d’ouvrir et d’intégrer d’autres systèmes de valeurs85, pensons par exemple à la démarche de Catherine Grenier avec Modernités Plurielles (2007)86.

Notre propos se contentera de signaler qu’avec la mondialisation, le relativisme culturel est devenu interne à la civilisation occidentale. Les objets qui n’étaient a priori pas des œuvres d’art (par exemple des objets cultuels extra-européens) ou qui relevaient d’autres systèmes de valeurs, le sont pour ainsi dire devenus par leur exposition au musée et ont intégré la conscience occidentale. Leur présentation a semblé rendre possible l’énonciation d’un jugement esthétique ce qui a contribué à entraîner, comme l’a bien vu Marc Jimenez, une crise dans l'esthétique87.

Un nivellement des valeurs s’est alors répandu au sein même de l’Occident. Lévi-Strauss fut largement décrié pour cela par Jean-François Lyotard88, mais également par Alain Finkielkraut89. Il en récusera la critique dans le fil de ses longs entretiens avec Didier Eribon :

D.E. : Mais que pensez-vous du fait qu’on puisse vous accuser d’avoir contribué à abolir les hiérarchies, à cause de vos textes sur le relativisme culturel ?

C. L.-S. : Il ne faut pas confondre deux sens du mot culture. Dans son acception générale, culture désigne l’enrichissement éclairé du jugement et du goût. Dans le langage technique des anthropologues, c’est autre chose […] tout est objet d’étude : les productions qu’au premier sens du terme on jugera les plus basses comme les plus nobles.

Le relativisme culturel se contente d’affirmer qu’une culture ne dispose d’aucun critère absolu l’autorisant à appliquer cette distinction aux productions d’une autre culture. En revanche, chaque culture le peut et le doit s’agissant d’elle-même, car ses membres sont à la fois des observateurs et des agents. En tant qu’agent, le rock et les bandes dessinées n’ont pour moi point d’attrait […]. En tant qu’observateur, je vois dans la vogue de ces deux genres un phénomène sociologique qu’il faut étudier comme tel, quel que soit le jugement de valeur morale et esthétique qu’on porte sur lui […]90. »

Lévi-Strauss se contente ici de rappeler les mécanismes du relativisme culturel comme il les fixait déjà en 1958 dans le premier volume de l’Anthropologie structurale91. À l’époque, la solution se voulait constructive, car fondée sur deux attitudes : le respect envers des sociétés très différentes de la nôtre, et la participation active aux efforts de transformation de notre propre société. Seule la société à laquelle nous appartenons est celle que nous sommes en position de transformer sans risquer de la détruire : « car ces changements viennent aussi d'elle que nous y introduisons ». Ainsi « Quand le système de référence est ainsi “intériorisé”, tout change92. » On peut toutefois reprocher à l’anthropologue de maintenir ici une grille de lecture que la mondialisation, qu’on le veuille ou non, a rendue caduque. Même les deux sens du mot « culture » sont, dans un monde devenu solidaire, de plus en plus difficiles à discerner puisque, la plupart des « systèmes de référence » devient progressivement interne à la civilisation occidentale. De la même façon, l’opposition entre art majeur et art mineur perd aujourd’hui de sa réalité. Les arts plastiques, par exemple, ne parviennent plus à générer de la nouveauté à un degré aussi élevé que durant les avant-gardes. Inversement, les arts populaires sont de plus en plus ouverts aux expérimentations et de moins en moins sclérosés dans des formes appliquées. Les différenciations tendent à s’estomper et vont de pair avec la dissipation d’autres échelles d’oppositions que Lévi‑Strauss feint de ne pas voir, au premier chef, celle entre les autres et nous.

La mondialisation engendrant de moins en moins d’ailleurs, le regard sur l’altérité s’est retranché au sein de notre propre culture (motif de « l’endo-ethnologie » ou de l’« anthropologie chez soi93 »). Le sentiment endogène que tout peut devenir autre (pluralité) n’est peut-être que la réplique du sentiment exogène que tout devient même (uniformisation) à raison de la mondialisation. La sociologue Nathalie Heinich remarque qu’« aujourd’hui, l’intérêt des ethnologues pour l’étude et la conservation des pratiques de notre propre culture nourrit ce mouvement, récent, de “patrimonialisation” tous azimuts (…).94 »

À condition que le modèle qui fonde la conception lévi-straussienne des cultures est juste, on peut alors remarquer avec l’anthropologue Emmanuel Terray que « se profile à l’horizon un état d’uniformité généralisée » sorte de « mort culturelle »95 de la créativité humaine. L’inflation patrimoniale serait un signe de cette marche vers un nivellement des valeurs, face sociale et culturelle de l’entropie qui caractérise tout devenir de l’univers.

Désorientation civilisationnelle : de l’histoire à la mémoire

Il est vrai qu’on assiste à un éclectisme patrimonial qui répond sans doute à la difficulté de décider collectivement et officiellement d’une histoire partagée. L’icom explique que les musées doivent « orienter leurs ressources vers les besoins des populations qu’ils servent » en mettant en place des « méthodes plus inclusives, ouvertes à la participation et à l’implication des communautés96. »

Il existait déjà le principe du « double musée » théorisé en France par Salomon Reinach et s’appuyant déjà sur un constat d’irréductibilité : « Plus le spécialiste est à l'aise dans une collection, moins le grand public en jouit et en profite. L'abondance des répliques, des variantes, des exceptions réjouit l'un et ahurit l'autre97. » L’approche consistait alors à organiser de manière double les collections en distinguant deux sections comportant pour l’une des œuvres conformes aux attentes supposées du grand public et pour l’autre des collections d’études réservées aux spécialistes98.

Dès les années 70, les écomusées ont inscrit la participation des habitants au cœur de leur mode de fonctionnement et depuis, différents dispositifs se sont développés : de la cocréation d’un parcours de visite à une participation à la médiation culturelle jusqu’au co‑commissariat d’exposition, en passant par la co-production de contenus exposés. Marie‑Dominique Dubois en explique très bien les enjeux : « Il s’agit d’une élaboration commune, d’une nouvelle forme de dialogue où le non‑professionnel – le non-sachant – tend à se situer quasiment sur un pied d’égalité avec le professionnel – le sachant – ». Par ailleurs, la « démarche participative ne suppose d’être définie ni dans son contenu ni dans son résultat. Il convient de laisser une place à l’imprévu et au lâcher‑prise99. » Ces principes, dont on trouve certaines assises philosophiques chez Jacques Rancière, ont peut-être aussi leurs dérives.

Par exemple, les musées organisent des « enquêtes-collectes » invitant notamment la population à apporter des objets susceptibles de rejoindre les expositions. Les enjeux de représentativité y sont assumés sans ambages : « Nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche d’objets […]. Ce qui nous intéresse, ce sont les histoires personnelles qui existent derrière les objets […], c’est en fait le sens que les gens y investissent que nous considérons comme patrimonial100. » explique Florent Molle, conservateur.

Le musée ne cherche plus à définir scientifiquement le patrimoine, mais accueille les différentes manières de le penser, ce qui est présenté comme un vecteur de représentation démocratique et de paix sociale : « Le musée doit démontrer sa pertinence dans le développement économique, il est devenu ludique et interactif, distrayant et accessible. Mais il prend le risque de confondre culture et divertissement101 », concède Noémie Drouguet. L’une des difficultés étant que le musée tend de moins en moins à être un outil de la promotion des savoirs spécialisés et répond de plus en plus au rôle de médiateur social participant du bien vivre‑ensemble. L’institution tend alors à devenir un espace « intégrant les attentes en matière de représentativité102 » avec le risque d’abandonner les publics à la contemplation d’eux-mêmes (homophilie103). En somme, ainsi envisagé, le musée ne serait plus un lieu pour connaître mais pour reconnaître, voire s’y reconnaître. N’y a-t-il pas un risque démagogique dans cette fabrication du patrimoine ? L’inflation patrimoniale relève ainsi par quelques traits de l’analyse formulée par l’ethnologue Daniel Fabre, remarquant que le passé est devenu « une entité peu différenciée, qui se situe du côté de la sensation plus que du récit, qui suscite plus la participation émotionnelle que l’attente d’une analyse104. »

Le travail de l’historien Pierre Nora a eu notamment pour objet de signaler et de combattre l’hégémonisme de plus en plus fort des « mémoires » sur « l’histoire », y voyant le signe d’une « désorientation civilisationnelle105 ». Bien que l’histoire ne puisse jamais prétendre être pleinement objective et parfaitement juste, l’aspiration à faire histoire doit selon lui rester forte et ne pas céder à la juxtaposition des localités et des points de vue. L’histoire cédant le pas aux mémoires nous mènerait par ailleurs au présentisme théorisé par François Hartog : « Tout comme on annonce ou réclame des mémoires de tout, tout serait susceptible de le devenir. La même inflation semble régner. La patrimonialisation ou la muséification a gagné, se rapprochant toujours plus du présent106. » Le présentisme fait généralement le jeu de la consommation et de la marchandisation spectaculaire. Les dispositifs participatifs sont institués pour capter et neutraliser les défiances que la crise de la légitimité génère mais quand ils sont ainsi appliqués directement au patrimoine, au musée et à l’art, ne risquent-ils pas de devenir un vecteur de l’industrie culturelle ?

En 2019, Marie-Dominique Dubois remarquait que cette ambition à l’autoreprésentation patrimoniale, initialement liée aux musées des sociétés, se répand désormais dans l’ensemble des institutions muséales : « Celles-ci présentent un degré plus ou moins élevé d’implication des publics, dans le temps ou dans l’action, mais toutes sont guidées par un objectif d’ouverture, de partage et de promotion de la diversité culturelle107. » Ce type d’expression ne permet-il pas surtout d’évacuer sous les traits du litige ce qui relevait jusqu’alors du différend au sens entendu par Jean-François Lyotard ? Le litige étant une fiction moderne qui procède de l'illusion qu’il existerait un espace de débat en dehors de l'histoire, en dehors de l'idéologie et des identités (idiomes108) : « […] à la différence d'un litige, un différend serait un cas de conflit entre deux parties (au moins) qui ne pourrait pas être tranché équitablement, faute d'une règle de jugement applicable aux deux argumentations109. » Loin d’être nécessairement un problème, le différend serait un vecteur de créativité.

« L’art c’est ce qu’on fait ; la culture c’est ce qu’ils nous font110 »

En 2014, le manuel méthodologique de l’unesco confortait sa conception « chaude » du patrimoine en expliquant qu’il est « une source d’inspiration pour la créativité et l’innovation, qui résulte en produits culturels contemporains et futurs111. » Pourtant, certains signes laissent à penser qu’on génère artificiellement la réalité artistique et muséale à laquelle on voudrait aboutir. En effet, à partir de ces proclamations relayées par le Conseil international des Musées112 (icom), on voit poindre des appels à projets artistiques émanant d’institutions patrimoniales demandant aux artistes de parcourir les collections pour y puiser « inspiration » et produire une œuvre nouvelle ou encore un accrochage singulier. La difficulté de « produire du devenir » est masquée par des commandes artificielles permettant de faire naitre la réalité artistique et muséale à laquelle on veut aboutir (stratégie téléologique). Certains exemples sont donnés dans ce numéro thématique.

Contentons-nous ici d’exposer le cas du Mucem de Marseille qui a récemment passé commande à l’artiste Jeff Koons d’opérer des rapprochements entre ses œuvres et des objets vernaculaires issus des réserves. Par exemple, une corde et un trapèze de cirque113 ainsi qu’un costume de clown de l’atelier de Gérard Vicaire114 ont été sortis des réserves par Koons. Ces objets circassiens ont été ensuite mis en relation avec deux célèbres œuvres de l’artiste : Lobster115 (le grand homard) et Olive Oyl (Red)116. Des photographies géantes de contorsionnistes issues du fonds du musée tapissent quant à elles les murs alentour et évoquent l’étonnante position « debout sur ses pinces » de la sculpture homard. La présence du personnage de Popeye, brodé sur le costume de clown, fait quant à lui écho au personnage d’Olive présent dans l’œuvre-miroir de Koons. À d’autres endroits, Hanging Heart (Red/Gold) œuvre en forme de cœur117 est mise en relation avec des ex-voto118 issus des collections et eux-mêmes en forme de cœur. Les points de dialogue y apparaissent particulièrement formels, à l’image de toute l’exposition. Plutôt que d’expliquer au public la charge volontairement ironique qui caractérise l’esthétique kitsch de Jeff Koons, l’accompagnement pédagogique fait le choix d’en rester au premier degré dans son rapport aux publics : « Il n’y a aucune explication sur les associations décidées par Koons, aucune clef de lecture, pour offrir une grande liberté d’interprétation aux visiteurs119» précise la co-commissaire de l’exposition.

Outre la recherche d’un anoblissement par la mise en contact du patrimoine extra-artistique avec la création en acte, ne risquons-nous pas de tomber dans le règne intégral de l’esthétique de la réception voulant satisfaire aux horizons d’attente de chacun ? À défaut d’être capable d’élever le grand public au niveau de la création (devoir pédagogique que l’École et les Musées de la République pouvaient s’honorer de poursuivre) on cultive une forme de « lâcher-prise » amenant la création au niveau des masses populaires. La mauvaise conscience est, comme souvent en pareil cas, rapidement évacuée sur l’autel de la dénonciation de l’élitisme et du savoir comme domination.

Dans Du musée au parc d’attractions, Jacqueline Eidelman remarque que, « dans le contexte de la mondialisation des échanges culturels, le genre “musée de sociétés” est appelé à servir d’enseigne à une relation renouvelée des individus et des collectifs à la culture et aux cultures120 ». Ainsi Noémie Drouguet va jusqu’à s’interroger : « tous les musées ne sont‑ils pas des musées de société121 ? » à tout le moins voués à le devenir ?

Remarquons qu’il est désormais fréquent de voir les arts investis de la mission d’apporter cette dimension sociale qu’on prête à l’origine au musée des sociétés. L’ambition est difficilement critiquable puisqu’elle se présente comme motivée par l’exigence d’égalité d’accès à la culture et de reconnaissance des droits culturels.

Depuis la convention de Mexico, l’unesco édifie l’artiste en tant que médiateur social : « Reconnaissant le rôle particulièrement important aux agents culturels et aux artistes, c’est-à-dire à tous ceux qui servent les idéaux élevés de la vérité, du bien et de la raison, qui chérissent les nobles traditions humanistes de la culture universelle et qui préservent et enrichissent le patrimoine des œuvres exprimant la vie spirituelle de l’humanité122. » Pour sa part, l’icom s’affirme pleinement solidaire de la « vision mondiale123 » de l’unesco et extrêmement déterminé « à aller encore plus loin et à exploiter le potentiel plus large, social et humanitaire124 ». On devrait pourtant toujours s’inquiéter de voir les agents culturels et les artistes ainsi utilisés comme pansement social. On retrouve par quelques traits certaines des missions que les théories de Pierre‑Joseph Proudhon prétendaient donner à l’artiste et contre lesquelles Émile Zola s’est très tôt insurgé. Zola avait, comme Proudhon, une sensibilité de gauche, mais il était artistiquement contre tout idéal normatif et consensuel, refusant l’idée que l’art ait une finalité sociale et politique. Dans Mes haines, il expliquait déjà :

[Proudhon] rêve une vaste association humaine, dont chaque homme sera le membre actif et modeste. […] Je comprends parfaitement l'idée de Proudhon, et même, si l'on veut, je m'y associe. […] Ce que je ne saurais supporter, ce qui m'irrite, c'est qu'il force à vivre dans cette cité endormie [des artistes] qui refusent énergiquement la paix et l'effacement qu'il leur offre. […] Moi, je pose en principe que l'œuvre ne vit que par l'originalité. […] Je sacrifie carrément l'humanité à l'artiste. Ma définition d'une œuvre d'art serait, si je la formulais : “Une œuvre d'art est un coin de la création vu à travers un tempérament.” Je sens que Proudhon voudrait me tirer à lui et que je voudrais le tirer à moi. Nous ne sommes pas du même monde, nous blasphémons l'un pour l'autre. […] Je comprends combien je l'embarrasse, si je ne veux pas prendre un emploi dans sa cité humanitaire : je me mets à part, je me grandis au-dessus des autres […] Une seule crainte me reste : […] je ne voudrais pas être nuisible à mes frères. Lorsque je m'interroge, je vois que ce sont eux, au contraire, qui me remercient […] Désormais, je dormirai tranquille125.

Comme le pressent Zola, la création est toujours « de position » autrement dit, dialectisée vis-à-vis des autres. À quelque niveau se situe-t-elle, pour autant qu’elle aspire à la signification, la création est alors condamnée à choisir des points de vue.

Par certains aspects, l’extension non-maîtrisée de la notion de patrimoine apparaît aussi comme un moyen d’anesthésier la charge singulière de l’artistique, désormais perçue comme « violente ». L’artiste revendiquant toujours par sa création l’autorité d’un « tempérament » qui n’est, intrinsèquement, ni partagé, ni partageable par tous.

Comment faire pour que la démocratie participative ne devienne pas culturellement ce que Patrick Savidan nomme une « politique a‑politique de la proximité et de l’immédiateté126 » ? Plutôt que de penser le musée, le patrimoine et l’art comme zone de réconciliation, ne faudrait-il pas réintroduire de la distance et de la conflictualité sur laquelle l’historicité et l’artistique puissent avoir prise ?

Conclusion

En passant de l’exclusion à l’inclusion dans son rapport à l’altérité, l’Occident n’a peut-être pas su simplement garder « la bonne distance ». Le risque que nous avons pointé à partir du système lévi-straussien n’est pas tant celui de la monoculture que de l’entropie des cultures, la créativité de ces dernières étant désormais systémiquement menacée par le bouclage culturel du monde. En difficulté pour pleinement créer le patrimoine de demain, la tendance est à procéder par pas de côtés en investiguant les histoires oubliées et les patrimoines délaissés. Ces derniers sont activés, parfois à raison, parfois à tort, mais ils peineront désormais tout autant à s’imposer comme projet historique. Ne sommes-nous pas aujourd’hui face au mythe du méta-patrimoine et donc de la méta-culture, capables de recueillir sans reste toutes les significations établies au sein des patrimoines particuliers ?

En 2018, dans son ouvrage au titre éloquent Ce qui n’a pas de prix, l’artiste et poétesse Annie Le Brun remarque qu’aujourd’hui « trop d’objets, trop d’images, trop de signes » se neutralisent « en une masse d’insignifiance127 » rendant désormais toute discrimination de valeurs entre les créations impossibles. Selon des accents altermondialistes, elle conclut impuissante face au relativisme radical de l’époque : « C’est à chacun de trouver les moyens d’en instaurer le sabotage systématique, individuel ou collectif 128. »

Tous les trois ans, l’icom organise un grand congrès. Le dernier en date, sous le thème Musées comme centres culturels : l’avenir de la tradition, a été organisé au Japon à Kyoto en septembre 2019. La direction a voulu mettre en place une nouvelle définition des musées présentés comme « des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques. » Le 7 septembre, 70 % des délégués à l’assemblée générale ont refusé d’approuver cette orientation. Le débat fut particulièrement houleux et un report du vote fut instruit. Certains y ont vu la cristallisation de deux visions du musée, celle tournée vers les collections et les spécialistes et celle tournée vers les publics et la médiation sociale. Néanmoins le Canada, plutôt ouvert à la muséologie communautaire, a cette fois rejoint la France et d’autres nations pour refuser cette orientation. D’autres se sont émus de l’incapacité de trouver un consensus. Réjouissons-nous pour notre part que la « polyphonie » du vivre-ensemble désirée par ces institutions ait enfin laissé un peu de place à la « dissonance », car tant que les manières d’être et de faire de certains poseront des problèmes à d’autres, le mot « créer » aura du sens.

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Notes

1 Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883), Paris, Société du Mercure de France, 1903, p. 82. Retour au texte

2  Cf. par exemple Marcel Janco, Masque, 1919, assemblage, papiers collés, carton, ficelle, retouches, gouache et pastel, collection du Centre Pompidou. Retour au texte

3  « Et ces curieux, qui paient un droit d’entrée à la porte, sont nécessaires pour faire prospérer une œuvre (muséographique) pareille […]. » Jean-Louis Vaudoyer, Le Musée de l’Union centrale des arts décoratifs au pavillon de Marsan, Paris, Édition de la Revue de l’art ancien et moderne, 1920, p. 24. Retour au texte

4 Datant de 1673, le fauteuil d’Argan utilisé par Molière dans son ultime rôle du Malade Imaginaire n’a pris sa valeur auratique qu’à la mort de l’auteur et devint relique aux invalides. Il est notamment signalé à l'inventaire du 13 juillet 1815 de la Comédie-Française. Bien qu’inutilisable au regard de son état d’usure, il figure dans la section « Mobilier et accessoires pour le service du théâtre » accompagné de la mention suivante : « Un fauteuil de Molière, à crémaillère et couvert en peau noire... Pour mémoire, parce qu'il n'a pas de prix ». cf. Sylvie Chevalley, Revue de la Comédie-Française, n° 1 (septembre 1971), p. 25-26. Retour au texte

5 Nous évoquons ici le fameux costume porté par Sarah Bernhardt, alors à l’apogée de son succès, pour le rôle de la Reine dans Ruy Blas de Victor Hugo au Théâtre de l'Odéon en 1872 puis à la Comédie-Française en 1879. Il existe relativement peu de costumes conservés antérieurs au xixe siècle. Retour au texte

6 Le rideau de scène de Parade (1917, peinture à la colle sur toile, 1050 x 1640 cm, Centre Georges Pompidou, Paris) peint par Pablo Picasso, fut exceptionnellement conservé contrairement à l’essentiel des décors et costumes réalisés par l’artiste pour ce spectacle. La toile métisse en fibre de jute, fragile et grossière, typique des décors de théâtre de l’époque ne relevait pas de choix préalables faits pour durer. Cependant, le rideau se prêtait facilement par sa thématique et ses figures à être regardé comme une peinture autonome ou le « plus grand Picasso du monde », ce qui explique sa préservation. Sur la nature du support, cf. La restauration du rideau de scène du ballet Parade, documentaire, 3 min 37, présentation par Véronique Sorano-Stedman, cheffe de service de la restauration des œuvres au mnam Centre Pompidou : url : https://www.dailymotion.com/video/xro2kt Retour au texte

7 Unzipped, exposition Rolling Stones, du 10 juin au 5 septembre 2021, Stade Orange Vélodrome de Marseille. Cet exemple illustre également l’extension des lieux même qui désormais « font musées ». Retour au texte

8 Monique Veaute, « Avant-propos – Éloge de la diversité », Hermès, La Revue, Les musées au prisme de la communication, vol. 61, n° 3, 2011, p. 9-10. Retour au texte

9 L’icom signalait récemment encore que « Les musées grandissent et se multiplient de manière importante dans le monde. » Comité permanent pour la définition du musée, perspectives et potentiels (mdpp), 2018, p. 7. Retour au texte

10  Pierre Nora, « Les trois âges historiques du patrimoine », in E. Barnavi et M. de Saint-Pulgent, Cinquante ans après. Culture, politique et politiques culturelles, La Documentation française, 2010, p. 122. L’auteur souligne l’importance en France de « l’Année du patrimoine » lancée par Giscard d’Estaing en 1980, comme marqueur politique, parmi d’autres, d’une mémoire de plus en plus dilatée, démultipliée, décentralisée, démocratisée. Cf. le texte de présentation (1984) du premier volume des Lieux. Retour au texte

11 Jean-Benoît Bouron rappelle que « L’expression d’inflation patrimoniale a un sens neutre, dans la mesure où c’est le constat d’une réalité mesurable […] », 2021, url : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/inflation-patrimoniale Nathalie Heinich utilise également l’expression dans La Fabrique du patrimoine, Paris, La Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 15. Elle évoque par ailleurs « la spectaculaire extension de la notion de patrimoine dans le courant du xxe siècle. » p. 17. Le phénomène n’est pas seulement français mais international. Cf. p. 22. Retour au texte

12 Rodney Harrison, Heritage, Critical Approaches, Abingdon, Routledge, 2012. L’auteur, professeur en études du patrimoine, s’interroge notamment sur la manière dont celui-ci est passé du souci d'une poignée de passionnés et de spécialistes d'une partie du monde à quelque chose qui est considéré comme universellement chéri, véritable « obsession mondiale ». Retour au texte

13 Cf. Pierre Nora, 1992 ; Régis Debray, 1999 ; François Hartog, 2005 ; Nathalie Heinich, 2010. Retour au texte

14  L’historien François Hartog remarque : « Au cours de ces années [80], la vague patrimoniale, en phase avec celle de la mémoire, a pris de plus en plus d’ampleur jusqu’à tendre vers cette limite que serait le « tout-patrimoine ». François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et Expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003, p. 85. Retour au texte

15  Nous renvoyons aux travaux de philosophie de la création de René Passeron : « Conçu non seulement au niveau des formes qu’il a produites, mais en sa capacité de création, l’art devient la manifestation spécifique de la créativité humaine. […] En le prenant, à ce niveau radical, pour objet de ses recherches, la poïétique déborde de toute part les cadres […] de ce qu’on appelle couramment les beaux-arts. » René Passeron, Recherches Poïétiques, Tome II, le Matériau, Groupe de Recherches Esthétiques du c.n.r.s., Paris, Klincksieck, 1976, p. 27. Retour au texte

16 Le système lévi-straussien s’appuie sur la notion d’entropie et fait référence à la seconde loi de la thermodynamique établie par Carnot puis reformulée par Clausius. Retour au texte

17 La première apparition de cette terminologie date de l’émission radiophonique de Georges Charbonnier : Georges Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss (1961), Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 40-41. Ces notions seront reprises et développées régulièrement par Lévi-Strauss. Sans exhaustivité, citons par exemple la Pensée Sauvage (1962), ou encore dans l’article Retours en arrière (1998) pour la revue des Temps Modernes. Elles travaillent également les notions de Cru et de Cuit développées dans la quadrilogie des Mythologiques. Retour au texte

18 Les notions de sociétés chaudes et froides trouvent des prolongements actuels dans les travaux de l’historien François Hartog sur les régimes d’historicité ou encore chez l’égyptologue Jan Assmann dans son concept de mémoire culturelle. François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et Expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003. Jan Assmann, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, 2010. Bien que ces notions de Lévi‑Strauss aient été « l’une des cibles préférentielles des critiques », on reconnaît aujourd’hui qu’elles ont réussi à ouvrir une perspective « non seulement sur l’historiographie mais également sur l’historicité des sociétés humaines ». Cf. Marcio Goldman, « Lévi-Strauss et le sens de l’histoire », Les Temps Modernes, 2004, Paris, Gallimard, p. 98. Retour au texte

19 Nous empruntons ici à la formule aux accents lévi-straussiens de Daniel Fabre (dir.), Domestiquer l’histoire. Ethnologie des monuments historiques, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2000. Retour au texte

20 Heather Pringle, « How to court an isolated tribe », Science, vol. 348 n° 6239, 5 juin 2015 p. 1084. Retour au texte

21 Certains anthropologues ont pu resituer certaines sociétés au sein de la taxinomie dessinée par Lévi-Strauss, ces réajustements interprétatifs n’invalident pas intrinsèquement la grille de lecture structuraliste en tant qu’outil. Retour au texte

22 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 338. Retour au texte

23  Dans la Pensée sauvage Lévi-Strauss évoque par exemple les stratégies mises au point par les Aranda septentrionaux afin de rendre les évènements auxquels ils sont confrontés toujours fidèles aux mythes de l’origine. Ibidem, p. 311. Retour au texte

24 Claude Lévi-Strauss, « Retours en arrière », Les Temps Modernes, Paris, Gallimard, n° 598, mars‑avril 1998, p. 67. Réponse à la critique de Christian Delacampagne et Bernard Traimon sur ce couple notionnel : « La polémique Sartre/Lévi-Strauss revisitée », Les Temps Modernes, n° 596, novembre/décembre 1997, p. 10-31. Retour au texte

25 « […] aucune société n’est absolument “froide” ou “chaude”. Ce sont là des notions théoriques dont nous avons besoin pour forger nos hypothèses. Les sociétés empiriques se distribuent le long d’un axe dont aucune d’elles n’occupe les pôles. » Sur le sujet voir également : Claude Lévi-Strauss, De près et de loin, entretiens par Didier Eribon, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 174. Retour au texte

26 « Le patrimoine étant une construction sociale, sa place dans les projets de développement est fonction des objectifs que la société considérée se donne en matière de développement. » Michel Vernières, « Le patrimoine : une ressource pour le développement », Techniques Financières et Développement, n° 118, 2015/1 p. 10. Retour au texte

27  Cf. l’article de Julie Deschepper, « Notion en débat. Le patrimoine », Géoconfluences, mars 2021, url : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/patrimoine#:~:text=Le%20patrimoine,-Publi%C3%A9%20le%2023&text=Si%20le%20p%C3%A9rim%C3%A8tre%20du%20patrimoine,le%20pr%C3%A9sent%20et%20le%20futur. Sachant l’entreprise de définition du patrimoine aujourd’hui risquée, Nathalie Heinich propose la définition radicale suivante « “Conserver pour transmettre” : on a là la définition exacte de tout patrimoine, qu’il soit familial, national ou international. », 2010, p. 29. Cf. également le glossaire de l’unesco cette page du site de l’institution : url : http://www.unesco.org/culture/fr/natlaws/db/glossaire.pdf, p. 6-8. Retour au texte

28 Cela reste vrai, selon Lévi-Strauss, même pour les sociétés qui ont mis au point des procédés mnémotechniques : « De leur passé, elles ne pouvaient conserver que ce qu’une mémoire humaine est capable de retenir. Cela reste vrai, même pour le petit nombre de celles qui avaient, à défaut d’écriture, développé certains procédés mnémotechniques (ainsi les cordelettes nouées péruviennes ou les symboles graphiques de l’île de Pâques et de certaines tribus africaines). » Claude Lévi-Strauss, « Primitifs ? », Le Courrier de l’unesco, n° 5, 2008, p. 20. Retour au texte

29 Nous reprenons ici le terme utilisé par l’icom, mdpp, 2018, p. 10. Retour au texte

30 Cité par Marie Mauzé et Joëlle Rostkowski, « La fin des musées d’ethnographie ? Peuples autochtones et nouvelles perspectives muséales », Le Débat, n° 147, 2007/5, p. 87. Retour au texte

31 François Hartog « Le Regard éloigné : Lévi-Strauss et l’Histoire », Claude Lévi-Strauss : Les cahiers de l’Herne (2004), n° 82, (sous la direction de Michel Izard, Préface et choix des textes : Yves-Jean Harder), Paris, Flammarion, 2014, p. 287-306. Retour au texte

32 On retrouve pleinement ces idées dans les textes qui fondent actuellement l’unesco : « Le patrimoine culturel est, dans son sens le plus large, à la fois un produit et un processus qui fournit aux sociétés un ensemble de ressources héritées du passé, créées dans le présent et mises à disposition pour le bénéfice des générations futures […]. Il fournit également une source d’inspiration pour la créativité et l’innovation, qui résulte en produits culturels contemporains et futurs ». url : https://fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/digital-library/cdis/Dimension Patrimoine.pdf Retour au texte

33 Le postulat marxiste de Lévi-Strauss prendra une forme plus développée dans les travaux de Marshall Sahlins, mais également de Maurice Godelier. Sahlins explique comment, eu égard à certains aspects du travail de Lévi-Strauss, il en est venu à ménager au sein des infrastructures une place aux schèmes culturels. Il ne s’agit pas d’une « discontinuité temporelle et ontologique, où la culture apparaît comme le post-scriptum symbolique d’une pratique matérielle possédant sa propre rationalité […] » Marshall Sahlins, « Infrastructuralisme et quelques autres choses que j’ai apprises de Lévi-Strauss », Claude Lévi-Strauss, un parcours dans le siècle, (sous la direction de Philippe Descola), Paris, Odile Jacob, 2012, p. 193-219, voire notamment les pages 199 et 211. Maurice Godelier, considère également que « tout rapport social comporte nécessairement une part de pensée qui n’est pas nécessairement “illusoire” ou “légitimante”, et qui appartient au contenu de ce rapport dès sa formation » cf. « La Part idéelle du réel. Essai sur l’idéologie », L’homme, vol. 18, n° 3-4, 1978, p. 158. Nous renvoyons également à L'idéel et le matériel : pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard, 1984. Retour au texte

34 G. Charbonnier, op. cit., p. 34. Retour au texte

35 Idem, p. 40-41. Retour au texte

36 Créée dans l’immédiat Seconde Guerre mondiale à la suite du traumatisme du nazisme, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (unesco) a pour but de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes » Devise actuelle de l’unesco, url : https://fr.unesco.org/ Retour au texte

37 Rappelons que l’icom est une organisation non gouvernementale en lien formel avec l’unesco. Retour au texte

38  Chloé Maurel, « L'unesco aujourd'hui. Vingtième Siècle », Revue d'histoire, 2009, n° 102, p. 134. Retour au texte

39 Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, unesco, 1952, Paris, Denoël, 1987. Retour au texte

40 Pour rappel : « Le relativisme culturel est une très vieille notion dont il faut probablement attribuer la paternité à Hérodote qui a consacré toute son Enquête à mettre en regard les coutumes des Grecs avec celles des Égyptiens et des Sémites du Moyen-Orient. Et nous trouvons chez cet auteur du ve siècle avant J.-C. tant les nécessités que les difficultés de la notion. Avec une finesse déjà structuraliste, Hérodote constatait par exemple que les Grecs mangeaient dehors et faisaient leurs besoins dans la maison, à l'inverse des Égyptiens ». Hérvé Barreau et Tobie Nathan, « Relativisme culturel », encyclopédia universalis. Retour au texte

41  En 1952, Lévi-Strauss insiste sur le caractère relatif du progrès : « La civilisation occidentale s’est entièrement tournée, depuis deux ou trois siècles, vers la mise à la disposition de l’homme de moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l’on adopte ce critère […] La civilisation occidentale, sous sa forme nord-américaine, occupera la place de tête, les sociétés européennes venant ensuite, avec, à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes. Or […] selon le point de vue choisi, on aboutirait […] à des classements différents. Si le critère retenu avait été le degré d’aptitude à triompher des milieux géographiques les plus hostiles, il n’y a guère de doute que les Eskimos d’une part, les Bédouins de l’autre, emporteraient la palme. » Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, unesco, 1952, Paris, Denoël, 1987, p. 46-47. Retour au texte

42 Travail de sensibilisation (en vue de prévenir les intentions universalistes et les préjugés racistes) mené par plusieurs délégataires, notamment pour la France les ethnologues Georges Balandier ou Alfred Métraux. David Cf. Berliner et Chiara Bortolotto, « Introduction. Le monde selon l’unesco », Gradhiva, n° 18, 2013, p. 4-21. Retour au texte

43 À l’époque, certains membres dits « forts » comme la France, la Belgique ou le Royaume-Uni sont encore attachés à leurs empires coloniaux, bien que ceux-ci se soient déjà réduits. Retour au texte

44 Chloé Maurel, « L'unesco aujourd'hui. Vingtième Siècle », Revue d'histoire, 2009, n° 102, p. 134. Retour au texte

45 Claude Lévi-Strauss, « Race et Culture » in Le Regard éloigné (1983), Plon, Paris, 2001, p. 47-48. Retour au texte

46 Claude Lévi-Strauss va développer ce principe dit de la « bonne distance » par l’étude des institutions des Indiens Mandan et Hidasta : « Il vaudrait mieux, leur dirent-ils, que vous remontiez le courant et que vous bâtissiez votre propre village, car nos coutumes sont un peu différentes des vôtres. Ne les connaissant pas, les jeunes gens pourraient avoir des différends et il y aurait des guerres. N’allez pas trop loin, car les gens qui vivent trop loin sont comme des étrangers, et des guerres éclatent entre eux. Voyagez vers le Nord seulement jusqu’au point où vous ne pourrez plus voir la fumée de nos huttes et là, construisez votre village. Alors, nous serons assez près pour être amis, et pas assez loin pour être ennemis » (Anthropologie structurale II, p. 299). Notons que l’anthropologue Éric Schwimmer y a vu une piste féconde, pour tenter de convenir de la « bonne distance » entre certaines provinces et états, par exemple dans le cas du Québec dans son rapport au Canada. Cf. également le chapitre de Catherine Clément « La Pirogue céleste et la fumée des huttes », Claude Lévi-Strauss, Presses Universitaires de France, 2019, p. 60-64. Retour au texte

47 « Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. » Claude Lévi-Strauss, Le Regard éloigné (1983), Plon, Paris, 2001, p. 139. Nous renvoyons également sur ce sujet à l’article de Wiktor Stoczkowski, « Racisme, antiracisme et cosmologie lévi-straussienne : un essai d’anthropologie réflexive », L’Homme, n° 182, avril-juin 2007, p. 7-52. Retour au texte

48 Termes de Lévi-Strauss utilisés pour commenter l’incident et les réactions que celui-ci suscita. Cf. la préface du Regard éloigné. Retour au texte

49 unesco, extrait de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles, ratifiée par cent trente gouvernements et tenue au Mexique du 26 juillet au 6 août 1982. Retour au texte

50 « Moderne » est ici pris au sens des métarécits lyotardiens. Retour au texte

51 Cf. par exemple l’article de Lourdes Méndez, « La médiation esthétique cosmocentrique », Anthropologie des sociétés, vol. 16, n° 1, 1992, p. 133-138. Retour au texte

52 Nous paraphrasons ici la belle formule de Jean-François Lyotard : « […] nous apprenons que, par une même raison, l’état sauvage s’immerge peu à peu et que l’ethnographie est cette science sans pareille, habitée par la mort inéluctable de son objet, que le monde articulé sur le modèle de la parole recouvre la vie silencieuse des primitifs, des paysans, des provinciaux, que nous sommes en vacances de mythes et avons à philosopher, que la pensée et la société viennent à elles-mêmes comme désir nu avec l’Occident […] », Jean-François Lyotard, « Les indiens ne cueillent pas les fleurs », Les Annales, 20e année, janv.-fév., 1965, n° 1, p. 82. Retour au texte

53 Série diversité culturelle n° 1. Déclaration universelle sur la diversité culturelle. Une vision, une plate-forme conceptuelle, une boîte à idées, un nouveau paradigme. Paris, unesco, 2002, p. 22. Cf. Bjarke Nielsen, « L’unesco et le culturellement correct », Gradhiva, n° 18, 2013, p. 82. Retour au texte

54 L’action de l’onu et de l’unesco étant décrite comme normative puisqu’elle relève d’une supervision et d’une méthodologie d’essence occidentale, appuyées par des programmes d’alphabétisation (pema) et de prises de conscience des autres et de soi en tant que cultures. Retour au texte

55  Seuls les États-Unis et Israël y seront défavorables pour des raisons d’intérêts nationaux. Lien vers la convention : url : http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/cultural-diversity/cultural-expressions/the-convention/convention-text/ Sur le sujet cf. également Jean Musitelli, « La Convention sur la diversité culturelle : anatomie d’un succès diplomatique », Revue internationale et stratégique, n° 62, été 2006, p. 11-22. Retour au texte

56 unesco, Convention de 2005, iii. Art. 4, Définitions. Notons que cette notion est intéressante en ce qu’elle tente de dépasser le débat critique sur le « multiculturalisme » comme « monoculturalisme pluriel » cf. Amartya Sen. Retour au texte

57  Claude Lévi-Strauss, « La difficulté croissante de vivre ensemble » (2005) dans Le Nouvel Observateur, hors-série n° 74, Lévi-Strauss par Lévi-Strauss, janvier-février 2010, p. 83. Notons qu’en 2021, l’ong Survival considère qu’il n’y plus qu’une petite centaine de tribus dites « non-contactées » dans le monde (elles ont toutefois pu entrer en contact avec l’Occident par le passé). « Ce sont des peuples autochtones qui n'ont aucun contact pacifique avec quiconque dans la société dominante. Il peut s'agir de peuples entiers ou de plus petits groupes issus de peuples déjà contactés. » url : https://www.survivalinternational.fr/peuplesnoncontactes/qui-sont-ils Retour au texte

58 L’acculturation passive, consiste en des modifications qui se produisent au sein d’un groupe culturel, concernant les manières de penser, d’agir et donc de créer, par suite de contacts avec un groupe – généralement plus large – appartenant à une autre culture. Retour au texte

59 L’onu fonde toujours aujourd’hui son action sur un « relativisme culturel humaniste », autrement dit plaçant les besoins dits fondamentaux de l’être humain comme préalables « universels » de toute culture parmi lesquels les valeurs de justice, de liberté, de démocratie, d’accès à l’éducation, à l’information et au patrimoine. Retour au texte

60 Michel Melot, « Qu’est-ce qu’un objet patrimonial ? », Bulletin des bibliothèques de France, Paris, t. 49, n° 5, 2004, p. 8. Retour au texte

61 Savidan Patrick, « Multiculturalisme libéral et monoculturalisme pluriel », Raisons politiques, n° 35, 2009/3, p. 26. S’ajoute également le fait que la représentation à l’onu n’est pas égalitaire et que quelques états-membres ont un poids décisionnel fort, souvent lié aux financements qu’ils apportent. Par ailleurs nous renvoyons à l’article de Lucas Javier, « Droits universels, égalité et pluralisme culturel (à propos des droits des minorités culturelles) », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. 33, 1994/2, p. 1-36. Retour au texte

62 L’anthropologue Wiktor Stoczkowski évoque ainsi cet épisode : « Si les idées jugées scandaleuses en 1971 pouvaient recevoir à l’unesco un accueil chaleureux en 2005, c’est parce que la doctrine de l’Organisation avait évolué durant ce quart de siècle, se rapprochant de la vision dont Claude Lévi‑Strauss avait été l’un des premiers défenseurs. » « Claude Lévi-Strauss et l’unesco », Le Courrier de l’unesco, n° 5, 2008, p. 7. Retour au texte

63 Pour l’unesco : « créer des sociétés du savoir repose sur la conviction que l’accès universel à l’information est indispensable à la construction de la paix, du développement économique durable et du dialogue interculturel », elle passe notamment par la construction d’écoles et d’infrastructures de télécommunications dans certaines zones du monde. Cf. url : https://fr.unesco.org/70years/societes_savoir_voie_suivre_monde_meilleur Retour au texte

64 Catherine Choron-Baix et Franck Mermier, « L’émergence de nouveaux marchés de l’art », Transcontinentales, n° 12/13, 2012, p. 4. Retour au texte

65 Propos de Stephen Corry, directeur de l’ong. Cf. également Nettle, Daniel & Suzanne Romaine, Les Langues, ces voix qui s’effacent. Menaces sur les langues du monde, Paris, Autrement, 2003, url : http://www.survivalfrance.org/actu/3087 Retour au texte

66 Claude Lévi-Strauss, « Race et Culture », Le Regard éloigné (1983), Plon, Paris, 2001, p. 47. Retour au texte

67 Michel Melot, « Qu’est-ce qu’un objet patrimonial ? », Bulletin des bibliothèques de France, Paris, t. 49, n° 5, 2004, p. 7. Retour au texte

68 Zeev Gourarier, « Le musée entre le monde des morts et celui des vivants », note de recherche, Ethnologie française, nouvelle série, t. 14, n° 1, janvier-mars 1984, Paris, puf, p. 67. Retour au texte

69 Claude Lévi-Strauss, « Race et Culture », Le Regard éloigné (1983), Plon, Paris, 2001, p. 47. Retour au texte

70 Jean-Benoît Bouron, Définition issue du glossaire de Géoconfluences, 2021, url : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/inflation-patrimoniale Retour au texte

71 Anne de Floris, « Le "bouclage" du monde : Explorateurs, géographes, scientifiques achèvent l'inventaire de la planète », L’Histoire, n° 425, juillet 2016, p. 38-63. Retour au texte

72 Nous renvoyons aux théoriciens de la décroissance et en particulier à Dennis Meadows. Retour au texte

73 Relativisme considéré comme incapable de hiérarchiser les valeurs et d’ouvrir par là même un territoire à l’action. L’expression relativisme statique figure en conséquence un immobilisme. Retour au texte

74  Claude Lévi-Strauss, « La difficulté croissante de vivre ensemble » (2005) dans Le Nouvel Observateur, hors-série n° 74, Lévi-Strauss par Lévi-Strauss, janvier-février 2010, p. 83. Retour au texte

75  Jean François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979. Il s’agit d’un « rapport sur le savoir » commandé par le gouvernement de Québec. Retour au texte

76 Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1988, p. 31-32. Retour au texte

77  Achille Bonito Oliva, « À proposito di Transavantguardia », Alfabeta, n° 35, 1982, Babylone, ueg, 1983, p. 55. Retour au texte

78 Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1988, p. 17-18. Retour au texte

79 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » (1940), Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 427-443. Voir également, Walter Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 337. Nous renvoyons à l’article de Dominique Chevalier, « Patrimonialisation des mémoires douloureuses : ancrages et mobilités, racines et rhizomes », Autrepart, vol. 78-79, n° 2-3, 2016, p. 235-255. Retour au texte

80  Nous empruntons ici au titre de l’entretien publié dans Art in America en mai 1989, p. 150-158 et 211-213 : « L’exposition de la terre entière : un entretien de Benjamin H.D. Buchloh et Jean-Hubert Martin ». Retour au texte

81 Claude Lévi-Strauss, « Race et Culture », Le Regard éloigné (1983), Plon, Paris, 2001, p. 42. Retour au texte

82  « Les critères retenus pour le choix des artistes sont du même ordre que ceux qui sont en usage pour les Occidentaux (également présentés durant l’exposition) […] L’originalité et l’invention par rapport au contexte culturel […] L’énergie que développe l’artiste le conduit à radicaliser des idées, traduites en formes selon des procédés extrêmes. […] » Jean-Hubert Martin, préface à l’exposition Magiciens de la terre, (Catalogue, Paris, Centre Georges Pompidou, 1989), repris dans L’Art au large, Paris, Flammarion, 2012, p. 29. Retour au texte

83  Jean-Hubert Martin, L’Art au large, Paris, Flammarion, 2012, p. 32. Retour au texte

84  L’essai de Nicolas Bourriaud, Radicant : pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2009, cherche le lieu d’une expérience combinant à la fois les racines culturelles et la radicalité moderne. Il ouvre un horizon transculturaliste au travers de la notion d’altermodernité. Retour au texte

85 Alain Seban, directeur du centre Pompidou explique : « Dès mon arrivée à la tête du Centre Pompidou en 2007, j’ai placé la globalisation de la scène artistique au cœur de la réflexion à mener. […] L’art est devenu global. Notre collection se veut universelle, elle doit donc refléter cette nouvelle géographie de la création en s’ouvrant aux scènes émergentes, proposer des lectures plus ouvertes de l’histoire de l’art moderne et contemporain, des lectures nécessairement plurielles qui ne peuvent plus se réduire à l’histoire canonique de la modernité occidentale. » Site internet du Centre Georges Pompidou, url : https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/ccARK9 Retour au texte

86 Idem. Retour au texte

87 Marc Jimenez, La critique. Crise de l’art ou consensus culturel ?, Paris, Klincksieck, 1995. « […] la critique n'a pas à se laisser abuser ni intimider par l'artifice du consensus culturel qui règne actuellement. Il lui revient de continuer à évaluer les œuvres, pour autant que le jugement sur l'art engage aussi la société et l'époque dans lesquelles cet art se déploie. » Quatrième de couverture. Retour au texte

88 Jean-François Lyotard dénonce le « naturalisme » du relativisme de Lévi-Strauss : « L’histoire ainsi réduite à une connaissance et la connaissance définie comme codage, il ne reste plus rien du privilège exorbitant que la pensée de l’Occident lui reconnaît ; le naturalisme structuraliste arase le champ de toute investigation et renferme celle-ci dans le patient dépouillement des informations et dans l’ingénieuse élaboration du système sémantique qui pourra les intégrer. » Jean-François Lyotard, « Les indiens ne cueillent pas les fleurs », Les Annales, xxe année, janvier-février, 1965, n° 1, p. 66. Retour au texte

89  Alain Finkielkraut, La Défaite de la pensée (1987), Paris, Gallimard, Folio essais, 2014, p. 121 et p. 175 notamment. La sous-partie de l’ouvrage intitulée « Une pédagogie de la relativité » (p. 128‑135) porte son attention sur le préambule du rapport de 1985 du Collège de France, co-signé notamment par Bourdieu et Lévi-Strauss. Retour au texte

90  Claude Lévi-Strauss, De près et de loin (1988) entretiens par Didier Eribon, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 228-229. Retour au texte

91 Très tôt dans sa carrière Lévi-Strauss avait dû s’expliquer sur sa vision du relativisme culturel et répondre à certaines critiques (Rodinson, Caillois, Revel). Il y avait répondu dans l’article « Diogène couché » et dans le chapitre « Méthode et enseignement de l’Anthropologie structurale ». Maxime Rodinson, « Racisme et civilisation », La Nouvelle Critique, n° 66, juin 1955, et « Ethnologie et relativisme », La Nouvelle Critique, n° 69, nov. 1955, (p. 46-63). Roger Caillois, « Illusions à rebours », La Nouvelle Revue Française, n° 24 et 25, décembre 1954 et janvier 1955. Voir également l’ouvrage de l’ethnologue Michel Panoff intitulé : Les Frères ennemis, Roger Caillois et Claude Lévi-Strauss, Paris, Payot, 1993. Renvoyons aussi à l’article du philosophe Jean-Christophe Angaut, « Relativisme et anthropologie chez Claude Lévi-Strauss », 2002, Nancy, France. L’auteur qualifie et développe la position intellectuelle de Lévi-Strauss en termes de perspectivisme. url : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00650850/document Retour au texte

92  Assurément, le relativisme culturel a une fonction critique essentielle mais délimitée. Celle-ci consiste uniquement à se prémunir de l’illusion de l’ethnocentrisme et des prétentions universelles qui mènent à la destruction de la diversité culturelle. Lévi-Strauss insistait : « l'argument relativiste est opposé seulement à une entreprise qui voudrait classer les unes par rapport aux autres des sociétés très éloignées de celle de l'observateur, soit, par exemple, de notre point de vue, une population mélanésienne et une tribu nord-américaine. Je maintiens que nous ne disposons d'aucun système de référence, légitimement applicable à des sociétés situées aux confins de notre univers sociologique et envisagées dans leur rapport réciproque. » Toutefois, lorsqu’il s’agissait de juger des valeurs propres à la société de l’observateur, le relativisme culturel laissait place à une hiérarchisation des valeurs : « Par contre, je distinguais soigneusement ce premier cas d'un autre, consistant, non pas à classer entre elles des sociétés lointaines, mais deux états, historiquement rapprochés, du développement de notre propre société (ou, en généralisant, de la société de l'observateur). Quand le système de référence est ainsi “intériorisé”, tout change. » Dans ce contexte spécifique, Lévi-Strauss délaisse donc l’immobilisme du relativisme culturel pour réclamer au contraire une participation active à l’amélioration de notre mode de vie : « […] en raison d'un privilège inverse du précédent, c'est la société seule à laquelle nous appartenons que nous sommes en position de transformer sans risquer de la détruire ; car ces changements viennent aussi d'elle, que nous y introduisons. » Ibidem, p. 367. Retour au texte

93 Comme le souligne l’anthropologue français Marc Augé en 1989 : « Le parcours de l’ethnologie, qui postule au départ qu’il y a du même chez l’autre, aboutit à un constat que lui imposent ses nouveaux terrains (ceux de l’ethnologie à domicile) : il y a de l’autre dans le même. » Marc Augé, « L’autre proche », L’autre et le semblable, (sous la direction de M. Segalen), Paris, Presses du cnrs, 1989, p. 23. Retour au texte

94 Heinich, 2010, p. 19. Retour au texte

95 Emmanuel Terray, « La vision du monde de Claude Lévi-Strauss », L'Homme, n° 19, janvier 2010, p. 41. Retour au texte

96 Idem, p. 11 Retour au texte

97 Reinach Salomon, « Musées, bibliothèques et hypogées », Revue archéologique, 1909, p. 268. Retour au texte

98 Pensons à l’actuelle exposition Louis de Funès où est reconstituée pour l’occasion la célèbre 2cv désassemblée de Bourvil. L’objectif de cette réplique (fac-similé approximatif) évoquant la fameuse scène d’ouverture du film Le Corniaud (G. Oury, 1965) n’est pas tant de renseigner sur la réalisation de l’effet spécial qu’une attraction essentiellement d’ordre affectif pour un public qui souhaite reconnaître plutôt que connaître. Le détonateur et quelques boulons explosifs qui servaient initialement à disloquer les deux cent cinquante morceaux de carrosserie de la voiture originale truquée par Pierre Durin sont présentés sous verre. La Cinémathèque française, Louis de Funès, l’exposition, du 19 mai au1er août 2021. Retour au texte

99 Marie-Dominique Dubois, « Démarches participatives : fondements et pratiques actuelles dans les institutions muséales », In Situ, n° 41, 2019, p. 2 et 3. Retour au texte

100  Florent Molle, conservateur du patrimoine au Mucem, responsable du pôle Sport et Santé, url : https://www.mucem.org/pourquoi-trouve-t-un-ballon-de-foot-de-lom-dans-les-collections À propos de l’exposition « Football et identités ». Retour au texte

101 Noémie Drouguet, Le musée de société, de l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand Colin, 2015, p. 66. Cf. plus largement le chapitre sur le musée « Entre citoyenneté et marché ». Retour au texte

102 « Un écomusée est une institution culturelle qui assure, de manière permanente, sur un territoire donné, avec la participation de la population, les fonctions de recherche, conservation, présentation, mise en valeur d’un ensemble de biens naturels et culturels représentatifs d’un milieu et des modes de vie qui s’y succèdent » Article 1 de la Charte des écomusées, instruction du 4 mars 1981, du ministre de la Culture et de la Communication. url : http://fems.asso.fr/wp-content/uploads/2018/03/Charte-%C3%A9comus%C3%A9es.pdf Retour au texte

103  Signe de la fragmentation du patrimoine, certaines institutions utilisent désormais des algorithmes de recommandation afin de plaire à un maximum de publics. Leur usage, procédant par filtrage d’informations et édification d’un profil de goût, permet alors de feindre une ligne éditoriale censée correspondre à l’utilisateur comme l’expliquent certains chercheurs : « Notre travail concerne les systèmes d’aide à la visite de musée et l’accès au patrimoine culturel. […] L’approche sémantique est […] activée pour recommander à l’utilisateur des œuvres sémantiquement proches de celles qu’il a appréciées. Enfin l’approche collaborative est utilisée pour recommander à l’utilisateur des œuvres que les utilisateurs qui lui sont similaires ont aimées. » Le risque d’un clientélisme où le patrimoine se réduit à une succession de storytelling et se consomme comme un bien privé est là. Le risque de telles approches est notamment l’isolement homophile. Le projet Hippie [Oppermann and Specht, 2000] a été l’un des premiers systèmes de recommandation avec Mymuseum [Bright et al., 2005] et Smartmuseum [Ruotsalo et al., 2013]. Des musées ont déjà mis en place des systèmes de recommandations de ce type pour leurs visiteurs, par exemple l'application Mymuseum en partenariat avec le Louvre. Mais comment faire autrement quand on sait que, rien que dans ce musée, ce sont 460 000 œuvres différentes mises à disposition du visiteur. Retour au texte

104 Daniel Fabre, « L’histoire a changé de lieux », Une Histoire à soi, Alban Bensa et Daniel Fabre (dir.), Paris, La Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 32-33. Retour au texte

105 Cf. Pierre Nora, « L’ère de la commémoration », Les Lieux de mémoire. III. Les France, 3, Paris, Gallimard, 1993, p. 975-1012. Retour au texte

106 François Hartog, 2003, p. 85. Retour au texte

107 Marie-Dominique Dubois, « Démarches participatives : fondements et pratiques actuelles dans les institutions muséales », In Situ, n° 41, 2019, p. 9. Retour au texte

108 Discussion publique ayant eu lieu le 9 mai 1984 ; propos repris dans l’ouvrage : Claude Amey et Jean-Paul Olive (dir), À partir de Jean-François Lyotard, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 24. Retour au texte

109 Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Minuit, 1983, p. 9. Retour au texte

110 Propos généralement prêtés au peintre américain Ad Reinhardt. Retour au texte

111  Extrait de la convention de 1972, concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Indicateurs unesco de la culture pour le développement : manuel méthodologique Manuel méthodologique, 2014, p. 2, url : https://fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/digital-library/cdis/Dimension Patrimoine.pdf Retour au texte

« Le patrimoine est l'héritage du passé dont nous profitons aujourd'hui et que nous transmettons aux générations à venir. Nos patrimoines culturel et naturel sont deux sources irremplaçables de vie et d'inspiration. » Extrait de la convention de 1972.

112 Créé en 1946, l’icom (Conseil international des musées) est la plus grande association de professionnels de musée avec 122 comités nationaux, 30 comités internationaux, 6 alliances régionales et environ 44 000 membres. Retour au texte

113 Trapèze et échelle, Bois et cordes, France, Milieu du xxe siècle. Retour au texte

114 Costume du clown François (Gustave Fratellini), France, Paris 1ère moitié du xxe siècle, coton, satin. Retour au texte

115 Jeff Koons, Lobster, 2007-2012, acier inoxydable au poli miroir avec revêtement transparent de couleur, 147 x 94 x 47,9 cm, Pinault Collection. Retour au texte

116 Jeff Koons, Olive Oyl (Red), 2004-2009, acier inoxydable au poli miroir avec revêtement transparent de couleur, Pinault Collection. Retour au texte

117  Jeff Koons. Hanging Heart (Red/Gold), 1994-2006. Acier inoxydable au poli miroir avec revêtement, transparent de couleur, 291 × 280 × 101,5 cm Retour au texte

118 Ex voto, laiton, argent, France et Italie, xxe siècle, Mucem. Retour au texte

119  Propos d’Emilie Girard (Directrice scientifique des collections du Mucem), co-commissaire de l’exposition Jeff Koons Mucem – Œuvres de la Collection Pinault, du 19 mai 2021 au 18 octobre 2021. Source afp, url : https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210507-jeff-koons-mucem-le-kitsch-n%C3%A9o-pop-rencontre-les-arts-populaires-%C3%A0-marseille Cf. également le dossier enseignant : url : https://www.mucem.org/sites/default/files/2021-05/dossier_enseignant_Koons_FR_v2.pdf Retour au texte

120 Jacqueline Eidelman, « Introduction », Du musée au parc d’attraction, Culture & Musées, n° 6, 2005, p. 13. Retour au texte

121 Noémie Drouguet, Le musée de société, de l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand Colin, 2015, p. 68. Retour au texte

122 unesco, Convention de Mexico, 1982, p. 179. Retour au texte

123 « La définition du musée et le Code de déontologie de l’icom ne permettent guère aux musées de comprendre ou de définir leur place éthique, sociale et politique au sein de leur communauté ou du monde en général. Chaque musée recherche par conséquent des orientations en dehors de son propre secteur, auprès d’autres organisations internationales ou dans des documents tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Déclaration universelle de l’unesco sur la diversité culturelle, pour pouvoir s’ancrer dans un ensemble de valeurs clair et un système de responsabilités déontologiques. Grâce à ses relations avec l’unesco et à des documents comme la Recommandation concernant la protection et la promotion des musées et des collections de l’unesco, l’icom intègre la vision mondiale et les valeurs que sont la justice, la liberté et la paix, la solidarité, l’intégration et la cohésion, le développement durable – reflétant ainsi les principales préoccupations et priorités de notre époque. » Retour au texte

Méthodes de travail du comité mdpp, icom, 2018, p. 6 et 7.

124 Idem, p. 7. Retour au texte

125 Émile Zola, Mes haines : causeries littéraires et artistiques (1866), Paris, Flammarion, 2012, p. 103‑104. Retour au texte

126 Patrick Savidan, « Démocratie participative et conflit », Revue de métaphysique et de morale, n° 58, 2008/2, p. 186. Retour au texte

127 Annie Le Brun, Ce qui n’a pas de prix, Paris, Stock, 2018, p. 9. Retour au texte

128 Idem, p. 143. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Raphaël Gomérieux, « L’inflation patrimoniale comme érosion des créativités », Déméter [En ligne], 6 | Été | 2021, mis en ligne le 01 juin 2021, consulté le 13 décembre 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/441

Auteur

Raphaël Gomérieux

Raphaël Gomérieux est maître de conférences section 18 à l’université de Lille. Il a été professeur agrégé d’arts plastiques en collège et lycée durant dix ans. Ses objets d’études portent actuellement sur l’approche poïétique, la peinture contemporaine et la pensée structurale de Claude Lévi-Strauss dans ses rapports à la création.

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