La question du mandala interroge, de façon intime et profonde, celle de l'art. En effet, partant de la problématique du cercle, du mouvement et de la spirale, mais également de l'ensemble des formes, le mandala s'avère être lui-même un objet esthétique et symbolique, hautement élaboré, dont la finalité est de rééquilibrer l'esprit, voire de parvenir à l'éveil.
En ce sens, s'il pose comme centrale la problématique des formes (à travers celle du cercle, de la roue, de la spirale, de la rosace et du labyrinthe), de leur dynamique et de leurs métamorphoses, il n'en reste pas moins, a priori (mais a priori seulement) éloigné des mondes de l'art, puisqu’il relève d’une problématique de nature spirituelle. Mais, dès lors que nous considérons le mandala dans sa dimension symbolique, nous aurons l’occasion de vérifier que le travail des formes, devenant le lieu d’une trans-formation de soi (et de l’autre), replace l’œuvre dans la sphère d’une authentique activité spirituelle.
L'œuvre n'est-elle pas aussi une espèce particulière de « psycho – cosmogramme1 », une sorte de miroir qui nous regarde et nous réfléchit ? Penser le mandala dans ses liens avec l'art est une entreprise paradoxale puisque cet objet-limite est un symbole essentiel qui permet de repenser la relation esthétique. Le mandala offre un certain nombre de similitudes, avec l’œuvre, car tous deux, en tant que médiation symbolique, permettent d’organiser le chaos de l'existence et l’émergence de significations inédites lors d’une méditation qui articule expérience sensorielle et imagination créatrice.
Trois auteurs (H. Michaux, A. Camus, B. Noël) nous autorisent à faire l’hypothèse que l’œuvre, confrontée à la poétique du mandala, pourrait bien relever d’une forme de spiritualité sans théologie, dont les aspects symboliques construisent un lien étroit entre corps et psyché.
Mandala, œuvre, spiritualite : une difficile convergence ?
Bien des obstacles sont à franchir, qui semblent empêcher de penser le mandala, instrument d’(auto)initiation, comme un symbole de l'œuvre. L'existence même d'une coïncidence entre les pratiques esthétique et spirituelle peut à certains paraître inacceptable, qui repoussent loin de l'art toute inféodation théologique ou spirituelle – quand bien même cette influence a été prégnante pendant des siècles. Inversement, comme le moine tibétain réalisant un mandala, n’a aucune initiative quant à l’agencement de sa structure, aucune créativité personnelle, peut-on, le concernant, parler d’œuvre ? Cependant les arts et la littérature pourraient bien avoir une visée de guérison ou présider à une métamorphose intérieure, de sorte qu’il paraît impossible, pour le mandala et pour l’œuvre, de séparer leur dimension formelle et pragmatique, dans ce qu’ils « font » à celles et ceux qu’ils impliquent.
Et en effet il existe plus que des similitudes entre l’œuvre contemporaine et le mandala. Très symptomatique est en effet l'espace carré dans lequel se circonscrit le mandala, encadré lui-même dans la broderie de la tangka, comme une forme de mise en abyme. Il paraît coïncider avec le cadre (la page, la toile), dans lequel une large partie de l'art occidental circonscrit l'espace de la création (parfois répliquée ou mise en abyme dans l’œuvre). Mais cet espace, miroir du plan mental où se concentrent la vision, les apparitions, les formes en mouvement, est aussi celui où s'effectuent des opérations symboliques. Il en est de même pour le mandala : ses points cardinaux, qui sont autant de portes protégées par des déités, renvoient à la circularité de la psyché, gardée par un certain nombre de verrous de protection – de façon à ce qu'elle n'implose pas ou ne soit pas parasitée par des entités intrusives.
En outre, relativement à une convergence entre l’univers de l’expérience spirituelle et celle de l’expérience esthétique, qui pourrait nier que les arts sont traversés, voire construits, autour de symboles et d'archétypes ? De plus, si les thérapies se sont emparées du mandala comme d'un outil efficace, l'art lui-même s'est ingénié à revisiter cet espace singulier en créant des mandalas « laïques », à partir de sujets non religieux. Le mandala paraît enfin mobiliser les mêmes éléments que l’œuvre : un cadre (avec la puissance symbolique du centre et de la périphérie, de la frontière entre dedans et dehors, espace protégé ou sacré), des formes (géométriques), des couleurs, des figures ou des figurations, une organisation, une mise en ordre – tant formelle que psychique, individuelle que collective.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas expérimenter l’idée selon laquelle la puissance imaginale2 et symbolique de l'œuvre pourrait être thérapeutique ? Ne refusons pas a priori aux arts une effectivité spirituelle, entendue au sens large d’un pouvoir de reconnaissance, de renaissance et de transformation qui opèrerait sur la face nocturne, non émergée de l’œuvre – dès lors que cette dernière peut être considérée comme un mandala, support de méditation pour le liseur3 ou le spect-acteur4.
La lecture de trois œuvres devrait pouvoir nous convaincre de la validité de notre proposition. Demeurera certes la difficulté consistant à appréhender la relation qui à la fois sépare et relie la construction d’une œuvre, engagée par son créateur, et la vision intérieure, qui pré-existe à sa recréation ou à sa contemplation. Qu’il nous suffise de rappeler (sans pouvoir le développer davantage ici) que le mandala, par sa puissance archétypale et par celle de l’imagination créatrice, est susceptible de re-susciter la vision qui a présidé à sa création.
Avant d’en venir aux textes, que l’on pardonne à l’auteur de ces propos s’il donnait l’impression d’extrapoler à l’ensemble des œuvres ce qui pourrait n’être qu’une expérience confidentielle. Que l’on considère que les trois supports convoqués lui sont utiles pour faire voir un lieu inouï où l’œuvre fait œuvre – car ceci nous paraît constituer une métaphore de l’action du mandala.
L’œuvre comme mandala, lieu d’auto-initiation : H. Michaux
Commençons par explorer le texte d’un poète-plasticien, Emergences‑résurgences5, à partir d’une réflexion que Henri Michaux effectue sur sa propre pratique. Notons bien que ce dernier s'exprime, dans cet ouvrage, en tant que poéticien d'une œuvre double, littéraire et plastique – et non sous le masque d’une instance littéraire.
Le titre Emergences‑résurgences, qui souligne le caractère labile des phénomènes mentaux, semble se calquer sur la pensée bouddhiste, au point que l'on peut se demander si cette dernière est venue a posteriori constituer un cadrage théorique à son interprétation. Dans ces notations, on retrouve en effet la problématique de l'impermanence, de la renaissance, mais aussi la contestation d’une identité subjective permanente.
Michaux évoque le mandala à propos des dessins réalisés par « les ravagés » ; ce terme recoupe chez Michaux certains aliénés mais aussi ceux qui ont « connu les états dévastateurs et illuminants de l'expérience psychédélique » ; dans les deux cas, les dessins sont révélateurs de la catastrophe ontologique dont leurs auteurs sont (provisoirement ou durablement) le site vivant. La mise en abyme des carrés pris dans des cercles, qui figure une perspective vertigineuse et infinie, serait une expression de leur propre enfermement. Comme le fait remarquer Michaux, le quadrillage du mandala suppose une volonté de marquer un territoire, avec l'objectif de fixer des « poteaux d'angle6 ». Se donner des « repères essentiels » peut permettre au « ravagé » à la fois de s’ancrer (s’il est perdu dans le labyrinthe de l'esprit) mais, peut-être aussi, de suggérer l’espace ontologique où il est resté coincé.
Le mandala peut, en ce sens, être considéré comme un outil de navigation métaphysique, un pont entre une certaine zone de l’esprit et le monde profane que « les ravagés » ne parviennent plus à rejoindre. La trace dessinée exerce une fonction de bouée de repérage, voire de sauvetage : ne sachant s’il existe un « sujet » producteur du dessin ni si cette expression esthétique demeure « adressée », peut-on en effet parler d'œuvre ? Michaux confirme cette incertitude : le « dessin de désagrégation », réalisé sous l’emprise (immédiate ou différée) des hallucinogènes, après des années passées loin de ceux-ci, fait place au « dessin de ré-agrégation ». Pour Michaux, la résurgence d'un sujet ré‑agrégé paraît la condition pour qu’il y ait œuvre, dont l’œuvre garde la trace des métamorphoses.
Michaux finira par envisager la peinture comme une médiation susceptible d’élaborer des conflits internes, comme dans l’approche thérapeutique réalisée à partir du mandala. Ainsi sa pensée évolue, passant du paradigme du « monde visionnaire », a priori passivement reçu, vers l'œuvre de l'art où la vision est activement reconstituée. Mais les choses sont plus complexes car, d’une part, l’œuvre résonne avec un futur en gestation (en voie d’émergence), formant une sorte de tympan entre le monde, son créateur et le sujet qui la déploie. Elle est donc vivante et paraît, par sa médiation, faire interagir les sujets et le monde.
En témoignent les deux derniers paragraphes du texte édité chez Skira : « Quelque chose vient qui n'est pas encore solide, mais déjà impérieux, qui cherche plutôt le combat, et surtout à focaliser davantage. Où ? Comment ? Tôt ou tard, sans doute, la peinture va le montrer… Par ses chemins à elle7». L'œuvre, dans certaines conditions, pourrait guérir – « par ses chemins à elle », indiquant en cela qu’elle est un révélateur doté d’une certaine autonomie. Le combat semble ici la résultante de l’interaction, médiée par l’œuvre, entre la puissance d’émergence du futur et la lutte engagée par celui chez qui elle « œuvre ». Belle coïncidence de l’œuvre, lieu de ce « travail », avec la puissance symbolique du mandala !
Car il existe chez Michaux deux principales modalités de l’imagination créatrice : dans la première, le sujet créateur est pleinement actif et il investit trois gestes spécifiques (« repousser aux frontières », « manipuler », « imprimer le monde en moi8»). La seconde modalité fait de la subjectivité un lieu d'apparitions ou de hantises ; cette modalité s’applique encore, lorsque, sous l’emprise d’un hallucinogène, le sujet débordé, voit son écran mental investi violemment, au point qu’il paraît être exilé de lui-même, voire (provisoirement) anéanti. Dans ce « dérèglement généralisé9 », les barrières de protection du mandala (qui symbolisent à la fois la psyché et l'espace circonscrit de la toile ou du dessin) semblent avoir cédé, comme une digue sous la puissance de la mer ; cette « violation de [s]on intégrité10 » coïncide parfois avec l’envahissement par une « marée de traits venus d'un autre monde11 ».
Les présences qui colonisent le champ mental prennent également possession de l'espace du dessin, de même qu'elles ont au préalable paru à Michaux envahir l'espace de sa chambre – comme si cette dernière communiquait soudain avec « un espace à part », comme si les frontières entre dehors et dedans s'étaient soudain estompées. À ce moment précis, les espaces physique et mental semblent inter-communicants et la réalité tout entière paraît être devenue une sorte de mandala : il existe alors une profonde homologie entre l'espace mental et celui de la toile ou du papier, entre les figures dessinées et l’espace du dedans.
Le réel, que reflète le dessin – qui réverbère l’écran mental, se présente sous deux versants : on distingue d’une part, comme dans le mandala, un espace fortement organisé, protégé par des présences symboliques puissantes, qui renvoient à la polarité apaisée des énergies ; d’autre part, un espace chaotique et désorganisé, où s'expriment les mouvements incontrôlables d'une énergie destructrice qui se déchaîne aux frontières du mandala, au-delà du rideau de flammes. En effet, au-delà de l’espace puissamment ordonné du mandala, sont actives les forces de la désagrégation et de la mort. Cette figuration est mise en abyme dans le rituel final que les moines effectuent, lorsqu'ils ramènent le mandala, longuement élaboré, à ses principes premiers, en effaçant les formes et en rassemblant les sables colorés qui ont contribué à son élaboration ; ils les jettent alors dans l'eau, dissolvant les figures colorées. Seule semble demeurer une énergie qui trouve à s’informer et dont l’information, après diverses métamorphoses, retourne au vide (à l’image du sujet, vide de sujet).
Rien d’étonnant à ce que Michaux analyse sa création en termes de « mouvement », d'« énergie », de « quanta », de « combustible » : la même énergie semble circuler entre les espaces de l’âme, du mental ou de la psyché et la surface du papier où elle vient s'écrire et se révéler – exactement comme dans le mandala, où il est dit que les formes viennent incarner le non-manifesté. Dans cette « aire de circulation » des énergies, les productions semblent émaner d’« un lieu sans lieu » : cet espace innommé – convergence atopique de la réalité, de la création et de la psyché, Michaux le nomme « transréel ».
Or, une des finalités de la pratique de Michaux, indécidablement esthétique et spirituelle, consiste à révéler cet espace, par les chemins de la création. Il déclare par ailleurs souhaiter investir toujours davantage cet espace, dont il a, grâce à cette médiation, réalisé une occupation progressive – et à en faire le champ même d’exploration de tout son être. Le mandala de l’art s’avère être un vecteur de conquête et de connaissance de soi, qui implique une métamorphose de l’être. Proche en cela de C. G. Jung, Michaux évoque une possible « renaissance », dont on ne sait s'il est un accompagnement du geste créateur ou la révélation d'un processus caché que l'expression artistique dévoilerait.
Quoi qu’il en soit, si le processus de création suscite une métamorphose spirituelle, Michaux cependant affirme être animé d'une volonté d’« insubordination » ; si cette posture paraît a priori opposée au caractère impersonnel de la démarche spirituelle, en fait, il n’en est rien puisque, dans Une voie pour l’insubordination, évoquant – entre autres – le Poltergeist12, Michaux montre qu’il existe une voie insubordonnée de l’énergie spirituelle dans le réel. Ainsi, l'œuvre ouvre une aire de circulation transpersonnelle aux énergies du corps, intimement mêlées à celles de la psyché de l’ensemble des acteurs de l’œuvre.
Ce sera aussi un des aspects de la pensée de Bernard Noël, que nous aborderons plus loin. Mais, auparavant, nous allons mettre en relation le mandala et un roman d’Albert Camus, dont la visée initiatique est centrale, comme est centrale la dimension initiatique du mandala.
La Chute, un récit symbolique qui figure un mandala
La Chute13, l'œuvre d'Albert Camus publiée en 1956, va éclairer la figure du mandala sous un tout autre jour. Après avoir évoqué un motif commun (la mise en abyme) à l’œuvre littéraire et au mandala, puis explicité la puissance symbolique du roman, nous montrerons l’existence d’une étonnante similitude entre la métanoïa du personnage-narrateur (dont l’image se réverbère sur son allocutaire et / ou lecteur) et la visée initiatique du mandala.
Le récit est conduit par un narrateur, Jean‑Baptiste Clamence, avocat devenu « juge-pénitent » qui fréquente assidûment le bar louche de Mexico-City, dans les bas-fonds d’Amsterdam ; afin d’obtenir les aveux de ses confidents à la dérive, il commence stratégiquement par avouer ses propres turpitudes.
Dans ce récit, on est frappé par des analogies structurales, qui rapprochent ce roman du mandala : la mise en abyme des cercles dans un carré, caractéristique du mandala, a pour écho la mise en abyme récurrente de plusieurs motifs ou scènes. Ainsi un motif central, repris avec de multiples variations, est le cri d’une femme qui se noie dans la Seine et qui se métamorphose, dans la mauvaise conscience du personnage, en un rire – lequel poursuit le narrateur partout où il se déplace, comme un écho sans fin de sa lâcheté. Autre motif mis en abyme : celui du triptyque volé de Van Eyck Les Juges intègres, mais dont un des panneaux, « L'agneau mystique », est installé dans le bar interlope où Clamence officie. Cette œuvre, ironiquement déplacée, trahit d’emblée la nostalgie d'un impossible salut.
L’attitude ambiguë du narrateur, qui trouve une forme de complaisance malsaine dans le « malconfort14 », et sa posture de condamné dans l’enfer de Mexico City, constituent des avatars de cette nostalgie d’un sacré disparu. Sa duplicité et les zones incertaines de la bonne conscience, toujours teintée par la mauvaise foi et l'auto-accusation, en sont une autre forme. Les labyrinthes des intertextes (Clamence revisite l’Évangile) enchâssés dans son propre discours, les stratégies discursives de Clamence, qui sont autant de lassos pour entraver sa proie, en constituent encore d’autres variations. Comme les cercles de la psyché de Clamence coïncident avec les cercles du discours dans lequel il enferme progressivement son interlocuteur, et comme les nœuds du discours renvoient aux cercles des canaux d’Amsterdam (qui sont aussi ceux de l'enfer et de l'enfer social), alors l'œuvre de Camus s’apparente à un mandala – dont la perspective mènerait à un centre désespérément vide.
Sur le plan narratologique, le monologue, en quoi consiste le récit (qui était au départ une simple nouvelle), reprend également la structure de la mise en abyme sous la forme du labyrinthe, auquel renvoient certaines représentations du mandala. Ainsi, l’auditeur, censé écouter les confidences du juge-pénitent, s'avère être un pur leurre linguistique, puisque les seules marques de sa présence sont incluses dans le monologue de Clamence, seul locuteur attesté – au point que son allocutaire pourrait être purement fictif, l’objet d’un délire. Cette structure en miroir, aux profondeurs abyssales, constitue le portrait métaphysique de la « créature » – le portrait que Clamence fait de lui-même étant censé représenter l’humanité tout entière.
En outre, à la manière des moralistes, Camus fait à la fois le portrait d'une époque et de lui-même. En effet, La Chute, qui prend pour contrepoint – et pour cible implicite, Sartre et les existentialistes du Flore – constitue le mandala d'une époque. Mais le récit est aussi le portrait en abyme de Camus lui-même car cette œuvre a constitué pour ce dernier un miroir et une forme d'initiation, par la mise à nu de soi, à travers la duplicité avérée de son personnage. Camus met en effet à distance et en abyme son rôle de séducteur, avec les turpitudes qu’a pu induire chez lui une vie amoureuse mouvementée. En outre, Clamence a souvent été considéré comme un double de Camus, lequel ne supportait pas l'image édulcorée que certains donnaient de lui – et en particulier celle de la bonne conscience et de l'individu dévoué.
Ainsi, le texte est un labyrinthe et un miroir aux facettes multiples, dont le cheminement vers la sortie est complexe ; le mandala le symbolise idéalement, qui présente l’errance, dans la poche intestinale du Samsara15, de tous les êtres à la conscience non éveillée, enfermés dans l’ignorance où ils sont de leur nature ultime.
Mais reprenons notre réflexion à partir de sa dimension symbolique.
Symbolisme du mandala de La Chute
Tout d'abord le symbolisme des lieux est étonnant, à l’image du mandala qui est une représentation structurée par les quatre points cardinaux.
La symbolique de l’espace est en effet commune au mandala et au récit. Dans La Chute, la Hollande, pleine de brumes et de brouillards, se situe aux antipodes de l'univers imaginaire de Camus, d’habitude fasciné par le sud et la lumière de la Grèce ou de l'Algérie. L'Ouest est ici un pôle particulièrement important puisqu'il renvoie à l'Occident chrétien et à son occidentation, forme de dégénérescence, voire de mort. L'Est est le pôle de la renaissance, de la rédemption, présentée ici comme inaccessible. Le récit se passe à Amsterdam, au Nord de la civilisation européenne, et ses canaux concentriques rappellent ceux de l'enfer de Dante.
Quant au mandala, il représente la roue de l'existence : Yama, le seigneur de la mort, les yeux exorbités, tient entre ses membres un grand disque symbolisant le Samsara – lequel contient quatre cercles concentriques (encore une structure en abyme). De même dans La Chute, la présence de la mort est partout : dans les eaux croupissantes et brouillardeuses, dans la débauche (qualifiée ici de « sommeil proche de la mort », et pratiquée par Clamence, comme une forme du suicide), dans l'impossible verticalité et dans l’in-envisageable courage.
Par ailleurs, le juge–pénitent déploie ses quartiers dans le monde souterrain, loin de l'horizontalité sociale de la surface, dans un univers sans altitude – et donc sans transcendance. Le zénith et le nadir sont le lieu d’une opposition spirituelle, que le christianisme développera spécifiquement ; entre chute et rédemption, enfer et paradis. Dans notre univers romanesque, point de paradis, point de rédemption. L'impossibilité de la mission prophétique de Clamence est figurée par la mortelle horizontalité des Pays Bas ; prolongée par l’immensité maritime, elle est en disjonction radicale avec la verticalité spirituelle.
Par ailleurs, si les cinq éléments (terre, eau, feu, air, espace) sont les constituants symboliques de tous les mandalas, ici c'est l'élément eau qui domine ; il se mélange à l'air pour générer l’omniprésente brume du décor. Mais l'eau des canaux est croupissante, eau de la mort et de l'enfer, de même que l'eau de la mer a la couleur d’une « lessive sale » ; seule « l’eau du baptême », eau-de-vie, pourrait assurer le salut. S'agissant des couleurs, on n'en distingue quasiment aucune : le gris domine, car la blancheur est sans cesse salie par une noirceur secrète ; aux perpétuelles brumes qui règnent sur les canaux de la ville et sur l'espace maritime du Zuyderzee, s'oppose, à la fin, la blancheur de la neige, comme l'annonce d'une possible, mais hautement improbable, purification.
On notera cependant que le narrateur, au cours de son récit, passe de l'obscurité et de la tabagie du bar à la surface brumeuse d’Amsterdam, entretenue par les cercles des canaux. Jean-Baptiste, prophète d'une époque troublée, règne dans une sorte d'intermonde (avatar du Bardo tibétain), dans une grisaille perpétuelle. Les scènes du récit semblent se passer dans un espace irréel, un lieu limbique, qui n’est ni paradis ni enfer ; Dante l’assimilait, comme le rappelle Clamence, au lieu des « anges neutres » – et le bouddhisme au samsara. Clamence évolue dans la brume d'Amsterdam comme au sein d'un rêve, confirmant ainsi, comme le fait le bouddhisme, le peu de réalité de sa réalité existentielle et sociale.
Enfin, dernier symbole : l’île de Marken. Elle renvoie à la « propriété » de l’ego, coque fermée sur elle-même, comme une cellule naviguant sur les eaux, nourricières ou toxiques, de la société. En ce sens, c’est un microcosme, qui reflète l'univers – et l’île symbolise le corps, qui reflète l’autonomie psychique mais aussi l’extrême solitude du sujet qui n’est plus relié au monde sacré, à la sphère du sacré.
Au cœur de l'œuvre de Camus, se trouve l'énigme centrale de la chute, de la culpabilité du premier homme – qui s'est étendue, comme par contamination, à l'ensemble du genre humain ; au cœur du dernier cercle, trône l'image de l'innocence : « L'agneau mystique ». C’est pourquoi, toute la démarche de Clamence pourrait s’interpréter comme une tentative désespérée de retour vers un centre sacré – lequel se dérobe et n’est plus accessible. Le dépit ressenti par le narrateur se traduit par une mise en doute de la spiritualité chrétienne.
La Chute et la double question de l’enfer et de l’innocence
Si la pensée chrétienne et sa théologie investissent fortement le discours du narrateur, de nombreuses passerelles sont (sans doute à l’insu de Camus) ménagées entre cet univers mental et le monde bouddhiste, obliquement valorisé ; mais si le christianisme paraît être mis en question, c’est dans le souci de définir une authentique démarche spirituelle.
À la quête de la vérité, qualifiée d'« assommante », le narrateur oppose un monstrueux « amour de soi », qui provoque un soulagement par rapport à la vérité de la culpabilité et de la fausse innocence. Le citoyen des grandes villes d'Occident semble impliqué dans les perpétuelles diversions que constitue la quête de l'amour de soi, des femmes et des autres.
Inversement, l'itinéraire de Clamence est celui d'une métanoïa, d’un changement profond, d’une conversion radicale avec repentance ; ainsi il prend progressivement de la distance par rapport à « l'amour » qu’il se portait et tente une véritable reconnaissance de soi, en reniant l’ensemble des masques sociaux qu’il endossait jusque-là – bien qu’il continue de déployer des relations de domination sur son interlocuteur. À l’image du mandala, le sujet semble enfermé dans le cercle du jeu et de la violence sociale : à la fois victime de l'image que les autres nous renvoient, mais aussi responsable de celle que nous induisons chez les autres, construisant ainsi réciproquement un enfer, que nous alimentons en permanence.
Le malaise qui tient Clamence ressemble étrangement à celui d’un croyant taraudé par le doute. En ce sens, le mandala figure les errances dans le bardo de celui qui est en quête de soi, passant de cercle en cercle jusqu'à ce qu'il atteigne un centre, vide de soi. Aussi, en dépit de ses grimaces, Clamence poursuit-il une véritable auto-initiation. Si elle est en partie manquée, puisqu’il tente toujours de se soustraire au jugement des autres, et à vivre, par contrition, dans une forme de « malconfort », il a cependant levé un certain nombre d'aspects cachés de soi, sur lesquels il a acquis une véritable lucidité. Paradoxalement, l’enfer pourrait être le lieu de l’innocence…
Camus en effet, comme l’insubordonné Michaux, en vient à faire de sa réflexion une révolutionnaire contestation du centre : le centre du mystère ne coïnciderait pas avec l'innocence. Selon Clamence, en effet, le Christ en croix lui-même, se demandant pourquoi son Père l’avait abandonné, laisse entendre que, pour le Père, le Fils n'était pas (ou plus ?) innocent. Il sème ainsi le doute sur un message sacré, en le soumettant à l’ironie : en outre, ne rappelle-t-il pas que Pierre, le fondateur de l'Eglise, est aussi celui qui a renié le Christ lors de son arrestation ? Mais cette grimace consistant à souiller le message chrétien masque mal le ressentiment de Clamence, incapable de quitter son personnage social et d’accéder au Soi.
Si le mandala de l'œuvre constitue, par sa perspective abyssale engagée vers un centre, le lieu de (con)quête d'une « vérité », le roman de Camus détourne la spiritualité d’une dogmatique trop monolithique. La littérature en effet ronge et mine ce qui se présente comme un faux centre. Car le centre est toujours vide, la personne sociale se dissolvant dans une aire holistique impersonnelle. Ainsi, dans le temps même où elle conteste un faux centre, avec l’espérance d'un vrai, la voie des lettres se rapproche à nouveau de la quête spirituelle...
La question du corps, centrale chez H. Michaux, fréquemment évoquée par Camus à propos de l'érotisme et de la séduction des femmes, revient chez B. Noël. C'est le cas aussi dans la pratique du mandala, ainsi que le confirme G. Tucci, qui consacre un chapitre au « mandala dans le corps humain16 » – temple cosmique projeté sur le microscome du corps.
La réflexion singulière que Bernard Noël mène sur la corporéité renvoie à une physique de la spiritualité, qui met en lumière notre corporéité complexe et imbriquée, à la fois organique et mentale / spirituelle, personnelle / impersonnelle, manifestée et non manifestée – conception à laquelle souscrit aussi le mandala.
Bernard Noël : le mandala de l’œuvre, corps communiel17
On retrouve dans La Maladie de la chair18 un certain nombre de thématiques relevées dans le texte de Camus ; en effet, si la culpabilité constitue une des zones obscures où se nouent le récit et ses stratégies perverses du narrateur, l'œuvre constitue un mandala qui investit la question du corps et de l'interlocution, comme si corps et langage, auteur et lecteur étaient devenus indissociables, par la mise en abyme du narrateur / personnage, mais aussi de l’œuvre implicitement définie comme une matrice de métamorphoses.
B. Noël explore, dans la même veine mais plus avant que Camus, la fraternité perverse qu’un narrateur entretient avec un narrataire. Ce texte est une fable et une méditation sur la relation lectorale : sans développer les détails du récit, contentons-nous de rappeler que, comme dans La Chute, le narrataire passe du stade de confident à celui de « témoin » très impliqué, puis de témoin à celui d’officiant d’un rite sacrificiel, que le narrateur orchestre. Et la très grande ritualité et le périmètre très étroit de ce récit autorisent une comparaison avec le mandala – œuvre rituelle et initiatique orchestrée par des officiants.
Comme chez Camus, en raison de l’extrême ambigüité de l’œuvre, il est impossible de trouver une frontière entre récit de la perversité et récit initiatique. Si le mandala offre certes peu de résonance avec l'ambiguïté consubstantielle à la littérature, Noël fait cependant de l’œuvre le miroir d’une scène invisible, où se dévoile son pouvoir d’irradiation. Et l’on retrouve ici les plans manifestes et non manifestés du mandala, puisque l’œuvre est à la fois le récit et la mise en abyme de ce dernier : l’action intra-diégétique ne fait que réverbérer l’espace psychique externe où elle fait œuvre.
Par ailleurs, toute la pensée de Noël paraît imprégnée par la poétique du mandala : la forme est vide et elle est une manifestation de l’énergie, saisie dans une de ses phases transformationnelles. Cette circulation et cette métamorphose permanentes ne sont pas reconnaissables par celui qui reste fasciné par l’apparente stabilité des formes, par la face diurne de l’œuvre ; elle requiert une (auto)initiation qui autorise à percer la surface des choses et à accéder à une réalité holistique, tour à tour liée au plaisir et à l’effroi.
La dimension symbolique de l’œuvre recoupe la pratique initiatique du mandala, censée amener le sujet à prendre conscience de sa fondamentale im-personnalité, qui masque une réalité occult(é)e. Plus spécifiquement, B. Noël affronte, sans la médiation des mots qui cherchent à la masquer, toutes les conséquences d’une révélation centrale, selon laquelle « la pensée, c’est de la chair19 ». Cette pensée du corps conduit, dans un développement ultime, à une révélation effrayante, puisque, chez B. Noël, la littérature est une expérimentation oblique de « la mort vive » – à laquelle se confronte également celui qui médite sur le mandala.
Car chez Bernard Noël, la pensée c'est de la chair, de l'énergie : de l'énergie du désir. Cette physique commune à la spiritualité et à la littérature passe bien par le mystère du corps. De même, dans certains mandalas, le ventre de Yama présente un corps dont les entrailles sont constituées d’un monde et dont la figuration suggère l’existence d’un corps non manifesté. Or, dans l’œuvre de l’art, comme l’a établi Merleau-Ponty, la chair se dilue au contact du regard : l’organique et le mental se dénudent jusqu’à leur commune trame.
Aussi peut-on interpréter un second texte de Bernard Noël, le court ouvrage, L’Enfer, dit-on20, comme une synthèse de sa réflexion sur l’œuvre de l’art et de la littérature, donnant une visibilité à l’acte imaginaire réalisé par l’œuvre, qui « détourne la vitalité vers la mentalité, la reproduction vers la fiction21 », l’élan sexuel et l’élan verbal coïncidant dans le signe. L’œuvre de l’art postule l’existence d’un espace communiel, qui ne séparerait plus l’organique et le mental22 et suturerait auteur et liseurs dans le « clos23 » même de l’œuvre. Ainsi, ce qui est nommé, tracé, dessiné, figurerait l’illimitation des corps communicants – à l’image du plaisir sexuel qui, induisant une circulation des flux sensuels, réalise un estompement des frontières entre les corps et une communication imaginale. Dans l’aire émotionnelle de l’œuvre24, les « je » et les egos se dissolvent : le plaisir organique se transsubstantie en une habitation sensuelle du monde, en une corporéité communielle qui délivre le sujet d’une forme d’(auto)enfer(mement).
L’érotisme fait le lien, dans le volume de « l’air », entre les corps qui se rejoignent, en reconstituant un archipel imaginaire et émotionnel, qui renvoie à une dimension inter-subjective insoupçonnée. L’expérience de participation à l’œuvre permet d’approcher un corps communautaire, car l’aire des corps érotisés métamorphose l’énergie sexuelle en sensualité généralisée et partageable. En ce sens, l’œuvre est un creuset alchimique. Cette érotisation, en quoi consiste l’action invisible de l’art, souligne que notre insularité ontologique – cette créature-monade qui, selon Pascal, se croit isolée et jetée dans un univers noir, infini et sans âme – est en fait un mirage. Selon le Bardo Thödol25, en effet, au moment de la mort, lorsque tous les agrégats psychiques du moribond se dissolvent, apparaît l’illusion (perpétuellement auto-alimentée) d’un ego indépendant – quand en réalité ce dernier n’est qu’un agrégat éphémère des énergies de l’univers.
Outre cet enfermement ontologique, nous subissons un enfermement dans l’ordre de la représentation – qui est une réverbération de l’enfer social. Par opposition à ce double enfermement, l’œuvre, ce mandala communautaire, cette carte d’une spiritualité collective (tout au moins de l’un de ses états), « figure » une sorte de corps plénier qui en serait le territoire. Le mandala présente également une corporéité psycho-spirituelle, qui possède ses « gardiens » et garde-fous pour garantir le processus d’individuation, sans cesse menacé. De même, la « corporéité » ouverte de B. Noël, qui s’expanse dans le « volume » de l’œuvre, présuppose une souterraine interdépendance des êtres et des phénomènes.
Ainsi, l’œuvre, objet paradoxal et participatif, investi et recréé lors de l’expérience imaginale de sa contemplation, trouve dans le mandala un étonnant symbole. Elle abolit les sujets, qui meurent symboliquement lors de la méditation intime de l’œuvre, dont l’expérience permet d’approcher une forme insoupçonnée d’inter-corporéité. La chair de l’œuvre est donc un « état transitoire du désir26 », dont la tension est entièrement construite sur l’attente amoureuse du « tu » : le geste, indécidablement organique et imaginal de l’art, est (r)appel de l’autre. Ainsi l’œuvre, par le détournement de toutes les formes de « l’enfer », transforme les violences de l’histoire en une histoire de la rencontre des corps – et, plus intimement, en la rencontre du sujet avec la matrice communielle que suscite l’œuvre.
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Au-delà des similitudes formelles ou structurales du mandala et de l’œuvre, la figure du mandala est un archétype, un lieu d’interaction symbolique ; quant à l’œuvre, elle est un lieu de circulation et de communication de la « chair » – cette sensualité diffuse qui s’exporte entre les corps, aux limites de la matière et du visible, de la sensualité et de l’émotion.
Malgré quelques spécificités, par la médiation du mandala, on constate qu’il existe une évidente convergence de l’espace littéraire et d’une certaine spiritualité, fût-elle insubordonnée. Pour le dire autrement, il faudra bien faire, au sein de l’espace littéraire, une place à un « yoga de l’art27 », dans lequel ce dernier, développant ses voies propres, dessine des chemins de traverse dans le continent de la spiritualité. L’art et de la littérature en produisent de singulières variations. C’est pourquoi, l’œuvre vivante et agissante, symbolisée par le mandala, en vient à contester les aspects pervertis d’une spiritualité trop étroite, dont l’œuvre pourrait être une forme d’exploration plus ouverte.
De plus, l'œuvre, à la manière d'un mandala, peut aussi s’envisager comme un espace d'auto–initiation et d’auto-guérison, dans lequel les formes, les couleurs et les mouvements, symboliseraient les tensions de notre propre psyché, à la jonction d’un espace individué et d’une aire collective. Ces tensions, ce chaos, pourraient, grâce à la médiation de l’œuvre, réussir à se réorganiser, remettant de l'ordre dans l’espace psycho-socio-mental. Scrutant ce dernier dans l'ensemble de ses états, elle réaliserait une forme de pacification ou de (ré)conciliation, selon un processus proche de celui décrit par C. G Jung.
C’est pourquoi le mandala, compris comme symbole de l’expérience esthétique, autorise une lecture inédite de l’œuvre : cette dernière envisage une corporéité élargie où se conjoignent les plans organique / mental / psychique / spirituel. En outre, se caractérisant par son absolue absence de frontières, le corps de l’œuvre « comprend » toujours celui de l’autre : il y a bien un geste de l’œuvre qui, littéralement, touche l’autre, mais qui a aussi la possibilité tantôt de le souiller ou de le contaminer, tantôt de le guérir.
Cette chair trans-personnelle, qui s’étend du corps aux territoires inexplorés de la psyché individuelle et collective, donne à voir le mandala infigurable de l’œuvre en procès. En définitive, sur sa face nocturne ou immergée, cette dernière travaille la société tout entière, labourant et fumant inlassablement son humus imaginal et psycho-spirituel. Elle est en effet une « propriété » anonyme qui s’étend de la scène sociale à celle « du dedans » (Michaux), de notre terrain personnel (avec ses fantasmes, obsessions et scenarii névrotiques) jusqu’à notre territorialité socio-imaginale.
Comme le mandala, elle est un symbole, c’est‑à‑dire une forme vivante, dont les figures émergentes ne prennent leur sens que par l’animation souterraine à laquelle elles sont intimement reliées et que les formes révèlent, désignant le creuset où elle rayonne, où elle contamine imaginalement les liseurs et spect-acteurs qui s’en approchent. Par leurs communes racines, elle communique, au sein d’une matrice à la fois imaginale, sensuelle et émotionnelle, tantôt sa puissance irradiante, tantôt sa viralité imaginale, à la tribu entière.
Ainsi, et pour finir, le mandala nous apprend qu’à travers l’art il devient possible de se connaître, en reconnaissant, derrière les formes, les forces28 qui nous habitent et nous traversent – et que nous abritons, parfois à notre insu, à la croisée de l’individuel et du collectif, du personnel et de l’impersonnel. L’œuvre, comme le mandala, agissant sur ses deux faces (émergée / immergée), devient le site d’un échange d’énergies, à quoi sont ramenés les sujets, conduits à leur dissolution lors du processus miraculeux de la méditation29 de l’œuvre, au cours de laquelle ils peuvent se donner la possibilité de renaître :
Le problème de celui qui crée, problème sous le problème de l'œuvre, c'est peut-être – qu'il ait fierté ou bien honte secrète – celui de la renaissance, de la perpétuelle renaissance, oiseau Phénix renaissant périodiquement, étonnamment, de ses cendres et de son vide30.