Vision nocturne sous le regard photographique de Marie Bovo et Daniel Boudinet

Night vision under Marie Bovo and Daniel Boudinet’s photographic eye

DOI : 10.54563/demeter.965

Résumés

L’article analyse l’aspect esthétique du nocturne chez Daniel Boudinet et chez Marie Bovo. Bien que les deux images choisies pour cette étude soient bien distantes l’une de l’autre dans le temps, elles dénotent l’intérêt partagé des auteurs pour la question de la visibilité nocturne. Il s’agit notamment d’interroger leur façon de montrer le nocturne – souvent considéré comme un élément aveuglant et opaque –, qui peut devenir un subtil empêchement permettant de voir ce qui serait toujours invisible à la lumière du jour.

This article analyses the aesthetic aspect of the nocturnal in Daniel Boudinet and Marie Bovo. Although these two images chosen for this study are quite distant from each other in time, they show the authors shared interest in the issue of night visibility. This includes questioning their way of showing often considered as a blinding and opaque element can become a subtle impediment to see what would always be invisible under the light of day.

Index

Mots-clés

nocturne, esthétique, photographie couleur, Daniel Boudinet, Marie Bovo

Keywords

nocturnal, aesthetic, color photography, Daniel Boudinet, Marie Bovo

Plan

Texte

« Aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible comme une chose vraiment obscure. »
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann

Introduction

« La photographie est de l’ordre de la clarté, de la contemplation, du recueillement : au sens de recueillir la lumière et de se recueillir devant son apparition en arrêtant le cours du temps1. » C’est par ces mots que Jean-Claude Lemagny, dans son recueil d’essais sur la photographie, définit l’image photographique comme un art rayonnant d’une lumière intouchable. En outre, il la suggère comme un art qui vise à « saisir ce que la lumière révèle2 ».

Ces termes prévalent pour définir l’œuvre de Marie Bovo (1967-**). Ils la dépeignent avec précision. Mais présentons tout d’abord l’artiste. Elle est l’une des femmes photographes dont l’œuvre fut récemment accueillie à la fondation Cartier-Bresson à Paris. Cette exposition intitulée « Nocturnes » offre une vision ample de son univers artistique. Elle réunit cinq séries photographiques et deux films réalisés entre 2008 et 2020 dont la thématique semble bien précise : le moment du jour inscrit entre le crépuscule et l’aube, de Marseille à Alger en passant par le Ghana3. La poétique et l’éthique de son regard relèvent d’une esthétique nocturne qu’elle partage avec le photographe Daniel Boudinet (1945-1990) et qui mérite d’être mentionnée. De manière consciente ou inconsciente, le projet esthétique de la photographie nocturne de Marie Bovo ressemble de celui de Daniel Boudinet, et s’apparente à la « photographie expérimentale4 ». Les deux photographes explorent en effet – chacun à sa propre manière – la « mise en scène de l’expérience du voir et de son caractère obsédant5 » : la stimulation visuelle spécifique du dispositif photographique semble être au cœur de leur intérêt commun. Toutefois, se penchant sur l’histoire de la photographie, il est impossible de ne pas noter la « fluctuation des valeurs6 » – pour reprendre l’expression de Michel Poivert – comme agent historique de la condition moderne de cet art, donnant à voir en même temps la valeur éthique du documentaire, la valeur esthétique de l’expérimentation et la valeur artistique du performé.

Cette esthétique se distingue par la subjectivation du regard de l’auteur-photographe qui s’efforce d’interroger « notre perception du monde » par le biais d’une « sensibilité nouvelle7 » : la couleur. Or, il ne s’agit pas de n’importe quelle couleur, mais celle devenue visible lors de la tombée du jour. Cette couleur que l’éclairage nocturne a pu révéler. Comparativement au théâtre où l’art de la direction et de la répartition des faisceaux de lumière mettent tout en scène, la photographie nocturne explore la dramaturgie de la lumière offerte par l’éclairage public8.

Nous nous interrogeons sur la perception de la couleur rendue visible par le travail photographique et non pas son usage par ce médium9. Étant donné que couleur et lumière forment « un ensemble d’action », la lumière « paraît provenir de la même chose que la chaleur » donc, du point de vue de la psychologie la sensation de la lumière, c’est

la propriété qu’ont les nerfs optiques d’être impressionnés par le rayonnement qui émane d’une source lumineuse ou par réflexion d’un objet quelconque éclairé par une source de lumière. Cette sensation affecte notre organe spécial de la vue non seulement en lui donnant l’impression de la forme mais encore de la couleur10.

En effet, c’est la « température de la couleur » saisie par les photographes et rendue visible par le processus photographique qui nous intéresse. Autrement dit, c’est la nuance et non pas la couleur dont nous nous occupons, puisque la « nuance change d’ailleurs légèrement avec l’intensité de la lumière incidente11 ».

Ainsi, les deux photographes choisissent dans les paysages ce qui a peut-être la chance d’être moins une vision réelle : des couleurs et des lumières n’étant visibles que dans l’obscurité. Cependant la pratique photographique de Bovo se caractérise par l’emploi de la couleur et du tirage au grand format argentique, ou « format tableau12 », comme Jean-François Chevrier le conceptualise. Ces deux éléments ancrent son œuvre photographique dans la contemporanéité.

Si ce rapprochement des œuvres est possible, c’est parce que ces deux photographes maintiennent un dialogue à travers une pratique photographique qui va au-delà de la couleur en condition nocturne. En effet, tous les deux jouent avec les éléments imposés par les fondements de la photographie. Ils inventent de nouvelles syntaxes visuelles, c’est en tout cas ce que nous permettent d’entrevoir les deux photographies choisies pour cette étude.

Nous examinons d’abord le projet « Evening setting » que Bovo a dirigé dans le village de Kasunya au Ghana à l’occasion de deux séjours d’une durée de trois mois. La photographe y a observé que les repas du matin et du soir étaient pris dans la cour devant la maison où la vie quotidienne se déroulait. La façon de disposer les ustensiles nécessaires au repas ainsi que d’autres objets du quotidien constituait en soi une sorte de mise en place ou de mise en scène que la condition nocturne transfigurait en nature morte. Éparpillés à l’extérieur de la maison, ces objets constituaient une sorte de mise en scène, où la figure humaine était absente, ou tout juste perceptible par les traces de son passage. Le travail photographique nocturne de Bovo ressemble ainsi à celui d’un peintre de nature morte, lorsque, de ce rien, elle fait une image unique.

Son projet nocturne semble se rapprocher de celui de Daniel Boudinet. En 2018, la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine (MAP) a consacré une exposition à l’œuvre de Boudinet où le public a pu redécouvrir le travail de ce photographe français pour longtemps oublié et très peu étudié. Avec un nom évocateur « Temps de la couleur », cette exposition nous présente un artiste qui a renouvelé la photographie en France à la fin des années 1970. À partir d’un éventail large de son œuvre – 120 tirages originaux, des vidéos et des correspondances, notes et imprimés – cette exposition nous accorde la possibilité de redécouvrir un artiste pionnier de la photographie en couleurs, qui a su également utiliser du noir et blanc13.

Parmi ces œuvres, nous nous penchons sur celle dénommée « Villes de la nuit ». Il s’agit d’un ensemble d’images élaborées au déclin de la nuit lors des déambulations du photographe dans différentes villes telles que Rome, Londres et Paris. Pour le tirage de cette série, il a choisi le format de 10 × 15 centimètres, identique à celui des cartes postales dont il faisait collection.

Le caractère intemporel de leurs photographies émane de leur attirance vers des objets ordinaires ou vers des scènes banales qui ne font pas partie d’un lexique artistique. Bovo et Boudinet visent à en retrouver personnellement la poésie. La poétique de leurs travaux naît d’une vision qui envisage d’éclairer les subtilités nocturnes d’une ville ignorées par la vision diurne.

Notre article ambitionne de montrer que leur choix esthétique rend visible une ossature des villes et des paysages, celle que nous croyions invisible ou occultée sous la lumière diurne. D’une part nous envisageons de dévoiler l’obscurité du régime nocturne, non comme une sorte de pellicule occultante, mais au contraire comme une obscurité plutôt évocatrice14 ; d’autre part nous cherchons à mettre en relief les aspects qui rapprochent les deux photographes et ceux qui les éloignent, et que nous envisageons de préciser.

L’esthétique du nocturne en couleur a constitué une expression photographique lorsque la nuit urbaine est apparue « illuminée »15. Ces deux photographes célèbrent la matérialité de la condition visuelle indéterminée, et parfois même vague, du nocturne, pour saisir le subtil contraste entre les couleurs, la luminosité et l’obscurité. Cette indétermination est elle-même fondamentale pour briser l’illusion du référent et rendre à l’image sa concrétude par la matérialité de ce qu’elle représente. Alors, les deux artistes prêtent à la couleur un traitement autonome, antérieur au processus chimique, de sorte que l’analyse in situ et la sensation participent à la construction de l’effet chromatique lui-même.

Bovo et Boudinet, chacun à sa manière, célèbrent l’imaginaire de la nuit et les multiples réflexions esthétiques qu’il permet à celui qui prend le temps de le contempler. Bien que la nuit fasse partie du cycle de notre vie et puisse nous paraître naturelle, la vision nocturne de ces deux photographes semble nous montrer qu’au-delà d’une simple homogénéité de noir, le nocturne se révèle comme un affleurement des formes et des couleurs. Cet affleurement permet de vaincre l’opacité de la nuit, de mettre en valeur des variations et d’opérer des distinctions subtiles, des ombres, des lumières et des noirs inenvisageables sans le support photographique, et sans la vision de ces deux photographes.

Pour notre analyse des deux exemples de travaux nocturnes, nous allons voir, de Bovo et de Boudinet, comment cette catégorie nocturne, parfois trop vite interprétée comme celle qui empêche de voir et qui défait le paysage, peut projeter et générer d’autant d’images différentes de la nuit.

La photographie et le temps

Même si les conditions techniques ne sont pas les mêmes, Bovo et Boudinet partagent une trace en commun : ils mettent leur travail à l’opposé du photojournalisme et l’idée d’« instant décisif16 ». C’est pourquoi leurs images retiennent le temps, nous permettant de ressentir la durée de l’instant capturé.

Les deux photographies choisies nous montrent qu’elles sont à la fois des repères et des scènes de repérage. Et la nuit, en tant que condition formelle de fabrication de l’image, est une œuvre de fiction, lorsqu’elle relève d’un certain degré d’interprétation du monde et d’une certaine soumission du contexte au comportement de celui qui l’enregistre. Autrement dit, la nuit relève du décor de théâtre17, car le nocturne la transfigure. Étant donné que la nuit n’est pas saisie en condition naturelle, mais qu’elle est « une création artistique, de surcroît en couleur, [et] qu’il y a transfiguration18 », elle devient « la création d’un invisible qui transcende le réel19 ». Les composants de l’image portent les indices d’une élaboration lente et rigoureuse. Nul élément n’est laissé au hasard.

Par conséquent le nocturne en tant que catégorie esthétique20 convertit l’image photographique en un espace où le temps semble ralentir et parfois même se figer21. L’esthétique nocturne permet en quelque sorte une « dramatisation du paysage (dans la nature et dans la ville) grâce aux lumières environnantes22 », note Judith Langendorff. D’ailleurs, comme le souligne encore la même auteure, « le régime nocturne est un dispositif », car il « procède de multiples déclinaisons. Il n’est pas immuablement sombre23 ». La condition technique de faible luminosité exige un long temps d’exposition. L’image semble contenir le temps, du fait qu’en soi rien ne se passe : nul événement sinon celui des jeux d’ombre et de lumière. D’après le témoignage de Marie Bovo, une des particularités de la pose longue, « c’est l’ajoute du temps à la mesure de la lumière24 ». Cette même sorte de remarque, nous pouvons la retrouver dans la parole de Daniel Boudinet : « J’aime penser que le temps contenu dans ma photo pourrait être symbolisé par un personnage traversant le rectangle à un pas normal25 ». C’est le temps qui, dans sa durée, passe et élabore l’image. Il s’agit d’un choix bien précis, celui de l’instant qui demeure (et qui dure) dans un hors temps de la fixité de la chose photographique. Cet instant s’oppose volontairement à l’idée même d’instant décisif, caractérisé par la fugacité du temps. Par cette technique, les photographes semblent rendre visible l’expérience de la durée nécessaire à la production de l’image. La photographie retient alors le temps. Cette sorte de démarche dans la composition de l’image, comme nous le rappelle Dominique Baqué, se caractérise par une espèce d’ « époché26 ». Cette technique permet à la photographie d’incarner une forme de neutralité, où le « mot d’ordre [est] décrire27 ». Ce moment photographique, Arnaud Claass le nomme « moment fluvial ». Nulle chose ne se meut, et toutefois, « le temps semble y couler comme un fleuve28 ».

Or c’est peut-être le philosophe Gilles Deleuze qui, le mieux, traduit l’image comme phénomène temporel. Selon lui, « les rapports de temps ne sont jamais vus dans la perception ordinaire, mais ils le sont dans l’image, dès qu’elle est créatrice ». Autrement dit, dès qu’elle rend « sensibles, visibles, les rapports de temps irréductibles au présent29 ».

L’image comme création fait disparaître le visible en dépit de l’expression de la durée. Ce geste photographique est inséparable d’un regard éthique qui exprime une coïncidence parfaite entre le temps de l’image et celui de l’événement, d’où l’image même tire toute son existence.

Ainsi, photographier c’est créer un cadre contemplatif. L’acte photographique en lui-même se fonde sur la rencontre de deux « formes de sensibilité, celle physicochimique sans conscience et celle de l’esprit au monde », qui se posent « devant un sensible à l’état brut et indiscipliné, venu de l’extérieur énigmatique30 ». Donc, photographier, c’est aussi savoir encadrer la rencontre entre « ce que nous sommes et ce dont nous sommes ». N’ayant rien de personnel, le jugement esthétique ancré dans la justesse d’une composition, d’une harmonie de couleurs, d’un balancement réussi entre lumière et ombre, n’est pas le résultat des impressions personnelles, mais d’un « message venu de notre condition d’être au monde31 ». Le regard du photographe semble saisir le silence entremêlé aux choses mêmes, lors de sa présence dans ce monde, c’est-à-dire « la matité du réel, son entêtement à être-là et à ne point signifier32 », comme l’indique Baqué.

Compte tenu de la fragilité de la dissolution de sa substance, la nuit apparaît propice à la confrontation du regard du photographe face à un sensible brut et énigmatique relevé par la perception de l’environnement nocturne. Celui-ci produit une vision conçue plutôt comme un mode de communication avec le monde et pas simplement sa représentation. En effet, l’atmosphère de familiarité dans ces deux compositions photographiques émane de la simplicité des éléments du quotidien choisis dans le paysage. La familiarité qui en ressort nous invite à nous interroger sur notre propre regard, sur notre façon même d’apercevoir et d’observer ce qui nous entoure.

La couleur de la nuit

Les travaux de Bovo et Boudinet montrent la subordination de la couleur à la lumière. Ils s’emparent de la pratique nocturne de la photographie en couleurs pour questionner ses propres limites. En leur temps, tous les deux ont montré une certaine autonomie de la couleur par rapport à la lumière pendant les pratiques photographiques qu’ils ont eu à faire en conditions de luminosité ou de clarté minimales. Leurs expérimentations photographiques dans les deux images (fig.1 et 2) visent à démontrer l’existence de la couleur au-delà de la lumière qui survient au-dessous de l’objet.

Lorsqu’ils se plongent dans la nuit parsemée de l’éclairage des réverbères, ces photographes nous suggèrent que la poétique de la couleur naît également de ce que le nocturne renforce : l’ombre. Leur photographie se fait à la frontière entre la lumière et l’obscur. C’est comme si Boudinet et Bovo questionnaient la propre nature de leur art – la graphie de la lumière – afin de nous révéler que l’ombre et l’obscur sont aussi des sources esthétiques de l’image photographique33. Les apercevoir exige une subtilité de la vision du photographe qui nous invite à regarder ce qu’il est le seul à avoir vu : des couleurs, des nuances et leurs rendus. Leur pratique photographique nous montre leur conscience du fait que, dès la plus petite variation dans la condition du clair-obscur, l’image saisie n’est plus la même.

Marie Bovo et Daniel Boudinet décèlent ainsi la non-subordination de la couleur à la condition de lumière et de clarté. Ce qui peut surprendre avec leurs compositions photographiques, c’est que la couleur ne s’éteigne pas avec l’obscurité ; au contraire, cette dernière rehausse les nuances du visible et nous force à percevoir le visuel d’un paysage. Celui-ci ne se donne ni dans l’immédiateté du regard ni simplement sous la condition de pleine clarté, mais lors du retour du temps pour que le paysage-image se montre dans toute sa complexité, d’autant plus que le noyau de leurs travaux se trouve dans la condition lumineuse nocturne révélée notamment par les expérimentations esthétiques de la photographie en couleurs. Expression de l’obscur et non uniquement de la lumière, la couleur se montre comme un voile dont la moindre variation de lumière dans l’obscurité dévoile les nuances chromatiques du paysage nocturne. Ce voile se constitue de la tension entre plusieurs formes visuelles, réduites à deux réalités plastiques : couleur et texture. De cette perspective, le voir photographique ne restitue pas la perception, mais le ressentir. Et la condition nocturne revêt les objets les plus banals, les plus ordinaires, d’une intensité et d’une couche imaginative qui dépassent leurs fonctions habituelles.

La quête des photographes dans les deux images (fig.1 et 2) que nous analyserons ici est de faire une sorte de photographie nocturne dont les traces de lumière et de couleurs font émaner un sens poétique qui, chez Boudinet et Bovo, semble vouloir exprimer le sens de la lumière et de la couleur du nocturne. Tels des esthètes, les deux photographes dans les exemples que nous allons examiner de plus près visent à saisir la « stimmung » de leur composition, c’est-à-dire la « tonalité affective » et la résonance harmonique que la représentation peut provoquer chez le spectateur. La couleur et la lumière y sont plutôt le résultat d’un accord entre le jeu de l’imagination et de l’entendement du nocturne. La nuit devient la pellicule capable de rendre visibles des scènes dont les variations de tonalité semblent trouver leur résonance chez le spectateur.

De cette perspective, leurs photographies rendent la représentation de l’espace urbain énigmatique en raison de sa « mise en scène » étrange. La photographie en devient comme l’empreinte d’une expérience imaginaire. Ce faisant, le photographe invente des paysages où les dimensions narratives et sentimentales de l’image sont refusées. Boudinet et Bovo produisent des photographies à partir des objets ordinaires, du rien à voir, dont l’attractivité semble suffisante pour produire une vue. Voilà l’éthique de leur regard : savoir s’approprier d’un dedans imaginaire par un dehors.

De la sorte, l’obscur de la nuit n’est pas le négatif dont la lumière du jour constituerait le positif. Mais, comme une image photographique sans son négatif, ce que la photographie enregistre, c’est une ville dont le paysage et la réalité sont invisibles. Ils existent seulement en tant que scénographies, car sous le cercle chromatique de la lumière du jour, ces teintes rares et invisibles s’éteignent. Ainsi leur esthétique nocturne se constituerait-elle de l’apparition des couleurs, et encore davantage de leurs nuances. Ces photographes nous enseignent d’emblée qu’une photographie n’est pas une empreinte du réel. De l’une à l’autre, il y a l’élaboration de l’art. La réalité propre à chaque photographie est alors devenue le sujet primordial à mettre en évidence par l’artiste.

Ces images photographiques mettent en relief quelque chose de la ville qui ne se montre pas tout de suite, qui ne se laisse pas facilement enregistrer34. L’éclairage provoque un bouleversement du paysage nocturne, car la lumière vient percer l’obscurité et transformer des éléments anodins en éclats mystiques. Comme l’explique Judith Langendorff, l’atmosphère nocturne ainsi que l’alchimie de la couleur sur la pellicule, « particulièrement en milieu urbain, grâce aux nombreux éclairages, modifie[nt] le paysage voire le métamorphose[nt]35 ». La photographie ne saisit pas une vision symbolique. Ce qui fait l’image, ce sont les traits, les couleurs, les lumières et non pas seulement l’objet imagé. La photographie passe d’une image de compréhension immédiate à quelque chose de toujours plus abstrait, éphémère et singulier, où les photographes ne reproduisent pas, ils créent. Ils transforment l’espace, le reconstruisant par un jeu de lumières, sombres et couleurs. La scène enregistrée par leur objectif est nue, car le signe y est toujours signe et non chose, ce qui fait de la scène le lieu même de la révélation d’une idée.

Boudinet et Bovo, la rencontre avec la lumière de nuit

Voyons alors de plus près les particularités de la composition photographique de ces deux photographes. Nous amorçons notre enquête par cette photographie de Daniel Boudinet qui semble manifester son désir d’interroger la lumière par ce projet de la ville de nuit, prise aux environs de Paris en 1975.

Fig.1

Fig.1

Daniel Boudinet, [Réverbère et éclairage nocturne], 1975, tirage Cibachrome, 12×17 cm, donation Daniel Boudinet, Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP.

La composition de cette photographie est simple, malgré la difficulté technique de la prise de vue. Tenant un regard éloigné de la scène, le photographe fait appel à un point de vue36 frontal. Le découpage de la lumière est bien marqué. Nous voyons un premier plan éclairé par le réverbère qui se montre comme la seule source de lumière. Cette lumière va dépeindre toute la scène, car elle la cadre au fur et à mesure qu’elle divise la composition du cadre en deux plans de couleurs bien délimitées, l’une jaune et l’autre noire. De plus, cette source d’éclairage au plein milieu trace un chemin accentué par la couleur noire rendue visible par le reflet de lumière sur les parallélépipèdes. Cette lumière aplatit l’image, fondant toute perspective dans un faisceau lumineux qui les verticalise et les anéantit. Ce reflet conduit notre regard à celui même du photographe lors de la prise de vue. Derrière le point lumineux se trouve un mur dont seule une partie est éclairée par la lueur du réverbère qui dessine une sorte de « petit pan de mur jaune » au sein de la photographie. En même temps et en raison de la disposition lumineuse de cette scène, l’espace environnant et l’arrière-plan sont plongés dans le noir de la nuit. Ce point de vue exprime le sens du concept de lumière et de couleur, de clair et d’obscur, de jaune et de noir. Mais plus que l’expression d’un sens lumineux, l’œil photographique de Daniel Boudinet met en relief la texture des éléments de la composition. Restituée à partir de ce peu de chose, la scène donne à l’obscurité, à la lumière et à la couleur le rôle de susciter des rêveries et ainsi, ce sont elles qui deviennent son sujet.

Le « presque rien » ou ce peu de choses nous mène à voir la photographie nocturne vidée de Boudinet comme une scène37, si nous comprenons par ce terme : le lieu de la révélation d’une idée, de l’apparition, mais aussi d’inaccomplissement. C’est comme si l’image se faisait dans l’entrelacs du visible et de l’invisible, c’est-à-dire l’espace de la création38. La photographie ne s’avère plus être comme un tableau, mais acte, où les signes restent signes et non chose. En ce sens, Daniel Boudinet ne reproduit pas la scène, il la crée, en la construisant par le jeu d’ombre et lumière.

Fig. 2

Fig. 2

Marie Bovo, Evening Setting, lundi 20 h 16, Kasunya, Ghana.

C’est cette même sorte de vision que nous retrouvons dans le travail photographique de Marie Bovo. À la plastique très contrôlée, sa prise de vue se construit d’un point de vue semblable, c’est-à-dire d’un regard « à la frontière de l’intime sans invasion39 » pour mieux contempler la scène et mieux la composer. À juste hauteur des objets à photographier, Bovo centralise la scène d’un point de vue où les singularités plastiques des objets et de l’entourage constituent leur sens. La lumière chez Bovo déligne les contours des choses photographiées, de manière à atteindre le même équilibre de clair et d’obscur trouvé chez Boudinet. La lenteur pour la prise de vue participe alors dans l’organisation de l’image, constituant des aplats de couleurs denses sur la surface bien éclairée. Les zones d’ombre intenses plongent une partie de l’image dans l’obscurité. Au premier plan, le sol occupe une grande proportion de l’image en vue d’encadrer les objets abandonnés et disposés lors de l’interruption des activités. Néanmoins ces objets faussement éparpillés sur la scène composent d’apparences énigmatiques. Ils se mêlent au paysage de l’image, dans laquelle la couleur dense et la lumière rasante et intense les mettent en relief, affirmant la lisibilité de l’image. Dégoulinées de leur ombres, couleur et lumière semblent pouvoir s’animer comme délestées momentanément du poids de leur finalité et leur « fonction ». La lumière incisive et crue de Bovo rend la matérialité vivante des objets – une bassine en aluminium, une assiette, un petit tabouret en bois, mules – révèle leur maximum de détails. Le mur de la maison compose une sorte de décor d’une pièce de théâtre, où à l’arrière les objets viennent se disposer dans un singulier désordre. Cette composition rappelle un tableau de nature morte ordinaire, certes, mais elle fait aussi allusion en quelque sorte au portrait, à un portrait « sans visage », dans lequel la figure humaine apparaît par le biais de ses traits communs de la vie quotidienne.

Si, d’un côté, le plan plus large de Boudinet permet au regard une expérience contemplative du paysage, d’un autre côté, le plan plus serré de Bovo finit par refermer son espace de vision, son point focal, sans pour autant manifester définitivement son choix d’un objet central. Le découpage suit les nuances de couleur dessinées grâce à la lumière qui les révèle. Dans les photographies de ces deux artistes, nous percevons la lumière et les dédoublements des nuances colorées comme les éléments qui guideront leur regard. Les deux cadres sont vides de toute présence humaine. Ce sont d’ailleurs les traces de son passage qui sont en fait visées par les photographes. Plus subtilement chez Boudinet, ce sont l’architecture et les éléments urbains exposés qui nous la donnent à voir. En revanche, chez Bovo, des objets du quotidien dès le premier plan servent d’indices plus évidents de la présence humaine.

Or, si le réverbère n’est pas saisi dans le cadre du viseur chez Bovo, du moins son reflet de sa présence l’est. Cet encadrement en quelque sorte confirme l’emploi de la même approche esthétique chez les deux photographes : l’utilisation de l’éclairage artificiel dont ils disposent en scène. La source de lumière plus vive dans la scène de Bovo révèle évidemment une image qui rehausse la pénombre du visible, reproduisant les couleurs dans leur matité. Néanmoins, cette lumière éclatante n’empêche pas la photographe de rendre visible la teneur du mur comme celui des objets. D’ailleurs cette atmosphère lumineuse permet à Bovo de donner à l’image une portée plus harmonieuse, où l’association chromatique et les effets qu’elle produit sont plus finement ressentis. La luminosité de la scène semble être sacrement respectée. La vibrante variation de clarté suggère alors une harmonie nuancée et constitue un ensemble coloré manifestement dégradé. Cette esthétique nocturne renforce l’idée d’une photographie comme une recomposition inventive et créative parfois capable de capter les subtils grains du paysage nocturne.

Le format choisi pour le tirage de leurs photographies accentue leur différence. Boudinet, en pleine réaction à son époque, opte pour une petite taille, comme nous l’avons déjà noté, telle celle d’une carte postale. Ce choix exige des spectateurs de s’approcher pour mieux voir les photographies, comme s’il fallait les scruter par elles-mêmes pour aller au détail de ce qui a été saisi. En revanche, chez Bovo, le grand format tableau sollicite du spectateur son éloignement pour mieux regarder, contempler la scène. Partant de ces deux photographies, nous avons ainsi identifié, sur le sujet de l’esthétique nocturne, deux façons asymétriques dans la recherche du rendu de la lumière, de la couleur et de l’espace.

In fine, leurs arts affichent que la composition d’un paysage nocturne relève moins les limites territoriales qu’un passage diurne. Néanmoins, une différence semble être plus marquée entre les deux photographies : chez Bovo nous observons clairement que son regard se tourne vers les éléments lumineux, tandis que chez Boudinet, la condition nocturne n’est pas simplement un voile permettant de mieux voir les couleurs et les qualités lumineuses, mais il semble nous inviter à nous perdre dans l’obscurité opaque dont il compose la scène. L’un comme l’autre manifeste une certaine forme d’éthique du regard, lorsqu’ils donnent au paysage saisi le temps de se montrer, c’est-à-dire qu’en tant que photographes, ils ne dissocient pas leur contemplation du paysage de leur connaissance, ce qui leur permet d´établir des rapports entre les éléments qui s’entremêlent au rythme et au flux de l’imaginaire.

Théâtre de lumières et de couleurs, cependant, l’art de « scène » dont l’intérêt de l’image se trouve dans l’espace de son déroulement et non dans l’objet photographié. Ils créent un instant qui n’est pas celui saisi dans la plénitude du sens ; mais un instant qui se montre régi et programmé pour apparaître dans sa durée. Sans un avant ou un après, le jeu de lumière, de couleur et d’ombre n’a pris corps que pour se faire image – être immobilisé. Le projet devenir-image performé par ce jeu des éléments se transforme donc en photographie. Cependant chez Boudinet l’image désertée tend à un moment silencieux, où rien n’y a eu ou n’aura lieu. Alors que chez Bovo, la mise en scène discrète des objets suggère la possibilité, de manière impromptue, d’un renversement du silence, puisque les lumières, les couleurs, les ombres, dans sa photographie sont plus denses, crues et intenses.

La poétique d’un art

La poétique de l’art de Marie Bovo et de Daniel Boudinet appartient à un autre ordre que celui de la création. Elle est un mode d’être attentif au monde, s’arrêtant sur un lieu et un état, un moment du monde.

L’intérêt partagé de ces deux photographes n’est pas seulement la condition nocturne de vision mais aussi la façon dont les couleurs apparaissent sous cette condition. La couleur n’est pas prise comme un avènement donné a priori, mais comme une réverbération de la lumière. Il s’agit d’un régime d’association chromatique et dont les effets font déterminer tout d’abord l’image, puis l’objet. Bovo et Boudinet élaborent des « images-fictions »40, permettant de découvrir des paysages originaux ou du moins leurs traits grâce à un rythme chromatique né d’un éclairage singulier qui les colore.

Ces deux photographes montrent que la nuit ne se confond pas avec les ténèbres. Ils s’inscrivent dans une recherche photographique des effets lumineux desquels la nuit semble révélatrice lorsqu’elle met en relief l’ossature du visible. Ce faisant ils font appel à une lumière propre à la nuit composée de fractions de lumière qui, comme un voile, brouille la vision, mais qui donne aussi origine à des spectres de couleurs inattendus sous la lumière du jour. Cette composition finit par retenir une lumière minimale où une simple embrasure chez Boudinet ouvre un lieu sans limite ; tandis que chez Bovo la lumière toujours très faiblement modulée répond à une dynamique incisive et plus dense, permettant de passer à quelque chose de plus sombre, plus intense qui inquiète le regard.

Ce qui frappe dans ces deux photographies réalisées en condition nocturne, c’est qu’elles évoquent un aspect psychologique de la temporalité nocturne : l’essor vers la fiction. Ces images traduisent à la fois le sentiment de la nuit commun à tous les humains, et également un usage esthétique du nocturne dans l’image : celui de la distorsion lumineuse d’aspect plus symbolique. Elles interpellent notre regard car ces images nous renvoient en quelque sorte à quelque chose que nous avons déjà (entre) aperçu, et que nous nous représentons, même vaguement.

Dans ces photographies, la nuit s’exprime en effet singulièrement, montrant ce qui ne se laisse pas reproduire en série. Elle n’est pas seulement un support mettant en œuvre des traits formels destinés à produire une atmosphère dramatique, elle l’est aussi, cependant le signe de la présence d’un invisible dans le visible.

En guise de conclusion, cette esthétique nocturne montre que l’obscurité et l’ombre qui nous empêchent de voir a priori nous permettent de mieux percevoir les subtilités du monde, les nuances, là où elles se manifestent encore d’une manière assez fragile.

Nous avançons, au vu de ces deux photographies nocturnes, l’idée in fine que, le noir de la nuit devient leur cadre. Leur esthétique nocturne consiste à tenter l’empiètement de la lumière et des couleurs au cœur de l’image elle-même, et non seulement à ses limites. Ainsi, ces photographies de Bovo et de Boudinet font l’épreuve de l’image nocturne et la réfléchissent comme lieu d’enjeux, la surface contre la profondeur, creusant le visible nocturne de son instabilité.

Tout semble être « mise en scène » pour déstabiliser le paysage. Statique, il constitue en même temps un décor pour l’action, et l’action ; il expose également une nature morte, mais aussi une nature presque vive, prête à se réveiller au déclin du jour. Notre exploration de la condition nocturne à partir de ces deux photographies a permis de mettre en évidence une attention à la réalité à la fois brute et fragile que la condition nocturne impose aux yeux de celui qui prend le temps de la regarder.

1 Jean-Claude Lemagny, L’Ombre et le temps. Essais sur la photographie comme art, Paris, Armand Colin, 1992, p. 282.

2 Ibid., p. 282.

3 À ce propos, voir : Marie Bovo. Nocturne, cat. exp. (Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson, 25 février-17 mai 2020) Paris, Fondation Henri

4 Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2010, p. 56.

5 Ibid., p. 56.

6 Michel Poivert, « La condition moderne de la photographie », dans Roger Durand, L’ombre du temps, Paris, Jeu de Paume, 2004, p. 38.

7 Michel Nuridsany, « Tendances actuelles de la photographie en France » cat. exp. (Paris, musée d’Art moderne de la ville de Paris, novembre

8 L’éclairage public au sens moderne d’illumination de la rue, comme nous rappelle Wolfgang Schivelbusch (La nuit désenchantée, Paris, Le Promeneur

9 Concernant l’usage de la couleur en photographie, Nathalie Boulouch, (Le ciel est bleu. Une histoire de la photographie couleur, Paris, Textuel

10 Léon Vidal, La lumière et les couleurs au point de vue photographique, Paris, Imprimerie typographique de A. Pougin, 1878, p. 5-6.

11 Louis Calmette, Lumière, couleur et photographie, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1893, p. 12.

12 Jean-François Chevrier, Entre les beaux-arts et les médias. Photographie et art moderne, Paris, L’Arachnéen, 2010. Les formules « forme tableau »

13 À ce propos, voir : Daniel Boudinet. Temps de la couleur, cat. exp. (Tours, 16 juin-10 octobre 2018), Paris, Jeu de Paume / Liénart Éditions /

14 On retient l’idée du philosophe Jean-Pierre Curnier, (Montrer l’invisible. Écrits sur l’image, Paris, Actes Sud, 2009), qu’on voit une image non

15 Interroger le nocturne par le biais de l’éclairage public n’est pas une exclusivité de ces deux photographes. D’ailleurs Brassaï le fit en montrant

16 Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson, Le tier photographique, Paris, Gallimard, 2008.

17 D’ailleurs, Roland Barthes signale depuis 1980 avec la parution de La chambre claire, le lien entre photographie et théâtre pour définir la notion

18 Judith Langendorff, op. cit., p. 101.

19 Ibid.,p. 444.

20 Telle que la définit Judith Langendorff dans sa thèse de doctorat « Le nocturne comme catégorie esthétique dans la photographie et le cinéma

21 On part de la conception du réalisateur et scénariste Andreï Tarkovski (Le Temps scellé, Paris, Philippe Rey, 2014) qui relie la photographie et le

22 Judith Landengorff, op. cit., p. 29.

23 Ibid., p. 77.

24 Marie Bovo, Entretien avec Regis Durant, Paris, Éditions Kamel, 2010, np.

25 Bernard Lamarche-Vadel, « Daniel Boudinet », dans « Dossier jeunes créateurs », Artistes, n° 6, octobre-novembre, 1980, p. 28.

26 Dominique Baqué, La photographie plasticienne. Un art paradoxal, Paris, Éditions du Regard, 1998, p. 12.

27 Ibid., p. 153.

28 Arnaud Claass, Du temps dans la photographie, Paris, Filigranes Éditions, 2014, p. 2.

29 Gilles Deleuze, Deux régimes de fous. Textes et entretiens, 1975-1995, Paris, Éditions de Minuit, 2003, p. 270.

30 Jean-Claude Lemagny, L’Ombre et le temps. Essais sur la photographie comme art, Paris, Armand Colin, 1992, p. 111.

31 Ibid., p. 11.

32 Dominique Baqué, op. cit., p. 153.

33 À ce propos voir : George Roque, Quand la lumière devient couleur, Paris, Gallimard, 2018.

34 On reprend ici la notion de « mode mineur de la réalité » proposée par l’anthropologue Albert Piette dans son ouvrage Le Monde mineur de la réalité

35 Judith Langendorff, op. cit., p. 463.

36 Selon les mots de Boudinet, « ma taille ou plus exactement la hauteur de mon œil par rapport au sol donnant échelle de ma composition » Bernard

37 Cette conception de l’image chez Boudinet ne semble pas erronée, elle s’expliquerait en quelque sorte par son métier de formation, celui de

38 À ce propos, voir : Mathilde Falguière, Christian Caujolle, Daniel Boudinet. Temps de la couleur, cat. exp. (Tours, 16 juin-28 octobre 2018), Paris

39 Agnès Sire (dir.), « Nocturnes », dans Marie Bovo. Nocturne, cat. exp. (Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson, 25 février-17 mai 2020), Paris

40 Il est inévitable de ne pas penser à une symétrie avec le concept de « image performée » défini par Michel Poivert dans La photographie

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Léon Vidal, La lumière et les couleurs au point de vue photographique, Paris, Imprimerie typographique de A. Pougin, 1878.

Notes

1 Jean-Claude Lemagny, L’Ombre et le temps. Essais sur la photographie comme art, Paris, Armand Colin, 1992, p. 282.

2 Ibid., p. 282.

3 À ce propos, voir : Marie Bovo. Nocturne, cat. exp. (Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson, 25 février-17 mai 2020) Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson / Atelier EXB / Editions Xavier Barral, 2020.

4 Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2010, p. 56.

5 Ibid., p. 56.

6 Michel Poivert, « La condition moderne de la photographie », dans Roger Durand, L’ombre du temps, Paris, Jeu de Paume, 2004, p. 38.

7 Michel Nuridsany, « Tendances actuelles de la photographie en France » cat. exp. (Paris, musée d’Art moderne de la ville de Paris, novembre 1977-janvier 1978), Paris, ARC2 / Éd. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1977.

8 L’éclairage public au sens moderne d’illumination de la rue, comme nous rappelle Wolfgang Schivelbusch (La nuit désenchantée, Paris, Le Promeneur, 1993, p. 71), « a bouleversé notre expérience avec la nuit, car les puissances qui règnent après la tombée de la nuit ne sont pas les mêmes que le jour […] la nuit représente le chaos, le rêve ».

9 Concernant l’usage de la couleur en photographie, Nathalie Boulouch, (Le ciel est bleu. Une histoire de la photographie couleur, Paris, Textuel, 2011), nous rappelle qu’à partir des années 1980, on assiste à une fusion de la pratique de la photographie en noir et blanc, et de celle de la couleur. Néanmoins, ce qui distingue la photographie française de l’américaine, par exemple, est que la française propose une réflexion sur la couleur tout en cherchant à lui donner corps, une présence tactile.

10 Léon Vidal, La lumière et les couleurs au point de vue photographique, Paris, Imprimerie typographique de A. Pougin, 1878, p. 5-6.

11 Louis Calmette, Lumière, couleur et photographie, Paris, Société d’Éditions Scientifiques, 1893, p. 12.

12 Jean-François Chevrier, Entre les beaux-arts et les médias. Photographie et art moderne, Paris, L’Arachnéen, 2010. Les formules « forme tableau », « tableau photographique » ou « image tableau » ont permis au critique d’art et commissariat d’exposition Jean-François Chevrier d’inscrire certaines pratiques photographiques dans le champ de l’art. La « forme tableau » désigne des formes photographiques produites en faisant allusion au modèle pictural et il se définit selon des critères esthétiques précis, résultant d’une démarche méthodique et spécifique.

13 À ce propos, voir : Daniel Boudinet. Temps de la couleur, cat. exp. (Tours, 16 juin-10 octobre 2018), Paris, Jeu de Paume / Liénart Éditions / Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, 2018.

14 On retient l’idée du philosophe Jean-Pierre Curnier, (Montrer l’invisible. Écrits sur l’image, Paris, Actes Sud, 2009), qu’on voit une image non pour ce qu’elle « donne à voir, mais pour ce qu’elle vaut comme apparence de l’invisible », c’est-à-dire que sa valeur réside dans son « évocation de l’invisible ».

15 Interroger le nocturne par le biais de l’éclairage public n’est pas une exclusivité de ces deux photographes. D’ailleurs Brassaï le fit en montrant que l’espace urbain comporte des zones qui ne prennent leur véritable aspect que dans la pénombre. « Le jour, elles se cachent, adoptent un visage banal et bonasse et se dissimulent ainsi aux yeux de tous » Paul Morand, « Préface », dans Brassaï Paris de Nuit, Paris, Flammarion, 1987, np.

16 Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson, Le tier photographique, Paris, Gallimard, 2008.

17 D’ailleurs, Roland Barthes signale depuis 1980 avec la parution de La chambre claire, le lien entre photographie et théâtre pour définir la notion même d’image. Note-t-il : « Ce n’est pourtant pas (me semble-t-il) par la Peinture que la Photographie touche à l’art, c’est par le théâtre ». Roland Barthes, « La chambre claire », dans Œuvres Complètes, t. v, Paris, Seuil, 2002, p. 847.

18 Judith Langendorff, op. cit., p. 101.

19 Ibid., p. 444.

20 Telle que la définit Judith Langendorff dans sa thèse de doctorat « Le nocturne comme catégorie esthétique dans la photographie et le cinéma contemporains » dirigée par Philippe Dubois, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2018, et dans son ouvrage Le nocturne et l’émergence de la couleur : cinéma et photographie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Aesthetica », 2021.

21 On part de la conception du réalisateur et scénariste Andreï Tarkovski (Le Temps scellé, Paris, Philippe Rey, 2014) qui relie la photographie et le cinéma par la métaphore célèbre de « sculpture dans le temps ».

22 Judith Landengorff, op. cit., p. 29.

23 Ibid., p. 77.

24 Marie Bovo, Entretien avec Regis Durant, Paris, Éditions Kamel, 2010, np.

25 Bernard Lamarche-Vadel, « Daniel Boudinet », dans « Dossier jeunes créateurs », Artistes, n° 6, octobre-novembre, 1980, p. 28.

26 Dominique Baqué, La photographie plasticienne. Un art paradoxal, Paris, Éditions du Regard, 1998, p. 12.

27 Ibid., p. 153.

28 Arnaud Claass, Du temps dans la photographie, Paris, Filigranes Éditions, 2014, p. 2.

29 Gilles Deleuze, Deux régimes de fous. Textes et entretiens, 1975-1995, Paris, Éditions de Minuit, 2003, p. 270.

30 Jean-Claude Lemagny, L’Ombre et le temps. Essais sur la photographie comme art, Paris, Armand Colin, 1992, p. 111.

31 Ibid., p. 11.

32 Dominique Baqué, op. cit., p. 153.

33 À ce propos voir : George Roque, Quand la lumière devient couleur, Paris, Gallimard, 2018.

34 On reprend ici la notion de « mode mineur de la réalité » proposée par l’anthropologue Albert Piette dans son ouvrage Le Monde mineur de la réalité. Paradoxes et photographies en anthropologie, Louvain, Peeters, 1992. Selon lui, la photographie apparaît comme l’outil privilégié, car elle permet de « fixer l’éphémère » dès que l’observateur photographe possède un « regard perspicace ». Ce regard qui porte au ras des choses, Dominique Baqué nomme d’art banal, lorsqu’il s’intéresse à la « quotidienneté la plus automatisée, la plus usée, sans pour autant prétendre la sublimer » Dominique Baqué, op.cit., p. 271.

35 Judith Langendorff, op. cit., p. 463.

36 Selon les mots de Boudinet, « ma taille ou plus exactement la hauteur de mon œil par rapport au sol donnant échelle de ma composition » Bernard Lamarche-Vadel, op.cit., p. 28.

37 Cette conception de l’image chez Boudinet ne semble pas erronée, elle s’expliquerait en quelque sorte par son métier de formation, celui de décorateur. Il étudia à l’école de Boule et son apprentissage du dessin se fit avec la méthode « plan-coupe-façade ». Christian Caujolle ; Emmanuelle Decroux ; Claude Vittiglio, Daniel Boudinet cat. exp. (Paris, Palais de Tokyo, 03 février-12 avril 1993), Paris, Manufacture, 1993.

38 À ce propos, voir : Mathilde Falguière, Christian Caujolle, Daniel Boudinet. Temps de la couleur, cat. exp. (Tours, 16 juin-28 octobre 2018), Paris, Jeu de Paume / Liénart Éditions / Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, 2018.

39 Agnès Sire (dir.), « Nocturnes », dans Marie Bovo. Nocturne, cat. exp. (Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson, 25 février-17 mai 2020), Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson / Atelier EXB / Editions Xavier Barral, 2020, p. 4.

40 Il est inévitable de ne pas penser à une symétrie avec le concept de « image performée » défini par Michel Poivert dans La photographie contemporaine. Cependant, il ne semble pas adéquat, puisque la performance enregistrée dans l’image chez Bovo et chez Boudinet n’est pas programmée, mais le résultat d’une désignation du temps dans sa durée.

Illustrations

Fig.1

Fig.1

Daniel Boudinet, [Réverbère et éclairage nocturne], 1975, tirage Cibachrome, 12×17 cm, donation Daniel Boudinet, Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP.

Fig. 2

Fig. 2

Marie Bovo, Evening Setting, lundi 20 h 16, Kasunya, Ghana.

Citer cet article

Référence électronique

Rodrigo Fontanari, « Vision nocturne sous le regard photographique de Marie Bovo et Daniel Boudinet », Déméter [En ligne], 9 | Hiver | 2023, mis en ligne le 04 mai 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/965

Auteur

Rodrigo Fontanari

Rodrigo Fontanari est Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Centre de Recherche sur les Médiations (CREM), équipe Praxitèle, Université de Lorraine. Il est titulaire d’un doctorat en communication et sémiotique soutenu à l’université catholique de São Paulo (2012), sur Roland Barthes et la photographie. Membre associé du réseau de recherche Roland Barthes, il a participé à l’élaboration du dictionnaire Barthes sous la direction de Claude Coste (à paraître). Il est également l’auteur de Roland et la révélation profane de la photographie (2016).

Droits d'auteur

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