Pierre Briant, Alexandre. Exégèse des lieux communs

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Pierre Briant, Alexandre. Exégèse des lieux communs, Paris, Gallimard, 2016, 655 p.

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À la suite de ses nombreux ouvrages consacrés à l’histoire du monde grec et de l’empire achéménide, ainsi qu’à la vie d’Alexandre le Grand, le dernier livre de Pierre Briant, intitulé Alexandre. Exégèse des lieux communs (Paris, Gallimard, 2016), se veut une contribution à « l’histoire de l’histoire d’Alexandre » (p. 11) et à « l’analyse des lieux communs alexandrologiques » (ibid.). Y est couverte une période très large allant de l’Antiquité à nos jours, l’auteur prêtant toutefois une attention particulière à la réception de la figure du souverain macédonien aux XIXe et XXe siècles. Le livre s’organise en huit chapitres de longueur inégale et au contenu riche et varié. Deux d’entre eux, les chapitres I et V, se présentent comme des galeries de portraits s’étalant sur plusieurs siècles. Dans le premier, l’auteur passe en revue différentes images politiques d’Alexandre, des empereurs romains aux ducs de Bourgogne et des princes italiens à Napoléon Bonaparte. Le second chapitre offre une série de portraits d’historiens ayant écrit sur Alexandre et s’ouvre sur l’examen de l’Alexandre de Montesquieu pour se terminer par une réflexion sur les écrits de l’historien australien Brian Bosworth, disparu en 2014.

Les chapitres II à IV présentent une certaine unité thématique, car ils sont consacrés, respectivement, aux divers aspects de la « question d’Orient » et à la vision d’Alexandre en tant que héros explorateur chargé d’une mission civilisatrice. Dans le chapitre II, la « question d’Orient » est interprétée en un double sens, l’auteur se penchant d’une part sur les représentations d’Alexandre dans les traditions persane, ottomane, byzantine, indienne et malaise, et d’autre part sur la christianisation du personnage dans la tradition occidentale qui voit en Alexandre un héros (pré-)croisé. Dès le chapitre II est abordé le problème de la colonisation moderne, vue à travers le prisme des conquêtes d’Alexandre ; il sera traité avec davantage d’attention dans le chapitre suivant où l’auteur examine comment s’est constituée l’image d’Alexandre libérateur de l’Orient et montre comment la vision moderne de la colonisation a pu colorer les jugements portés sur le souverain macédonien. Les stéréotypes sur Alexandre et sur son rôle civilisateur perpétués, au XXe siècle, par le cinéma, les groupes heavy metal, les ouvrages de vulgarisation et les expositions sont l’objet des analyses du chapitre IV. Nous avons particulièrement apprécié les développements concernant la production cinématographique et musicale, encore peu explorée, et aurions aimé, à titre personnel, que cette partie soit davantage amplifiée et enrichie.

Le chapitre VI fait le bilan des débats modernes et contemporains autour de la « grandeur » d’Alexandre et met en lumière la continuité entre les questionnements soulevés dans l’Antiquité et les discussions d’aujourd’hui. Condamné par certains pour sa cruauté et son gouvernement tyrannique, admiré par d’autres pour sa politique de rapprochement avec les élites perses et sa vision cosmopolite, le personnage d’Alexandre est utilisé à des fins de propagande idéologique et politique, en particulier dans l’Europe de l’entre-deux-guerres et dans l’Allemagne nazie. Dans les conclusions du chapitre, l’auteur de l’ouvrage met en garde contre une interprétation unilatérale de la conquête du souverain macédonien, que ce soit au profit de la vision européocentrique ou de la vision persocentrique. Le chapitre VII poursuit la réflexion sur l’instrumentalisation de la figure d’Alexandre. Sont en premier lieu examinées les lectures de l’expédition en Bactriane par les historiens contemporains qui cherchent à mettre à profit la mémoire d’Alexandre afin de mieux cerner la situation de l’actuel Afghanistan, une tâche impossible selon Pierre Briant. En second lieu, l’auteur analyse les débats qui ont éclaté dans les Balkans d’aujourd’hui lors du conflit entre la Grèce et la république de Macédoine du Nord, accusée de vouloir s’approprier l’héritage d’Alexandre.

Enfin, le chapitre VIII expose les conclusions de l’ouvrage et dresse les perspectives des recherches futures sur Alexandre. Étant donné que son histoire « se situe […] au confluent de deux fleuves chargés d’informations nouvelles, celui qui prend sa source en Macédoine et celui qui serpente dans les pays de l’Empire achéménide » (p. 561), l’auteur rappelle avec raison la nécessité de prendre en compte toute la documentation disponible et propose « d’agrandir la focale et d’élargir l’espace-temps, de manière à situer le règne d’Alexandre dans un contexte plus large d’histoire globale » (p. 568).

Le texte est accompagné d’une bibliographie sélective, d’un index des noms propres qui facilite la navigation dans cet ouvrage riche en informations, et d’un ensemble d’illustrations, seize en noir et blanc et dix en couleur. Les coquilles sont généralement peu nombreuses. Nous nous permettrons toutefois d’apporter trois précisions concernant la datation de textes médiévaux : premièrement, c’est vers 1185 et non vers 1160, comme l’indique l’auteur à la p. 50, qu’Alexandre de Paris composa son Roman d’Alexandre1 ; deuxièmement, Les Faicts et les conquestes d’Alexandre le Grand de Jean Wauquelin, pour lesquels Pierre Briant propose une datation approximative (« vers 1440-1450 », p. 49), peuvent être datés plus précisément, Wauquelin ayant achevé leur composition en 14482 ; enfin, le manuscrit de la bibliothèque du Petit Palais, collection Dutuit 456 (A), à propos duquel l’auteur note qu’il date d’« avant 1467 » (p. 94), fut exécuté entre 1457 et 14593.

L’ouvrage érudit de Pierre Briant, que nous recommandons, constitue une synthèse fort utile pour tous ceux qui s’intéressent à l’image du conquérant et aux interprétations diverses qu’en ont donné les écrivains et les chercheurs à travers les siècles.

Notes

1 Un roman d’Alexandre en décasyllabes fut en effet composé vers 1160 par un auteur anonyme écrivant sans doute à la cour poitevine. Pour la datation de ce texte et de la vulgate d’Alexandre de Paris, voir Catherine Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, Champion, 1998, p. 30-33 ; C. Gaullier-Bougassas (dir.), La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (Xe-XVIe siècle), Turnhout, Brepols, 2014, t. 4, p. 86 et 195. Le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris est par ailleurs daté correctement à la p. 148 de l’ouvrage de Pierre Briant. Return to text

2 Les Faicts et les conquestes d’Alexandre le Grand de Jehan Wauquelin (xve siècle), éd. Sandrine Hériché, Genève, Droz, 2000, p. XLI. Return to text

3 Ibid., p. XLIII. Return to text

References

Electronic reference

Elena Koroleva, « Pierre Briant, Alexandre. Exégèse des lieux communs », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts [Online], 8 | 2019, Online since 15 juillet 2019, connection on 11 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/figures-historiques/293

Author

Elena Koroleva

Université de Lille, ALITHILA

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