« On n’a jamais été des êtres dans une tour d’ivoire ». Entretien avec Frédérique Aït-Touati et Soraya Boudia

DOI : 10.54563/mosaique.2470

Résumés

Même si leurs parcours se distinguent, Soraya Boudia et Frédérique Aït-Touati ont toutes deux été formées « dans le même chaudron », celui des Sciences and Technologies Studies (STS). C’est pourquoi, lorsqu’il est question d’interdisciplinarité et de mise en récit de l’Anthropocène par les humanités environnementales, l’une des notions qui ressort est celle de matérialité, trop souvent mise de côté par les sciences humaines et sociales. Dans cet entretien, les deux chercheuses abordent la nécessité pour les humanités environnementales de rouvrir un dialogue avec toutes les sciences, mais aussi de formuler à leur manière les questions liées à la crise sociale et écologique. Elles nous donnent des pistes pour penser les questions qui émergent dans un monde rendu toxique par les pollutions industrielles, et les nouvelles échelles qu’il convient de prendre en considération. Dans ce contexte, leur engagement en tant que chercheuses est un engagement « entier », qui ne permet plus de séparation étanche entre la production de savoirs et les questions politiques.

Although their backgrounds differ, Soraya Boudia and Frédérique Aït-Touati were both trained in Sciences and Technologies Studies (STS). That is why, when it comes to interdisciplinarity and the Anthropocene narratives by the environmental humanities, one of the concepts that stands out is that of materiality, all too often sidelined by the humanities and social sciences. In this interview, the two researchers discuss the need for environmental humanities to reopen a dialogue with all the sciences, but also to formulate in their own way the questions linked to the social and ecological crisis. They suggest ways of thinking about the issues that emerge in a world made toxic by industrial pollution, and the new scales that need to be taken into account. In this context, their commitment as researchers is a “whole” commitment, which no longer allows for a strict separation between the production of knowledge and political issues.

Index

Mots-clés

Anthropocène, humanités environnementales, interdisciplinarité, Science and Technology Studies, habitabilité, engagement politique

Keywords

Anthropocene, environmental humanities, interdisciplinarity, Science and Technology Studies, habitability, political commitment

Plan

Texte

Les récits de l’Anthropocène

Mosaïque : La première chose que nous avions à l’esprit lorsque nous avons lancé ce numéro, c’était le thème des récits de l’Anthropocène. Alors que la notion d’Anthropocène vient des sciences dites « dures » (Paul Crutzen et Eugene Stoermer), comment, selon vous, les sciences humaines et sociales ainsi que la littérature peuvent se la réapproprier ? Comment de nouveaux récits peuvent émerger dans ces disciplines à partir de cette notion ?

Frédérique Aït-Touati : Vous avez raison de préciser de quelles sciences on parle pour l’Anthropocène, de préciser que cette notion trouve ses origines dans les sciences « dures ». Je me suis beaucoup intéressée au passage de la notion vers les sciences humaines, qui a eu lieu entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Finalement, l’Anthropocène a été assez vite métabolisé par les sciences sociales ; mais il y a aussi eu tout de suite un passage vers les arts, ce qui est assez intéressant. J’ai découvert cette question de l’Anthropocène par Bruno Latour, au moment où on travaillait sur Gaïa (voir notamment Aït-Touati & Latour, 2022).

Ce qui m’intéresse dans la notion d’Anthropocène, c’est qu’elle est très précise au départ : elle vient, comme vous le savez, de la stratigraphie, donc d’une branche de la géologie, et elle définit un changement d’époque géologique. Elle nous projette tout de suite dans des échelles de temps très vastes. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles cela a passionné autant les sciences sociales. En fait, cela bouleverse beaucoup de cadres dans lesquels on travaille d’habitude : des cadres historiques, historiographiques, mais aussi le rapport au temps et à l’espace. Cela a coïncidé aussi avec un très grand intérêt pour ce qu’on a appelé le tournant spatial : qu’est-ce que les humanités, les sciences sociales, ont à dire d’un rapport à la géographie, à la géologie, à la cartographie, à notre inscription dans le sol ?

Il faut souligner aussi que la notion d’Anthropocène a été immédiatement très discutée et disputée, à juste titre, et j’aurais d’ailleurs pu commencer par évoquer les débats autour de cette notion : « de quel anthropos parle-t-on ? », « est-ce que c’est le bon terme ? ». Et puis, ce qui est assez fascinant, c’est qu’il y a eu une démultiplication des termes autour du mot Anthropocène : Anglocène, Capitalocène, Chthulucène… Un de mes préférés, c’est celui d’Anna Tsing : Plantationocène. Je trouve cette idée de Tsing passionnante, parce qu’elle a une manière très précise d’envisager la question de la scalabilité, autour du colonialisme et du rapport à un type d’agriculture. Pour revenir à votre question, c’est à la fois une notion discutable et discutée, mais aussi extrêmement productrice de récits et de discussions. Cela a fait parler, écrire, débattre, en permettant d’envisager un rapport élargi au temps et donc au récit.

Soraya Boudia : Quant à moi, ma rencontre avec l’idée d’Anthropocène s’est faite de manière un peu différente. Elle a eu lieu d’emblée autour des débats et des questions qui concernaient l’intérêt pour les sciences sociales de s’approprier ou pas ce concept. Au Centre Alexandre Koyré, nous avions pendant des années un séminaire sur le gouvernement de et par les technosciences avec Dominique Pestre, Amy Dahan et d’autres collègues, et c’est dans ce cadre-là qu’on a eu les premières discussions avec Christophe Bonneuil, qui était l’un des co-organisateurs du séminaire, et Jean-Baptiste Fressoz. Les historien·nes partagent peut-être avec les géologues la question de l’échelle temporelle. Ce qui nous intéressait, c’était la possibilité de passer d’une notion scientifique – qui proposait un récit sur la géologie de la Terre – à la société qui a contribué, en quelque sorte, à l’influencer, à faire cette géologie-là. Et, d’emblée, il y a effectivement eu une critique de la notion d’Anthropocène, de ce qu’elle ne retenait pas des dynamiques sociales et politiques dans la longue durée ; mais on voyait aussi la dimension productive de cette notion. Elle permettait d’encapsuler toute une série de dynamiques différentes qui aboutissent à un constat : celui de l’état global actuel de la planète. Depuis, je n’ai pas grande hésitation à l’employer parce que finalement elle s’est relevée fructueuse au regard des dialogues qu’elle permet. Cela reste malgré tout et à juste titre une notion extrêmement discutée, mais qu’est-ce que l’on a comme alternative ? Quel terme les sciences sociales peuvent-elles proposer, qui permette d’encapsuler une telle série de transformations ?

La deuxième chose qui continue à faire que cette notion ne soit pas plus appropriée dans certaines disciplines, en particulier dans les sciences sociales, c’est la question de la matérialité. Le statut de la matérialité dans les sciences humaines et sociales françaises me semble toujours problématique. Les sciences sociales se sont finalement construites contre cette idée de la matérialité. Elles se sont construites en mettant l’accent sur la dimension sociale, humaine, et n’arrivent pas très bien à tenir compte de cette matérialité qui s’impose à nous par le dérèglement climatique, par la crise environnementale, à part avec l’entrée par les injustices environnementales. Il y a donc vraiment une tension pour tenir compte d’une échelle longue qui n’écrase pas les échelles intermédiaires dans lesquelles les sociétés sont travaillées par des conflictualités et des inégalités fortes. Et l’horizon qui est donné par les changements nécessaires au regard de l’Anthropocène est soit lointain, soit trop théorique par rapport à ce que les groupes sociaux ou les sociétés vivent et expérimentent au quotidien.

Mosaïque : Oui, d’ailleurs Dipesh Chakrabarty a parlé de la fusion entre l’histoire de la Terre et l’histoire humaine, une formule qui a été reprise notamment par Bruno Latour…

Frédérique Aït-Touati : Effectivement, une des choses qui nous a tou·tes passionné·es, je crois, c’est cette rencontre entre des temporalités et des échelles de temps différentes, mais aussi la rencontre avec la matérialité du sol. Ces questions-là nous ont replongé·es dans des questions telles que « de quoi vivez-vous ? », « d’où vient ce café ? », « quel air respirez-vous ? », « sur quel sol êtes-vous ? », c’est-à-dire un rapport à la matérialité très large, radical, où chaque question devient à la fois matérielle et humaine.

L’interdisciplinarité dans les humanités environnementales

Mosaïque : Vous avez déjà commencé à aborder la question de l’interdisciplinarité, en soulignant la difficulté pour les sciences humaines d’intégrer la matérialité. Pourtant, les humanités environnementales ont cherché à s’ouvrir à d’autres approches scientifiques, et en particulier celle des sciences dites « dures », comme la géologie ou la biologie. Comment parvenez-vous à intégrer ces savoirs dans vos recherches, et est-ce que cela bouleverse l’approche de vos domaines respectifs ?

Soraya Boudia : Il y a bien entendu des approches en sciences sociales, peut-être en raison de leur internationalisation, pour lesquelles la matérialité est quelque chose de central. Moi, j’ai grandi là-dedans, dans les Science and Technology Studies (STS). La matérialité, c’est donc une chose à laquelle on a été formé·es, avec toute une série de débats sur les conditions matérielles, les microbes, les instruments, les polluants… Ce n’est pas venu avec la proposition de l’Anthropocène. Par exemple : comment les microbes travaillent les sociétés (Latour, 1984) ? Le tournant géologique a certes été influencé par l’Anthropocène, mais ce sont des questions qui étaient déjà travaillées ; donc le fait de se saisir de l’Anthropocène ne bouleverse pas radicalement les choses du point de vue de l’interdisciplinarité parce qu’un certain nombre de chercheurs travaillaient déjà avec des scientifiques sur tel ou tel aspect.

Là où il y a une transformation en revanche, c’est sur la globalité du récit qui est proposé, et en conséquence l’échelle à laquelle on va travailler. C’est une chose de collaborer à titre individuel, de s’intégrer dans des groupes sur son domaine, mais le récit de l’Anthropocène concerne la Terre dans son ensemble. Je pense que pour des humains, qui vivent nécessairement quelque part, c’est quelque chose qui n’est pas forcément simple à saisir. Et puis cela concerne des dérèglements profonds au regard de la perspective qui est la mienne, c’est-à-dire celle d’un air perturbé par le réchauffement climatique, celle de la toxification de la planète… Je suis venue à ces questions sous l’angle des problèmes de pollutions et de risques, qui sont extrêmement complexes à régler. Pour ma part, je ne travaille pas sur la manière dont nos représentations pourraient changer pour saisir cette échelle-là planétaire – et je suis très intéressée d’entendre Frédérique à ce sujet –, mais plutôt sur le fait que, scientifiquement et politiquement, nous avons besoin de produire de nouvelles formes de savoir qui soient à la hauteur des problèmes qui se posent. Cela signifie un grand déplacement du point de vue théorique : personnellement, j’ai plutôt été formée à la démarche analytique, c’est-à-dire que j’analyse, je critique, j’observe, je regarde. Et là, avec l’Anthropocène – et je pense qu’on le voit dans beaucoup de sciences –, nous faisons un pas vers une autre démarche : « quelle solution ? », « quelle alternative ? », ce qui n’était pas le cœur de l’approche qui était la mienne.

Ensuite, qu’est-ce que cela déplace par rapport à l’interdisciplinarité ? Frédérique et moi coordonnons deux grands programmes exploratoires. C’est une échelle de collaboration que l’on ne connaissait pas jusqu’à maintenant, et dans laquelle les sciences humaines et sociales ne doivent pas être simplement un complément d’âme ou des sciences de service, mais doivent aussi contribuer à forger les questions qui se posent. Je pense qu’une des forces des sciences humaines et sociales, c’est ce regard plus global, plus interrogatif, plus réflexif. Donc il faut formuler des questions et traduire dans des collaborations autour de questions précises. Certain·es d’entre nous y réfléchissent depuis suffisamment longtemps pour voir comment on peut le faire, et je fais partie des gens qui pensent que ce n’est pas toujours plus facile de collaborer avec des sciences sociales qu’avec des sciences dites « dures ». La discussion peut s’opérer autour de certains objets, certaines questions, de manière très intéressante et stimulante, au regard des problèmes qui se posent, qui ne peuvent pas être saisis par une discipline toute seule.

Frédérique Aït-Touati : J’ai envie de rebondir sur ce que tu disais très justement à propos du fait que nous, historien.nes des sciences formé·es aux STS, on a toujours été intéressé·es par des questions de matérialité, et on a toujours été assez interdisciplinaires. Je reviens d’un colloque à Boston sur Bruno Latour, avec notamment Steven Shapin, Peter Galison et Isabelle Stengers. En hommage à Latour, ils et elles étaient tou·tes en train de raconter cette naissance de la discipline : qu’est-ce qui s’est passé à la fin des années 1970 et au début des années 1980 pour que quelque chose advienne, d’un point de vue de l’histoire des disciplines ? Il y a une histoire récente qui est assez intéressante pour notre affaire, parce qu’elle dit quelque chose d’un contexte intellectuel dans lequel on était assez préparé·es, je crois, à recevoir ces questions : le tournant spatial, le tournant matériel, un certain rapport à l’enquête, au terrain. J’ai l’impression que cela nous a permis d’aborder ce problème avec le bon outillage, le bon équipement, comme le disait Bruno Latour. Donc oui, nous étions déjà intéressé·es à la matière et oui, nous étions déjà assez interdisciplinaires.

Qu’est-ce que cela a changé pour moi ? Pour le dire de façon très simple : on n’est pas en train d’inventer l’interdisciplinarité, elle a toujours déjà été là. Ce qui est bizarre, c’est à quel point on a pu à un moment arrêter d’être interdisciplinaires pour comprendre le monde. Comment on a pu faire pendant des siècles – pas très longtemps en fait, trois siècles – pour croire qu’on pouvait mettre d’un côté l’analyse des êtres de la nature et, de l’autre, des êtres humains et du social ? Quelle drôle d’idée d’avoir à ce point séparé les choses. Donc moi, dès le début des années 2000, quand j’ai commencé à faire de la recherche, je me suis passionnée pour ce moment où les choses étaient déjà liées et déjà interdisciplinaires. Ce que je veux dire, c’est que l’arrivée des questions environnementales et anthropocéniques – où les sciences sociales sont de fait retissées aux sciences dures, aux sciences de la Terre, à la question du vivant, des récits, etc. – nous oblige à revenir à une espèce d’interdisciplinarité première et oubliée, une interdisciplinarité prémoderne. J’ai vécu comme une espèce de nécessité le fait de se replonger dans ces méthodes-là.

Au niveau plus large, comme le disait tout à l’heure Soraya, on a senti à un moment que les sciences n’en pouvaient plus d’être séparées. Il y a eu cette espèce d’hyperspécialisation ; on a senti qu’il y avait là une limite à nos disciplines, qu’elles ne permettaient pas une bonne description : il faut décrire le monde, et pour décrire le monde on ne peut pas se couper un bras. On a donc commencé à développer les questions environnementales et là on s’est retrouvé·es face à une situation tellement dramatique que ce n’est pas simplement de l’interdisciplinarité, c’est une autre manière de faire de la recherche qu’on nous demande de saisir.

Un premier exemple est mon livre Terra Forma (2019) que j’ai écrit avec deux architectes paysagistes, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire. Avant, j’étudiais les représentations du monde au xviie siècle, je m’équipais de notions en histoire des sciences, en iconographie et en histoire de l’art pour comprendre comment on avait décrit le cosmos. Mais là, j’ai fait quelque chose qui n’est pas du tout orthodoxe : j’ai produit moi-même des images. Je suis donc passée du côté analytique, descriptif et historique, à l’autre côté, parce que la situation m’y forçait. Je me suis dit : « On manque d’images, commençons par nous poser la question de nos représentations du monde, des cartes, des données ». J’ai eu besoin d’en passer par là, de renouveler la cartographie, de représenter autrement les sols, de me demander ce qu’était Gaïa, ce qu’était la « Zone Critique1 ».

Ce sont davantage des questions que des représentations, mais l’idée que ça peut bouger, que l’on n’a pas un répertoire fini de formes, est pour moi une manière de supporter ce qui nous arrive, de me dire qu’il n’y a pas que du drame, du tragique et de l’horreur, que ce n’est pas La route de McCarthy (2008). La libido sciendi, le désir de faire et d’agir en tant que chercheur·ses, je les trouve justement en faisant du théâtre ou des livres de cartographie spéculative avec des architectes et donc en allant largement au-delà de ce qu’on attendrait d’un chercheur qui reste dans sa discipline, avec ses méthodes traditionnelles. Donc il y a quelque chose qui est de l’ordre du dépassement des bornes qui, au fond, me plaît beaucoup et qui nous oblige à recomposer les choses.

Un deuxième exemple, ce sont ces gros projets PEPR (Programmes et équipements prioritaires de recherche) qui nous ont été confiés à toutes les deux, Soraya et moi, pour coordonner la recherche d’une manière nouvelle2. Le projet que je coordonne s’appelle « Transform » et a comme objet même la question des modes de savoir que nous produisons et de leur efficacité.

Soraya Boudia : Je voudrais continuer dans cette voie, parce qu’il est vrai que nous avons besoin de revenir historiquement sur ce clivage qui est finalement une création récente. Nous avons suffisamment de travaux en histoire des sciences qui montrent comment les disciplines se sont structurées, qui montrent que le modèle de la recherche qui s’est imposé est celui du laboratoire, tout particulièrement du laboratoire de physique, à savoir la création d’un espace coupé du monde pour ne pas perturber les conditions d’expérience. Cette modalité comportait un réductionnisme important dans la manière d’approcher les questions et les résultats qu’on produisait, mais avait sa raison d’être. Bien entendu, toutes les sciences ne fonctionnaient pas sur ce modèle, en particulier les sciences de terrain. Cependant, cette pratique de la science maîtrisant les conditions initiales, que l’on retrouve dans les logiques industrielles, a été extrêmement productive à un certain niveau : la bombe atomique (si nous pouvons appeler ça productif), les trains, les avions, les satellites… Nous avons de beaux travaux, insuffisamment connus, de Simon Schaffer, Bruno Latour et Michel Callon qui montrent comment on fait pour continuer à maîtriser les choses lorsque l’on sort du laboratoire ; c’est une littérature STS extrêmement importante, qui s’est attachée à étudier les chaînes métrologiques et de traduction et qui n’est pas encore assez appropriée par les sciences sociales.

Cette littérature avait également le mérite de questionner les frontières disciplinaires. Pour ma part, je pense qu’il n’y a jamais eu de séparation véritable entre sciences « dures » et sociales. La question qui se pose aujourd’hui, c’est plutôt : comment réagir, en tant que chercheur·ses, lorsque l’on est mis sous tension par les conditions dans lesquelles nous vivons ? C’est quelque chose que l’on expérimente d’abord avec nos corps. Face à toutes ces transformations, on peut dire que les sciences, qui sont des constructions historiques, sont en crise : de nombreux scientifiques se posent des questions, voient la limite de ce qu’ils font, réfléchissent aux conditions de production qui sont les leurs. On est donc dans une période de recomposition où l’on cherche à comprendre comment pratiquer la recherche différemment, mais aussi comment structurer les savoirs sur un mode nouveau, avec des tentatives d’émergence de toute une série de nouvelles sciences interdisciplinaires, sans qu’on arrive très bien à savoir exactement comment faire, ni ce que cela donnera.

Les chercheur·ses ont toujours eu besoin d’un récit public pour justifier ce qu’ils et elles font. Par exemple, au moment de la guerre froide, alors que la majorité des physiciens étaient financés par le militaire, on a tenu un discours sur les sciences comme détachées d’intérêts matériels. Aujourd’hui, la crise environnementale globale nous met face à l’exigence d’un nouveau récit, pour continuer à faire ce qu’on fait. Faisons en sorte que le type de science qu’on produit ne soit pas que pour nous, pour nos communautés.

Frédérique Aït-Touati : De mon côté, alors que je venais avec un bagage d’agrégée de lettres, je suis née à l’histoire des sciences avec Simon Schaffer à Cambridge, où j’ai passé 13 ans. Je me suis rendue compte à ce moment-là que tous mes outils assez techniques de littéraire étaient non seulement valides mais aussi pertinents pour étudier les sciences. En parallèle, il a fallu bien entendu que je travaille sur l’histoire de l’astronomie, de l’optique, des instruments… mais au fond il y avait cette possibilité d’une rencontre entre les outils littéraires et ceux de l’histoire des sciences par une étude très précise des textes, ce qui m’a d’ailleurs par la suite reliée à Bruno Latour qui, lui, s’était passionné pour la sémiotique et l’étude des articles scientifiques dans les années 1980.

Ces années à Cambridge ont donc été pour moi un point de départ essentiel pour comprendre ce qui nous arrive du point de vue de l’histoire des disciplines. Schaffer a étudié notamment les raisons pour lesquelles certaines d’entre elles sont nées au xviie siècle. Cela peut nous éclairer quant aux bouleversements cosmologiques auxquels nous assistons et qui nous imposent de repenser totalement notre manière de faire science. Au-delà des parallèles que Latour faisait entre le xviie siècle et l’actualité écologique, nous avons besoin de nouveaux savoirs. Cela est notamment dû au fait qu’aujourd’hui, comme le disait Soraya, on est obligé·e de penser la Terre dans sa totalité. Pour ma part, je me suis beaucoup intéressée à la manière dont, au xvie et au xviie siècles, on réunissait tous les savoirs du monde, ainsi qu’aux dispositifs matériels de cette totalisation (le « théâtre de la mémoire » de Giulio Camillo, par exemple3). Aujourd’hui, cette ancienne question de la totalisation nous est posée par le terrestre et j’ai l’impression que nous nous débattons tous avec cette question : comment rendre compte de ce que Chakrabarty (2023) appelle le planétaire ?

Soraya Boudia : Je me rends compte qu’avec Frédérique, on a été dans le même chaudron : celui des STS très marquées par l’histoire des sciences. Schaffer et Pestre ont vraiment eu une influence énorme dans la manière dont on étudie les sciences. Mais il y a des résistances face à l’essor d’une histoire sociale et politique des sciences.

Je fais partie d’une génération qui passait de l’épistémologie à l’histoire des sciences. Notre interdisciplinarité, déjà, aidait probablement à résoudre un certain nombre de problèmes. Très vite, j’ai beaucoup travaillé avec Jeff Hughes, qui était le premier doctorant de Schaffer et un très grand ami. Cette littérature historique est donc très importante. Elle avait donné lieu à un programme que Pestre avait dirigé pendant des années sur les régimes de production de savoir. Précisément, je vois bien qu’on est dans une période où on a besoin de redessiner les manières dont la recherche se fait, les manières dont les disciplines se construisent. Ce travail a été fait en partie, de manière extrêmement méthodique, avec de nombreux travaux sur le développement des sciences aux xviie-xviiie siècles. Je pense que ça peut faire un très beau chantier collectif de travail.

La question de l’habitabilité dans un monde endommagé

Mosaïque : Nous voulons maintenant aborder la question de l’habitabilité. Comment tous ces savoirs peuvent-ils nous aider à apprendre à vivre dans un monde toxique, pollué, « endommagé » aussi, comme le disent Anna Tsing et Donna Haraway ?

Soraya Boudia : La question de l’habitabilité se pose notamment à cause du problème du dérèglement climatique. Aujourd’hui, effectivement, il y a beaucoup de monde qui s’intéresse au changement climatique, mais la toxification du monde tient plutôt à une superposition et une intrication des problèmes, et cela à différentes échelles. J’ai vraiment le sentiment qu’on est face à ce genre de combinaison de problèmes. Quels types de solutions apporter ? À quelle échelle ? On voit bien à quel point on est effrayé par l’ampleur de la tâche. Je ne suis pas déprimée pour autant. Je pars du constat de l’état de la planète car je fais partie des gens qui aiment bien regarder les choses en face. Ma manière de raisonner, c’est de dire : listons les problèmes, comment ils se posent, etc.

Mais revenons sur le rôle des savoirs, ou plutôt sur celui de la production des savoirs. Pendant longtemps, on a critiqué l’idée du « vivre avec », de l’adaptation au changement climatique notamment. Quand cela a été mis en avant, il y a déjà un certain nombre d’années (notamment par Amy Dahan, qui a animé beaucoup de travaux sur le climat), l’adaptation consistait à dire qu’on acceptait ce qui se passait et que, finalement, on faisait avec. Aujourd’hui, l’idée d’adaptation ne concerne plus seulement le changement climatique mais aussi la question de la toxicité. La critique de l’adaptation était une critique du fait accompli. Mais je me rends compte que, dans les sciences sociales, on en n’est plus là. L’ampleur des dérèglements, les conditions matérielles font qu’il va falloir s’adapter. Mais quelle adaptation ? Qui décide de quoi ? Comment définir quels sont les problèmes ? À quelle échelle ? La question des échelles, c’est une question qui me travaille énormément. Est-ce que des adaptations locales à des changements globaux peuvent résoudre les problèmes ?

Pour moi, les savoirs qui sont à produire ne sont pas simplement des savoirs de l’adaptation et de la résilience. Ce sont des savoirs qui questionnent comment on en arrive là, quels sont les modes d’organisation sociaux et politiques qu’il faut transformer, et des savoirs qui peuvent apporter des réponses à la fois locales et systémiques. Comme il y a suffisamment de collègues en sciences sociales qui travaillent sur le local, ce n’est pas ce que je privilégie personnellement (même si en fait j’y travaille par beaucoup d’aspects). Je ne veux pas me situer qu’à cette échelle, parce que je veux rappeler que les sciences humaines et sociales sont en mesure de penser global et qu’il faut le faire malgré la réticence à penser à l’échelle planétaire.

Combiner les échelles me parait nécessaire, c’est notamment ce que je souhaiterais voir se mettre en place dans des recherches sur la question de la réduction durable d’un certain nombre de risques et de problèmes. L’objectif n’est pas simplement de construire des solutions, mais de réfléchir à la manière dont les problèmes se posent, à la manière dont ils sont produits, et ainsi de comprendre comment on peut déjà agir, en quelque sorte, à la racine de certains de ces problèmes.

Frédérique Aït Touati : Je voudrais rebondir sur ce que tu as dit, parce que ça me donne à penser à nouveau. Je suis assez fascinée par la rapidité des changements qui fait que dans nos rapports aux savoirs, aux structures de pensée, à la façon dont on doit faire de la recherche, les choses sont sans cesse totalement bousculées. Pour des raisons sans doute politiques ou idéologiques que je n’ai pas trop creusées, je faisais partie de ces gens pour qui c’était plus intéressant de parler du local que du global, avec cette espèce de petit soupçon à l’égard du global, alors même que, paradoxalement, je m’intéresse au Theatrum Mundi dans l’histoire, à ses effets de totalisation des savoirs.

Quand on a commencé à travailler sur la COP21 avec Bruno Latour, j’avais beaucoup de mal avec le terme de résilience, mais c’était à la mode de l’utiliser, comme celui d’adaptation. Tous ces termes-là ont été critiqués, mais là où je te rejoins totalement, c’est qu’aujourd’hui ces espèces de petits scrupules intellectuels explosent en vol. La situation dramatique qui est la nôtre nous saisit et rend caduques certaines disputes intellectuelles et idéologiques internes, afin de se concentrer sur les vraies questions, et, il faut le dire, sur les vrais ennemis… Autrement dit, il y a une rapidité des transformations catastrophiques qui nous oblige à être davantage mobiles dans nos attachements intellectuels.

Je réponds maintenant plus précisément à votre question, qui rejoint celle des régimes de production. On a peu de temps : où met-on notre énergie ? On en est là, tou·tes. S’il n’y avait pas eu la crise environnementale, peut-être que j’aurais passé ma vie à travailler sur des textes enfouis et sublimes du xviie siècle. Le fait est que je me retrouve à coordonner un énorme projet qui est assez éloigné de mon premier domaine de recherche. Mais pour moi, il n’y a pas de doute : c’est ça qu’il faut faire, on n’a pas le choix. Ce qui est en train de se passer, et qui est passionnant, c’est cette rencontre entre un état du monde et nos visions de chercheur·ses cloîtré·es dans notre tour d’ivoire. Et au fond, on n’a jamais été des êtres dans une tour d’ivoire. C’est une idée fausse.

Recherche dans les humanités environnementales et engagement politique

Mosaïque : Ce que vous dites rejoint une autre question qu’on voulait vous poser, une question plus politique justement : comment envisagez-vous ce rôle de chercheuses par rapport à votre engagement politique ? Est-ce que votre recherche implique d’emblée une forme d’engagement ?

Frédérique Aït-Touati : Je vais répondre en m’appuyant sur les travaux de Simon Schaffer, qui a étudié, dans Le Léviathan et la pompe à air (avec Steven Chapin, 1993), le moment où on a séparé la science et la politique. C’est peut-être l’un des livres les plus importants pour nous, aujourd’hui. Cette séparation est construite. C’est un chiasme, car Hobbes faisait de la science, et Boyle faisait de la politique.

Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que Soraya disait, on a constitué des mondes clos : le monde clos de la politique, le monde clos du laboratoire, etc. Et évidemment que ça a eu des effets impressionnants. Évidemment que ce n’était pas mal d’être moderne, c’était assez efficace. Mais il y a un moment où ces choses-là explosent aussi. J’ai effectivement l’impression que mon engagement est entier, total. En fait, je ne peux plus du tout séparer ce que je fais, ce que je pense, la recherche, les questions politiques… Je trouve passionnant de découvrir au détour d’une conversation, que certains de mes collègues, qui ont fait des grandes carrières en climatologie, qui sont de grands scientifiques, sont engagé·es dans des mouvements de rébellion de chercheur·ses. Et là on se dit : « Oui, cette bascule dans le militantisme et dans l’activisme est évidente ». Isabelle Stengers en parle, elle évoque ce « saut » dans le militantisme. Je crois qu’on en est tous là, que les vieilles séparations entre recherche et politique, de même que les vieilles séparations entre disciplines, ce n’est vraiment plus d’actualité.

Soraya Boudia : Effectivement, la séparation entre science et politique a été construite à un moment donné. Mais quand on regarde les choses d’un point de vue historique, ces frontières ne sont pas si étanches. On oublie comment le CNRS a été créé. J’ai beaucoup travaillé sur Marie Curie, Jean Perrin, tout ce milieu des physicien·nes français·es du début du xxe siècle. J’ai remarqué à quel point ces gens faisaient de la politique : ils et elles se mobilisaient sur plusieurs terrains, et pour construire leur recherche, il leur a fallu faire de la politique. Certain·es sont même devenu·es député·es.

J’ai l’impression que le débat sur la nécessité de séparer la recherche de l’engagement est un débat récent et peut-être très français. Dans les années 1950 ou 1970, de nombreux·ses chercheur·es étaient engagé·es. Le Parti communiste français était très puissant dans le milieu de la recherche, pour le meilleur et pour le pire. C’est pourquoi ce serait intéressant de faire une histoire de la construction de la « neutralité axiologique » et ses mobilisations. À partir de quel moment l’engagement politique est devenu, en France, un motif d’exclusion pour les chercheur·ses ? On observe des configurations différentes aux États-Unis : on connaît un certain nombre de collègues qui sont dans les meilleures universités américaines, et qui par ailleurs sont des militant·es radicaux sur plus plusieurs questions.

Frédérique Aït-Touati : Et ça ne gêne personne.

Bibliographie

Références citées dans le texte

AÏT-TOUATI F., ARÈNES A. & GRÉGOIRE A., 2019, Terra Forma. Manuel de cartographies potentielles, Paris : B42.

AÏT-TOUATI F. & LATOUR B., 2022, Trilogie Terrestre, Paris : B42.

AÏT-TOUATI F., 2024, Théâtres du monde. Fabriques de la nature en Occident : La Découverte.

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Pour aller plus loin

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Annexe

Notices biographiques

Frédérique Aït-Touati est spécialiste de littérature comparée et d’histoire des sciences, et metteuse en scène de théâtre. Elle est chargée de recherches au CNRS et membre du Centre de recherches sur les arts et le langage à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Ses travaux portent sur les rapports entre littérature, arts et savoirs. Elle s’intéresse aux usages de la fiction et du récit en astronomie au xviie siècle, ainsi qu’à l’histoire des images et des instruments scientifiques. Plus récemment, ses recherches se sont orientées vers les récits et les esthétiques de l’Anthropocène, ainsi que vers les rapports entre théâtre, philosophie et écologie. Elle a notamment publié Terra Forma : Manuel de Cartographies Potentielles (2019). Elle poursuit par ailleurs un travail de mise en scène autour des questions écologiques.

Soraya Boudia est historienne et sociologue des sciences, des techniques et de l’environnement à l’Université Paris Cité. Ses travaux portent sur la thématique « science, politique et économie », en particulier sur le gouvernement global des et par les technosciences. Elle s’est particulièrement intéressée aux risques sanitaires, environnementaux et technologiques, en proposant d’abord une socio-histoire du risque et de la société du risque, puis une analyse des transformations des modes de gouvernement des toxiques. Elle a notamment publié, avec Nathalie Jas, un ouvrage intitulé Gouverner un monde toxique (2019) et co-édité avec Emmanuel Henry, Politiques de l’ignorance (2015). Elle travaille sur les savoirs et les politiques des risques à l’âge des changements globaux.

Notes

1 Voir le livre de Jérôme Gaillardet, Habiter la zone critique ou l'épopée de la zone critique (2023), et sa recension par Hélène Kowalski en fin de numéro. Retour au texte

2 PEPR exploratoires « Irima » (https://www.cnrs.fr/fr/pepr/pepr-exploratoire-irima-science-du-risque) et « Tranform » (https://fered.unistra.fr/recherches/projets/pepr-transform). Retour au texte

3 Sur ce thème, voir F. Aït-Touati., Théâtres du monde. Fabriques de la nature en Occident (2024). Retour au texte

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Référence électronique

Samy Bounoua, Lucia della Fontana et Blaise de Saint Phalle, « « On n’a jamais été des êtres dans une tour d’ivoire ». Entretien avec Frédérique Aït-Touati et Soraya Boudia », Mosaïque [En ligne], 20 | 2023, mis en ligne le 05 février 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/mosaique/2470

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Samy Bounoua

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