1. Introduction
Les politiques et mesures de prévention et de réduction de la pollution atmosphérique et des impacts du changement climatique qui visent entre autres aspects à réduire les émissions de polluants afin dʼen limiter les impacts environnementaux (santé humaine, écosystèmes, changement climatique, développement durable, etc.) font lʼobjet dʼun suivi par les pouvoirs publics qui en sont les instigateurs et les gestionnaires tout autant que les différents agents économiques impliqués.
Dans ce contexte et notamment pour ce qui est de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière de la Commission économique pour lʼEurope des Nations unies, le besoin dʼévaluation des émissions est constant.
Le bilan annuel des émissions est donc très attendu et sa disponibilité dans un délai « court » comparé au processus « normal » qui prend de 12 à 16 mois après la fin de lʼannée considérée, permet :
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dʼapprécier, à partir de données observées, la position effective des émissions, de la comparer et dʼanalyser les tendances au regard des objectifs fixés et des prévisions résultant des politiques et mesures déployées ;
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dʼadapter et/ou de modifier les mesures (par exemple : accentuation des efforts, des aides, renforcement du suivi, de la réglementation, etc.) et le cas échéant de réorienter tout ou partie de la politique précédemment définie ;
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de ne pas attendre pour prendre des décisions et réduire lʼinertie de lʼeffet des mesures.
Bien entendu, selon les substances considérées et le positionnement par rapport aux objectifs, cette préoccupation revêt une acuité plus ou moins grande.
Dans le cadre de la CCNUCC, cette problématique prend toute sa dimension dans la mesure où lʼobjectif fixé pour la période 2008-2012 (protocole de Kyoto) nʼest actuellement atteint par la France que par un faible écart (~ 2 % dʼavance en 2005) et que le Plan Climat sʼefforce de suivre aussi précisément que possible lʼimpact des politiques et mesures mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique.
2. Phasage des estimations préliminaires dʼémissions de polluants atmosphériques
Le SNIEPA1 produit des estimations dʼémissions de polluants atmosphériques à des échéances pré-
déterminées. Le décalage temporel entre la fin dʼune année N étudiée et la disponibilité de lʼestimation est de :
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4 mois pour une préestimation globale ;
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12 mois pour la disponibilité dʼéléments synthétiques globaux ;
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13 à 16 mois pour ce qui concerne la disponibilité des éléments détaillés et des rapports.
Plus récemment, des sollicitations sont apparues pour disposer dʼune préestimation des émissions de gaz à effet de serre à N + 10 mois (préestimation hors procédure habituelle du SNIEPA).
Ainsi, à titre dʼillustration, lʼestimation des émissions de lʼannée 2005 fait lʼobjet de travaux principalement au cours du deuxième semestre 2006. Les résultats synthétiques sont produits en décembre 2006 et les rapports et autres éléments connexes sont diffusés au cours du premier trimestre 2007.
Ce délai est dû à celui de la disponibilité des données (statistiques énergétiques, industrielles, agricoles, etc.), au temps nécessaire au traitement des données et à la vérification.
La détermination des émissions sʼaccompagne dʼincertitudes intrinsèques aux données et aux méthodes utilisées. Les niveaux dʼincertitude et la méthode dʼévaluation sont présentés dans les rapports produits dans le cadre du SNIEPA. Le présent article ne traite pas des incertitudes ; la production de préestimations préliminaires engendre cependant des écarts qui donnent une idée de la précision des pré-estimations par rapport aux estimations finales. Il convient donc de considérer ces incertitudes indépendamment des propos présentés dans cet article.
2.1. Première préestimation à N + 4 mois
Ce souci trouve une réponse dans le rapport SECTEN2 dans lequel est produit à cet effet chaque année une préestimation de la dernière année écoulée, soit avec un décalage de seulement environ quatre mois (préestimation de 2005 diffusée en avril 2006, préestimation de 2006 en mai 2007). Cet exercice dʼanticipation est basé sur :
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lʼobservation de séries statistiques mensuelles, publiées à la date de lʼexercice (portant sur 10 ou 11 mois de lʼannée écoulée en général ou sur une année glissante) ;
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la connaissance au fil de lʼeau des évolutions de certains secteurs, si possible ceux à faible inertie vis-à-vis des émissions ;
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lʼextrapolation de tendances dans les domaines dont lʼinertie est forte ;
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un report de la dernière année connue dans les autres cas.
Compte tenu de « lʼalchimie » assez complexe déployée dans les inventaires, cet exercice introduit un risque dʼapproximation relativement élevé, dʼautant que les statistiques font elles-mêmes généralement lʼobjet de modifications rétrospectives par rapport à leur première année de publication.
2.2. Seconde préestimation pour les GES à N + 10 mois
Le suivi des actions de prévention et de réduction des émissions assuré par les pouvoirs publics (MEDAD3, MIES4, etc.) tend à créer le besoin de disposer dʼune préestimation suffisamment précise disponible dans un délai intermédiaire de N + 10 mois environ (au lieu de N + 12) pour les gaz à effet de serre (GES) dans le cadre du Plan Climat.
Cette précocité de deux mois par rapport à lʼéchéance habituelle de disponibilité des éléments synthétiques finalisés et validés dans le processus dʼélaboration des inventaires constitue un véritable défi. Cette exigence implique de faire abstraction dʼune part considérable du temps de compilation dans la mesure où les données nécessaires à lʼétablissement des inventaires ne sont pas pour autant disponibles plus tôt (Figure 1).
Figure 1 : Éphéméride des différentes phases dʼestimation et de préestimation des émissions dʼune année N.
Calendar of the different phases of estimation and pre-estimations of a year N.
Cette seconde préestimation intervient environ dix mois après celle évoquée précédemment. Elle peut se baser en outre :
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sur des séries statistiques couvrant lʼannée N étudiée intégralement pour certains secteurs ;
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sur des données spécifiques de lʼannée N pour des cas particuliers dont le poids et/ou les fluctuations interannuelles sont relativement importants (par exemple, la production dʼacide glyoxylique pour le N2O).
Cette opération sʼaccompagne également dʼapproximations pour des raisons similaires à celles déjà mentionnées. Contrairement à la préestimation SECTEN à N + 4 mois, la préestimation GES à N + 10 mois nʼest pas réalisée systématiquement jusquʼà présent dans le cadre du SNIEPA.
Chaque année, les estimations relatives aux années antérieures (N – 1, N – 2… jusquʼà lʼannée de référence5) font éventuellement (de fait presque toujours) lʼobjet de modifications rétrospectives induites principalement par des améliorations méthodologiques et parfois par des actions correctives (donnée erronée, incohérence…).
Pour cette raison, les séries complètes sont publiées chaque année, écrasant les précédentes afin de disposer de séries cohérentes conformément aux exigences internationales (Nations unies, Commission européenne) dans le cadre des conventions, protocoles et directives (changement climatique, Kyoto, pollution transfrontalière, Göteborg, directives NEC6, GIC7, etc.).
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Plusieurs questions viennent légitimement à lʼesprit :
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les estimations finales et validées sont-elles robustes ?
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quel est lʼordre de grandeur des approximations liées aux préestimations ?
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les préestimations sont-elles suffisamment précises au regard des attentes de leurs utilisateurs ?
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quelles dispositions sont envisageables pour amélioration ?
3. Fiabilité et adéquation des estimations et préestimations
La figure 2 illustre lʼévolution des estimations relatives à lʼannée 2000 publiées au cours de cinq éditions dʼinventaires ayant actuellement couvert cette année pour les GES.
Les variations constatées tiennent compte de lʼamélioration des connaissances, des consolidations statistiques rétrospectives et dʼéventuelles corrections dʼanomalies.
Les estimations restent, sauf exception (cas des gaz fluorés), dans une fourchette équivalente à 10 % des émissions en valeur absolue par rapport à la première estimation et dans un domaine encore plus restreint dès la deuxième ou troisième estimation. Ce résultat traduit le niveau de maturité du système dʼinventaire qui est effectivement moindre sur les gaz fluorés et reflète, tout au moins pour les HFC, les très fortes évolutions des émissions. Le résultat global (PRG8) se situe dans une fourchette de ± 7 %, valeur qui peut être considérée comme trop élevée dans le cas dʼespèce en comparaison avec la courte avance de la France par rapport à son objectif de stabilisation des émissions à lʼhorizon 2008-2012 par rapport à 1990 (protocole de Kyoto).
Les raisons de ces écarts que dʼaucun considéreraient comme très satisfaisants en dehors de ce contexte viennent de plusieurs causes :
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lʼamélioration des connaissances pour certains types dʼémetteurs et des méthodes associées (typiquement les gaz fluorés) ;
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la grande variabilité dʼune année sur lʼautre de lʼactivité considérée (typiquement les HFC9 en croissance exponentielle, la production dʼélectricité, les DOM10, etc.) ;
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la qualité des données intermédiaires qui parfois ne peuvent être aussi bien validées que dans le cadre dʼun exercice complet faute de disposer de certains bilans consolidés lors des préestimations ;
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la méthode dʼextrapolation elle-même.
La figure 3 met en évidence les écarts très limités entre les préestimations à N + 4 mois et les estimations à N + 12 mois, exception faite des gaz fluorés qui ne représentent environ que 3 % du PRG. Par suite, comme peu dʼoccurrences de dépassement du seuil de plus ou moins 5 % sont observées, le PRG préestimé peut être jugé comme fiable (moins de 3 % de différence). Les écarts importants tels que ceux notés pour le SF6 en 2002 ou pour les PFC en 2004 proviennent de modifications méthodologiques importantes ou de la prise en compte de nouvelles sources non répertoriées précédemment.
Si le risque dʼécart relativement élevé vise nʼimporte quel polluant de nʼimporte quelle année, que ce soit en surestimation ou en sous-estimation, il apparaît que les écarts dʼune année donnée ne sont pas corrélés entre polluants. Les assez faibles écarts relatifs constatés sur les polluants prépondérants (CO2, CH4, N2O) conduisent à des écarts relatifs sur le PRG de quelques pourcents tout au plus (< 3 %). Toutefois, comme précédemment, ces résultats sont du même ordre de grandeur que lʼécart entre la position courante de la France et son objectif vis-à-vis du protocole de Kyoto ou que lʼincertitude sur la tendance depuis 1990 (cf. rapport relatif à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques – CCNUCC).
Si le système de détermination anticipée fournit des estimations fiables, ce nʼest pas, dans le cas dʼespèce, suffisant pour en déduire une certitude vis-à-vis de lʼatteinte de lʼobjectif Kyoto.
Figure 2 : Évolution des estimations des émissions de GES pour l'année 2000 au cours des différentes années d'édition (en base 100 de février 2002 – Format SECTEN).
Estimations of GHG emissions for the year 2000 during the different years of publication of the inventory (base 100 February 2002 – SECTEN format).
Figure 3 : Différences entre les estimations des émissions de GES d'une année N aux échéances N + 4 mois (préestimation) et N +12 mois (format SECTEN).
Differences between estimations of GHG emissions from year N made at N + 4 months (pre-estimation) and N + 12 months (SECTEN format).
Les considérations précédentes portent sur le format SECTEN pour lequel une préestimation est effectuée en mars de lʼannée N + 1. Dans le cadre du suivi du Plan Climat, les autorités françaises et la MIES en particulier recherchent une préestimation au format CCNUCC Kyoto. Sans entrer dans le détail technique des deux formats, les résultats ne sont pas directement comparables par suite de différences sectorielles et géographiques11. Ceci engendre également des différences dans la manière de préestimer la dernière année écoulée. Pour le format CCNUCC, des préestimations ont été réalisées début novembre de lʼannée N + 1 en 2005 et 2006.
Du fait de sa postériorité chronologique, la préestimation au format CCNUCC à N + 10 mois qui inclut lʼintégration de davantage de données spécifiques à lʼannée N, devrait logiquement fournir un meilleur résultat que celle au format SECTEN à N + 4 mois.
Les résultats des deux exercices disponibles (2004 et 2005) confirment cette attente pour le CO2 et le PRG (Figure 4).
À titre dʼexemple de lecture, lʼestimation de lʼémission de CO2 relative à lʼannée 2004 effectuée en mars 2005 (dans le cadre du rapport SECTEN) sʼest avérée être une sous-estimation de 2,5 % par rapport à la valeur déterminée en décembre 2005 ; pour le PRG la sous-estimation était de 1,2 %. Lʼestimation effectuée en octobre 2005 (format CCNUCC) fait apparaître une sous-estimation de 0,8 % pour le CO2 et une surestimation de 0,3 % pour le PRG. Un recul plus important sur plusieurs années devrait permettre de déterminer le niveau de fiabilité de ces pré-estimations.
Pour les autres GES, cette logique nʼest pas systématiquement respectée. Dans quelques cas, la préestimation la plus tardive donne un résultat plus éloigné de lʼestimation finale. Cependant, lʼécart-type des différences entre « préestimation » et « estimation finale » est plus faible pour la préestimation à N + 10 mois (seulement deux occurrences dʼécart supérieur à 7 %).
Figure 4 : Variabilités comparées des préestimations des émissions de GES des formats SECTEN et CCNUCC pour 2004 et 2005.
Variabilities in pre-estimations of GHG emissions between the SECTEN and UNFCCC formats for the years 2004 and 2005.
Les préestimations présentées ici ne fournissent que des valeurs relatives à lʼensemble des sources de CO2 et au PRG. Lʼidéal serait de produire des informations similaires pour les principaux secteurs, ce qui permettrait dʼaffiner lʼanalyse des tendances.
Le fait que la structure sectorielle « inventaire » diffère sensiblement de la structure « statistique »12 rend les préestimations beaucoup moins précises quʼelles ne pourraient lʼêtre si ces deux structures étaient plus harmonisées. Cʼest une condition importante pour progresser au plan des préestimations sectorielles.
4. Conclusion et perspectives
Les estimations des émissions dʼune année donnée font lʼobjet de réactualisations au cours des années suivantes impliquant des révisions de lʼordre de 3 à 10 %. Cette variabilité nʼélude pas la demande de résultats dʼinventaire dʼémissions par anticipation qui sʼest accrue avec le besoin de pilotage des programmes dʼaction visant à réduire ou limiter les émissions de certains polluants et de certains secteurs.
Les procédures de préestimation mises en place dans le cadre du SNIEPA ou réalisées en dehors de celui-ci (N + 10 mois pour les gaz à effet de serre) sont performantes et conduisent à des estimations anticipées globales du PRG à 4 et 10 mois après la fin de lʼannée écoulée ne différant que de quelques pourcents par rapport à lʼestimation finale de lʼannée considérée produite avec un an de décalage.
Par ailleurs, les valeurs finales consolidées sont toujours sujettes à ajustement par suite des corrections rétrospectives liées aux améliorations successives. Toutefois, les niveaux dʼémission consolidés deviennent relativement stables au bout de deux ou trois ans au moins pour les polluants les mieux connus, comme énoncé précédemment.
Certaines substances plus récemment inventoriées telles que les gaz fluorés nʼatteignent pas encore ce niveau de performance et présentent des écarts relativement importants qui heureusement sont compensés par les quantités émises faibles (3 % environ seulement du PRG malgré des pouvoirs de réchauffement intrinsèques très élevés).
Il reste que les préestimations portent sur des ensembles importants (total et/ou quelques grands secteurs) ; un axe de développement serait de parvenir à un degré de fiabilité équivalent sur des ensembles sectoriels plus fins. Cet objectif passe certainement par une harmonisation plus poussée des statistiques, notamment relatives à lʼénergie.
Enfin, un recul plus important sur une période couvrant davantage dʼannées fournira sans doute une indication intéressante sur la fiabilité de ces pré-estimations.
Lʼenjeu autour des préestimations pourrait sʼamenuiser si le niveau des émissions sʼéloignait sensiblement de la ligne de base constituée par lʼobjectif, ce qui devrait être le cas grâce aux mesures de réduction mises en œuvre dans le Plan Climat. Cependant, le processus de préestimation garde tout son intérêt dans la mesure où dans lʼavenir de nouveaux objectifs seront fixés, pour le changement climatique ou pour dʼautres thèmes, et quʼil est probable que les écarts entre les situations observées et ces objectifs seront de plus en plus ténus. Dʼautre part, la même préoccupation existe au niveau sectoriel.
Il convient donc dʼencourager la production de ces préestimations comme outil de mesure des indicateurs dont les décideurs sont, à juste titre, particulièrement friands.




