Introduction
« En ce temps-là, le monde regorgeait de tout : les gens se multipliaient, le monde mugissait comme un taureau sauvage et le grand dieu fut réveillé par la clameur. Eulil entendit la clameur et dit aux dieux assemblés : “Le vacarme de l’humanité est intolérable, et la confusion est telle qu’on ne peut dormir…” ». (Épopée de Gilgamesh, 1800 av. J.-C.).
Au regard de multiples enquêtes, le bruit est considéré comme une des premières atteintes à la qualité de vie. Les sources de bruit sont multiples : voisinage, transports, machines mécanisées, musique amplifiée… Cet article portera principalement sur les effets du bruit des transports et reprend en partie des éléments publiés dans un rapport rédigé avec le soutien de la Région Rhône-Alpes [1].
Les Français les plus gênés vivent dans des agglomérations de plus de 30 000 habitants (28 % s’y déclarent gênés souvent ou en permanence, 38 % pour Paris, Lyon et Marseille)3.
La pollution de l’air, le bruit et l’effet de serre sont cités comme les trois principaux problèmes environnementaux relatifs aux transports.
Cette gêne est principalement due au trafic routier mais aussi au trafic aérien et au trafic ferroviaire et les transports (principalement routiers) génèreraient près de 80 % du bruit émis dans l’environnement4.
Le Livre Vert de la Commission européenne [2] sur la politique de lutte contre le bruit, abordait largement les effets du bruit sur la santé. Environ 20 % de la population de l'Union européenne « souffre de niveaux de bruit que les scientifiques et les experts de la santé jugent inacceptables parce qu'ils troublent ceux qui les subissent, perturbent le sommeil et peuvent avoir des effets néfastes sur la santé ». Le double de personnes vit dans des zones dites « grises » où le bruit atteint des intensités perturbatrices. Ce document fait aussi référence à de nombreuses études qui ont tenté de quantifier le coût social du bruit, et tout particulièrement celui des transports. Les chiffres oscillent entre 0,2 % et 2 % du PIB.
En France, en octobre 2003, le ministère de l’Écologie et du Développement durable (MEDD) annonce la mise en place du Plan national d’actions contre le bruit qui se décline selon trois axes :
-
logements soumis à un bruit excessif (isoler et protéger) ;
-
lutte contre le bruit au quotidien (cantines, crèches, traitement des plaintes…) ;
-
préparer l’avenir (recherche, cartographies, observatoires…).
L’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET) intègre le bruit et ses effets sur la santé dans son document de travail sur le premier Plan national santé environnement, qui sera ensuite décliné en Plan régional santé environnement.
En mai 2004, le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (CSHPF)5 publie un avis sur les effets sur la santé du bruit occasionné par les avions ainsi qu’un ouvrage exhaustif sur les effets du bruit sur la santé6. Le CSHPF préconise l’introduction dans la réglementation d’un indice évènementiel
LAmax de nuit en tant qu’indicateur de la perturbation du sommeil. Le CSHPF exprime aussi la nécessité que des travaux épidémiologiques soient menés, notamment pour les populations sensibles. Or la quantification des niveaux de bruit est souvent complexe. En effet, le bruit varie de façon importante sur des échelles de temps et d’espace restreints et le bruit se caractérise en fonction de multiples critères (durée, intensité, caractère évènementiel ou continu…), rendant alors très complexe une mise en relation dose (bruit)/réponse (individus). De plus, les réponses au bruit varient fortement, pour un même niveau, d’une personne à l’autre et selon le contexte et sa durée.
1. Les principales réglementations du bruit des transports
La loi « Bruit » n° 92-1444 du 31 décembre 1992 constitue le cadre législatif de la problématique du bruit et pose les bases d’un traitement réglementaire de cette nuisance. Cette loi tend à s’appliquer « dans tous les domaines (…) des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers, à causer un trouble excessif aux personnes, à nuire à leur santé ou à porter atteinte à l’environnement ».
L’article L 571-9 du code de l’environnement impose la prise en compte du bruit dans tout projet neuf d’infrastructure routière ou ferroviaire, et lors de la transformation significative d’une voie existante. Les maîtres d’ouvrage d’infrastructures sont tenus de mettre en place des actions afin de respecter les seuils de bruit fixés réglementairement.
L’article L 571-10 du code de l’environnement institue le classement des infrastructures de transports terrestres en fonction de leurs caractéristiques acoustiques et de leur trafic. Sur la base de ce classement, le préfet détermine les secteurs affectés par le bruit, les niveaux de nuisances sonores à prendre en compte et les prescriptions techniques applicables lors de la construction d’un bâtiment afin d’atténuer l’exposition à ces nuisances.
L’article L 111-11-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit des objectifs de qualité acoustique pour différents types de bâtiment public (établissements d’enseignement, locaux de sports et de loisirs, hôtels, locaux à caractère sanitaire ou social).
Les articles L 571-14 à L 571-16 du code de l’environnement instituent, au voisinage des principaux aérodromes, un dispositif d’aide financière à l’insonorisation des logements et des bâtiments publics sensibles situés dans les Plans de Gêne Sonore (PGS) des aéroports.
Enfin, au niveau européen, la Directive 2002/ 49/CE du parlement européen et du Conseil, sur les bruits de l’environnement, retranscrite en droit français en mars 2006, crée une démarche généralisée de cartographie de l’exposition au bruit (infrastructures de transports terrestres et aériens et des principales industries) des populations (pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants et pour les principales infrastructures hors agglomérations), d’information du public, puis de définition de Plans de Prévention des Bruits de l’Environnement (PPBE) pour les zones bruyantes, tout en prenant aussi en compte les zones calmes. Le droit français donne ainsi aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale ainsi qu’aux gestionnaires des infrastructures hors agglomérations, la compétence pour la mise en œuvre de cette directive. Un des objectifs visés par la directive est de garantir l’information du public concernant le bruit dans l’environnement et ses effets. Ces cartes doivent donc être accessibles et diffusées au public.
2. Quelques rappels d’acoustique
2.1. Les principales sources de bruit et ses enjeux sociétaux
Les bruits de l’environnement sont liés à la croissance des activités sur un cycle temporel de plus en plus étendu (process industriels continus, transports routier, ferroviaire et aériens nocturne, etc.). Non seulement l'environnement serait alors de plus en plus bruyant, mais selon certains travaux, la sensibilité individuelle serait croissante. Dès lors, il est nécessaire de (re)trouver un équilibre entre les dommages potentiels que le bruit peut provoquer, les avantages liés à la mobilité, principale source de bruit, et les attentes en terme de confort et de qualité de vie.
Tableau 1. Classement des voies en fonction de leur niveau sonore en dB(A)
Niveau sonore Laeq (6h-22h) |
Niveau sonore Laeq (22h-6h) |
Catégorie de l’infrastructure |
Secteur affecté de part et d’autre |
L > 81 |
L > 76 |
1 |
300 m |
76 < L = 81 |
71 < L = 76 |
2 |
250 m |
70 < L = 76 |
65 < L = 71 |
3 |
100 m |
65 < L = 70 |
60 < L = 65 |
4 |
30 m |
60 < L = 65 |
55 < L = 60 |
5 |
10 m |
3. Qu’est-ce que le bruit ?
Le bruit est un ensemble de sons dus à des vibrations (variations de pression) qui se propagent dans l’air et peut se caractériser par au moins quatre composantes :
-
son niveau, sa force ;
-
sa fréquence, son caractère grave ou aigu ;
-
sa durée dans le temps, son évolution temporelle ;
-
sa signification, sa source.
Le bruit est mesuré sur une échelle logarithmique, retranscrivant les variations de pression sonore, exprimées en décibel pondéré (A) afin de prendre en compte la sensibilité propre à l’oreille humaine (noté dB(A)).
La somation de l’énergie acoustique de deux sources d’intensité identique correspond à une majoration de 3 dB du niveau initial de la première.
Lorsqu’il y a 10 sources identiques, on ajoute 10 dB à la valeur source.
Pour caractériser le bruit, deux principales familles d’indices se côtoient :
-
Les indices de dose qui sont une énergie reçue sur un temps donné. Ces niveaux sont généralement notés L (Level en anglais) et leur période de mesure est précisée. Le Lday ne s’intéressera donc par exemple qu’à la période 6 h-18 h.
-
Les indices statistiques, dont les émergences qui représentent en général le niveau sur un (des) événement(s) particulier(s) (passage de véhicules, coups de klaxon…). Ce sont généralement des indices statistiques de dispersion des valeurs acoustiques mesurées sur les durées d’intégration de la mesure (par exemple une valeur par seconde). Lmax est par exemple le niveau maximum atteint, L1 est le niveau dépassé 1 % du temps (lié à des émergences acoustiques) et L90 le niveau dépassé 90 % du temps (pour rendre compte d’un bruit de fond).
Figure 1.Le niveau de pression sonore en fonction de la sensibilité de l'oreille humaine.
Mais le bruit, au-delà de ses propriétés physiques, est avant tout une perception dépendante :
-
des caractéristiques physiques du bruit,
-
du contexte, du moment de l’exposition,
-
de la sensibilité individuelle, des systèmes de valeur, des jugements…
4. Comment caractériser le bruit ambiant
Les bruits de l’environnement sont en général abordés au travers de plusieurs méthodes complémentaires :
-
La mesure à l’aide de sonomètres répondant à des certifications en différentes classes selon le niveau de précision, de stabilité de dérive, de même que les conditions de mesures sont encadrées par des normes (météo, distance, horaires…).
-
Le calcul, réalisé sur de grands territoires, à partir de données géoréférencées (trafic, vitesse, bâti…) à l’aide de modèles et de méthodes eux-mêmes normés (NMPB, SRM2…).
-
Les enquêtes, entretiens et observations comportementales, méthodes issues en partie des sciences humaines et sociales, quant à ses effets sur les populations exposées.
-
Et enfin par des prises de sons calibrées afin de garder trace et rendre compte des ambiances sonores étudiées.
5. Les effets du bruit
5.1. Les effets auditifs directs biologiques et physiologiques du bruit
Ceux-ci sont connus depuis l’Antiquité : Pline l’Ancien (23 à 79 apr. J.-C.) avait déjà observé que les gens habitant à proximité de chutes d’eau présentaient une surdité. Un niveau sonore élevé peut effectivement endommager l’oreille (moyenne et interne).
Figure 2. Exemple d’évolutions temporelles d’un niveau de bruit.
L’exposition à des sons intenses peut alors provoquer des acouphènes (bourdonnement dans les oreilles) ou une surdité (augmentation du seuil d’audibilité) passagère ou définitive. Ces effets peuvent intervenir dès 80 dB(A) après une exposition de plusieurs heures. Mais le niveau atteint n’est pas le seul facteur important : la durée d’exposition est aussi un facteur de nocivité. Le caractère impulsif du bruit et sa répartition fréquentielle (grave, aiguë) sont aussi importants.
Il est nécessaire de retenir que ces effets biologiques et physiologiques directs apparaissent à partir de niveaux de bruits très rarement observés pour les bruits des transports. C’est pourquoi, en matière d’effets du bruit, les bruits de l’environnement engendrent des effets indirects plus difficiles à mettre en évidence et à quantifier.
5.2. Les effets extra-auditifs du bruit sur la santé, généralités
Le premier congrès international sur le bruit (Internoise) date de 1972, et les travaux sur les effets du bruit sur la santé sont régulièrement présentés lors de congrès annuels tels que l’ICBEN (International Commission on Biological Effects of Noise). L’exposition au bruit varie de façon très importante sur une échelle de temps et d’espace extrêmement réduite. La définition de niveaux d’exposition au bruit nécessite donc de recourir à des méthodologies complexes et complémentaires, et présente également des incertitudes de mesure importantes lorsqu’on souhaite rapporter une dose de bruit par individu, par définition mobile dans le temps et dans l’espace. Néanmoins, de multiples travaux ont pu démontrer, avec plus ou moins de robustesse, que le bruit est responsable d’un ensemble de troubles psychophysiologiques qui ne se limitent pas seulement à des effets directs sur l’audition : les réactions qu’il entraîne mettent en jeu l’ensemble de l’organisme, à des niveaux beaucoup plus complexes que ceux mentionnés pour les troubles directs.
6. Les effets indirects biologiques et extra-auditifs du bruit
« La santé n'est pas seulement l'absence de maladie, mais un état de complet bien-être physique, mental et social » (OMS, 1948).
Ils concernent le stress généré par le bruit sur l'être humain et incluent les troubles du sommeil, les effets physiologiques (sur le système digestif et cardiovasculaire) et les troubles psychologiques. Ces effets sont plus difficiles à identifier et à relier directement à l'exposition au bruit car ils peuvent être liés à d'autres éléments stressants. D’après différentes études [Davies, ICBEN 2008 [3]], les effets extra-auditifs peuvent être classés en trois principales catégories :
-
les effets sur le système cardio-vasculaire ;
-
les effets sur la santé mentale ;
-
les effets sur le sommeil.
6.1. Les effets sur le système cardio-vasculaire
Un état de stress créé par une exposition au bruit entraîne la libération excessive d’hormones telles que le cortisol ou les catécholamines (adrénaline, dopamine) susceptibles d’engendrer des effets cardiovasculaires.
Une étude [Ising, 2004 [4]], réalisée sur 68 enfants soignés pour des bronchites, a montré qu’un niveau de bruit supérieur à 53 dB(A) pendant la nuit est associé à une augmentation importante du cortisol le matin, ce qui, à long terme, peut entraîner une aggravation de la bronchite. Cependant, plusieurs facteurs peuvent influencer la variation de cortisol en réponse à la stimulation par le bruit, comme par exemple le type de facteur de stress (bruit ferroviaire, alarme de voiture…) et l’heure de la stimulation. Une autre étude [Bluhm 2010 [5]] sur le cortisol comme marqueur de stress a mis en évidence que les femmes exposées à un niveau de bruit aérien supérieur à 60 dB ont une hausse importante du taux de cortisol le matin, qu’elles se considèrent gênées ou non. Par contre, les hommes n’ont pas d’augmentation significative.
6.1.1. Pression artérielle et pulsations cardiaques
L’augmentation de la tension artérielle et des pulsations cardiaques sont des réactions cardiovasculaires pouvant être liées à une augmentation du stress. Des études récentes [Belojevic, 2008 [6]] sur 328 enfants entre 3 et 7 ans montrèrent que les enfants ayant un environnement calme au jardin d’enfants et à la maison avaient une pression artérielle et des pulsations cardiaques moins élevées que les enfants ayant un environnement bruyant.
D’autres études épidémiologiques [Bodin, 2009 |7]] ont montré que le bruit provenant du trafic routier peut augmenter le risque d’hypertension artérielle chez les adultes qui vivent dans des lieux dont le Lday est supérieur à 65 dB(A).
La plupart des auteurs soulignent que même si les résultats de leurs travaux soutiennent l’hypothèse que le bruit et les sensibilités propres des sujets favorisent l’apparition de maladies cardio-vasculaires dont l’hypertension, les effets conjoints de la pollution atmosphérique et du bruit sur les maladies cardiovasculaires, ainsi que les effets du bruit sur les populations sensibles restent à explorer.
L’étude HYENA [8] (Hypertension et exposition au bruit à proximité des aéroports) a porté sur 4 861 personnes âgées de 45 à 70 ans ayant vécu au moins cinq ans près d’un des six grands aéroports européens. Les résultats indiquent des risques importants d’hypertension liée à une exposition à long terme aux bruits aériens nocturnes ainsi qu’au bruit routier. Une autre étude [9] sur la relation entre la morbidité cardio-vasculaire avec à la fois le bruit et la pollution de l’air sur un large échantillon d’individus (120 852) met en lien un excès de mortalité cardio-vasculaire dans la tranche de bruit la plus élevée (> 65 LAeq).
6.2. Les effets psychologiques sur la santé mentale et la gêne
La santé mentale peut être définie comme un fonctionnement psychique faisant référence à un état émotionnel et psychologique permettant à un sujet de s’inscrire dans un rapport affectif et social et de faire face aux exigences de la vie quotidienne. Il n’a pas été établi pour l’instant de liens directs et certains entre le bruit ambiant et la santé mentale, même si certains travaux [Van Kamp, 2008 [10]] menés autour d’aéroports suggèrent que le bruit influerait sur le développement de troubles mentaux. Chez les enfants, les effets du bruit sur l’hyperactivité ont été confirmés. Ces travaux amènent à la conclusion qu’il n’y a pas de lien direct entre la santé mentale et le bruit environnemental, cependant les symptômes d’anxiété et de dépression semblent plus présents chez les personnes vivant à proximité de grands aéroports. En conclusion, le fait que la sensibilité au bruit soit hautement liée avec une sensibilité plus générale au stress environnemental et à une vulnérabilité aux maladies mentales paraît de plus en plus probable.
6.2.1. La gêne due au bruit
« La gêne peut se définir comme une sensation de désagrément, de déplaisir provoquée par un facteur de l'environnement dont l'individu (ou le groupe) connaît ou imagine le pouvoir d'affecter sa santé » (OMS – Le bruit, critère d'hygiène de l'environnement, n° 12, 1980).
L'origine étymologique du mot gêne vient de l'ancien français « gehenne » (torture) ! Selon Mac Lean et Tarnapolsky [11], la gêne due au bruit recouvre trois types de réactions :
-
le sentiment d'être gêné, irrité, de voir son intimité envahie par le bruit ;
-
le report d'inférence avec les activités de tous les jours ;
-
des symptômes dus au stress et à prédominance psychosomatique.
Les études transversales comparant la gêne rapportée par les individus à leur exposition réelle montrent que s’il existe bien une relation entre l’exposition au bruit et la gêne, de nombreux facteurs de confusion (dont pour partie les facteurs sociodémographiques, mais principalement la sensibilité individuelle et les facteurs d’attitudes vis-à-vis des sources de bruit) interviennent fortement.
La sensibilité au bruit est généralement considérée comme la principale source non acoustique modifiant la réaction au bruit. Elle diffère beaucoup selon les personnes. De plus, les individus n’ont pas tous le même seuil de détection auditive. Une étude [Öhrström, 2004 [13]] a montré qu'une réduction de la gêne due au bruit du trafic routier correspond à une amélioration globale de la sensation générale de bien-être.
Figure 3.La gêne, une interaction entre le sujet et son environnement [12].
Enfin, une grande partie de la littérature scientifique des années 80 à 2000 a porté sur la recherche de la quantification de relations (corrélation) entre le bruit et la gêne ressentie. Cette méthodologie reste dominante dans les travaux visant à fixer des seuils (à ne pas dépasser) ou à évaluer le coût sociétal du bruit.
La sensibilité au bruit dépend donc de facteurs contextuels, socioculturels et climatiques mais aussi individuels.
6.2.2. Le calme et le « naturel » peuvent contribuer à un apaisement
Une étude suédoise [Van Kamp, 2008 [15]] a montré une réduction de 10 à 20 % des troubles dus au bruit lorsque les personnes vivent dans un immeuble avec un côté sur une façade calme. Les résultats suggèrent qu’un bon paysage urbain extérieur doit être dominé par des sons positifs provenant de la nature et avoir un niveau de bruit inférieur à 50 dB(A) pendant la journée. Le conseil de santé néerlandais souligne que les personnes sensibles au bruit ressentiront plus facilement les bienfaits d’un environnement calme.
6.3. Les effets sur le sommeil
Le sommeil est essentiel pour la récupération, le développement, la santé et le bien-être. Le sommeil sera d’autant plus récupérateur si les différents cycles se succèdent facilement et sans perturbations. Or le sommeil peut être facilement perturbé par le bruit. Deux séries de causes [Soames, 2008 [16]] sont à l’origine de perturbations du sommeil, l’une interne (due à des pathologies somatiques, psychologique…) et l’autre externe. La plus importante cause de perturbation du sommeil externe est la pollution sonore. De nuit, elle peut engendrer des modifications de la structure du sommeil (répartitions des stades), mais l’exposition chronique diurne au bruit peut aussi engendrer des modifications de la qualité du sommeil.
Figure 4.Relations dose-réponse : bruit (LDEN–24h) et gêne long terme [14]
Source : Position Paper WG 2 – Commission Européenne, 20 février 2002
D’autres recherches [18] mettent aussi en évidence une relation entre l’indice de nuit Lnight et l’augmentation de l’activité motrice durant le sommeil. Dans le guide du bruit de nuit pour l’Europe7, l’OMS résume la relation entre le bruit nocturne et les effets sur la santé, en quatre gammes de niveaux sonores extérieurs la nuit :
-
< 30 dB pas d'effets biologiques attendus.
-
30-40dB premiers effets sur le sommeil dans les groupes vulnérables.
-
40-55 dB forts effets sur la santé et groupes vulnérables gravement touchés.
-
> 55 dB forts effets néfastes fréquents ; élevé dans la population fortement gêné.
En définitive, il semble plus que probable (notamment pour les personnes présentant une sensibilité individuelle élevée aux stress environnementaux), que l’exposition au bruit entraîne globalement une hausse des consultations médicales, des surconsommations de médicaments (surtout en automédication), et que ceci a en outre un coût socio-économique [ETADAM, Cohen et Vallet, 1999 [19]].
7. Les effets du bruit sur les performances scolaires et la communication
Différentes études montrent une diminution des performances dans les écoles exposées au bruit : le bruit interfère avec la communication parlée, diminuant l’intelligibilité des enseignants, et la concentration des enfants. Néanmoins, certains facteurs de confusion, en particulier les facteurs sociodémographiques, souvent corrélés à l’exposition au bruit, peuvent aussi jouer un rôle.
Enfin, le bruit a des effets sur la communication (masquage) et crée une perte d’intelligibilité de la parole dans les situations quotidiennes (au domicile, dans la rue) mais aussi dans les contextes d’apprentissage (à l’école) et professionnels.
Tableau 2.Recommandations :Niveaux à ne pas dépasserà l'intérieur de la chambre à coucher.
CE* |
OCDE** |
OMS*** |
|
Dose en dB(A)) |
30-35 |
Entre 35 et 50 |
35 (1) |
Crêtes en dB(A)) |
45 |
* Communauté Européenne.
** Organisation de Coopération et de Développement Économique.
*** Organisation Mondiale de la Santé.
(1) 30 dB(A) pour le sommeil des nourrissons et des enfants dans les dortoirs (crèches, écoles maternelles).
Tableau 3.En fonction du bruit des infrastructures de transport [Mouret, Vallet, 1998) [17]]
LAeq dose (en dB(A)) |
Crêtes (en dB(A)) |
|
Routier |
35 |
50 |
Avions |
40 |
52-55 |
Trains |
40 |
50-55 |
8. La position récente de l’OMS
« La pollution sonore n’est pas seulement une nuisance environnementale, c’est aussi un réel enjeu de santé publique. (…) Nous espérons que ce nouveau constat encouragera les gouvernements et les autorités locales à introduire des politiques de contrôle du bruit tant au niveau national que local, dans l’objectif de protéger la santé des Européens de ce danger grandissant ». Zsuzsanna Jakab, Directrice Régionale de l’OMS Europe.
« Nous espérons que cette nouvelle publication induira une sévérisation des valeurs limites relatives à la pollution sonore à l’occasion de la révision de la directive européenne sur le bruit ambiant ». Rok Ho Kim, coordinateur du projet, bureau européen de l’OMS.
Les deux documents [20] publiés par l’OMS constituent une synthèse sur les risques de pathologies associées aux bruits de l’environnement, à partir des travaux rassemblant des scientifiques spécialistes à la fois de la santé et de l’acoustique, ainsi que des orientations méthodologiques pour les travaux à venir. Le bruit serait la deuxième source de risque environnemental après l’air mais agit de manière plus insidieuse, c’est pourquoi les mesures préconisées sont importantes pour améliorer la santé publique. Ces travaux devraient aussi être pris en compte lors de la révision des valeurs guides de l’OMS sur le bruit, demandée par les États membres lors de la cinquième conférence ministérielle sur l’environnement et la santé (Parme, Italie, 2010). Quelques chiffres clés viennent renforcer cette position :
-
un tiers de la population est gêné en journée ;
-
un cinquième est perturbé dans son sommeil (bruit routier, ferroviaire, aérien) ;
-
des risques accrus de maladies cardio-vasculaires et d’hypertension.
quelques chiffres de DALYs8 fournis par l’OMS :
-
22 000 ans à cause des acouphènes ;
-
61 000 ans perdus à cause de maladies cardiaques ;
-
45 000 ans pour des problèmes cognitifs chez les enfants ;
-
587 000 ans pour cause de nuisances sonores ;
-
903 000 ans pour les troubles du sommeil.
-
Mettre en place un guide pratique à propos des risques pathologiques liés au bruit environnemental, en particulier les troubles cardio-vasculaires et les troubles du sommeil.
-
Promouvoir le transfert de connaissance et l’assistance aux pays européens dans le domaine des risques pour la santé liés à l’environnement sonore.
8.1. Objectifs du document méthodologique de l’OMS
Ce récent rapport confirme donc nettement le consensus scientifique et la position de l’OMS sur les effets avérés du bruit sur la santé, quand bien même d’autres études épidémiologiques doivent venir renforcer l’état actuel de la connaissance.
Conclusion
La sensibilité individuelle joue un rôle prépondérant qui influe fortement sur la dilution des résultats des travaux basés sur des relations doses-réponses. Les méthodologies employées sont souvent différentes et l’attribution d’une dose de bruit par individu pose de réels problèmes méthodologiques (suivi long, grande variabilité dans le temps et l’espace…). Il est dès lors plus difficile de comprendre tous les liens entre le bruit et les effets biologiques extra auditifs car ils peuvent être croisés à d’autres facteurs. Néanmoins, il existe un consensus scientifique de longue date sur le caractère très perturbant du bruit sur le sommeil (sans aucune habituation physiologique) et sur la gêne (dégradation de la qualité de vie). Ces deux seuls effets ne peuvent alors qu’avoir une incidence négative sur la santé. Concernant les niveaux de bruit lié aux transports, on peut donc retenir :
-
trois effets extra-auditifs du bruit sur la santé : les troubles du sommeil, le stress environnemental (troubles hormonaux, cardio-vasculaires et psychologiques) et la gêne, y compris au travers des modifications comportementales ;
-
la (qualité de) vie quotidienne et le bien-être des personnes exposées s’en trouvent (très) fortement altérés, même si une morbidité avérée n’a pas été parfaitement démontrée.
Ces effets sont aussi à mettre en perspective vis-à-vis, d’une part, des populations particulièrement sensibles (enfants, personnes âgées…) et, d’autre part, des populations socialement défavorisées qui sont en général plus exposées au bruit de l’environnement et plus captives de leur cadre de vie (plus faibles possibilités d’évitement, logements anciens moins bien isolés…). Elles cumulent en outre souvent une exposition plus élevée à d’autres facteurs de risques (notamment en milieu professionnel).
Le bruit est donc un enjeu sanitaire majeur au regard du nombre important de personnes exposées. Il doit être pris en compte dans la politique de la ville et dans l’aménagement du territoire à toutes les échelles (SCOT, PLU, PDU, PRSE…). En effet, l’intervention des pouvoirs publics, notamment en amont des projets et des grandes orientations des schémas directeurs de déplacement et d’aménagement, permet de diminuer les conséquences en termes de santé publique des effets du bruit des transports. Quatre principales approches réglementaires concourent à ce jour à mieux maîtriser l’exposition au bruit des populations, sans pour autant apporter une réponse suffisante :
-
celles sur la création de voies nouvelles (classement sonore des voies bruyantes) ;
-
les normes et obligations pour les habitations nouvelles ;
-
les plans de gêne sonore au bruit aérien pour l’isolation des logements existants ;
-
la directive européenne de 2002 pour le diagnostic d’exposition.
Deux approches complémentaires devraient permettre dans les proches années un renforcement de la maîtrise des nuisances sonores, mais aussi un accès facilité à la connaissance de l’exposition au bruit des populations, dans le cadre de recherches épidémiologiques :
-
les observatoires métrologiques et cartographiques soutenus par les nouvelles réglementations (directive européenne) récemment préconisées en conférence du ministre de l’Écologie [21] (plusieurs agglomérations telles que Lyon, Lille, Paris, Grenoble, Saint-Étienne, Aix-en-Provence ou Nice s’équipent de systèmes de mesure) ;
-
les démarches d’actions préventives et curatives (à la source et en façade des bâtiments), dans le cadre des plans d’action qui devront être mis en place conformément aux exigences de la directive européenne et en complément des réglementations visant à traiter les « points noirs ».
Ces approches doivent notamment permettre :
-
d'informer le public en termes d’exposition ;
-
de renforcer l’incitation de la puissance publique et privée à agir ;
-
de fournir des informations utiles aux recherches épidémiologiques.
Enfin, un axe de réflexion émergeant consiste en une réflexion croisée tant au niveau des facteurs (bruit, air, accidentologie…) que de leurs effets cumulatifs sur la santé. À ce titre, Acoucité et le Réseau Air Rhône-Alpes avec en appui méthodologique le CETE de Lyon, se sont associés dans le cadre d’une convention avec la DREAL-RA pour développer entre 2012 et 2014 une plate-forme régionale des points noirs environnementaux.