1. Introduction
Cette étude fait suite à deux campagnes de mesures ponctuelles par échantillonnage passif des benzène, toluène, éthylbenzène, méta, para et ortho-xylènes (BTEX). Ces mesures ont été effectuées dans des sites urbains de l’agglomération toulousaine en 1999, puis à nouveau en 2001 après la diminution des teneurs en benzène dans les essences au 1er janvier 2000 [1, 2, 3]. Le but de la présente étude consistait à mesurer les teneurs en BTEX auxquelles sont soumis les usagers d’une station-service lors du remplissage en essence du réservoir de leur véhicule. Les mesures ont été réalisées par prélèvements actifs dans deux stations-service dont l’une était équipée d’un système de récupération des vapeurs, de façon à avoir une première connaissance de la gamme de concentrations en polluants à laquelle un usager peut être soumis lors de cette action, et à avoir une première évaluation de l’efficacité d’un tel dispositif.
1.1. Les composés étudiés et leurs effets sur la santé
Les benzène, toluène, éthylbenzène et xylènes (BTEX) appartiennent à la famille des composés organiques volatils (COV). Ce sont des hydrocarbures aromatiques monocycliques, constitués d’un cycle aromatique, substitué ou non, par un ou deux groupements méthyle dans le cas du toluène et des xylènes, ou par un groupement éthyle dans le cas de l’éthylbenzène. Ce sont des polluants de type anthropique, provenant de l’activité humaine.
Les BTEX peuvent engendrer différents troubles chez l’être humain. Ceux-ci sont fonction de la nature, de la concentration et de la durée de l’exposition, mais aussi de la sensibilité des personnes [4, 5]. La principale voie d’exposition est l’inhalation, par laquelle le benzène est rapidement et largement absorbé (de 30 à 50 %). Jusqu’à 50 % du benzène inhalé est expiré tel quel et le reste est excrété principalement dans l’urine, sous forme de métabolites. Lipophile, le benzène s’accumule surtout dans les tissus adipeux. Le benzène est un agent cancérogène reconnu pour l’homme ; classé dans le Groupe I, il entraîne trois types de leucémies.
L’exposition quotidienne aiguë au benzène (à de fortes concentrations, de l’ordre de 20 000 ppm, soit 65 000 mg/m3) provoque nausées, vomissements et maux de tête, pouvant aller jusqu’au coma et parfois à la mort. À de faibles concentrations, (de 2 à 20 ppm, soit 6 à 70 mg/m3), le benzène est toxique pour les organes hématopoïétiques et provoque des troubles hématologiques avec une diminution du nombre de plaquettes. L’aplasie médullaire benzénique est devenue exceptionnelle en France depuis l’application des mesures de préventions prévues par la réglementation [5].
Dans l’environnement, les concentrations ambiantes mesurées par les réseaux de surveillance de la qualité de l’air sont plus faibles d’un facteur 1 000, l’unité usuelle de mesure étant le g/m3.
Dans les centres urbains, les effets de la pollution atmosphérique d’origine automobile sur la santé des policiers affectés à la circulation, en contact permanent avec la pollution automobile, ont été étudiés, entre autres, à Paris en 1999 [6] et à Bologne (Italie) en 2005 [7]. Plus globalement, des études épidémiologiques ayant choisi le trafic routier comme indicateur d’exposition à la pollution atmosphérique font l’objet de recherches depuis de nombreuses années. La plupart des études concernent l’apparition de symptômes respiratoires ou la prévalence de l’asthme, liées à la pollution issue du trafic automobile, chez des adultes âgés ou des enfants vivant près de voies à forte circulation [8].
1.2. Les stations-service
Le stockage et la distribution de l’essence font l’objet d’une directive du Parlement européen [9] adoptée le 20 décembre 1994, dont le but est de réduire les émissions de COV lors du stockage et de la distribution d’essence des terminaux aux stations-service. Ainsi, le taux de perte admis est très faible : 0,01 % en masse lors du remplissage des cuves des stations-service.
Les stations-service représentent l’une des principales sources d’émission des BTEX : lors du remplissage des cuves de stockage des carburants ou des réservoirs des véhicules, il y a dégagement de vapeurs d’hydrocarbures, et plus particulièrement de BTEX, ce qui conduit à une surexposition des personnes dans ces lieux. Afin de lutter contre ces émissions, des dispositifs de recyclage des vapeurs peuvent être mis en place tant pour le remplissage des citernes que pour la distribution en petites quantités.
Deux systèmes de récupération des vapeurs d’essence dans les stations-service ont été mis au point. Ces systèmes agissent au niveau du pistolet de remplissage et sont de deux types : passifs ou actifs.
Les systèmes passifs permettent d’aspirer les vapeurs refoulées lors du remplissage du réservoir par le simple jeu des pressions créé par le mouvement du liquide au moyen d’un couplage étanche.
Pour les systèmes actifs, l’aspiration des vapeurs d’essence refoulées par le réservoir n’est plus tributaire des seules différences de pressions au remplissage du réservoir, mais bénéficie d’une assistance provenant d’une petite pompe à vide, ce qui implique néanmoins une attention particulière quant aux surpressions éventuelles dans les cuves de stockage. Ce système présente l’avantage de s’adapter aux différents types de réservoirs, et de procéder à un recyclage des vapeurs (Figures 1 et 2).
Figure 1 : Schéma d’un récupérateur actif de vapeurs d’essence.
Petrol vapors active recuperator scheme.
Figure 2 : Pistolet récupérateur actif de vapeurs d’essence. (photo ORAMIP)
Petrol vapors active nozzle recuperator. (photo ORAMIP)
La France a fait le choix, comme beaucoup d’autres pays européens (Suisse, Allemagne, Autriche…), du système actif, ce qui a permis l’élaboration, durant l’année 2000, d’un décret et de deux arrêtés. Selon les préconisations du ministère de l’Environnement, les stations-service de débit supérieur à 4 500 m3/an doivent en être équipées depuis le 30 juin 2000, et celles de débit supérieur à 3 000 m3/an depuis le 30 juin 2001. Cela concerne, en France, 1 500 stations sur 17 125. Ce système est censé récupérer 80 % des vapeurs de COV émises lors du remplissage du réservoir. La réglementation des BTEX est présentée en annexe.
2. Méthodologie
L’ORAMIP est certifié depuis 2002 pour son système qualité basé sur la norme ISO 9001 version 2000. La méthodologie de cette étude a consisté à réaliser des prélèvements par pompages actifs manuels de composés gazeux issus des vapeurs des stations-service, pendant une période relativement courte, au printemps 2004. Le temps de prélèvement était représentatif du temps passé à réaliser un plein d’essence. Il s’agissait de mesurer les teneurs en benzène, toluène, éthylbenzène et xylènes dans des stations-service équipées de récupérateurs de vapeurs. Les mesures effectuées dans des stations-service non équipées de récupérateurs ont fait office de témoins. Dans chaque cas, lors d’une des journées de prélèvements, deux prélèvements consécutifs ont été réalisés sur le même site, faisant office de dupliquas de la mesure.
Les résultats de mesures antérieures de BTEX en situation de fond urbain, à Toulouse, par échantillonnage passif, ont permis d’avoir une connaissance de la concentration moyenne urbaine de ce type de composés.
2.1. Les sites de mesures, durées et dates de prélèvements
Les prélèvements ont été réalisés dans deux stations-service de l’agglomération toulousaine. Une des deux stations-service choisies était équipée d’un système de recyclage des vapeurs d’essence et se situait dans une grande surface ; l’autre station-service, de type express, n’en était pas équipée.
Douze prélèvements sur cartouches d’adsorbant, d’une durée variant de une à trois minutes environ, ont été réalisés entre le 10 et le 24 mai 2004, simultanément avec un plein de carburant.
2.2. La technique de prélèvement par échantillonnage actif
L’échantillonnage actif a été utilisé pour cette étude. Ce système a permis, pour un coût modéré et un encombrement réduit, de prélever, pendant la durée d’un plein de carburant, un échantillon de l’atmosphère à laquelle est exposé un usager de la station-service qui remplit le réservoir de son véhicule.
Les caractéristiques de la chaîne de prélèvement et les conditions d’analyse sont les suivantes :
2.2.1. Conditions d’aspiration de l’air prélevé
Débit d’aspiration : 250 à 300 ml/min pendant quelques minutes (à débit plus élevé, le volume de COV prélevé risque d’être supérieur à la capacité de rétention de la cartouche ; à débit plus faible, le volume prélevé risque d’être insuffisant pour l’analyse). Le prélèvement est fait à l’aide d’une pompe à débit réel (700 à 3 500 ml/min avec adaptateur bas débit) munie d’un régulateur de débit à ± 5 % près pendant une variation de charge de la pompe. Le débit est mesuré à l’aide d’un débitmètre à piston capable de mesurer des débits de 100 à 17 000 ml/min avec une incertitude de moins de 1 %. Le réglage du débit a été réalisé en laboratoire pour ne pas polluer le prélèvement par des composés pouvant être présents dans la tubulure sur le terrain.
2.2.2. Conditions de prélèvement
Le prélèvement dure le temps du remplissage du réservoir d’un véhicule de tourisme (une quarantaine de litres d’essence SP 95 ou SP 98 selon les cas), c'est-à-dire quelques minutes. Le prélèvement est effectué à environ 1,5 m du sol et à environ 0,5 m du pistolet, près du haut du corps de l’opérateur (à hauteur des épaules), face à l’opérateur, au-dessus du réservoir du véhicule, dans la zone représentative de l’air respiré par l’usager.
2.2.3. Technique de captation des COV
Des tubes d’adsorbants avec deux lits de charbon actif (Carbotrap B et C) ont été utilisés. Ces tubes ont été réalisés et conditionnés par le Laboratoire Chimie Énergie et Environnement de l’École nationale supérieure d’ingénieurs en arts chimiques et technologiques de Toulouse (ENSIACET), puis conservés au froid dès leur réception, jusqu’au moment du prélèvement.
2.2.4. Conditions de stockage des tubes
Les tubes sont rapidement rebouchés dès la fin du prélèvement, stockés en glacière puis au réfrigérateur de façon à éviter toute désorption des COV adsorbés.
2.2.5. Conditions d’analyse
Les analyses des échantillons ont été réalisées par l’ENSIACET par chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse. La cartouche de matériau adsorbant qui a capté les composés à analyser est placée à l’intérieur d’un four de désorption thermique connecté à un capillaire en silice fondue qui joue le rôle de piège. Dans un premier temps, ce tube est refroidi à – 150 °C par de l’azote liquide. Lors de l’étape de désorption, le four est chauffé pendant dix minutes à 250 °C. Les composés sont désorbés thermiquement et sont transportés par un flux d’hélium vers le piège toujours froid sur lequel ils se préconcentrent. Enfin, le piège subit un flash thermique qui l’amène à une température élevée en quelques secondes, permettant ainsi d’injecter de façon quasi instantanée les composés dans la colonne analytique (BPX5 (SGE) : 50 m × 0,22 mm, 0,25 m). Les composés sont analysés par chromatographie en phase gazeuse (HP 5890 série II) couplée à un spectromètre de masse (HP 5971A – ionisation par impact électronique, quadripôle, détecteur à multiplicateur d’électrons).
3. Résultats et interprétation
Tous les prélèvements ont été réalisés manuellement à l’aide d’une pompe portative, à la hauteur de 1,5 m ; l’utilisation de pompes manuelles permet de connaître précisément le débit d’aspiration.
Cinq prélèvements ont été réalisés dans une station équipée d’un système de recyclage des vapeurs, et sept dans une autre station, non équipée d’un tel système. Les résultats sont classés selon la température extérieure (mesures météorologiques réalisées par l’ORAMIP).
Figure 3 : Prélèvement d’air au moment du plein d’essence. (photo ORAMIP)
Air aspiration during a petrol-tank filling. (photo ORAMIP)
3.1. Conditions techniques et météorologiques des prélèvements et résultats obtenus
Lors de ces prélèvements de trois minutes maximum, la moyenne obtenue en benzène sur les stations équipées d’un récupérateur de vapeurs s’élève à près de 150 µg/m3, alors qu’elle est de 463 µg/m3 dans la station non équipée de récupérateurs de vapeurs. La première constatation est la diminution importante des teneurs en BTEX lorsque le récupérateur de vapeurs est utilisé.
Tableau 1 : Résultats et présentation des conditions de prélèvements.
Results and presentation of the air sampling conditions.
Tableau 2 : Concentrations moyennes en BTEX et pourcentages de diminution des teneurs entre les deux types de stations.
Average BTEX concentrations and percentage of decreasing amounts between the two kinds of filling-stations.
|
Concentration moyenne des composés mesurés en μg/m3 |
||||||
|
Benzène |
Toluène |
Éthylbenzène |
m,p-xylène |
o-xylène |
BTEX |
|
|
Station non équipée d’un récupérateur |
463 |
2 605 |
832 |
2 746 |
867 |
7 513 |
|
Station équipée d’un récupérateur |
150 |
910 |
204 |
796 |
215 |
2 276 |
|
% diminution |
67,7 |
65,0 |
75,5 |
71,1 |
75,1 |
69,7 |
Les concentrations moyennes obtenues par type de station sont plus élevées sur les stations ne permettant pas le recyclage des vapeurs.
On a ainsi constaté une diminution de près de 70 % de la concentration de chacun des BTEX entre la station-service équipée d’un récupérateur de vapeurs et la station-service non équipée, les valeurs les plus élevées étant mesurées à la station non équipée d’un récupérateur actif de vapeurs.
Le système de recyclage des vapeurs d’essence est donc efficace puisqu’il permet aux usagers des stations-service à gros débit (seules stations équipées à l’heure actuelle) d’inhaler une moindre quantité de COV.
D’après les récents travaux de l’INERIS [11], pour une exposition aussi brève, il faudrait des concentrations en BTEX bien plus élevées pour ressentir des effets tels qu’irritation, toux, vertiges…
Figure 4 : Concentrations moyennes en BTEX mesurées sur les deux stations.
Average BTEX concentrations measured in the two kinds of filling-stations.
3.2. Corrélations entre les données de concentration en BTEX et la température
On a pu constater une corrélation évidente entre la température extérieure et la concentration en BTEX totale mesurée. Globalement (excepté un ou deux points sur chaque station), plus la température augmente, plus la concentration en BTEX augmente, particulièrement pour la station non équipée. Ceci est vraisemblablement dû à une évaporation plus importante des composés gazeux avec l’élévation de la température ambiante extérieure.
Figure 5 : Concentrations moyennes en benzène mesurées sur les deux types de station et en fonction de la température.
Average benzene concentrations measured in the two kinds of filling-stations, depending on the temperature.
3.3. Données de concentration en BTEX dans lʼenvironnement proche dʼune station-service non équipée de récupérateur
En 2002, une étude menée à Toulouse en collaboration avec l’ENSIACET avait conduit à des mesures de BTEX dans l’environnement proche d’une station-service par échantillonnage passif [12]. Les points de mesures étaient situés de un à cinq mètres des pompes à essence, jusqu’à quelques dizaines de mètres autour de la station (100 mètres maximum). En milieu urbain non influencé, les concentrations moyennes en BTEX ont été fournies par l’étude de l’ORAMIP sur la distribution du dioxyde d’azote et des BTEX entre 1999 et 2001 [3]. Bien que les deux méthodes de prélèvements soient très différentes (moyennes jour-nuit sur 8 à 15 jours d’exposition pour l’échantillonnage passif, et mesure sur quelques minutes au plus près des vapeurs par pompage actif), nous avons comparé les résultats de ces deux approches.
4. Conclusions et perspectives.
Lors d’un remplissage de réservoir automobile, les mesures de BTEX par prélèvements actifs au niveau des vapeurs d’essence, donnent des concentrations bien moins élevées lorsque la station-service est équipée d’un dispositif de récupération de vapeurs, que lorsqu’elle ne l’est pas. Ce dispositif permet d’abaisser de 70 % environ la concentration en BTEX mesurée dans l’air, et de ce fait inhalée par les usagers durant les quelques minutes que dure un plein d’essence. Ces résultats sont à mettre en relation avec les 80 % de récupération des vapeurs attendus par les concepteurs des systèmes de récupération adaptés aux pistolets de distribution d’essence.
Tableau 3 : Résultats de mesures de BTEX par échantillonnage passif dans l’environnement proche d’une station-service, et comparaison avec les mesures par échantillonnage actif.
Results of passive sampling of BTEX measures in the close environment of a filling-station, and comparison with the measures by active air sampling.
|
Résultats de référence par échantillonnage passif Distances variables de la station-service |
Benzène (en μg/m3) |
Toluène (en μg/m3) |
Xylènes totaux (en μg/m3) |
|
Pollution de fond hors influence du trafic ou de la station-service (moyenne de l’exposition sur deux quinzaines en mai et juin 2001) [3] |
1 |
6 |
5 |
|
Mesures de 50 à 100 m de la station-service(moyenne de l’exposition sur 8 jours en décembre 2001) [12] |
5 |
26 |
22 |
|
Mesures de 10 à 50 m de la station,en milieu influencé à la fois par le trafic (avenue) et la station-service (moyenne de l’exposition sur 8 jours en décembre 2001) [12] |
6 |
30 |
27 |
|
Mesures au niveau de la station-service, de 1 à 5 m des pistolets (moyenne de l’exposition sur 8 jours en décembre 2001) [12] |
17 |
96 |
81 |
|
Résultats expérimentaux par échantillonnage actif |
|||
|
de quelques minutes à 0,5 m des pistolets : |
|||
|
– Station-service équipée d’un récupérateur |
150 |
910 |
1 011 |
|
– Station-service non équipée d’un récupérateur |
463 |
2 605 |
3 613 |
Dans la station équipée d’un récupérateur, les concentrations en BTEX mesurées tout près de l’orifice de remplissage sont de l’ordre de dix fois supérieures à celles mesurées à quelques mètres de distance. Comme cela est logique, les concentrations décroissent avec la distance à la source.
Toutefois, pour une exposition aussi brève, des études avaient montré qu’il faudrait des concentrations en BTEX bien plus élevées pour ressentir des effets tels qu’irritation, toux, vertiges…
Une perspective complémentaire serait d’explorer l’exposition au benzène à l’échelle d’une année, tant pour les usagers, en considérant un nombre moyen de passages par an dans une station-service, que pour les professionnels effectuant encore ce travail dans certaines stations-service.
Ces mesures pourraient être réalisées par échantillonnage passif en proximité de pistolets de remplissage, sur des stations-service équipées et non équipées de récupérateurs de vapeurs, ou de manière portative sur les usagers eux-mêmes.






