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Les nombreux épisodes de pollution qui ont affecté notre territoire, y compris dans des zones qui jusqu’à présent n’avaient pas particulièrement éveillé l’attention, ont ému l’opinion publique et les responsables politiques. À juste titre, puisque notre pays compte 48 000 morts prématurés par an et un surcoût pour la Sécurité sociale extrêmement important. Comment expliquer qu’un problème parfaitement identifié, qui a fait l’objet d’une loi votée voici plus de vingt ans, la loi LAURE ou loi Lepage, ait été aussi mal voire aussi peu traité ?

Tout d’abord, l’application de la loi a été dénaturée, soit que les décrets d’application aient été différés ou oubliés, soit que la loi elle-même ait disparu de la réalité. Cette loi avait un double objectif : la lutte contre la pollution et la prise en compte du changement climatique. Si le deuxième sujet a incontestablement été traité, avec du reste un succès tout à fait relatif en ce qui concerne l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables, en revanche le premier est resté quasiment lettre morte. En réalité, la loi avait été conçue autour de trois pôles : la surveillance, la planification et des mesures techniques. La surveillance a été mise en place, même si le rôle du public a été réduit au minimum et si la communication autour de la pollution atmosphérique s’est largement limitée à une communication sur un indice global dissimulant la croissance de la pollution liée aux particules fines, aux NOx et, l’été, à l’ozone.

En revanche, le système de planification a totalement été détourné de sa logique. Celle-ci était simple : un Plan Régional de la Qualité de l’Air (PRQA) pour fixer des objectifs et vérifier tous les cinq ans la manière dont les objectifs étaient atteints de manière à les réévaluer, et deux plans pour fixer les moyens, les PDU (Plans de Déplacement Urbain) pour la question des transports et les PPA (Plans de Protection de l’Atmosphère) pour le reste. La conception de ces deux plans devait évidemment permettre de satisfaire les objectifs du PRQA. Il n’en a jamais été ainsi. La sortie très tardive des décrets d’application a totalement affaibli le système et, par ailleurs, les objectifs fixés dans un certain nombre de PRQA ne permettaient même pas d’atteindre les normes communautaires, alors que la loi sur l’air était censée faire mieux.

Enfin, au niveau des mesures techniques, qu’il s’agisse des mesures fiscales (prise en compte de l’impact environnemental et sanitaire dans la fiscalité, ce qui signifie bien évidemment alignement du diesel sur l’essence), pose de bornes de GNV et de bornes électriques, etc., la plupart d’entre elles n’ont jamais vu le jour.

Quant à la fameuse question des plans d’urgence et de la gestion des pics de pollution, qui ne nécessitait aucun décret d’application et qui est la disposition la plus connue de la loi sur l’air, elle n’a fait l’objet que d’une seule application entre 1997 et 2016 !

Comment expliquer une telle carence des pouvoirs publics, État comme collectivités locales, face à un problème de santé publique qui devient majeur. En effet, le nombre de morts imputables à la pollution de l’air est plus de dix fois celui des morts sur la route, pour lequel une politique de mobilisation nationale a été mise en œuvre.

Les causes de la pollution atmosphérique sont évidemment multiples, et le transport, généralement pointé du doigt, n’est pas la seule cause. Ce caractère multifactoriel est un premier élément d’explication de cette situation, mais il est mineur.

Le vrai facteur explicatif se trouve dans le manque de volonté politique, du fait du poids des lobbys, en particulier industriels et agricoles, la peur de toucher à la sacro-sainte voiture, et une culture relativement méprisante à l’égard des problèmes de santé publique liés à l’environnement. La loi a en réalité été sabotée dès le départ par la lenteur avec laquelle elle a été mise en route. Dans les années 2010, les premiers PPA n’étaient même pas réalisés partout où ils auraient dû l’être. Les gouvernements successifs et, en particulier, Roselyne Bachelot ont cherché à fixer des normes réglementaires extrêmement laxistes, notamment en ce qui concerne les particules fines, ce qui nous a valu des procédures à répétition au niveau communautaire. Ces décisions étaient motivées par les desiderata de l’industrie automobile qui, jusqu’à une date extrêmement récente, avait tout misé sur le diesel, très émetteur de particules fines. Pire, il a fallu attendre une obligation communautaire pour que le filtre à particules devienne obligatoire en France, dix ans après l’Allemagne. Parallèlement, rien n’a été fait pour dissuader les Français d’acquérir des véhicules diesel puisque la fiscalité est restée quasiment inchangée en faveur du diesel. De la même manière, aucun effort sérieux n’a été fait sur le transport par camions par peur de réactions des camionneurs. C’est dans ce contexte que l’écotaxe a été abandonnée en rase campagne. Dès lors, pour lutter contre la pollution de fond, rien quasiment n’a été fait au cours de ces vingt ans. Sans doute, les transports collectifs se sont-ils quelque peu développés ainsi que les transports doux ; mais le développement du vélo n’a été en définitive, mis à part quelques exceptions notables, qu’assez peu encouragé par rapport à de grandes villes étrangères, et la réduction de la circulation dans les grandes villes n’est un objectif poursuivi que depuis peu de temps.

Ajoutons à ce panorama le « dieselgate » au niveau européen, qui a bien entendu aussi affecté l’industrie automobile française. La triche organisée au niveau européen pour sous-évaluer la réalité de la pollution liée aux particules fines en particulier et aux NOx était en réalité parfaitement sue, dans la mesure où était connue la différence entre les mesures faites en circuit et les taux de pollution réels. Or, comme par hasard, cette fraude a affecté davantage les véhicules diesel que les véhicules essence.

Alors que la loi permettait toute forme de restriction de circulation, et pas seulement la circulation alternée lors des pics de pollution, là encore il a fallu attendre 2016 et des menaces sérieuses de procédure pénale à l’encontre des responsables politiques inactifs pour que timidement des mesures coercitives interviennent. Mais il va de soi que si l’intervention en cas de pic de pollution est absolument indispensable, elle ne dispense en rien du travail sur la durée. Le malheur est que ni l’un ni l’autre n’ont en réalité été sérieusement engagés jusqu’à ces tout derniers mois.

Mais il n’y a pas que la pollution liée au transport et les autres pollutions qui ont tétanisé les pouvoirs publics, tout autant que le fait de toucher à la sacro-sainte voiture automobile. Tout d’abord, la pollution agricole, puisque les pesticides se retrouvent largement dans l’air respiré dans les agglomérations. Là aussi, l’incapacité des pouvoirs publics de s’attaquer sérieusement à l’usage des pesticides et autres intrants (puisque leur utilisation a crû au lieu de régresser) est notoire, et ses produits se retrouvent dans les particules fines absorbées par les poumons.

Le chauffage au bois de cheminée, très encouragé par les pouvoirs publics, est une très bonne solution… à la condition qu’il y ait un insert. La bataille menée par la ministre de l’Environnement pour s’opposer à l’interdiction des feux de cheminée, au moins lors des pics de pollution, est un très mauvais signal donné à la lutte globale contre la pollution atmosphérique. Or il semble que des oppositions d’ordre politicien se soient manifestées pour bloquer toute initiative en ce sens.

Enfin, la pollution industrielle doit également être évoquée. Dans certains territoires, comme l’étang de Berre ou la vallée de l’Arve, ou encore les couloirs de la chimie autour de Lyon ou du Havre, les taux de pollution atmosphérique sont particulièrement élevés. Et force est de constater que lorsqu’on demande aux automobilistes de faire des efforts les jours de forte pollution, rien n’est demandé aux établissements industriels, et en particulier aux établissements pétroliers.

En définitive, le choix fait en France l’a été en faveur de l’économie et en défaveur de la santé. En faveur de certains groupes économiques et en défaveur du plus grand nombre. À aucun moment, jusqu’à ces tout derniers mois, où la situation est devenue, sur le plan sanitaire, totalement insupportable, le sujet n’a été réellement mis sur la table. En vérité, la question de la pollution atmosphérique est en passe de devenir un sujet sanitaire majeur, un coût financier très lourd et un sujet politique.

De plus, le fait que des responsabilités individuelles puissent éventuellement être recherchées, que la Cour de justice de l’Union européenne finisse par rendre des condamnations, que le nombre de malades soit croissant conduit inéluctablement à devoir changer de braquet et s’attaquer réellement au problème. Mais la solution ne pourra venir que d’un effort collectif qui n’oubliera aucun secteur et abordera le sujet de manière rationnelle et non pas avec l’a priori que nous avons connu depuis des années.

References

Electronic reference

Corinne Lepage, « Éditorial », Pollution atmosphérique [Online], 233 | 2017, Online since 05 avril 2017, connection on 23 juin 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/5213

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Corinne Lepage