Introduction
Sur le territoire de la Métropole de Lyon, une hausse des températures moyennes annuelles de 1,9 °C a été observée pour la période 1959-2014 par rapport à la période de référence 1981-2010 (ORECC, 2016). Une élévation des températures saisonnières, notamment de 2,3 °C en été, a également été constatée, de même qu’une augmentation du nombre de jours de canicule1. Les travaux de Météo-France (2011), à l’échelle de la région Rhône-Alpes, et les résultats des modèles climatiques « régionaux » européens intégrant les scénarios RCP (Representative Concentration Pathways) 4.5 et 8.5 du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) (Jouzel et al., 2014), prévoient la poursuite de cette augmentation des températures annuelles et saisonnières. Les températures estivales devraient ainsi connaître une hausse comprise entre 0,5 et 2 °C à l’horizon 2050 par rapport à la période de référence 1976-2005. Parallèlement, le nombre de jours de vagues de chaleur2 devrait être compris entre 0 et 10 jours, tandis qu’il oscille entre 2 et 6 jours pour cette même période de référence.
Il résulte de ce constat une situation à risque potentielle de vagues de chaleur plus intenses et plus fréquentes, problème déjà identifié par les acteurs publics dans leur conduite de la politique locale d’adaptation au changement climatique, notamment par l’intermédiaire du Plan Climat, lancé en 2007 (Ponsar et Mary, 2015).
C’est dans ce contexte qu’a été constitué le projet EPOC (acronyme d’Étude de Préfiguration d’un Observatoire local du Climat), financé, sur la période 2014-2016, par le Laboratoire d’Excellence Intelligences des Mondes Urbains (IMU)3. Ce projet prolongeles premières études relatives aux climats urbains (Maillard et al., 2014 ; Musy et al., 2015 ; Diallo-Dudek, 2015), qui demeurent encore insuffisamment connus et caractérisés sur le territoire métropolitain. Ainsi, l’objectif premier du projet EPOC visait à créer, gérer et valoriser des données et informations sur ces climats urbains. Cependant, du fait de la complexité de cette problématique climatique et de l’importance des enjeux socio-économiques associés à une augmentation potentielle du nombre et de la fréquence des vagues de chaleur, l’ambition initiale d’EPOC s’est vue élargie àl’analyse globale du risque « vague de chaleur ». Celle-ci implique d’intégrer les potentiels d’aléa, d’exposition, d’enjeux, de vulnérabilités et de résilience sur le territoire (Propeck-Zimmermann et al., 2007) ;or le croisement de l’ensemble des facteurs qui déterminent une situation à risque de vague de chaleur n’a encore été jamais accompli sur l’agglomération lyonnaise, ni ailleurs à notre connaissance. C’est sur ce dernier point que réside l’aspect innovant du projet EPOC.
Cetexercice nécessite une mobilisation pluridisciplinaire et multi-métiers des acteurs publics et privés locaux, appelant, elle-même, la création d’une nouvelle structure dans l’« écosystème » scientifique et institutionnel régional, dont les prérogatives dépassent celles initialement attribuées à l’observatoire local du climat envisagé. Cette structure viendrait en complément des centres d’observation et des regroupements scientifiques en lien plus ou moins étroit avec le climat (Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine, OTHU ; Observatoire des Sciences de l’Univers de Lyon ; Observatoire Régional des Effets du Changement Climatique, ORECC ; Observatoire Régional de l’Énergie et des Gaz à Effet de Serre ; Air Rhône-Alpes ; Zones Atelier Bassin du Rhône et de la Loire ; Groupement d’Intérêt Scientifique Envirhonalp – cf. Soto et al., 2015), pour non seulement produire et diffuser de la donnée sur les climats urbains, mais également accompagner la politique publique d’adaptation au changement climatique, ainsi que les initiatives locales et régionales connexes. Compte-tenu des domaines déjà couverts par les observatoires existants (notamment l’OTHU pour la gestion des eaux pluviales, ou bien l’ORECC pour une analyse socio-économique de l’adaptation au changement climatique à l’échelle régionale), le champ d’investigation et d’application de la structure préfigurée se focalise sur les climats urbains, leur évolution et leurs impacts sur le territoire. Les autres risques locaux liés au changement climatique (inondations par ruissellement pluvial, baisse de la ressource en eau) n’ont donc pas été abordés dans la cadre d’EPOC, même s’ils font partie de la stratégie d’Adaptation de la Métropole.
Cet article se propose ainsi de relater l’étude de préfiguration de cette structure de recherche-action, visant à développer une approche innovante du risque « vague de chaleur » sur le territoire en proposant des éléments méthodologiques transversaux, dont les premiers ont été mis à l’épreuve au travers d’actions exploratoires, pluridisciplinaires et complémentaires.
1. Démarches et actions exploratoires initiées dans le cadre du projet EPOC
1.1. Aux fondements du projet : constitution d’un réseau d’acteurs locaux
Les domaines de compétences du consortium à l’origine du projet EPOC, regroupant le CETHIL4, EVS5, le LMFA6, la Métropole de Lyon, l’agence d’urbanisme de Lyon et Météo-France, couvrent les recherches et applications en sciences de l’ingénieur et en sciences humaines et sociales, ainsi que l’aménagement du territoire et l’urbanisme. Ce consortium illustre ainsi la diversité des compétences présentes sur le territoire, de même que l’engagement fort à co-construire une dynamique partenariale. Un recensement plus large des autres acteurs académiques, opérationnels et associatifs locaux, suivi d’une série d’entretiens conduits dans le cadre du projet EPOC, a ensuite permis de constituer un panorama des forces en présence, d’affiner les enjeux scientifiques et opérationnels sous-jacents et d’identifier des partenaires prêts à s’investir dans la démarche (figure 1). Les échanges ont, par ailleurs, mis en évidence d’autres enjeux d’ordre organisationnel et méthodologique, centrés sur la définition d’une sémantique partagée et de protocoles d’étude communs. Ces derniers s’avèrent nécessaires pour une collaboration efficiente autour de projets transversaux reposant sur une synergie des pratiques. À ce titre, trois projets pluridisciplinaires et exploratoires ont été initiés dans le cadre d’EPOC ; ils sont présentés plus en détail ci-après.
1.2. « Ma ville, le climat et moi » : expérience de consultation citoyenne
La conduite d’une approche globale du risque consiste, entre autres, à étudier la résilience des systèmes territoriaux considérés, d’ordre social ou bien technique, c’est-à-dire leur capacité à absorber une perturbation (ici une vague de chaleur) et à récupérer leurs fonctions à la suite de celle-ci (Toubin et al., 2012). En ce qui concerne les groupes sociaux, un des points de blocage scientifique actuels consiste à déterminer la faculté adaptative locale (Smit et Wandel, 2006), conditionnée, en partie, par les perceptions et les représentations7 de la population (van der Linden, 2015), les relations de voisinage, ainsi que l’accès et la compréhension de l’information préventive (Romero-Lankao et al., 2012 ; Wolf et McGregor, 2013). Or il s’agit de critères pour lesquels il n’existe pas de méthode générique d’étude. Ainsi, afin d’effectuer une première détermination des perceptions et des représentations de la population locale relatives aux fortes chaleurs, une expérience de consultation citoyenne sur l’agglomération lyonnaise a été pilotée par le service de médiation scientifique de l’université de Lyon (service Sciences et Société8), de septembre 2014 à novembre 2015. Dans ce cadre, une équipe de chercheurs, d’agents publics territoriaux, de communicants et de représentants d’association a été rassemblée pour co-construire les protocoles et outils d’une recherche participative visant à recueillir la parole citoyenne : des microtrottoirs pour cibler les motivations et les freins des habitants à participer à une recherche participative ; des focus groups pour connaître les perceptions et les représentations d’habitants volontaires ; des étals de marché pour élargir le champ des personnes impliquées (Belaën et al., 2016).
Figure 1. Panorama des partenaires engagés dans le projet EPOC.
Cette consultation a notamment permis une première analyse des perceptions émotionnelles et représentations de la centaine d’individus rencontrés. Il ressort notamment une dualité spatio-temporelle dans l’appréciation du changement climatique, un phénomène global, dont les conséquences se font déjà ressentir au niveau local, au travers des fortes chaleurs. Si la perception du phénomène est plutôt négative à l’échelle globale comme locale, en revanche, la possibilité d’agir et de se mobiliser à l’échelle locale génère une perception davantage positive. De même, si la plupart des émotions négatives peuvent créer un sentiment de découragement et de déni, il est également ressorti de cette étude que des initiatives locales entreprises, s’appuyant sur le vécu des individus, pouvaient être considérées comme des leviers à utiliser pour l’action publique.
Cette étude exploratoire présente certaines faiblesses, notamment en ce qui concerne la distribution socio-spatiale des individus concernés (très concentrée dans le centre urbain) ; cependant, elle a révélé un certain potentiel méthodologique, autorisant son développement pour d’autres zones d’étude. À ce titre, une collaboration a été initiée avec le labEx Innovations et Territoires de Montagnes (ITEM) de l’université de Grenoble-Alpes, afin d’étudier les perceptions et représentations associées aux fortes chaleurs en territoires de montagne.
1.3. Influence de la morphologie urbaine de quartiers vulnérables sur les conditions microclimatiques : étude numérique
L’aléa « vague de chaleur » et ses impacts sur des enjeux vulnérables ne peut être considéré au même titre que des aléas très localisés, telle une inondation ou un glissement de terrain, en ce sens qu’il concerne une aire géographique généralement beaucoup plus large. Aussi, dans le cadre d’une étude conduite pendant le projet EPOC, une évaluation de la vulnérabilité des enjeux humains à cet aléa a été réalisée pour l’ensemble du territoire de l’agglomération à partir d’une analyse multicritère de l’ensemble des enjeux concernés, et d’un recours au jugement d’experts, selon la méthode de l’Analytic Hierarchy Process (Renard et al., 2015). Ce travail a permis de quantifier la vulnérabilité sanitaire du territoire, retranscrite sous la forme de cartes (figure 2) par l’intermédiaire d’un Système d’Information Géographique (SIG).
Par ailleurs, l’aléa « vague de chaleur » ne relève pas strictement de mécanismes locaux, contrairement au phénomène d’Ilot de Chaleur Urbain (ICU) relevant du climat urbain. Bien que les conséquences de l’évolution globale des températures sur les climats urbains, particulièrement en termes de températures moyennes, ne soient pas encore totalement appréciées (Alcoforado et Hendrade, 2008), la potentielle conjonction réchauffement global/échauffement local fait peser un risque supplémentaire sur des enjeux de vulnérabilité. En effet, il est reconnu que la morphologie urbaine et les matériaux employés influent notablement sur les climats urbains (Duchêne-Marullaz, 1980 ; Oke, 1987) et donc les conditions de confort thermique en ville, de par leurs effets sur les échanges radiatifs courtes et grandes longueurs d’ondes, la ventilation des espaces, le stockage de chaleur sensible et leur impact sur les bilans latents. En cas de fortes chaleurs, certains aménagements urbains peuvent ainsi générer des conditions défavorables, amplifiant les effets de l’aléa préexistant, et impacter donc plus fortement des populations potentiellement vulnérables ou, au contraire, atténuer ses effets.
Figure 2. Quantification de la vulnérabilité sanitaire du territoire métropolitain à l’aléa « vague de chaleur » (d’après Renard et al.., 2015).
C’est cette problématique des climats urbains, et plus particulièrement de leur caractérisation, qui a motivé la genèse du projet EPOC, compte tenu de la situation de désert métrologique que connaît l’agglomération (Soto et Renard, 2015) et du développement émergent de la modélisation climatique sur le territoire lyonnais. Des premières études contemporaines au démarrage du projet EPOC (Maillard et al., 2014 ; Musy et al., 2015) ont cependant démontré le potentiel de telles approches expérimentales et numériques, en particulier sur des petites échelles spatiales (quartiers, îlots/rues). En effet, c’est à ces échelles que peuvent s’opérer des projets d’aménagement urbain sur des temps assez courts, dont les effets peuvent directement impacter les conditions de vie des citadins, et à plus forte raison celles des citoyens vulnérables. Ainsi, en complément des mesures synoptiques systématiques (stations Météo-France de Lyon-Bron et de Lyon Saint-Exupéry), de l’exploitation d’images satellitaires et des modélisations de type méso-échelle déjà réalisées sur le territoire d’étude (Diallo-Dudek, 2015), des modélisations microclimatiques de quartiers ont été initiées, dans le cadre du projet EPOC, afin d’évaluer l’influence de la morphologie urbaine sur les conditions thermo-aérauliques à l’échelle d’un groupement d’îlots.
Toutefois, en raison de la complexité des phénomènes physiques en jeu, des spécificités des modèles microclimatiques, et de la limitation des capacités de calcul courantes face aux ressources nécessaires pour conduire des modélisations à haute résolution spatiale, il est aujourd’hui impossible de réaliser des simulations microclimatiques détaillées pour l’ensemble des quartiers de l’agglomération lyonnaise. Aussi, quelques-uns d’entre eux, représentatifs de l’évolution de l’urbanisme lyonnais et distincts en termes de morphologie (Rillieux-Semailles ; grands ensembles de banlieue ; Perrache-Sud, ancien faubourg ; et Terreaux-Nord, centre ancien), ont été sélectionnés comme cas d’étude, compte-tenu de leur forte vulnérabilité à l’aléa « vague de chaleur » (figure 2).
L’outil de simulation utilisé, SOLENE-microclimat, repose sur un couplage numérique entre l’outil thermo-radiatif (SOLENE) et le logiciel de dynamique des fluides numérique CodeSaturne. SOLENE-microclimat permet de considérer une géométrie détaillée et d’évaluer, entre autres, des champs de températures et de vent pour des blocs urbains (Musy et al., 2012 ; Morille et al., 2015). Ainsi, la géométrie des cas d’étude a été reconstituée à partir de photo-interprétations et d’intégrations de données de la BD-TOPO© de l’institut national de l’information géographique et forestière dans un SIG, et une simulation a été réalisée pour une journée d’été. Les conditions météorologiques retenues sont les suivantes : ciel clair, température d’air d’environ 27 °C l’après-midi et vent Nord-Est relativement important, ce afin de pouvoir étudier la ventilation des espaces.
Figure 3. Exemple de résultats préliminaires de simulation : températures de surface (Tse) ; températures d’air (TempC) ; vitesse du vent (Velocity) au sein d’un îlot du quartier résidentiel de Rillieux-Semailles.
Des résultats préliminaires obtenus en milieu d’après-midi permettent déjà de distinguer des zones de températures de surface et d’air plus ou moins élevées (figure 3). Celles-ci dépendent de combinaisons complexes entre l’exposition solaire, la formation de recirculations aérauliques et le type de surface considéré. Ainsi, l’observation des effets des constructions, en termes d’ombrage ou de blocage aérodynamique, et de la nature des surfaces (minérale ou végétale, même si les surfaces de sol végétal sont ici modélisées en état relatif de stress hydrique) permet une première interprétation des effets d’aménagements urbains sur les conditions microclimatiques locales. En ce sens, malgré des simplifications substantielles considérées lors de la réalisation des modélisations et le manque de comparaison avec des données expérimentales correspondantes, la démarche développée constitue une première étape encourageante et prometteuse vers une compréhension des microclimats urbains sur le territoire métropolitain et une caractérisation fine de l’exposition à la forte chaleur, dans le but d’une combinaison future avec les valeurs de vulnérabilité territoriale.
1.4. Vers une mesure mobile et participative : le projet PARTICULE (mesures participatives pour mieux caractériser les climats urbains de Lyon et de ses environs)
En complément de la consultation citoyenne visant à recueillir les savoirs d’usage des citoyens et de la caractérisation des microclimats urbains par voie numérique, le projet PARTICULE a été développé pour caractériser expérimentalement des climats urbains en impliquant les citoyens dans la démarche générale par leur participation à des campagnes de mesures mobiles multi-échelles et multiparamétriques. Ce projet est supporté au titre des Projets Exploratoires Premier Soutien (PEPS) par la délégation Rhône-Auvergne du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).
Figure 4. Températures d’air relevées lors de la première campagne de mesure réalisée dans le cadre du projet PARTICULE, le mardi 23 août 2016, entre 15h45 et 16h45, dans le quartier des Buers, à Villeurbanne.
NB : température moyenne enregistrée à la station de Lyon-Bron pendant le créneau horaire : 29,4 °C (https://publitheque.meteo.fr).
PARTICULE est composé de deux volets complémentaires. Le premier se base sur des mesures mobiles par le biais de transects urbains parcourus à vélo (Brandsma et Wolters, 2012), pour évaluer les différences de température pouvant survenir simultanément dans l’agglomération lors d’épisodes de fortes chaleurs et quantifier l’effet rafraîchissant des parcs urbains. Les premières mesures itinérantes ont été réalisées au sein de l’agglomération pendant des journées chaudes de la fin du printemps et de l’été 2016. Le second volet consiste en l’accomplissement de campagnes de mesures participatives à une échelle plus petite, celle du quartier, de manière à pouvoir disposer de données expérimentales de manière à mieux comprendre le fonctionnement microclimatique de quartiers et de pouvoir ultérieurement effectuer des comparaisons avec des résultats de simulations microclimatiques. Ces campagnes visent à mobiliser des citoyens invités à participer à des mesures réalisées à haute résolution spatiale dans leurs quartiers, tout en échangeant ensemble avec les chercheurs et agents territoriaux sur leurs perceptions et représentations relatives aux fortes chaleurs. Un test à finalité méthodologique a été réalisé, fin août 2016, lors d’un épisode de forte chaleur, dans un quartier de Villeurbanne (Les Buers), situé en proche banlieue (figure 4). Malgré les limites inhérentes à tout protocole expérimental en cours d’élaboration9, des premières mesures réalisées font apparaître des gradients de température significatifs sur des distances courtes, pouvant notamment s’expliquer par les effets d’ombrage et la présence de végétation. Par ailleurs, ce test a également permis de mettre en évidence d’autres enjeux méthodologiques liés à la participation citoyenne, notamment en ce qui concerne l’organisation et la mobilisation.
1.5. Aborder la question du confort thermique
Pour accompagner les mesures exploratoires d’EPOC, la Métropole de Lyon a fait l’acquisition, en 2015, d’une station mobile, permettant de mesurer la température et l’humidité relative de l’air, la vitesse du vent, et la température de globe noir. Ces grandeurs sont utilisées pour calculer un indice de confort thermique : l’Universal Thermal Climate Index (UTCI), qui constitue un des meilleurs indicateurs du niveau de confort thermique extérieur en ville (Philipps, 2015). Une première campagne, réalisée durant l’été 2016 dans différents secteurs centraux de l’agglomération, a ainsi permis de mettre en avant le rôle des espaces publics dans le confort des habitants. L’ombrage en est le facteur prédominant, permettant un gain de 10 °UTCI. Les matériaux utilisés pour les revêtements de sol, de par les différences de températures de surface qu’ils présentent, affectent également le niveau de confort. Dans le cas extrême, la température de surface de l’eau d’un bassin peut ainsi rester 30 °C inférieure à celle d’un enrobé de voirie, permettant une augmentation du confort de 2,5 °UTCI (figure 5).
Figure 5. Deux facteurs de gain de confort thermique : l’ombrage et l’eau d’un bassin, jouant le rôle de revêtement de sol froid.
Les projets présentés dans cette partie abordent chacun la problématique du risque « vague de chaleur » selon des angles différents mais complémentaires : la consultation citoyenne a permis d’appréhender les perceptions et représentations de Lyonnais face aux fortes chaleurs ; les simulations réalisées à l’échelle d’un quartier potentiellement vulnérable autorisent une première analyse de microclimats urbains, tandis que le projet PARTICULE et les mesures conduites par la Métropole de Lyon ont permis d’envisager un protocole méthodologique de mesures participatives des températures et d’évaluation du confort thermique. Ainsi, si chacun de ces projets engagés dans le cadre du projet EPOC présente des limites, compte-tenu de l’approche exploratoire à leur origine, ils ont néanmoins permis à des équipes pluridisciplinaires de développer de nouvelles compétences et de nouveaux outils pour permettre, à terme, de mieux caractériser le risque climatique.
2. Du projet EPOC à la pérennisation d'une structure interface de recherche-action
2.1. Préfiguration d’une structure de recherche pluridisciplinaire de recherche-action
Le projet EPOC et ses développements ont permis de mettre en évidence les spécificités et complémentarités des compétences disciplinaires et métiers de chaque partenaire, mais également leurs besoins et attentes spécifiques. Plus particulièrement, si la nécessité d’une implication complémentaire de laboratoires de recherche en sciences de l’Ingénieur et sciences Humaines et Sociales, ainsi que des aménageurs pour travailler sur des problématiques de climat urbain (Colombert et al., 2012), est à l’origine du projet EPOC, les modalités de fonctionnement collaboratif entre disciplines et entre métiers, puis l’apport des autres partenaires, restaient à co-construire.
Aussi, au travers des premiers projets initiés dans le cadre d’EPOC et grâce au montage d’autres projets, les compétences, temporalités, méthodes et moyens spécifiques de chaque partenaire ont été précisés. Ceux-ci étant différents, compte-tenu des contraintes d’action de chacun, une structure d’interface, telle que proposée en figure 6, a été imaginée. Celle-ci pourrait prendre la forme d’un groupement interdisciplinaire de recherche (GRIL, Groupement de Recherche Interdisciplinaire Lyonnais, pour l’étude des climats urbains) en lien étroit avec les acteurs publics, privés et la société civile. Suivant ce schéma, les acteurs sont différenciés suivant leurs compétences métiers/capacités d’action et types de savoir spécifiques, pour clarifier les apports potentiels de chacun. Cette organisation est toutefois centrée sur une interface poreuse, traduisant les échanges et synergies nécessaires entre les acteurs (figure 6).
En effet, les acteurs publics, de par leurs missions d’aménagement du territoire, sont à même de préciser les besoins opérationnels et de proposer des terrains d’étude stratégiques, dans le cadre de projets urbains. Les acteurs privés, quant à eux, développent des solutions techniques innovantes pour rafraîchir les ambiances urbaines et ainsi améliorer les conditions de confort thermique des usagers de la ville, dont l’expérience quotidienne et les savoirs constituent les climats urbains vécus. En regard, de par sa neutralité et la diversité des compétences regroupées, le GRIL se positionnerait en acteur transversal, fédérateur et vecteur d’émulation collective. Ce consortium scientifique serait capable de développer de nouvelles méthodes intégrées, à même de faire émerger et de synthétiser une variété d’informations provenant des différents partenaires, tout en interagissant plus spécifiquement avec chacun d’entre eux, pour favoriser l’innovation urbaine, accompagner l’évolution des pratiques, et ainsi soutenir les différentes déclinaisons de l’adaptation au changement climatique.
Figure 6. Structure d’interface préfigurée.
2.2. Premières reconnaissances d’intérêt du GRIL et problématiques de pérennisation
La constitution du réseau d’acteurs et les développements méthodologiques engagés pendant le projet EPOC, ainsi que le renforcement des compétences scientifiques relatives à l’étude des climats urbains, dans une démarche d’appréhension globale du risque lié aux vagues de chaleur, ont d’ores et déjà provoqué plusieurs manifestations d’intérêt pour le GRIL par les différents acteurs identifiés à l’interface.
En particulier, en ce qui concerne la caractérisation des climats urbains, un vif intérêt relatif à l’expertise expérimentale et la modélisation microclimatique a été manifesté par les collectivités territoriales (Grand Lyon, Villes de Lyon et Villeurbanne), afin d’accompagner la réalisation de projets urbains (requalification d’une friche urbaine en parc urbain – le parc Feuillat à Lyon ; réaménagement d’un boulevard urbain – la rue Garibaldi ; réhabilitation des quartiers des Buers et de Saint-Jean à Villeurbanne). L’expertise développée sur les climats urbains, ainsi que l’ensemble de la démarche pluridisciplinaire et multimétiers impliquant la société civile, est également de vif intérêt pour des clusters d’entreprise et des pôles de compétitivité locaux, volontaires pour co-construire des projets d’innovation technique et améliorer la visibilité de la structure. Enfin, les associations citoyennes voient également le fort potentiel des recherches participatives portées par le GRIL autour des problématiques des climats urbains, et sont volontaires pour s’associer à la structure afin de développer la mobilisation citoyenne.
Cependant, pour porter et pérenniser une structure comme le GRIL et permettre le développement de ses interactions avec ses différents partenaires potentiels, il est nécessaire de disposer, et donc de financer, un personnel dédié à des missions d’animation scientifique, d’accompagnement de la recherche et de médiation. Il s’agit ici du nœud gordien qui caractérise la transition actuelle entre la fin du projet EPOC et l’initiation du GRIL. Le contexte financier actuel de réduction des dépenses publiques limite la capacité d’investissement des collectivités et des établissements publics, ce qui incite à un rapprochement habile avec d’autres partenaires, notamment privés, sans intérêts stratégiques divergents ou conflits d’intérêt avec les autres partenaires (chaires de recherche), et à la recherche de financements par le biais d’appels à projets de recherche (Agence Nationale de la Recherche, projets H2020…) nécessitant, là encore, l’implication d’un personnel dédié.
Conclusion
Le bilan du projet EPOC, développé au long de ce texte, permet de dresser un constat encourageant des potentialités de recherche sur la question du risque de vague de chaleur sur le territoire de la Métropole de Lyon, malgré la principale limite constituée par la problématique de la pérennisation de la structure d’interface recherche-action envisagée. En effet, un réseau d’acteurs aux compétences complémentaires et volontaires a été fédéré pour travailler ensemble autour de la problématique des climats urbains dans une démarche d’approche globale du risque local lié aux fortes chaleurs. Des premiers développements pluridisciplinaires et innovants ont été mis en place lors de la réalisation de projets co-construits avec les différents acteurs mobilisés : participation citoyenne, modélisation microclimatique de zones stratégiques, mesures de terrain… Les premiers projets ainsi réalisés ont démontré le fort potentiel de telles approches et ont prouvé la capacité de la structure pluridisciplinaire de recherche à travailler de façon transversale afin de mobiliser et de synthétiser des compétences variées.
Ainsi, les missions du groupe de recherche envisagé à l’interface avec les autres acteurs identifiés, le GRIL, pourraient couvrir la connaissance et la caractérisation des climats urbains, dans un contexte de changement climatique, ainsi que le diagnostic de vulnérabilités et des capacités adaptatives des populations. Elles pourraient s’élargir aux systèmes techniques et opérationnels, pour tendre finalement vers la formulation de recommandations et de préconisations, dans le but d’accompagner l’évolution des pratiques des différents acteurs de l’urbain sur le territoire de la métropole lyonnaise.
À l’heure de l’écriture de ce texte, les porteurs du projet EPOC se projettent vers la suite à donner à ce travail et à son appropriation par les différents acteurs concernés par la problématique de l’évolution des climats urbains dans un contexte de changement climatique. Si les conditions financières ne sont pas encore présentement réunies pour inscrire le GRIL dans le paysage local de la recherche pour les cinq à dix prochaines années, la constitution d’une structure intermédiaire est envisagée, via une chaire de recherche constituée avec des partenaires publics et privés, à laquelle pourraient venir se greffer des projets financés par des institutions nationales et/ou européennes.
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du labex IMU (ANR-10-LABX-0088) de l’université de Lyon, dans le cadre du programme « Investissements d’avenir » (ANR-11-IDEX-0007), géré par l’Agence Nationale de la Recherche.
Dans le cadre du projet PARTICULE, les travaux ont été réalisés grâce au soutien financier du programme Avenir Lyon Saint-Étienne de l’université de Lyon, dans le cadre du programme « Investissements d’avenir » (ANR-11-IDEX-0007).






