Compte rendu du 31ème colloque de l’Association Internationale de Climatologie(Nice, 4-7 juillet 2018)

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Régis Juvanon du Vachat

Le 31ème colloque de l’AIC s’est tenu à Nice avec le thème « Echelles spatiales et temporelles fines » sur le campus Carlone de la Faculté des Lettres du 4 au 7 juillet 2018. Il est introduit par le directeur adjoint de l’UMR Espace qui présente l’architecture de la Faculté (elle épouse la pente, la cour intérieure fait penser à un monastère) et se dit conscient des progrès faits par la géographie où l’on s’intéresse maintenant aux échelles fines. Ainsi un segment urbain qui était étudié autrefois dans le cadre de l’architecture peut maintenant faire l’objet d’une modélisation numérique. Deux conférenciers invités débutent le colloque : G. Najjar (Strasbourg) et M. Erpicum (Liège, ancien président de l’AIC). G. Najjar présente l’exposé « Climatologie urbaine, mesure et modélisation à Strasbourg ». Il insiste sur la météorologie urbaine, à laquelle de nombreux colloques sont consacrés (ICUC9 à Toulouse en 2009 par exemple) et sur le fait que même si les normes de mesure de l’OMM ne sont pas respectées, c’est le milieu ambiant d’un nombre croissant d’habitants selon les statistiques de l’ONU. Ainsi avec les mots « urban » et « climate », on trouvait 87 occurrences en 1997, on en trouve 3173 en 2017, vingt ans plus tard, et selon l’ONU, les villes de plus de 5000 habitants représentaient 47% de la population mondiale en 2000, 54% en 2016 et en représenteront 68% en 2050. Il est donc nécessaire de bien connaître l’atmosphère des villes sur le plan météorologique, ce qui implique des campagnes de mesure dans les villes, voire les quartiers. G. Najjar introduit l’îlot de chaleur urbain avec la campagne Priméqual de 1999 à Strasbourg (trois semaines et 21 stations dans des zones urbaines et rurales), où l’on a retrouvé les résultats d’Oke (2004) et de Stewart (2011) sur les évolutions de température. On observe un contraste entre la ville, où les mesures ont une forte hétérogénéité et la campagne où le relief et le type de cultures sont déterminants. Les mesures portent sur l’effet radiatif (Laser/F) et le rôle de la végétation (parcs dans la ville). On couple les différentes mesures avec la modélisation à différentes échelles allant jusqu‘à la méso-échelle (Méso-NH avec le schéma de surface Surfex). Ces mesures s’effectuent à des endroits fixes ou mobiles (vélo, voiture).

Ensuite M. Erpicum introduit son exposé en rappelant la complémentarité entre Météorologie et Climatologie. Il insiste sur le fait que la Météorologie s’est toujours distinguée de la Climatologie par son échelle temporelle (de quelques heures à quelques jours…) et sa raison d’être principale - la prévision atmosphérique – alors que la Climatologie a pour raison d’être principale la cartographie des climats et de leurs éléments principaux. La Climatologie a toujours nécessité de longues durées d’observations (des saisons, des années, des décades …) et cela dans des milieux de caractéristiques naturelles, physiques et/ou anthropiques dûment spécifiées. Il rappelle que les protocoles instrumentaux des réseaux météorologiques n’ont pu être homogénéisés à l’échelle internationale qu’à partir des années 60 grâce à l’OMM ! M. Erpicum insiste sur l’importance des échelles spatiales des données cartographiables et de leurs champs d’étude qui varient du global (incidences planétaires essentiellement liées aux composants atmosphériques ou à partir des satellites météorologiques héliosynchrones ou stationnaires notamment pour le suivi des nuages et perturbations cycloniques), aux territoires nationaux et régionaux (exemple en Belgique) jusqu’aux échelles locales (incidences directes très variées sur les habitants et sur la végétation à partir d’instruments spécifiques (exemple dans les campagnes de mesures menées depuis plus de 40 ans). Son exposé a démontré l’interaction entre la Météorologie et la Climatologie bien que ces deux disciplines aient des approches différentes mais qui se nourrissent mutuellement.

Quelques remarques générales sur le colloque : origine des orateurs et thèmes abordés. Voici les pays d’origine des cinquante exposés, dont dix posters. L’AIC est en effet une association internationale francophone et l’Afrique francophone y est largement représentée : dix communications de la Tunisie, huit du Bénin, six du Maroc, trois de la Côte d’Ivoire, et deux de l’Algérie. On note aussi six communications du Brésil (le président de l’AIC est brésilien jusqu’en 2018) et quatre de la Roumanie. Certains intervenants étrangers, hélas, ne se sont pas déplacés ! Enfin il y a aussi des communications de français sur des pays étrangers comme celle de S. Bigot (Grenoble) sur le suivi environnemental d’un parc national malgache.

Voici comment se répartissent les thèmes successifs abordés : échelles spatiales et temporelles fines (ce thème du Congrès ne retient que huit communications), risques climatiques (21), topoclimatologie (4), climat urbain (5), pollution de l’air (2), climat et montagne méditerranéens (6), modélisation climatique (5), climat et santé (6), télédétection et climat (3), agroclimatologie (6), et autres (3). Il faut aussi noter que cette classification n’est pas parfaite et que deux exposés historiques ont été donnés : « Les types de temps observés à Mulhouse par Daniel Meyer (1778-1815) » (p.20) et « Les réseaux météorologiques aux XVIIème et XVIIème siècle » (p. 194). Enfin quand on examine les cinquante exposés ou posters, on en trouve seulement huit portant sur les projections futures du climat ou le changement climatique futur, bien que quelques-uns citent les projections du GIEC pour motiver leur étude ou leur recherche. Ainsi un hivernage très déficitaire au Sénégal en 2014 (p.56) a entraîné une baisse importante du rendement agricole, ce qui est confirmé sur les trente dernières années (1987-2916) et pourrait obérer fortement la production agricole dans le futur si ce déficit des cumuls pluviométriques se confirmait (résultats de modèles régionaux Cordex). La gestion de la ressource en eau deviendra problématique dans le bassin versant aride du Regueb (superficie 1900 Km2) en Tunisie centrale, selon l’étude (p. 169) faite avec le scénario GIEC de stabilisation RCP 4.5. Pour la Roumanie, I.-H. Holobâca (p. 300) a présenté l’évolution des indices bioclimatiques, en particulier les extrêmes pour l’hiver et l’été, avec ce même scénario GIEC et les données issues de modèles régionaux à 10 Km de résolution (portail européen Cordex). Le nombre de jours très chauds, avec un indice combinant la température et l’humidité, augmente sur tout le pays, tandis que les jours très froids (Tm < -20°C) vont nettement régresser dans les Carpathes et ne changeront pas ailleurs.

Voici quelques exposés que j’ai trouvé très intéressants, par le sujet ou par la méthodologie adoptée, au delà des sujets classiques sur les événements exceptionnels, comme la neige en Tunisie (p.163) ou les inondations à Curitiba (p.32). En outre les sessions parallèles obligent aussi à des choix !

Parlons d’abord de climatologie classique. D. Joly (p.182) fait l’analyse des inversions de température dans le Jura (phénomène important pour la pollution), tant au niveau local (14 paires de stations), que régional (4 paires de stations), sous couvert forestier. En étudiant fréquence, intensité et durée des épisodes, il obtient une fréquence élevée des inversions locales (Tn), mais nettement moindre pour les autres cas (Tx, inversions régionales), une faible intensité (1 à 2°C en moyenne) et une durée moyenne de 2 ou 3 jours, même si l’on rencontre des épisodes d’une longueur exceptionnelle (36 jours). V. Dubreuil (p. 406) a étudié l’évolution du climat du Brésil entre les deux périodes (1965-1989) et (1990-2015) grâce aux types de climats annuels fondés sur la classification de Köppen (Rubel et Kottek, 2010). Son étude montre une régression des types de climat équatorial et de mousson au Nord et des types tempérés à étés frais au Sud. Les types tropicaux arides et semi-arides progressent, avec une extension des espaces arides dans le Nordeste, une réduction des régions hyper-humides de l’Amazonie et une remontée en latitude du domaine tropical aux dépends des régions tempérées. Une autre application est faite de cette classification sur la variabilité de la dengue dans l’Etat du Rio Grande Do Sul pour la période 2007-2017 (E. Collischonn, p. 319). Une année d’apparition de dengue autochtone, c’est le type Cfa qui prédomine dans la plupart des stations d’observation météorologique, confirmant la nécessité de successions de saisons chaudes et humides pour le développement de cette maladie.

Je passe maintenant aux services climatiques, thème qui devient très important grâce au cadre global proposé par l’OMM en 2009. Ainsi S. Bigot et al. (p. 356) effectuent un suivi climatique à Madagascar, la quatrième plus grande île dans le monde, qui est marquée par une grande pauvreté, mais aussi avec un important déficit de stations d’observations. En effet il n’y a qu’une station pour 21 000 Km2, alors que la France en possède une pour 3 200 Km2. Il s’agit de faire le suivi climatique du parc National d’Ankarafantsika (130 000 ha), situé à 450 Km au Nord d’Antananarivo, dont on veut protéger la forêt sèche (aire protégée depuis 2002). En fait ce parc est une véritable mosaïque agro-sylvo-pastorale, avec 38 000 habitants dans 133 villages, mais fait l’objet d’une déforestation intense, tout en étant un château d’eau pour la grande plaine rizicole de Marovoay. Grâce aux données CHIRPS du portail Climate Engine, qui intègrent des données satellitaires (0,05° de résolution) et des stations de référence, S. Bigot et son équipe ont pu faire des estimations pluviométriques, pour étudier à l’échelle du parc les séquences pluvieuses et les cumuls annuels. Ces estimations sont déterminantes pour comprendre les pratiques agricoles et l’intensité des incendies.

S. Rome et al. (p. 219) font l’analyse des vagues de chaleur dans sept villes majeures de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Annecy, Chambéry, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, St Etienne et Valence) avec treize stations d’observation disponibles. L’étude concerne les trois vagues de chaleur récentes : août 2003, juillet 2006 et juillet 2015. Elle met en évidence l’importance du choix de la station de référence (problème avec Grenoble, où la station de Saint-Geoirs n’est pas suffisamment représentative) et la nécessité d’adapter seuils et méthode de détection à chaque agglomération particulière. A Grenoble, présenté plus en détail, cette étude a permis une prise de conscience des élus, qui a eu pour conséquence la végétalisation de la place Grenette au cœur de la ville. Sur ce même sujet des canicules, une étude de M. Faci (p. 81) sur seize villes en Algérie (disposant de soixante années d’observation) démontre un net accroissement des journées ou séquences caniculaires et de leurs durées entre les deux périodes trentenaires 1951-1980 et 1981-2010. Une séquence est caniculaire si pendant deux jours successifs la température moyenne journalière dépasse de 5°C la moyenne mensuelle. L’auteur produit aussi les cartes des différents paramètres sur l’Algérie. Pour la Tunisie H. Ben Boubaker et al. (p. 68) analysent la fréquence et l’intensité des nuits tropicales, caractérisées par la température minimale nocturne Tn sur les intervalles : 20-25°C; 25-30°C ; Tn > 30°C. On observe une augmentation du nombre des nuits tropicales sur les stations de Tunis, Sfax, Thala et Tozeur, sur soixante ans d’observation, avec des records de chaleur nocturne dans les stations sahariennes comme Tozeur. La saison chaude d’été y est aussi élargie à sept mois d’Avril à Octobre.

J.-M. Soubeyroux (Météo-France, Toulouse, p. 269) étudie l’évolution climatique du massif pyrénéen avec l’Observatoire Pyrénéen du Changement Climatique (OPCC). Disposant de soixante séries de température, cent trente de précipitations, en France et en Espagne, on peut analyser les extrêmes et faire des projections climatiques pour le futur, en particulier sur l’évolution du manteau neigeux. Grâce à la réanalyse SAFRAN appliquée aux trois massifs : Haute-Bigorre, Andorre, Navarre, on pronostique une baisse générale de l’enneigement dans tous les scénarios du GIEC et une diminution d’un mois de la durée d’enneigement. Une présentation générale des résultats de cette étude avec l’OPCC se déroulera les 20 et 21 septembre 2018 à la Météopole de Toulouse.

Sur le plan agronomique une étude originale (F. Raymond, p. 387) mesure les impacts des longues séquences hivernales sans pluie sur la production céréalière en Espagne. 76 évènements sont détectés sur la période 1957-2013 et regroupés en quatre configurations climatiques. L’étude montre que ces évènements affectent davantage les rendements des espèces d’hiver (orge, blé, avoine) que les cumuls de pluie et les ratios de jours secs saisonniers.

N. Barrette du Québec (p. 343) présente un atlas de la vulnérabilité de la population québecoise aux vagues de chaleur et aux inondations, qui est un outil pour les aménageurs et le grand public, qui cherche à synthétiser une information dispersée dans divers sites et résulte d’une vaste enquête auprès de ces deux populations. Deux dimensions de la vulnérabilité sont considérées : la sensibilité et la capacité à faire face à l’aide de données démographiques, socio-économiques. Ce travail est en lien avec l’observatoire du changement climatique Ouranos (2015). Un autre intervenant canadien G. Fortin (p. 412) a analysé les types de climats régionaux du Nouveau-Brunswick grâce aux données de 45 stations météorologiques pour la période 1981-2100 et un système d’information géographique. Il a obtenu une dizaine de types de climats pour les régions considérées. Cette méthode serait applicable à d’autres provinces du Canada et permettrait de faire une projection future avec les scénarios du GIEC.

J’ai noté in fine des références intéressantes figurant dans les articles cités. Signalons que la prochaine conférence annuelle de l’AIC aura lieu à Thessalonique du 29 mai au 1er juin 2019 sur le thème « Le changement climatique, la variabilité et les risques climatiques » (site www.aic2019auth.org) et l’année suivante à Rennes (2020), pour respecter l’alternance France-Etranger des colloques. Enfin le conseil d’administration a été renouvelé  lors de ce colloque à Nice. Le nouveau président est I. Holobaca de l’Université de Cluj-Napoca (Roumanie), la secrétaire S. Rome (Grenoble) et la trésorière V. Bonnardot (Haute Bretagne).

Acronymes :

AIC : Association Internationale de Climatologie

CHIRPS : Climate Hazards group InfraRed Precipitation with Station Data

RCP : Representative Concentration Pathways (scénarios climatiques élaborés pour le 5ème rapport du GIEC)

SAFRAN : Système d’Analyse Fournissant des Renseignements Adaptés à la Nivologie

Références:

Johnson J., 1815: The influence of tropical climate, more especially the climate of India, on European constitutions; the principal effects and diseases thereby induced, their prevention or removal and means of preserving health in hot climates rendered obvious to Europeans of every capacity. Edit. Smiter and Davy, Londres, 377 p.

Musy, M., 2014 : Une ville verte. Les rôles du végétal en ville. Editions Quae, 195 p.

Ouranos, 2015 : Vers l’adaptation. Synthèse des connaissances sur les changements climatiques au Québec. Montréal, 415 p.

Rubel F., Kottek M., 2010 : Observed and projected climate shifts 1901-2100 depicted by world maps of the Köppen-Geiger climate classification. Meteorologische Zeitschrift, 19, 135-141.

References

Electronic reference

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