Jean Jouzel chercheur en climatologie bien connu, membre du GIEC, et l’économiste Pierre Larrouturou (connu pour ses propositions de réduction de la semaine de travail) se sont alliés pour rédiger cet ouvrage sorti juste avant le sommet sur la planète («One Planet Summit ») du 12 décembre 2017, deux ans après la signature de la COP21 à Paris. On sait que dans l’engagement de la COP21 figure une proposition de financement des pays du Sud à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, ce qu’on appelle le fonds vert. Par ailleurs on entend souvent les économistes verts déclarer que l’on peut créer beaucoup d’emplois en orientant l’économie vers l’écologie, notamment dans la rénovation thermique des bâtiments ! Enfin la publication du rapport de l’économiste britannique Nicholas Stern en 2006 a été un événement important : la « Stern review » a chiffré le coût du changement climatique. Maintenant que le thème « finance et changement climatique » est introduit, je présente l’architecture de l’ouvrage volumineux et très documenté, dans lequel d’ailleurs on pourrait se perdre. Il se décline en trois grandes parties : 1) le changement climatique et ses impacts ; responsabilité humaine ; conséquences de ne rien faire ; 2) les engagements de réduction divers, les mécanismes financiers de lutte contre le changement climatique ; 3) le Pacte Finance-Climat à l’échelle européenne pour limiter le chaos climatique et financier.
La première partie comprend trois chapitres. Ce sont les impacts au chapitre 1 : hausse de température ; évènements extrêmes souvent plus fréquents et plus intenses dont le nombre a triplé en 30 ans d’après Munich Re (mais il faudrait éviter la confusion si fréquente entre « aléas », marqueurs du changement climatique, et « évènements » d’assureurs, qui sont des ouvertures de dossiers liés aux aléas et à la croissance de la population, du nombre d’assurés, et de la vulnérabilité !) ; et régression des glaciers et de la neige. Aussi moins de glace de mer, perte de volume du Groenland et de l’Antarctique, accélération de la hausse du niveau des mers. En conséquence les incendies de forêt augmentent, les rendements agricoles stagnent et les maladies (hommes, animaux, plantes) s’étendent. Ces résultats sont issus des observations récentes au niveau national et international.
Le chapitre 2 répond au climato-scepticisme, en examinant et réfutant cinq critiques que formulent les climato-sceptiques. Le chapitre 3 examine les conséquences de ne rien faire, en prenant le scénario RCP 8.5 (GIEC). La situation est désastreuse : on atteint 50 °C dans l’hexagone en 2050, les écosystèmes et la biodiversité sont bouleversés, avec des risques accrus sur les ressources en eau, la sécurité alimentaire, et la santé. Ce qui pourrait engendrer migrations de population et conflits, sans compter les possibilités de surprises climatiques avec la fonte du pergélisol en arctique ou celle des hydrates de méthane dans les fonds océaniques.
La deuxième partie contient les chapitres 4 à 7.
Le chapitre 4 « Trois ans pour agir » explique ce délai de trois ans, tiré de l’article de C. Figueres (Nature, Juin 2017), ancienne présidente de la Convention Climat (signée à Rio en 1992), écrit avec d’autres scientifiques. L’article étudie divers scénarios de réduction des émissions, dont le pic ne devrait pas dépasser 2020, pour pouvoir stabiliser les concentrations.
Le chapitre 5 développe l’engagement « facteur quatre ». En divisant par quatre les émissions en France d’ici à 2050, on stabilise la machine climatique. Cet engagement a été pris par Jean-Pierre Raffarin, alors Premier Ministre en 2003. Qu’en est-il aujourd’hui ? La France a réduit ses émissions si l’on s’en tient à l’inventaire national (mieux que Kyoto) mais si l’on inclut les émissions dues aux importations, le résultat est moins flatteur, puisqu’on passe de 7,3 t à 10,6 t par personne (en tonnes équivalent CO2). C’est l’empreinte carbone. Si l’on compare les émissions en Europe et en Chine, on voit que l’Europe stagne alors que la Chine s’envole depuis 2002, quelles que soient les approches ! La Chine est maintenant à un niveau équivalent à l’Europe pour l’approche territoire, mais 30% plus faible pour l’approche empreinte. Le facteur « quatre » coûte 2% du PIB (N. Stern), 50 milliards pendant 20 ans et la taxe Tobin (transactions financières) serait trop faible !
On entre dans la finance proprement dite avec le chapitre 6 «Mille milliards? Ce n’est pas possible !» C’est ce que l’on a mis pour sauver les banques en 2008 (crise des « subprimes »). Le chapitre présente la crise financière et ses antécédents, la création monétaire par la Banque Centrale Européenne, l’évolution des dettes publiques en Europe et aux Etats-Unis, et les risques de crise financière future. Le chapitre 7 « Aux racines de la crise financière » approfondit la crise de 2008 en remontant jusqu’aux années Reagan pour les Etats-Unis et en soulignant le problème de la dette et le rôle des banques centrales.
La troisième et dernière partie présente et justifie le pacte Finance-Climat (chapitres 8 à 11). Le chapitre 8 « Planet First ! Une nouvelle ambition pour l’Europe » explique pourquoi il faut un traité, pour assurer la stabilité à long terme des décisions. Il serait conclu au niveau européen après un référendum qui se déroulerait simultanément dans les différents pays en 2020, avec un plan d’action national dans chaque pays. C’est aussi une façon de relancer l’Europe en lui donnant un projet majeur. Ce sera un chantier colossal, «Un chantier jamais vu » (chapitre 9), comme ces grands chantiers réalisés dans le passé : « Montparnasse-Bienvenue » et son métro, le « Victory Program » de Roosevelt en 1942, le plan Marshall de reconstruction de l’Europe après la guerre, ou la décision de J. Kennedy en 1962 d’aller sur la Lune. Ces exemples démontrent que s’il y a une volonté politique, on peut réussir un chantier colossal ! Pour finir les sources de financement (taxe carbone, taxe aux frontières, impôts sur les bénéfices) sont examinées. Le chapitre 10 détaille les projets qui seraient développés pour lutter contre le changement climatique : rénovation thermique des bâtiments, sobriété en général, énergies renouvelables, modes de transport alternatifs, ….. Enfin le chapitre 11 nous livre « Le rêve de Mario Draghi », puisque la BCE a un rôle majeur pour ce pacte Finance-Climat ! Le livre se conclut « 2018, l’année du choix », puisque que ce projet de pacte Finance-Climat pourrait être évoqué lors de la rencontre du Président E. Macron avec la Chancelière A. Merkel en décembre 2018. Des lettres d’engagement de personnalités européennes complètent l’ouvrage, notamment M. A. Moratinos, ancien ministre espagnol des affaires étrangères qui rédige le traité.
C’est un très bel ouvrage sur le changement climatique complet et très documenté sur le plan scientifique mais aussi très engagé sur le plan politique et financier. S’il paraît un peu gros en développant un argumentaire détaillé, un livre plus condensé sur le même sujet paraîtra début octobre 2018 avec les mêmes auteurs et Anne Hessel. Enfin les auteurs présentent ce pacte Finance-Climat lors de nombreuses conférences, à l’image de celle tenue à l’Ecole Polytechnique le 26 septembre 2018 devant un auditoire de 700 personnes !
BCE : Banque Centrale Européenne
COP : Conference Of Parties
RCP : Representative Climate Pathway (nouveau scénario du GIEC)