I. — Introduction
Lisle et Pezou sont deux communes du Loir-et-Cher (France) contournées par la RN10 qui relie à cet endroit les villes de Chartres (au nord) et Tours (au sud). La déviation des deux bourgs a été mise en service en décembre 2008 : il s'agit d'un aménagement à caractéristiques de route express (2x2 voies séparées par un terre-plein et un mur central).
Tout au long de sa réalisation, divers aléas géologiques ont été constatés, ils ont parfois provoqué des désordres importants (effondrements karstiques, glissements) et certains ont nécessité des adaptations du projet significatives (mise au jour d'un poudingue présentant des éléments de plus de 100 m3 dans un déblai).
Afin de permettre aux services de la DIR-NO (direction interdépartementale des routes – nord-ouest) - district de Vendôme, chargés de la gestion et de l'exploitation de la route, de suivre les zones à risques et prévenir au mieux les atteintes aux voies et aux ouvrages, la DREAL Centre a diligenté auprès du CETE Normandie-Centre (LR de Blois), une étude générale des risques géologiques et hydrogéologiques affectant l'ensemble du tracé (Rapport du CETE Normandie Centre (Janvier 2011). — LR Blois n° 11418.0 /RN10 – Déviation de LISLE et PEZOU : Analyse des risques géologiques et géotechniques).
Le présent article reprend les grands enseignements de cette étude et présente sa déclinaison auprès du service technique gestionnaire de la voie.
II. — Contexte géologique et morphologique
La zone d'étude se situe au nord du département du Loiret-Cher (France), à 60 km à l'ouest d'Orléans. La déviation de Lisle et Pezou par la RN 10, contourne par l'ouest les deux communes de Pezou et de Lisle, situées en rive droite de la rivière Loir (Fig. 1). Le tracé d'environ 8 kilomètres présente un dénivelé d'une cinquantaine de mètres entre les cotes 88 m et 135 m NGF. Du nord au sud, il suit l'évolution topographique suivante :
- départ au niveau de la vallée alluviale du Loir (lieu dit le Détour),
- montée régulière en profil mixte (déblai-remblai) en bordure du coteau de Gratte Chien,
- passage de deux thalwegs (Col Noir et le Gratte loup),
- montée progressive jusqu'au plateau,
- passage d'un thalweg (la vallée Aubernage),
- descente en profil mixte (déblai-remblai) sur le territoire de la commune de Lisle,
- connexion à la RN10 sur le territoire de la commune de Saint-Firmin-des-Prés au niveau topographique de la vallée du Loir.
D'un point de vue géologique, les informations de la carte géologique du BRGM (Fig. 2) au 1/50 000 montrent que la déviation de la RN 10 rencontre principalement des formations géologiques constituées par :
- des terrasses alluviales anciennes du Loir (sables limoneux ou argileux),
- des colluvions de l'ère tertiaire (argiles à silex) qui tapissent les pentes naturelles de la vallée du Loir (notamment toutes les sections en déblai-remblai),
- des formations calcaro-crayeuses de la fin de l'ère secondaire (Crétacé supérieur) rencontrées en fond de vallon et de déblai.
La zone d'étude est marquée par l'existence de nombreux accidents tectoniques d'orientation NW/SE qui découpent des compartiments selon cette direction. Ces discontinuités ont été reprises par le réseau hydrographique de surface qui recoupe la vallée du Loir.
III. — Contexte hydrogéologique
L'analyse de la carte topographique de l'IGN montre la présence de cours d'eau, pérennes ou non, alimentés soit par des retenues colinnaires (la Haie aux chats, la Haie des Biches, la Rondelière) soit par les eaux de ruissellement. Ces cours d'eau drainent le plateau situé au nord-ouest du tracé. La carte géologique montre que la nappe de la Craie, nappe phréatique principale, présente un pendage marqué vers le sud-est. Elle est localement drainée par le Loir. L'aménagement routier a recoupé plusieurs nappes perchées contenues dans les alluvions anciennes du Loir.
L'analyse de la toponymie prouve par ailleurs l'existence :
- de phénomènes de résurgences d'eau ; le lieu-dit « fontaine » est présent sur le bas des flanc de la vallée et la mention « source » apparaît aux mêmes endroits ;
- d'anciens effondrements karstiques ; ruisseau « le fossé de la Mardelle ».
D'après la carte géologique de Sélommes, la nappe de la Craie est « captive sous les formations de l'Eocène dans la zone d'extension des calcaires lacustres », elle est libre et drainée par le réseau de surface dans ses zones d'affleurement, et « dans la vallée du Loir, elle relaie la nappe alluviale, en l'absence d'écran imperméable entre les deux réservoirs. ». Il y a donc continuité hydraulique entre la nappe de la Craie et celle des alluvions du Loir. La carte piézométrique présente les isopièzes de la nappe de la Craie ainsi que la localisation de la zone d'étude (Fig. 3).
On note que la surface piézométrique de la nappe de la Craie est particulièrement chahutée en amont de la déviation de la RN 10. Ces modifications dans les isopièzes sont dues à la multiplication des fractures tectoniques perpendiculaires à l'écoulement local du Loir qui constituent des axes de drainage préférentiels vers celui-ci. Par ailleurs, la carte géologique de Vendôme mentionne la présence de « goulets karstiques... sur les flancs de vallées où la pénétration atteint le niveau de la rivière », « des entonnoirs karstiques reconnus par sondages sur les plateaux et … des effondrements (fontis, bétoires,...) de type doline observés à travers la couverture d'argile à silex et de terrains éocènes. »
Ces marques de dissolution de type karstique ont été reconnues lors de la réalisation des travaux de la déviation de la RN 10. Des effondrements d'origine karstique ont été relevés en différents endroits et plus particulièrement au niveau des ouvrages hydrauliques et de rétablissement (placés par définition au niveau de thalwegs qui constituent des axes de drainage de la nappe). Ainsi, le risque d'effondrement se concentre au niveau des axes de drainage (lieux où la charge hydraulique est la plus forte) qui sont, par définition, les thalwegs et les zones faillées.
IV. — Investigations
1) Bibliographie
a) Chronique des sources et fontaines
La consultation de l'article « Émergences de la nappe du Turonien dans la vallée du loir entre Morée et Vendôme » (Chronique des Sources et Fontaines 1996 ISSN 1265-5139) apporte de nombreuses informations sur la géologie structurale de la zone d'étude. Ainsi l'article montre qu'un système de failles délimite un fossé d'effondrement : le fossé de Saint-Firmin-des-Prés. La carte de la figure 4 reprend ces informations et montre les écoulements présumés des circulations souterraines de la nappe de la Craie. La lecture de la carte montre que deux sections de la voie express sont situées sur des zones de confluence d'accidents tectoniques : l'extrémité nord du projet et la vallée du Gratte-Loup. Ces zones correspondent aux ouvrages d'art 5 (OA 5) et ouvrage hydraulique 6 (vallée du Gratte-Loup – OH6) et au établissement de la voie départementale 8 (VD8) avant la connexion nord sur l'ancienne RN10.
b) Études géotechniques
En phase d'avant-projet, projet, au cours des travaux et en exploitation, le tracé de la déviation de la RN 10 a fait l'objet de plusieurs études. Ces études concernent à la fois les ouvrages d'art et la section courante. Plusieurs rapports d'avant-projet ont attiré l'attention du maître d'ouvrage sur la présence de cavités anthropiques et naturelles au droit du tracé. Des sondages de reconnaissance ont mis en évidence des zones décomprimées (ou petits vides) et ont conduit à des préconisations particulières pour la réalisation des fondations des ouvrages d'art (pieux tubés forés).
En phase chantier, deux effondrements notables ont été constatés :
- le plus volumineux, en avril 2004, était situé au droit de la section courante (au niveau de l'OA 5). L'effondrement (Fig. 5) était de forme circulaire (5 mètres de diamètre pour 4,50 mètres de profondeur). Il a été rebouché en urgence pour des questions relatives à la sécurité du personnel travaillant sur le site et a conduit à une étude globale du secteur par microgravimétrie et sondages destructifs. Les investigations ont montré l'existence de nombreuses poches de dissolution karstiques majoritairement remplies de sédiments.
- en décembre 2007, un effondrement circulaire (Fig. 6) d'environ 25 m3 est relevé en amont de la déviation dans un fossé de collecte d'eaux pluviales dont le tracé a été modifié par le projet. Un rebouchage et un étanchement du fossé ont été préconisés pour des raisons de sécurité. Des recherches complémentaires par sondages et cylindres électriques n'ont pas mis de cavité franche en évidence. Toutefois, des axes de dissolution se dessinent selon une orientation qui semble en liaison avec celle des failles reconnues localement dans la vallée du Loir.
Par ailleurs, certains talus de la déviation ou de voies locales rétablies dans le cadre du projet ont présenté des glissements d'ampleur variable. Le plus important est le glissement du talus de la voie communale n° 5 : le projet intégrait le rétablissement d'une voie d'accès aux parcelles agricole d'un riverain par ouverture d'une voie sur le flanc d'une colline. Les investigations d'avant projet avaient reconnu un ensemble d'alluvions du Loir. Les travaux ont mis à jour des formations à spongolites, sans cohésion, avec présence d'une nappe perchée. La mise en charge de cette nappe a entraîné le glissement de l'ensemble du talus (Fig. 7). Une consolidation de l'ensemble du talus a donc été mise en place (masque drainant) afin de stabiliser mécaniquement celui-ci et de dissiper la charge hydrostatique de ces terrains (Fig. 8).
2) Photo-interprétation
Plusieurs missions photographiques (datant de 1956 à 2002) ont été visionnées afin de détecter des anomalies topographiques par analyse des vues aériennes. indices ont ainsi été mis en évidence (Fig. 9). On note une concentration d'indices topographiques (dépressions, zones humides, végétation hydrophile...) au niveau des axes de drainage du plateau qui correspondent aux thalwegs et donc, aux ouvrages d'art. Ces indices s'alignent également sur les observations structurales relevées par l'association des amis des sources.
V. — Relevés de terrain après mise en service
Après la mise en service de l'aménagement, des relevés de terrains ont été faits tout au long du tracé et ont été confrontés aux analyses des photographies aériennes. Par ailleurs, d'autres anomalies ont été vues lors du cheminement. Au final, 104 observations ont ainsi été relevées. Ces observations concernent :
- principalement des désordres mineurs liés à la réalisation des travaux de construction de la déviation (rupture d'écoulements hydrauliques dans les fossés : Fig. 10),
- des indices d'instabilité de certains talus (Fig. 11) dont la cause n'est pas toujours évidente (résurgence de nappe perchée, pente adoptée trop importante...),
- des tassements ponctuels ou linéaires (Fig. 12) liés à des défauts de terrassement ou des causes naturelles (affaissements).
VI. — Synthèse et préconisations
Au vu de l'ensemble des analyses effectuées sur le tracé de la déviation de Lisle et Pezou, il apparaît que les désordres passés et à redouter se concentrent principalement sur trois zones : vallée du Gratte-loup et OA5, l'OA4 et la connexion avec l'ancienne RN 10. Ces désordres sont (ou seront) :
- soit d'origine naturelle : résurgence de nappe, effondrement de cavités karstiques...
- soit liés à la conception des travaux (zone en profil mixte),
- soit liés à l'exécution des terrassements de la déviation : pente excessive de certains talus, fossés instables.
Ainsi sur la base des investigations réalisées et des désordres passés, deux types d'aléas ont été identifiés et cartographiés (Fig. 13), il s'agit :
- des glissements de terrain ;
- des effondrements liés à des phénomènes karstiques.
VII. — Présentation des résultats auprès du centre d'exploitation et d'intervention de Vendôme
La carte de zonage précédemment évoquée est accompagnée de préconisations adaptées à chaque zone d'aléas reconnus. Les recommandations consistent en une observation régulière de terrain (organisation d'une visite annuelle sur l'ensemble des zones d'aléa) et en une bonne gestion des eaux pluviales du site (éviter les infiltrations ou accumulations ponctuelles). En mai 2011, l'étude a été présentée, en salle, aux équipes de patrouille et d'intervention du centre d'exploitation et d'intervention de Vendôme, Direction Interrégionale des Routes Nord Ouest (CEI de Vendôme – DIR-NO). La visite de terrain qui a suivi a été l'occasion d'une observation fine des points d'aléas. Les préconisations portées sur le rapport permettent au CEI de Vendôme, service de gestion de la déviation, de considérer le risque géologique et géotechnique et de suivre son évolution. Cette sensibilisation des équipes intervenant quotidiennement sur l'aménagement routier garantit une appropriation des zones d'aléas par du personnel non spécialisé mais qui possède un sens aigu de l'observation et de la réaction.