Le projet « HINT » (Heritage Interpretation through New Technologies), une coopération internationale au service de la valorisation des géopatrimoines

  • HINT Project (Heritage Interpretation through New Technologies), an International Cooperation for Interpretation of the Geoheritage

DOI : 10.54563/asgn.1394

p. 75-80

Résumés

Le développement des technologies numériques renouvelle les usages et pratiques au service du géotourisme. Quatre partenaires déjà labellisés European Geopark ou en demande du label sont associés dans le projet HINT qui a pour objectif de développer ces pratiques et de les faire connaître au plus grand nombre. Le laboratoire EDYTEM de l’Université de Savoie est associé au suivi du projet en tant qu’expert extérieur. La présentation des partenaires, et du prototype sur lequel chacun travaille, illustre les différents aspects de la médiation des géopatrimoines, soit in situ, accompagnant le touriste dans sa découverte en utilisant des solutions numériques nomades, soit ex situ afin de préparer, compléter ou remplacer une visite de terrain au moyen d’interfaces utilisant les nouvelles technologies interactives. Un panorama des pratiques et usages, dans les domaines de la cartographie dynamique, de l’imagerie numérique et des modèles 3D, et quelques outils simples, accessible aux néophytes, sont présentés. Ils ont été testé dans le cadre d’un cours intensif qui a réuni une trentaine de participants de douze nationalités lors de« l’International Symposium on Geosite Management ». Au-delà des difficultés de mise en œuvre de ces nouvelles pratiques et des réticences qui peuvent se faire jour, cet article montre combien les nouvelles technologies numériques peuvent être utiles dans la phase d’interprétation des géopatrimoines.

The development of new digital technologies renews the customs and practices to the benefit of geotourism. Four partners, already certified European Geopark or in application for the label are associated in the HINT project which aims to develop these practices and to make them known to the broadest public. The laboratory EDYTEM (University of Savoie – France) is involved in monitoring the project as an outside expert. The presentation of the partners, and of the prototype on which each of them is working, illustrates the various aspects of the mediation of geoheritag, either in situ, accompanying the tourist in his discovery by using nomadic digital solutions, or ex situ in order to prepare, complete or replace a field trip through interfaces using new interactive technologies. An overview of practices and customs in the areas of dynamic cartography, the digital imaging and 3D models, but also some simple tools, accessible to novices, are presented. They were tested as part of an intensive course which gathered some thirty participants from twelve nationalities during the "International Symposium on Management geosite". Beyond the difficulties of implementing these new practices and reluctance that may emerge, this paper shows how new digital technologies can be useful for the interpretation of the geoheritage.

Plan

Texte

I. — Introduction

Associer le tourisme à la mise en valeur des géopatrimoines est un des objectifs majeurs du réseau des géoparcs, qui réunit à travers le monde 88 territoires, dont 50 en Europe (Cayla, 2009). Depuis quelques années, l'usage des nouvelles technologies numériques a fait son apparition dans les pratiques touristiques, permettant d'envisager de nouvelles formes de géovalorisation et de géointerprétation. Le projet HINT (Heritage Interpretation through New Technologies) regroupe trois partenaires, déjà labellisés Global Geopark (Shetland Amenity trust, North Pennines AONB et le géopark du Chablais) et un en voie de labellisation (Geopark de Hondsrug). Chacun d'entre eux est investi dans un projet pilote de développement d'une application numérique au service du géotourisme.

Parallèlement à ces quatre expérimentations qui, pour la plupart, associent la découverte de terrain aux technologies numériques nomades, le réseau se veut un observatoire des bonnes pratiques, afin de faire connaître les outils ou expériences les plus aboutis dans ce domaine dans le but de contribuer à leur diffusion.

L'implication, dans ce programme de recherche-action, du laboratoire EDYTEM (Environnement, Dynamique et Territoires de la Montagne), de l'Université de Savoie, repose sur l'expertise développée au sein des équipes dans l'usage de la géovisualisation et en particulier de l'imagerie 3D (Jaillet et al., 2011), mais également dans l'élaboration d'outils de réalité enrichie et de balades virtuelles au service de la médiation des géopatrimoines.

Outre ces aspects de diffusion des pratiques, ce travail interroge également la place de l'innovation au sein des territoires labellisés Global Geopark. Le géotourisme est une niche touristique en plein développement, mais il est encore difficile d'identifier si elle s'appuie sur l'émergence de nouveaux patrimoines reconnus comme ressources territoriales à valoriser via des processus que l'on pourrait qualifier de classiques ou bien si les réseaux d'acteurs propres à ce domaine innovent sur les territoires.

Cet article présentera les premiers travaux et résultats obtenus dans le cadre du programme HINT et plus particulièrement un panorama des usages et pratiques qui a permis la réalisation d'un cours intensif destiné aux professionnels du géotourisme ainsi qu'aux chercheurs investis dans ce domaine.

II. — Des partenaires qui innovent dans leur offre géotouristique

La révolution numérique entamée au milieu du vingtième siècle et surtout la convergence technique offerte depuis quelques années par le rapprochement des mondes de l'informatique et des télécommunications ont permis l'émergence d'outils innovants (Musso, 2008) autorisant aujourd'hui de nouvelles pratiques à chacune des étapes de la gestion des géopatrimoines. Quatre partenaires, réunis dans un programme européen LEADER 2008-2013, développent, des solutions permettant l'émergence de ces nouvelles pratiques en particulier pour la création de produits géotouristiques. Le réseau est aussi un lieu de partage d'expériences, d'une importance primordiale dans ces domaines en perpétuelle évolution.

Le géoparc Shetland, chef de file et coordinateur du projet, développe avec la société Zolkc, une application qui sera disponible sur les smartphones, équipés du système d'exploitation Androïd, ou sur iPhone. Cette application nomade permettra au visiteur de parcourir sur le terrain, en toute sécurité via la géolocalisation, des sentiers géologiques présentant la géodiversité des différents îlots de l'archipel et en particulier celle de Mainland, l'île principale. Parmi les géosites remarquables figurent des roches de plus de 2,8 milliards d'années, les gneiss de Lewis, des témoins de l'orogenèse calédonienne, tel un complexe ophiolitique résultant de la fermeture de l'océan Iapetus il y a quelque 400 millions d'années, et bien sûr l'empreinte des glaciations à l'origine des paysages remarquables de cet archipel des Shetland. A chaque point d'arrêt différents médias seront accessibles (texte, son, vidéo) permettant ainsi d'enrichir la réalité vécue par le géotouriste. Un prototype sera opérationnel en juin 2012 afin d'être testé durant la saison estivale.

Le North Peninnes Area of Aoutstanding Natural Beauty, dans le comté de Cumbrie, a été le premier territoire labellisé géoparc du Royaume-Uni, en 2003. Face au déclin progressif de l'activité minière, liée à l'extraction du zinc et du plomb, l'économie régionale s'est progressivement tournée vers le développement du géotourisme mais certains sites sont isolés et la fréquentation parfois insuffisante pour maintenir un accueil touristique, en toute saison et à toute heure. Afin de faire face aux périodes de fermeture de ses centres d'information, tout en maintenant une certaine qualité d'accueil, ce géoparc a entrepris la mise en place d'une interface accessible en communication sans fil soit directement par la technologie Blue-Tooth soit via internet au travers du Wi-Fi. Ainsi, les informations touristiques ou celles concernant les géopatrimoines seront accessibles à tout moment (même en période de fermeture des centres d'accueil) via des bornes émettrices placées dans ces centres, qui seront par ailleurs directement accessibles par écran tactile aux heures d'ouverture.

Le géoparc du Chablais, 4ème géoparc français, possède sur un territoire qui s'étend des berges du Lac Léman jusqu'aux sommets frontaliers de la Suisse, de nombreux géosites illustrant l'histoire géologique de ce massif préalpin ainsi que le récent passé glaciaire de la région (Guyomard & Lansigu, 2008). Vingt-trois d'entre eux ont été sélectionnés dans le cadre d'une géo-route actuellement en création. Le projet, géré par le Syndicat Intercommunal d'Aménagement du Chablais, est réalisé en partenariat avec les bureaux d'étude Atemia et Architectes du paysage. Les bornes d'interprétation placées sur chacun des points d'intérêt seront munies de codes 3D rendant accessible à ceux qui le désirent, via leur smartphone sur lequel aura été téléchargé un lecteur de code code 3D, des informations complémentaires permettant une meilleure compréhension des sites. Les nouvelles technologies ont été également associées dans ce cas à la démarche participative qui a accompagné le projet sous la forme d'un blog collaboratif animé parallèlement aux réunions publiques.

Le Geopark de Hondsrug, au nord des Pays-Bas, est un territoire composé d'un long cordon dunaire de till, témoin de la glaciation saalienne qui s'est étendue de - 300 000 à - 140 000 ans. Aspirant au label Global Geopark, la région veut développer son attrait touristique en proposant des outils de mise en valeur de son patrimoine géologique qui soient innovants et puissent ainsi attirer de nouveaux visiteurs. Pour cela, l'équipe du futur géoparc développe une table tactile dynamique qui permettra, par le biais d'une interface ludique, de mieux comprendre l'origine des paysages actuels. Mobile, celle-ci pourra être utilisée dans cadre d'animations proposées aux écoles du futur géoparc.

Au-delà du projet en cours dans chacun des territoires (Fig.1), des actions communes regroupent périodiquement les partenaires : réalisation d'un site Web (http://www.hintproject.eu/), ateliers de mise en pratique, présentation du projet et de son avancement dans le réseau des géoparcs (Cayla, 2011).

Figure 1

Figure 1

Partenaires du programme HINT et prototype en cours de développement.
 
The prototype of each Hint Partner.

L'une de ces actions associe le laboratoire EDYTEM qui doit apporter une expertise extérieure, sur les usages en cours et en développement concernant les nouvelles technologies au sein du réseau des géoparcs, et, plus largement dans les pratiques géotouristiques.

III. — Les nouvelles technologies numériques au service du géotourisme

La mise en valeur à des fins touristiques des géopatrimoines peut être conduite de deux façons différentes :

  • La découverte in situ des géotopes doit apporter tous les éléments d'interprétation nécessaires à une bonne compréhension des affleurements, gisements ou éléments paysagers qui sont parcourus par le touriste. Elle se fait au travers des musées de site ou des sentiers géodidactiques.
  • La découverte ex situ des géotopes peut-être proposée dans le cas où ceux-ci sont difficilement accessibles (affleurement dans une paroi) ou dangereux d'accès (volcan en éruption), voire interdits (grotte de Lascaux). L'interprétation se fera alors à distance soit au sein de muséum d'histoire naturelle, de centres d'interprétations ou d'écomusées, de fac-similé mais également via des sites web ou des interfaces numériques.

Différentes combinaisons peuvent bien sûr associer ces deux formes de médiation en fonction de l'accessibilité saisonnière des sites ou des périodes d'accueil touristique. Face au foisonnement des outils et pratiques numériques existants ou émergeants, ce paragraphe cherchera, avant tout, à illustrer par un panorama des réalisations concrètes, la diversité des possibles. Deux domaines seront successivement abordés : la cartographie dynamique puis l'imagerie numérique et la modélisation 3D.

Que ce soit sur le terrain ou à distance, il est important de pouvoir visualiser la répartition géographique des géotopes afin, de mieux appréhender leurs liens et comprendre leur histoire d'une part, et d'optimiser leur découverte en toute sécurité d'autre part. Les organismes en charge de la gestion des géopatrimoines ont, le plus souvent, élaboré des systèmes d'information géographique inventoriant les géotopes dont ils ont la gestion. Ces outils, certes puissants et permettant des traitements complexes des informations, sont utiles à la recherche et à la gestion des sites mais ils offrent peu de solutions pratiques pour un usage destiné au grand public. A partir des années 2000, et de l'extension d'Internet, la diffusion des informations géographiques sous la forme de cartes dynamiques consultables en ligne a été facilitée. Les cartes obtenues, sont qualifiées de dynamiques car le contenu affiché répond, avec efficacité et efficience, aux besoins de l'utilisateur, tout en fournissant quelques outils d'interactivité (zoom associé à des changements d'échelle, déplacements, hyperliens associés à différents médias) (Bucher, 2007 ; Martin & Ghiraldi, 2011). Au fil du temps différentes solutions ont vu le jour.

Une image à zone cliquable, est une carte sur laquelle sont installés des liens hypertextes permettant d'accéder à des média (texte, son, image, vidéo…). Les sites internet du service géologique du Land de Bavière en Allemagne ou du géoparc Gea Norvegica en Norvège présentent, par ce type d'interfaces l'inventaire de leurs géopatrimoines (http://www.lfu.bayern.de/geologie/geotope_daten/geotoprecherche/index.htm, http://www.geanor.no/). L'utilisation de certains logiciels peut améliorer l'interactivité et la complexité dans la formulation des requêtes ainsi que le montre cette carte du géoparc Papuk (https://www.pp-papuk.hr/unesco-geopark-papuk/).

L'arrivée du web dynamique, où les pages sont générées à la demande de l'utilisateur, une même adresse pouvant donc prendre différentes formes, conjuguée à celle du web 2.0 qui offre des interfaces enrichies et la possibilité d'adapter des services fournis par internet, tels que les globes virtuels, a donné naissance à la cartographie dynamique en ligne ou webmapping. Cette application propose différentes solutions techniques qui permettent de visualiser, rechercher mais également analyser, modifier ou acquérir des données géographiques via internet.

L'API (Application Programming Interface) Java de Google Earth/Map, apparue en 2008, a ainsi été utilisée pour réaliser l'interface cartographique du Bohemian Paradise Geopark en république Tchèque ou pour l'inventaire suisse des géotopes d'importance nationale (http://www.geopark-ceskyraj.cz/en/, http://mesoscaphe.unil.ch/geodata/geosite2/). Le logiciel Openlayer couplé à des couches Open Street Map offre une solution totalement « open source » utilisée par le géoparc Bergstrasse-Odenwald en Allemagne (http://www.geo-naturpark.net/daten/pfade/geopfade.php?navid=233). De nombreux autres exemples de ce type d'application existent : le websig du bassin minier du Nord – Pas-de-Calais (http://www.atlas-patrimoines-bassin-minier.org/atlas-interactif.php) construit par Veomap ou celui de la Réserve géologique du Lubéron sous Dynmap (http://www.pnrpaca.org/carto/luberon/n_geologie_rng/flash/).

Face à la multiplication des possibilités techniques et afin de répondre à la pluralité des besoins, plusieurs espaces protégés de la région Rhône-Alpes ont constitué un consortium afin de participer au développement de la solution AigleTM proposée par la compagnie CyrilTM, filiale de Business Geographic. Ce logiciel offre des possibilités de traitements sophistiqués d'informations, stockées de façon fiable dans le temps, il fournit également aux différents utilisateurs (expert, averti, grand public) des interfaces cartographiques (https://www.vanoise-parcnational.fr/fr) capables de répondre à leurs attentes. Il permet également l'accès aux données cartographiques via des terminaux numériques nomades, smartphones, tablettes… Dans ce domaine aussi on assiste à une prolifération des solutions au service du géotourisme ; ainsi, l'application « Muscat geoheritage i-tourguide », développée par le ministère du tourisme du sultanat d'Oman est disponible sur Androïd. Il existe aussi des solutions en version gratuite offrant des possibilités infinies comme l'application Makkamappa (Miller, 2012).

La géovisualisation, à base d'imagerie numérique et de modélisation 3D, a gagné l'étude des milieux naturels et des sites difficilement accessibles, ainsi que l'observation non invasive d'échantillons. Les images et modèles numériques obtenus permettent des investigations quantitatives très utiles à la recherche et sont ensuite, à différents degrés, mobilisables dans la phase de valorisation des géopatrimoines.

Ainsi, l'apparition des webcams puis le développement des réseaux, a permis, dans un premier temps, de développer des systèmes de surveillance destinés à la prévention des risques naturels mais parallèlement cet outil s'est développé pour l'observation en direct de phénomènes géologiques dont la rareté (éruption volcanique) ou la rapidité (crue) (Hobléa, 2011) rend illusoire la possibilité d'être présent en tant que simple observateur lors du déclenchement du phénomène. Cet usage s'est développé et, aujourd'hui des dizaines de sites sont accessibles depuis un terminal numérique branché sur le réseau affichant en continu des images destinées à l'observation, la métrologie ou la surveillance scientifique, mais également à la diffusion grand public. Le volcanologue de formation, Thomas Pfeiffer a réalisé un annuaire des webcams installées sur les volcans du monde entier. Son site combine dans un « mashup », c'est-à-dire une page web, associant des fenêtres permettant de visualiser les webcams à d'autres permettant de les localiser sur une carte Google (http://www.volcano-webcam.com/). Ces solutions sont intéressantes aussi pour des phénomènes intermittents comme l'observation d'éruption de geysers tel que le Old faithfull aux Etats-Unis (http://yellowstone.net/webcams/old-faithfull-still/ ). Ces outils peuvent permettre au futur visiteur de prendre contact avec le territoire qu'il va découvrir ou bien, après sa visite, de garder le contact avec ce même territoire ; en effet, le géotourisme, au-delà de l'aspect éducatif, doit aussi favoriser l'interactivité émotionnelle et ces webcams sont un atout indéniable.

La recherche fondamentale fait de plus en plus souvent appel à la reconstitution d'un modèle numérique de l'objet géologique. Ces modèles tridimensionnels peuvent ensuite, dans la phase de valorisation faciliter l'observation, permettre des visites virtuelles ou bien réelle mais au sein de fac-similé de ces géopatrimoines. L'acquisition de ces modèles tridimensionnels à partir de données surfaciques ou volumiques (Maumont, 2012 ; Tafforeau, 2010) a fait d'importants progrès ces dernières années.

La photogrammétrie, en raison du faible coût de sa mise en œuvre et des progrès récents des outils techniques proposés, est une solution pertinente tant dans la phase de recherche que dans celle de restitution des géopatrimoines (Pierrot-Deseilligny et al., 2011). Ainsi, le logiciel 123D Catch a été utilisé en archéologie minière afin de reconstituer certaines galeries anciennes des mines de Sainte-Marie-aux- Mines. Le modèle obtenu, traité ensuite par un logiciel d'animation 3D, a permis la réalisation d'une visite virtuelle animée à la découverte des galeries (Arles et al., 2011). La lasergrammétrie, technique basée sur le balayage laser, qui permet l'acquisition rapide de données spatiales tridimensionnelles avec une densité très élevée offre la possibilité de reconstitution de modèles 3D à haute résolution. Que le laser soit terrestre ou aéroporté, le recueil des informations se fait à distance de l'objet réel et en un temps réduit. Au contraire de la photogrammétrie, le coût d'acquisition est ici élevé et le travail d'interprétation des données en aval relativement technique. Malgré tout, la précision des résultats obtenus, inférieure au millimètre, a rendu cette solution incontournable, en particulier pour la modélisation de réseaux karstiques et de grottes ornées ou sculptées.

En France, en 1999, un relevé 3D de la frise sculptée du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l'Anglin) a été effectué (Pinçon et al., 2012) permettant d'affiner les études scientifiques menées sur le site mais également de réaliser une scénographie virtuelle dans le centre d'interprétation ouvert en 2008. Une reconstitution à l'échelle a été obtenue par prototypage ; sur celle-ci sont projetées 600 000 images anamorphosées ; enfin une scénarisation complète le spectacle (http://www.roc-aux-sorciers.com/le-centre-d-interpr%C3%A9tation/l-installation-virtuelle/).Les relevés effectués dans les grottes de Lascaux ou Chauvet, toutes deux inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO, et qui ne peuvent pas être ouvertes à la visite, ont servi à la fois à la création de fac-similé mais également de modèles virtuels accessibles en ligne (https://archeologie.culture.gouv.fr/lascaux/fr/visiter-grotte-lascaux#salle-taureaux). Ce type de relevé a aussi été effectué sur des sites souterrains karstiques ou bien d'anciennes mines ou carrières. Ainsi, une partie de la grotte du Mammouth, qui possède le plus long réseau karstique au monde et qui se situe aux Etats-Unis, a été digitalisée en 2010 dans le cadre d'un programme réunissant l'association des parcs nationaux américains, et l'Université de Washington afin d'enrichir l'offre d'interprétation prévue dans le cadre du futur centre d'accueil. Les carrières souterraines de sable de Piusa au sud de l'Estonie, dont une grande partie est fermée au public pour raison de sécurité, sont désormais, elles aussi, accessibles à la visite virtuelle (http://www.3dtech-rd.net/virtual-caves-2/).

La numérisation volumique, qui permet l'observation de la structure interne des objets, peut s'avérer cruciale dans l'étude scientifique de certains spécimens, mais aussi pour leur valorisation ou la préservation de certaines collections paléontologiques ou minéralogiques (Balzeau et al., 2010). Ainsi, dans le but de mieux comprendre la diversification mammalienne dont les fossiles recueillis au puits de Messel, en Allemagne, sont les témoins, un squelette de Darwinius masillae a été radiographié et scanné par les paléontologues du Museum Senckenberg de Francfort en 2008 (Franzen et al., 2009). Outre les discussions scientifiques qui ont accompagné la publication de cette reconstitution, celle-ci a permis de réaliser les reproductions de l'animal présentées dans le centre d'interprétation qui a ouvert ses portes en 2011 sur le site du gisement près de Darmstadt.

Ces outils et de nombreux autres qui n'ont pas été présentés montrent le foisonnement actuel des projets utilisant les nouvelles technologies au service de la valorisation des géopatrimoines. Au-delà de cet inventaire, comment ces nouvelles pratiques sont-elles accueillies sur le terrain ? Afin d'éclairer cette interrogation, un questionnaire a été envoyé aux 50 géoparcs européens afin de mieux comprendre la perception des personnes en charge du développement du géotourisme face à ces nouveaux usages. De nombreux avantages ont été plébiscités parmi lesquels l'intérêt de ces outils innovants qui permettent d'attirer de nouveaux publics en rendant le message scientifique souvent plus ludique et moins scolaire. La baisse de l'usage des tirages papiers avec les avantages économiques et écologiques qui en ressortent a été soulignée ainsi que la rapide réactualisation qu'il est possible d'opérer sur les informations, qui sont disponibles à tout moment et partout. Des freins ont cependant été évoqués : le coût élevé du développement de ces outils, la difficulté de prise en main des logiciels en perpétuelle évolution pour des professionnels dont ce n'est pas la spécialité mais aussi pour un public souvent ignorant de ces usages, la mauvaise connaissance des possibilités existantes et le manque d'expertise des équipes en charge du développement du géotourisme. Pratiquement, la faiblesse ponctuelle de la couverture 3G ainsi que le coût des communications en pays étranger ont aussi été soulignés.

Les résultats de ce questionnaire ont permis d'élaborer le programme d'un cours intensif qui s'est tenu en Savoie dans le cadre du colloque « International Symposium on Geoheritage Management » en septembre 2012.

IV. — Des outils simples et efficaces pour le développement de l'usage des nouvelles technologies

L'un des freins dans l'usage des nouvelles technologies numériques est leur coût souvent considéré, a priori mais souvent à tort, comme excessif ainsi que la nécessaire maîtrise technique que requiert leur mise en œuvre. Afin de lever ces réticences et de développer de nouveaux usages, des ateliers pratiques ont été organisés par le laboratoire EDYTEM et l'Institut de Géographie de l'Université de Lausanne. Des chercheurs, des doctorants, les partenaires du programme HINT mais également des agents de développement territorial, soit une trentaine de participants originaires d'une douzaine de pays, ont suivi ces journées de formation, réalisées grâce au soutien du Syndicat Intercommunal d'Aménagement du Chablais.

Quatre ateliers étaient proposés, certains offrants le choix entre deux niveaux de mise en pratique :

  • Un atelier de webmapping a permis de tester l'API de Google Earth mais également celle de Géoportail afin de réaliser des cartes interactives localisant des géopatrimoines ; le niveau avancé proposait, à partir d'une base de données, d'extraire les géotopes en fonction de leur nature avant de les afficher sur la carte ;
  • Un atelier de réalisation de modèles 3D, utilisant la photogrammétrie et la solution 123D Catch d'Autodesk, a permis de réaliser des modèles virtuels de blocs erratiques et d'échantillons de roches du Chablais qui ont été ensuite animés dans une courte séquence vidéo ;
  • Un atelier d'animation de panorama a permis à partir de quelques lignes de codes Java d'animer (zoom et déplacement) quelques paysages remarquables du Chablais ;
  • Enfin un atelier de géovisualisation et de réalité enrichie a permis de tester deux solutions techniques : la première permettait d'enrichir la réalité observée au cours d'une promenade géologique en donnant accès à des vidéos d'interprétation à partir de Qr-codes placés sur les dépliants de présentation de l'itinéraire ; la seconde proposait deux types d'animation utilisant des possibilités avancées de Google Earth ainsi qu'une combinaison de ces outils agrégés dans une page Web sous la forme d'un mash-up.

Ces ateliers pratiques étaient complétés par des interventions de chercheurs ou de professionnels venus présenter des solutions techniques plus sophistiquées ayant été utilisées dans le cadre de recherches conduites sur les géopatrimoines ou bien de projets de mise en valeur touristique de ceux-ci. Lasergrammétrie, outils de réalité augmenté au service de la médiation à destination des publics non-voyants … autant d'exemples qui ont permis d'envisager de nouvelles pistes de projets.

Les nouvelles technologies ont envahi de nombreux domaines dont le tourisme et en particulier, dans ce cadre, l'interprétation des patrimoines. Le développement du réseau des géoparcs se révèle porteur d'une dynamique de projet à l'initiative de nombreuses réalisations qui permettent de tester les possibilités offertes par ces nouvelles technologies numériques dans la mise en valeur des géopatrimoines. Un panorama des projets en cours ou émergents montre, au-delà du foisonnement des solutions et outils utilisés que, dans la majorité des cas, cet aspect technique et innovant n'a pas été source d'une perte de qualité du message scientifique à transmettre.

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Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Nathalie Cayla et Anne Guyomard, « Le projet « HINT » (Heritage Interpretation through New Technologies), une coopération internationale au service de la valorisation des géopatrimoines », Annales de la Société Géologique du Nord, 19 | 2012, 75-80.

Référence électronique

Nathalie Cayla et Anne Guyomard, « Le projet « HINT » (Heritage Interpretation through New Technologies), une coopération internationale au service de la valorisation des géopatrimoines », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 04 juillet 2022, consulté le 29 avril 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/1394

Auteurs

Nathalie Cayla

Laboratoire EDYTEM, UMR CNRS-Université de Savoie, Pôle Montagne, Technolac, F–73376 Le Bourget du Lac cedex , nathalie.cayla@univ-savoie.fr

Anne Guyomard

Syndicat Intercommunal d’Aménagement du Chablais, 2 Avenue des Allobroges, Square Voltaire, 74200 Thonon-les-Bains, a.guyomard@siac-chablais.fr

Droits d'auteur

CC-BY-NC