La Bretagne et son patrimoine géologique : intention, opportunités et pragmatisme, un siècle déjà

  • Brittany and its Geological Heritage: One Century of Intuition, Opportunities and Pragmatism

DOI : 10.54563/asgn.1434

p. 105-108

Résumés

La Bretagne, pionnière en matière de protection de la nature en France, s’est également préoccupée depuis longtemps de son patrimoine géologique. Circonstances favorables mais aussi volontarisme d’acteurs motivés aboutissent à une situation aujourd’hui prometteuse.

Brittany, a pioneer in the field of nature conservation in France, has also long been concerned by its geological heritage. Favourable circumstances, in addition to voluntary actions undertaken by motivated stakeholders, bring about the promising situation we see today.

Plan

Texte

I. — Introduction : ils ont eu l'intuition …

Lorsque le Comte de Limur écrit en 1883 « …car les roches, les pierres ou les cailloux, ainsi que le vulgaire les nomme, sont tout aussi bien les pièces justificatives de l'histoire de la terre, que ces petits disques en métal que l'on considère avec tant d'intérêt dans les collections de numismatique, comme étant les derniers témoins de l'existence de peuples depuis longtemps oubliés dans la nuit des siècles passés. Les minéraux, les roches et les fossiles sont aussi eux les médailles frappées au coin des révolutions du globe », n'est-ce pas le premier plaidoyer en faveur de la reconnaissance du patrimoine géologique ?

En 1957, Michel-Hérvé Julien (créateur de la Société pour l'étude et la protection de la nature en Bretagne - SEPNB, assistant au Muséum national d'histoire naturelle, à Paris - MNHN) écrit dans un texte fondateur : «…Le premier travail que nous proposons est l'établissement d'un inventaire précis des principales richesses naturelles : marais, falaises, rivages, étangs, landes, forêts, abritant d'intéressantes stations botaniques, colonies d'oiseaux, groupe de mammifères, sites géologiques, etc., dont la sauvegarde est essentielle.» Naturaliste, pionnier de la protection de la nature, dans sa vision de la conservation du patrimoine naturel et dans la feuille de route qu'il trace pour la jeune association, il n'oublie pas les « sites géologiques ». Il faudra attendre 50 ans pour qu'un inventaire soit lancé au plan national !

Le Comte de Limur et Michel-Hervé Julien ont eu, sans aucun doute, l'intuition. Au plan national, on retient dans cette longue période, la tentative de légiférer pour une protection des sites paléontologiques en 1910 (projet de loi Briand- Doumergue) et la communication du professeur Lemoine (MNHN et Société Géologique de France - SGF) au congrès international pour le protection de la nature de Paris de 1923 : «l'attention du congrès s'est surtout portée vers la protection de la faune, de la flore et des sites. Je me permets de lui signaler (…) un autre genre de richesses naturelles qu'il importe de conserver : les gisements de Fossiles et de Minéraux» (…) on doit souhaiter que tous les gisements de ce genre soient constitués en «petits parcs nationaux annexes» que leur propriété soit attribuée à un organisme d'Etat spécialisé, que leur achat … puisse se faire …que l'Etat affecte à des achats de ce genre un crédit annuel, par exemple de 10.000 francs …» (Anon., 1925). Presqu'un siècle plus tard, on croit rêver !

En 1966, la carrière des Landes (Guichen, Ille-et-Vilaine), site historique de la découverte de la discordance Paléozoïque / Briovérien en Bretagne (Fig. 1), est abandonnée et vouée au comblement par des détritus en tous genres. Les géologues naturalistes de l'université de Rennes se préoccupent de cette situation et cherchent les moyens d'une protection. Ils se rapprochent des Affaires culturelles et le site est classé au titre de la loi de 1930, pour son intérêt scientifique. Cela le sauvera de la disparition. Certes l'absence de gestion le fera disparaitre sous la broussaille mais il suffira en 2005 d'un bon chantier pour retrouver sa parfaite accessibilité et lisibilité (Fig. 1).

Figure 1

Figure 1

Discordance Paléozoïque/Briovérien, site historique de la carrière des Landes (Guichen, Ille-et-Vilaine) (Photo Max Jonin).
 
The Landes'quarry, Guichen (Ille-et-Vilaine), historic place of the Brioverian/Paleozoic unconformity in armorican Massif.

II. — Opportunités des années 1980-1990

Dans l'histoire de la Société pour l'étude et la protection de la nature en Bretagne (SEPNB), quelques géologues naturalistes ont été impliqués en responsabilités, ainsi l'intuition de M.-H. Julien a pu prendre corps. Quand Michel d'Ornano, ministre en charge de l'environnement, annonce en 1978 le projet de «100 réserves naturelles» avec un appel à dossiers en Régions, la SEPNB travaille, entre autres projets, à celui d'une réserve naturelle d'intérêt géologique sur l'île de Groix (Fig. 2) dont le pillage minéralogique était bien connu. Elle sera réalisée en décembre 1982. Cette même année, la Société géologique et minéralogique de Bretagne (SGMB) intervient auprès du maire de Saint-Brieuc pour arrêter un enrochement en Baie de Saint-Brieuc qui allait combler le géotope du «poudingue de Cesson» (Briovérien inférieur), affleurement de référence de la géologie bretonne (aujourd'hui inclus dans la Réserve naturelle nationale - RNN de la Baie de Saint-Brieuc) (Fig. 3). En 1985, les géologues de l'université de Brest font prendre un arrêté municipal (au titre de la sécurité) au maire de Plougastel-Daoulas pour interdire le prélèvement de roches sur le récif fossile de la Pointe de l'Armorique (Dévonien inférieur) (Fig. 2) ; depuis le site est devenu espace naturel sensible départemental. La disparition en 1980 du minéralogiste François Le Bail conduira au sauvetage de sa collection par les géologues de Brest et la SEPNB. L'université n'est pas intéressée (déjà !), c'est le parc naturel régional qui suscitera la création de la Maison des minéraux de Crozon qui depuis 20 ans fait un travail remarquable de valorisation de la géologie auprès d'un large public, notamment de scolaires.

Opportunité toujours, quand, en 1992, pour être cohérente avec ses engagements nationaux au sein de la commission patrimoine géologique des Réserves naturelles de France - RNF, la SEPNB accueille un jeune géologue en service civil et lui confie, avec l'aide de l'Etat, l'inventaire régional des sites d'intérêt géologique de Bretagne qui paraît en 1994, le premier au plan national.

Figure 2

Figure 2

Inventaire régional du patrimoine géologique (Source SGMB).
 
Regional inventory of geological heritage, Brittany.

Figure 3

Figure 3

Carte géologique simplifiée du Massif armoricain et enjeux du patrimoine géologique en Bretagne, (Source SGMB).
 
Perspectives of the geological heritage, Brittany.

III. — Engagement militant et pragmatisme depuis 2000

La prise en compte du patrimoine géologique dans la protection du patrimoine naturel étant bien ancrée en Bretagne, la vieille société savante SGMB, « endormie » depuis une quinzaine d'années, est réactivée en 2000, avec une révision des statuts pour l'adapter aux problèmes actuels. L'objectif est clair et peut se résumer ainsi : il s'agit de faire, en Bretagne, pour le monde minéral ce que la SEPNB a réussi historiquement pour le patrimoine biologique (faune, flore, habitats). Dès lors, avec pragmatisme, toutes les entrées possibles sont exploitées pour faire connaître, reconnaître, protéger et valoriser un patrimoine géologique régional dont un inventaire est disponible depuis 1994.

Les deux premières actions ont valeur symbolique : elles concernent la restauration et la mise en valeur (en partenariat avec les communes et la Région) de deux géotopes parmi les plus emblématiques du patrimoine géologique breton, les anciennes carrières de La Marette (Saint-Malon-sur-Mel) et des Landes (Guichen) offrant la discordance Paléozoïque/Briovérien.

Un projet de réserve naturelle étant porté depuis 10 ans sur la presqu'île de Crozon autour de son patrimoine géologique exceptionnel, en 2007, la décision d'une réserve naturelle régionale (RNR) est arrêtée ; le dossier chemine… En 2006, le sillon de Talbert (Fig. 3), affecté au conservatoire du littoral, est labellisé espace remarquable de Bretagne avec le statut de RNR. A posteriori, nous imposerons progressivement l'affichage prioritaire d'un site d'intérêt géologique pour cette flèche littorale à pointe libre, la plus importante de France. C'est aussi l'occasion de responsabiliser la commune gestionnaire au patrimoine que représente l'affleurement de l'Icartien (Fig. 3) sur son littoral. Le suivi de l'inventaire régional sera possible grâce à la signature d'un « contrat-nature thématique » avec la Région qui permet sa révision, l'évaluation patrimoniale des géotopes et l'examen des problèmes de conservation et de valorisation pour chacun (Fig. 2 et 3). C'est l'occasion aussi de la réalisation d'un livret de 4 pages d'information à l'intention des collectivités qui accompagne l'envoi des fiches-sites à chacune. Sur L'Hôpital-Camfrout, la conservation des géotopes concernant la kersantite (roche de la famille des lamprophyres) passe par la réalisation de panneaux pédagogiques et d'un dépliant pédagogique. Sur Erquy- Fréhel, c'est une exposition photographique qui accompagne le géofestival avec le soutien des carriers bretons. La «mer de faluns» (Fig. 2) devient un identifiant du territoire avec un projet (en cours de réalisation) d'un centre d'interprétation associant terrain et muséographie. Le conseil général d'Ille- et-Vilaine, engagé depuis longtemps dans une politique d'espaces naturels sensibles, en convention avec la SGMB, établi en 2010 un projet intégrant la création d'un réseau de 6 géotopes à dix ans. Les autres conseils généraux de Bretagne sont actuellement sur la même logique et la SGMB est leur partenaire.

Des publications à l'intention d'un large public sont éditées et rencontrent un succès encourageant. Des journées régionales du patrimoine géologiques sont organisées en 1998 à Vannes (Morbihan) (Jonin, 1999), en 2011 à Trévou- Tréguinnec (Côtes-d'Armor) tandis que Brest accueille les journées nationales en 2002 (Anon., 2003).

IV. — Conclusion

En Bretagne, la prise en compte du patrimoine géologique a de vraies racines. La conservation des OGR (Objets Géologiques Remarquables) a trouvé sa place dans les préoccupations partagées des acteurs. L'engagement de la Région et des conseils généraux, l'inventaire régional validé constituent un cadre opérationnel. L'arrêté préfectoral de protection de géotope est attendu pour être aussitôt utilisé sur le terrain. Et l'indispensable structure associative existe, travaillant en bon partenariat avec les acteurs traditionnels. Raisonnablement, il est possible pour les géologues bretons de considérer l'avenir avec optimisme à l'échelle du temps de l'Homme.

Bibliographie

ANON. (1925). — Congrès international pour la protection de la nature : Faune, flore, sites et monuments naturels - Rapports, vœux, réalisations (Société nationale d'acclimatation de France, Ligue française pour la protection des oiseaux & Société pour la protection des paysages de France, Paris, 31 mai - 2 juin 1923). CIPN édit. (Commission permanente des Congrès internationaux pour la protection de la nature) : 388 p.

ANON. (2003). — Actes des 3èmes journées nationales du Patrimoine géologique (Brest, 27-28 septembre 2002). Mémoire de la Société Géologique et Minéralogique de Bretagne : 110 p.

DE LIMUR M. (1883). — Catalogue raisonné des minéraux du Morbihan. Société polymatique du Morbihan édit., Vannes : 111 p.

JONIN M. coord. (1999). – Patrimoine géologique de Bretagne. Penn ar Bed, 173-174 : 112 p.

JULIEN M.-H. (1957). — La protection de la nature. Penn ar Bed, 11 (2-3) : 1-6.

Illustrations

  • Figure 1

    Figure 1

    Discordance Paléozoïque/Briovérien, site historique de la carrière des Landes (Guichen, Ille-et-Vilaine) (Photo Max Jonin).
     
    The Landes'quarry, Guichen (Ille-et-Vilaine), historic place of the Brioverian/Paleozoic unconformity in armorican Massif.

  • Figure 2

    Figure 2

    Inventaire régional du patrimoine géologique (Source SGMB).
     
    Regional inventory of geological heritage, Brittany.

  • Figure 3

    Figure 3

    Carte géologique simplifiée du Massif armoricain et enjeux du patrimoine géologique en Bretagne, (Source SGMB).
     
    Perspectives of the geological heritage, Brittany.

Citer cet article

Référence papier

Max Jonin, « La Bretagne et son patrimoine géologique : intention, opportunités et pragmatisme, un siècle déjà », Annales de la Société Géologique du Nord, 19 | 2012, 105-108.

Référence électronique

Max Jonin, « La Bretagne et son patrimoine géologique : intention, opportunités et pragmatisme, un siècle déjà », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 04 juillet 2022, consulté le 16 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/1434

Auteur

Max Jonin

Société géologique et minéralogique de Bretagne, L’ormeau 29860 Plabennec, e-mail: joninlormeau@wanadoo.fr

Droits d'auteur

CC-BY-NC