Des chimistes lillois au service de la caractérisation de la contamination des écosystèmes et de la ressource en eau

DOI : 10.54563/asgn.1914

p. 67-70

Plan

Notes de la rédaction

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Texte

Les chercheurs

L’équipe Physico-chimie de l’Environnement (PCE) est l’une des 4 équipes du LASIRE (UMR CNRS/U-Lille 8516). Elle est animée par Gabriel Billon depuis 2015 et compte 4 professeurs (dont un émérite) et 10 maîtres de Conférences. Elle est intégrée à l’IRePSE, Institut de l’Environnement de l’Université de Lille. Ses recherches s’appuient sur un pôle « Analyse de Traces » dont une partie est hébergée par l’Institut Chevreul pour l’analyse des éléments métalliques. 3 personnels techniques (1 ingénieur de recherche et 2 techniciens) viennent également en appui aux différentes thématiques abordées.

Les sujets

Les sujets généraux de l’Equipe PCE sont axés autour de problématiques environnementales et contribuent à une meilleure connaissance : (i) des processus physico-chimiques fondamentaux dans les milieux naturels afin de mieux appréhender ces processus ; (ii) de l’origine et du devenir des contaminants métalliques et organiques dans les systèmes naturels (eau, aérosol et sédiment) en développant notamment de nouveaux outils d’observations ; et plus récemment (iii) des processus de traitements de l’eau. Ces recherches se font au travers de développements méthodologiques et analytiques pour répondre à des questionnements de spéciation, de réactivité non seulement à l’échelle macroscopique mais également moléculaire. Les objets d’observation sont les masses d’eau continentales et littorales, les aérosols, les sédiments et les eaux dans des filières de traitement.

Quelques résultats

Vers le dosage des ultra-traces

Les éléments du groupe du platine (PGEs : Ru, Rh, Pd, Os, Ir, Pt) sont un groupe de métaux rares, caractérisés par des propriétés communes et particulières. Bien que toxiques à faibles doses, ils sont couramment utilisés en tant que catalyseurs (pots catalytiques dans l’industrie automobile et en synthèse organique par exemple) ainsi qu’en milieu médical (composés anticancéreux notamment). A ce titre, en milieu naturel, ces éléments se révèlent être d’excellents traceurs potentiels des activités anthropiques. Cependant, leur quantification dans les matrices environnementales reste encore problématique en raison de leurs faibles concentrations associées à la présence d’interférences analytiques.

Une étude menée par l’équipe PCE a ainsi été réalisée afin de quantifier les éléments Ir, Rh, Ru, Pd et Pt. Elle repose sur la mise au point d’échantillonneurs passifs (DGTs) utilisés comme outil intégratif in situ (Figure 1). Deux types de résines ont été sélectionnés pour la conception de ces capteurs (une résine chélatante et une résine échangeuse d’ions). Ces DGTs ont été exposés dans deux rejets de stations d’épuration au niveau de la Marque Rivière (Hauts-de-France). (Trommetter et al., 2021).

Figure 1

Figure 1

Photos de DGTs de type piston assemblés en laboratoire puis déployés en rivière. La surface active est de 3,14 cm2.

Outre les paramètres liés aux deux résines étudiées (cinétiques d’accumulation, sélectivité…), les résultats de cette étude ont permis d’établir une première approche mondiale d’étude des PGEs par DGTs en milieu naturel et ont souligné l’évidence de la présence de médicaments anticancéreux à base de Pt dans les rejets de station d’épuration. Ce travail a été complété par une intercalibration avec la Vrije Universiteit Brussel (Abdulbur-Alfakhoury et al., 2021) dans deux rivières du bassin versant de l’Escaut. Les résultats ont conforté la présence de ces médicaments dans le milieu naturel à des concentrations de l’ordre du ng L-1.

Mesure haute fréquence et évènements extrêmes

En 1989, Fuller et Davis publient un article montrant des variations de paramètres physico-chimiques dans l’eau à l’échelle de la journée et leur impact sur la spéciation d’éléments traces (dans le cas de l’arsenic). Depuis, l’observation à haute fréquence d’un grand nombre d’éléments ou molécules a permis de voir que des variations journalières importantes, dépassant parfois en ampleur les variations saisonnières, avaient lieu naturellement (cf. le numéro spécial de Chemical Geology présenté par Nimick & Gammons, 2011). De manière plus générale, certains événements comme des orages peuvent impliquer des modifications très importantes du milieu dans des temps très courts et sont difficiles à saisir avec des prélèvements ponctuels. Cette dynamique est d’autant plus importante qu’elle peut avoir des conséquences fortes sur la toxicité de certains contaminants qui ne pourrait sans doute pas être expliquée en mesurant seulement des concentrations moyennes (Nimick et al., 2007). C’est dans cette optique que l’équipe PCE développe des appareillages de terrain permettant la mesure haute fréquence pour différents contaminants. L’accent a été mis principalement sur la mesure de la spéciation des métaux traces avec le développement d’un système voltamétrique automatisé. Celui-ci a été utilisé pour étudier l’impact de la remise en suspension de sédiments très contaminés dans les cours d’eau du bassin minier (Superville et al., 2015) ou encore la dynamique de la spéciation du manganèse dans un petit cours d’eau, révélatrice de diverses activités biogéochimiques (Superville et al., 2018). Plus récemment, cette volonté de voir des événements courts s’est appliquée à la matière organique dissoute. Dans le cadre de cette étude, une station mobile pour le suivi de la qualité de l’eau a été montée par le laboratoire pour faciliter le déploiement sur le terrain (Figure 2). Récemment, la mesure des paramètres physico-chimiques, couplée à un traitement statistique en direct et à un préleveur filtreur automatisé a permis de réaliser un échantillonnage optimisé limitant le nombre d’échantillons et d’analyses tout en conservant au maximum la variabilité du jeu de données (Mougin et al., 2022).

Figure 2a

Figure 2a

Figure 2b

Figure 2b

À gauche : station mobile déployée sur le terrain. A droite : cellule à débordement, élément central de la station, dans lequel les sondes sont immergées et les analyseurs viennent prélever de l’eau fraîchement pompée de la rivière.

Qu’apporte la chloration de l’eau potable ?

La chloration des eaux a apporté un immense bénéfice d’un point de vue de la sécurité sanitaire des eaux distribuées, réduisant le nombre d’épidémies d’origine hydrique. Face à cela, il faut mesurer le risque associé à la concomitante formation de sous-produits toxiques par réaction du chlore ou de ses dérivés avec la matière organique omniprésente dans les ressources en eau. Le laboratoire a mis en place l’analyse de sous-produits de désinfection (trihalométhanes dont les espèces iodées, acides haloacétiques, haloacétamides et haloacétonitriles) afin de caractériser les conditions de formations de ces sous-produits en laboratoire et sur des usines de potabilisation (MacKeown et al., 2020). La nouvelle règlementation européenne inclut l’analyse des acides haloacétiques en plus des 4 trihalométhanes régulés depuis de nombreuses années. Ces substances sont souvent majoritaires parmi les substances formées et sont utilisées comme sentinelles pour la réduction de l’ensemble. Toutefois, cela n’est pas toujours vrai, notamment pour les trihalométhanes iodés qui sont aussi liés à des goûts et odeurs médicamenteux de l’eau produite. De plus, il est montré que les substances bromées et iodées sont plus toxiques que leurs homologues chlorés. De même, une vigilance vis-à-vis de la toxicité des espèces azotées est à prendre en compte. Ainsi, la caractérisation de la matière organique, sa réactivité et les sous-produits formés sous différents scénarios de qualité des eaux brutes et de traitements mis en œuvre est un axe de recherche primordial (MacKeown et al., 2021). La prise en compte des teneurs croissantes en bromure et iodure liées aux aléas climatiques et possibles intrusions d’eau saline dans les ressources est également un sujet d’actualité dans notre équipe (MacKeown et al., 2022).

Impact de la pollution de l’air sur le pollen

Les polluants de l’air altèrent le grain de pollen, aggravent les symptômes de l’allergie et sont suspectés d’intervenir dans la sensibilisation aux allergènes. Les contaminations de l’eau et du sol peuvent modifier la production de pollen par la plante ainsi que sa qualité. De plus, le changement climatique et l’augmentation de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone sont des paramètres cruciaux pour la production de pollen et d’allergènes, pouvant aboutir au niveau régional à une forte augmentation de l’exposition des populations à certains pollens allergisants. Dans un contexte où l’incidence des allergies respiratoires est en augmentation en Europe depuis plusieurs décennies, l’influence des stress dus aux polluants chimiques sur le pollen allergisant est au cœur des préoccupations du groupe de recherche aérosol de l’équipe PCE.

La description de la contamination de grains de pollen par des polluants chimiques (particules atmosphériques, polluants organiques persistants, éléments traces métalliques,…) est basée sur des prélèvements atmosphériques de pollens aéroportés et sur la récolte de pollens directement sur les plantes juste avant la période de pollinisation (Choël et al., 2022). Le pollen est également mis en contact en laboratoire avec des polluants afin de mieux comprendre les mécanismes biochimiques et biologiques d’altération du pollen par la pollution (Farah et al., 2021). Pour ce faire, des cellules environnementales permettant une exposition contrôlée du grain de pollen sont couplées à des instruments d’analyse in situ à l’échelle du micromètre (microscopie confocale, spectrométries infrarouge et Raman). Des observations complémentaires par microscopie électronique à balayage couplée à la spectrométrie d’émission de rayons X sont réalisées pour la caractérisation de l’état physique du grain de pollen (grains intègres ou cassés) mais aussi du degré de contamination particulaire (Figure 3). Enfin, les outils analytiques de l’équipe (chromatographiques, ICP-AES et ICP-MS) sont mis à contribution pour la caractérisation chimique du grain de pollen.

Figure 3

Figure 3

Grain de pollen de bouleau couvert de microparticules extrapolliniques et terrigènes

Afin de disposer d’une source de pollen contrôlée, une nouvelle expérimentation est en phase de test avec pour objectif la culture de plantes au pollen allergisant sous atmosphère avec un enrichissement en CO2 correspondant aux projections pour la fin du siècle (800 ppm). Ce travail est réalisé avec le support de la plateforme Serres, cultures et terrains expérimentaux de l’Université de Lille.

En guise de conclusion

Ces quelques exemples illustrent nos approches scientifiques de chimistes analytiques pour répondre à des problématiques environnementales dans les compartiments eau, air et sol : développement de nouvelles méthodologies pour apporter des solutions à l’observation des écosystèmes et à l’exploitation de la ressource en eau. Ces recherches trouvent de nombreuses plus-values car elles sont menées dans le cadre de divers projets collaboratifs régionaux, nationaux et internationaux avec des collègues géologues, biologistes, pédologues, géochimistes, toxicologues… La compréhension des écosystèmes nécessite en effet de multiples compétences avec comme première étape l’acquisition de données qui ont un sens et une bonne robustesse. C’est tout l’enjeu de nos développements, toujours connectés à la réalité du terrain.

Remerciements. — L’équipe PCE remercie chaleureusement le LASIRE et l’ensemble des financeurs qui lui permettent de mener à bien un grand nombre de ses recherches : l’Europe (projets Interreg DOC2C’s, Valse & Life Rubies), le Ministère français de la Recherche et la Région Hauts-de-France (CPER Climibio & Ecrin), l’ANR (AUDESSA, NOMIC), l’Agence de l’Eau Artois-Picardie, l’ADEME et l’Anses. La Plateforme de Caractérisation Avancée de l’Institut Chevreul est également très sollicitée pour nos recherches et l’ensemble de l’Equipe lui exprime toute sa gratitude.

Bibliographie

ABDULBUR-ALFAKHOURY E., TROMMETTER G., BRION N., DUMOULIN D., REICHSTÄDTER M., BILLON G., LEERMAKERS M. & BAEYENS W. (2021). - Distribution of platinum (Pt), palladium (Pd), and rhodium (Rh) in urban tributaries of the Scheldt River assessed by diffusive gradients in thin films technique (DGT). Science of the Total Environment, 784: 147075.

CHOËL M., IVANOVSKY A., ROOSE A., HAMZÉ M., BLANCHENET A.-M. & VISEZ N. (2022). - Quantitative assessment of coagulation of atmospheric particles onto airborne birch pollen grains. Journal of Aerosol Science, 161 : 105944.

FARAH J., CHOËL M., DE NADAÏ P., BALSAMELLI J., GOSSELIN S. & VISEZ N. (2021). - Organic and aqueous extraction of lipids from birch pollen grains exposed to gaseous pollutants. Environmental Science and Pollution Research, 28(26), 34527–34538.

FULLER C.C. & DAVIS J.A. (1989). - Influence of coupling of sorption and photosynthetic processes on trace element cycles in natural waters. Nature 340, 52–54.

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SUPERVILLE, P.-J., IVANOVSKY, A., BHURTUN, P., PRYGIEL, J., BILLON, G. (2018). Diel cycles of reduced manganese and their seasonal variability in the Marque River (northern France). Science of the Total Environment, 624, 918-925.

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Illustrations

  • Figure 1

    Figure 1

    Photos de DGTs de type piston assemblés en laboratoire puis déployés en rivière. La surface active est de 3,14 cm2.

  • Figure 2a
  • Figure 2b

    Figure 2b

    À gauche : station mobile déployée sur le terrain. A droite : cellule à débordement, élément central de la station, dans lequel les sondes sont immergées et les analyseurs viennent prélever de l’eau fraîchement pompée de la rivière.

  • Figure 3

    Figure 3

    Grain de pollen de bouleau couvert de microparticules extrapolliniques et terrigènes

Citer cet article

Référence papier

Jérémy Mougin, Marie Choël, Justinn Superville, Nicolas Visez et Gabriel Billon, « Des chimistes lillois au service de la caractérisation de la contamination des écosystèmes et de la ressource en eau », Annales de la Société Géologique du Nord, 29 | 2022, 67-70.

Référence électronique

Jérémy Mougin, Marie Choël, Justinn Superville, Nicolas Visez et Gabriel Billon, « Des chimistes lillois au service de la caractérisation de la contamination des écosystèmes et de la ressource en eau », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 29 avril 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/1914

Auteurs

Jérémy Mougin

Univ. Lille, CNRS, UMR 8516 - LASIRE, Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement F-59000 Lille, France

Marie Choël

Univ. Lille, CNRS, UMR 8516 - LASIRE, Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement F-59000 Lille, France

Justinn Superville

Univ. Lille, CNRS, UMR 8516 - LASIRE, Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement F-59000 Lille, France

Nicolas Visez

Univ. Lille, CNRS, UMR 8516 - LASIRE, Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement F-59000 Lille, France

Gabriel Billon

Univ. Lille, CNRS, UMR 8516 - LASIRE, Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la Réactivité et l’Environnement F-59000 Lille, France

Droits d'auteur

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