I. — Introduction
Le bassin français de l'Escaut est composé d'un haut pays (plateaux crayeux) et d'un bas pays (plaines basses et collines de sables et d'argiles). Il est caractérisé par l'absence de cours d'eau d'importance et, dans le bas pays, par une couverture sédimentaire quaternaire continue et des pentes faibles (Fig. 1). Système morpho-sédimentaire, taille limitée des cours d'eau, appartenance à la zone loessique : autant de paramètres qui font du bas pays une région particulièrement favorable aux enregistrements du Pléistocène et de l'Holocène en fond de vallée. Pourtant, malgré des premières observations précoces (Ladrière, 1881) et quelques travaux qui illustrent tout le potentiel de la région, tels Warneton (Paepe & Vanhoorne, 1967) ou Erquinghem-sur-la-Lys (Sommé et al., 1996), les fonds de vallée du bassin de l'Escaut n'ont que peu profité du renouveau des recherches sur le Quaternaire, comme a pu le remarquer Jean Sommé dans un inventaire des unités lithostratigraphiques quaternaires régionales (Sommé, 2013).
Une thèse a été récemment soutenue sur la chronostratigraphie et les paléoenvironnements des fonds de vallées du bassin français de l'Escaut principalement à partir de données issues de l'archéologie préventive (Deschodt, 2014). À côté de levés détaillés et d'études paléoenvironnementales acquis sur des chantiers de fouille archéologique, une meilleure connaissance des formations de fond de vallées est alimentée par un semis d'observations récolté sur des opérations courtes de diagnostic archéologique, en général sous la forme de puits effectués à la pelle mécanique (plus de 1 400 sur la zone considérée). Ces données sont éventuellement complétées par des dépouillements de sondages géotechniques. À l'issue du travail, l'héritage du Pléniglaciaire supérieur weichselien apparaît prépondérant et les dépôts quaternaires des fonds de vallée peuvent être divisés en trois grands groupes : les dépôts du Pléniglaciaire supérieur weichselien, les dépôts antérieurs, les dépôts postérieurs (Fig. 2).
II. — Les dépôts antérieurs au plénigaciaire supérieur
1) Les dépôts antérieurs au Weichselien : nature et répartition
Seul le bas pays présente une conservation de dépôts antérieurs au Weichselien dans le fond de vallée. Il peut s'agir (Fig. 3) :
- de nappes graveleuses déposées en piedmont du haut pays ; ces nappes ne sont pas datées, toutefois une partie d'entre elles est probablement ancienne, associée à la morphogenèse régionale et à la différenciation haut et bas pays. Elles correspondent aux systèmes de terrasses présents en amont dans le haut pays (en particulier ceux de l'Aa et de la Lys). Un équivalent méconnu existe dans le cas de la plaine de confl uence Escaut-Haine.
- de dépôts eemiens isolés conservés à faible profondeur ; à ce jour, seul le site de Waziers « Bas Terroir » dans la plaine de la Scarpe est attesté (Antoine et al., 2013 ; Locht et al., 2014). Il s'agit d'un comblement interglaciaire de chenal, avec dépôts alluviaux organiques, du bois, des restes de faune et quelques éléments témoins d'une présence humaine en position primaire. D'autres dépôts eemiens sont susceptibles d'être conservés à Wambrechies, au « fort du Vert-Galant » anciennement décrit par Ladrière (1883, 1885). La conservation de ces témoins a été favorisée par un contexte de très larges plaines occupées par des cours d'eau de gabarit réduit.
- de nappes emboîtées dans la terminaison française de la vallée fl amande ; des dépôts fl uviatiles du Saalien et de l'Eemien sont présents à une vingtaine de mètres de profondeur dans la plaine de la Lys et dans la partie aval de la Deûle et de la Marque. La présence de l'Eemien est en particulier attestée vers la cote zéro à Erquinghem-sur-la-Lys (Sommé et al., 1996). Ces dépôts participent au comblement de la « vallée fl amande », en continuité avec la partie aval belge. Les deux derniers cycles glaciaires sont enregistrés sur environ 25 m d'épaisseur sous la forme d'un emboîtement de nappes alluviales et d'une interstratifi cation de couvertures éoliennes (deuxième partie du Saalien et Weichselien) (Fig. 4).
Dans le bassin de l'Escaut, ces trois types de gisements en fond de vallées s'ajoutent à la nappe alluviale étagée de Biache- Saint-Vaast sur la bordure du haut pays (Tuffreau et al., 1988).
2) Les dépôts du Pléistocène moyen : une information sur le bilan tectonique quaternaire
Dans le bas pays, les témoins quaternaires les plus anciens sont représentés par quelques dépôts résiduels présents à une altitude modérée (70 ou 40 m) sur les interfluves. Ils témoignent d'écoulements pléistocènes anciens provenant de l'Artois et dirigés vers le nord, dans la logique d'un retrait de la ligne de cote paléogène. La parcimonie des dépôts anciens contraste avec ceux des deux derniers cycles (Saalien, Eemien, Weichselien) qui sont bien conservés au moins dans la vallée flamande. Le Weichselien y est même particulièrement représenté (Fig. 4).
Entre ces deux pôles, les témoins sont absents. Le fait s'explique en partie par la nature du substrat (sous- représentation des roches dures, mobilité des cours d'eau sur sable, non-conservation sur la longue distance ou le long terme des cailloutis de craie) et les problèmes de reconnaissance. La bonne représentation des deux derniers cycles est d'autant plus remarquable. Nous pouvons en tirer quelques informations sur l'évolution tectonique de la zone. Les deux cycles enregistrés sur une vingtaine de mètres d'épaisseur dans la terminaison française de la vallée flamande sont à comparer avec les étagements et emboîtements de nappes des régions voisines. L'âge et l'épaisseur des dépôts de la zone étudiée semblent dérisoires par rapport aux 300 mètres accumulés aux Pays-Bas au cours du Quaternaire en lien avec un système de graben actif (Ziegler, 1994 ; Zagwijn, 1974, 1989 ; Geluk et al., 1994 ; Van den Berg, 1994 ; Houtgast & Van Balen, 2000). L'enregistrement est également bien peu développé par rapport à la dizaine de cycles enregistrés sous forme de nappes étagées en contexte surrectif dans les vallées du Bassin parisien (Antoine et al., 2000a ; Chaussé et al., 2004) ou encore les nombreuses terrasses de la Meuse à l'est de Maastricht qui couvrent une grande partie du Quaternaire (Van den Berg, 1994). Les enregistrements sédimentaires du Pléistocène moyen suggèrent un bilan tectonique proche de la stabilité à l'échelle du Quaternaire, ce qui ne préjuge ni de la prépondérance de la structure sur le relief ni de possibles rejeux récents (éventuellement antagonistes). Un bilan proche de la neutralité est en conformité avec la position géographique de la zone, entre un Bassin parisien en surrection et un bassin belgo-néerlandais en subsidence. Cette relative stabilité participe à la mauvaise conservation des dépôts les plus anciens.
3) Le comblement de la vallée flamande : une information sur l'évolution paléogéographique depuis la fin du Saalien
a) Des apports éoliens massifs et atypiques au cours des deux derniers cycles …
Les dépôts fluvio-éoliens du Pléniglaciaire weichselien ont comblé la vaste plaine de la Lys. Les apports éoliens ont été suffisamment importants pour modifier la morphologie de la vallée de la Deûle et permettre un décalage vers l'est du talweg (Fig. 4) (Deschodt, 1999 ; Deschodt et al., 2008). Le phénomène est amorcé à la fin du Saalien et est particulièrement important au Weichselien. Sans les apports éoliens, le bilan sédimentaire des deux derniers cycles aurait été réduit, voire limité aux seuls dépôts fluviatiles de la fin du Weichselien et de l'Holocène. Nous envisageons des apports éoliens faibles avant le Saalien et particulièrement importants au Weichselien.
b) ... en liaison avec l'évolution paléogéographique du sud de la Mer du Nord depuis la fin du Saalien ...
Ce changement dans l'abondance des apports éoliens des deux derniers cycles peut être mis en parallèle avec la modification de la composition en minéraux lourds (augmentation à partir du Saalien du taux de hornblende verte) (Balescu, 1986 ; Meijs, 2002 ; Meijs et al., 2012), indice d'un changement paléogéographique de la zone source à la fin du Saalien (stade isotopique marin 6, Fig. 2). Le minéral est présent dans les moraines de l'inlandsis scandinave et dans les alluvions du paléo-Rhin qui les bordait. Dans la zone d'étude, l'origine du changement de minéralogie est à chercher dans une modification du bassin sud de la Mer du Nord. La publication d'Hijma et al. (2012) apporte une nouvelle conception de l'évolution paléogéographique pléistocène récent de la mer du Nord. La modification des minéraux peut être expliquée par l'apport d'un stock d'alluvions rhénanes vers le sud du bassin et vers la Manche. Deux étapes sont perçues :
- Au Saalien, la rupture en mer du Nord au large des actuels Pays-Bas d'un seuil aurait eu pour conséquence la vidange d'un compartiment nord du lac pro-glaciaire exutoire du Rhin vers le bassin sud et le surcreusement du seuil crayeux du détroit du Pas de Calais, exutoire vers le bassin de la Manche ;
- Au Weichselien, le Rhin aurait trouvé son cours vers le bassin de la Manche.
Ces éléments impliqueraient une plus grande surface du bassin de la mer du Nord exondé et une disponibilité de matériaux issus des moraines.
c) ... et en liaison avec le développement récent de la vallée flamande
L'abaissement du niveau de base du bassin à la fin du Saalien impliquerait aussi un approfondissement et un développement rapide de la « vallée flamande » à travers son bed rock éocène sablo-argileux meuble. L'incision plus prononcée de la vallée flamande en liaison avec l'ouverture du détroit du Pas de Calais avait déjà été évoquée par Vandenberghe & De Smedt (1979, p. 102). Le scénario d'un approfondissement fin Saalien de la vallée flamande serait cohérent avec les observations suivantes :
- un creusement maximum atteint au Saalien (De Moor & Heyse, 1978 ; Vandenberghe & De Smedt, 1979) ;
- la formation des dernières basses terrasses à la confluence de la Dyle, de la Démer et de la Grande Nèthe au Saalien (Vandenberghe & De Smedt, 1979) ;
- l'extrême pénétration des influences marines eemiennes dans l'intérieur des terres (presque jusqu'à Tournai) (Tavernier, 1946) ;
- la concomitance avec un changement paléogéographique majeur marqué par le changement de minéralogie des apports éoliens et leur accroissement (Balescu, 1986 ; Meijs, 2002 ; Meijs et al., 2012) ;
- les anomalies de profil de la terminaison française de la vallée flamande avec une rupture de pente longitudinale non justifiée par la seule lithologie ou la tectonique. La rupture de pente serait le résultat d'un ajustement non achevé dû à la position distale et au délai relativement court depuis l'abaissement du niveau de base) (Deschodt, 2014) ;
- les deux incisions successives (saalienne et weichselienne) enregistrées dans la vallée de la Deûle à Lille et déjà notées en leurs temps par MM. Ladrière et Gosselet (Ladrière, 1886 ; Gosselet, 1903).
4) Les dépôts du Début Glaciaire weichselien
a) Le cas du pédo-stratotype de Warneton
Le Début Glaciaire weichselien en fond de vallée est jusque maintenant principalement connu par le « sol de Warneton » (Paepe, 1964, 1965 ; Paepe & Vanhoorne, 1967) proche de la frontière française dans la plaine de la Lys. Le sol de Warneton a pris valeur de stratotype et est utilisé en binôme avec le « Sol de Rocourt » pour définir l'association d'un sol argileux rouge attribué à l'Eemien et d'un sol gris ou noir attribué au Début Glaciaire weichselien (Paepe, 1969 ; Paepe & Sommé, 1970 ; Sommé & Tuffreau, 1978 ; Langohr & Sanders, 1984 ; Van Vliet-Lanoë, 1990). Depuis, de nouvelles coupes bénéficient d'études paléoenvironnementales et l'utilisation du stratotype de « Warneton » tend à tomber en désuétude (Antoineet al. 1994, 1998 ; Haesaerts et al. 1999 ; Haesaerts & Mestdagh, 2000). La relecture des premières publications de Paepe nous permet de proposer une interprétation alternative au sol de Warneton. Il pourrait s'agir d'une formation humifère et tourbeuse associée à une activité fluviale dans un contexte de chenaux et de plaine d'inondation périglaciaires. Les sédiments limoneux et tourbeux observés pourraient être éventuellement attribués au Pléniglaciaire weichselien (Deschodt, 2014). Si cette simple relecture des données ne permet pas de redéfinir le pédostratotype de Warneton, rien dans les données anciennes ne permet de lever notre doute. Toutefois, qu'elle soit du Début Glaciaire ou du Pléniglaciaire, la formation de Warneton est l'unique cas connu d'un dépôt tourbeux attribuable au Weichselien dans le bassin français de l'Escaut. Il s'agit d'une formation d'intérêt majeur qui mérite des études environnementales complémentaires.
b) Des dépôts conservés sous les bas de versants loessiques
Nos travaux permettent de pointer en plusieurs endroits des formations fluviatiles limoneuses à dépôts organiques (débris végétaux, passages organiques) attribuables au Début Glaciaire. L'attribution chronologique est toutefois fragile, avec seulement deux sites où elle est étayée par de la palynologie ou la malacologie dans la région de Lille (Deschodt et al., 2008). Elle repose souvent sur une comparaison de faciès et une position morpho-stratigraphique similaire (sous les loess du Pléniglaciaire en bas de versant. La stratigraphie type de Lambersart « les Conquérants » présente un limon alluvial coquillier attribué au Début Glaciaire surmonté par un niveau d'érosion et des dépôts grossiers (présent en fond de vallée et sur versant) puis un apport de loess qui, au cours du Pléniglaciaire weichselien, modifie le statut morphologique du lieu d'un fond de vallée à un bas de versant. Ce système sédimentaire est corrélable à d'autres observations proches (Ladrière, 1885, 1886 ; Sommé, 1977 ; Deschodt et al., 2008). Il est possible que des formations du Début Glaciaire weichselien existent en d'autres endroits. Toutefois, nous nous heurtons au problème de leur reconnaissance et de leur différentiation des dépôts pléniglaciaires.
5) Les dépôts du Pléniglaciaire inférieur et moyen weichselien
Les dépôts du Pléniglaciaire inférieur et moyen weichselien sont mal documentés. En l'absence de datations systématiques, il est délicat d'attribuer les dépôts rencontrés dans le bas pays sous les formations du Pléniglaciaire supérieur. Des indices indirects suggèrent une forte activité fluviatile pendant le Pléniglaciaire inférieur. Quelques formations limoneuses enfouies dans les plaines sont attribuées, sans certitude, au Pléniglaciaire moyen. Rares dans la vallée de la Deûle, ces formations liées à des écoulements de plus faible énergie semblent être fréquentes et étendues dans les plaines de la Lys et de la Scarpe. Leur toit se situe à plusieurs mètres de profondeur sous les dépôts du Pléniglaciaire supérieur. Toute lacunaire qu'elle soit, la reconstitution de l'évolution pléniglaciaire inférieur et moyen du bas pays est corrélable avec les vallées des plaines des bassins voisins, au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord (Deschodt 2014).
III. — Les dépots du pléniglaciaire supérieur Weichselien
1) Un système morpho-sédimentaire propre au haut et bas pays
L'enregistrement pléniglaciaire du haut pays ne diffère guère de celui du reste du Bassin parisien : il est principalement représenté par une nappe de matériaux grossiers, en contact avec le bed rock et scellée par les dépôts fluviatiles ultérieurs. Par contre, l'enregistrement du bas pays est plus diversifié et riche d'enseignements. Il est continu, souvent à l'affleurement, et couvre de très grandes surfaces sur quelques mètres d'épaisseur. Il est localement épais (de l'ordre de 10 m ou plus) sur les axes de creusements maximums (plaine de la Lys, Deûle aval) (Fig. 5). Les développements suivants concernent le bas pays où l'héritage morpho-sédimentaire de la fin du Pléniglaciaire weichselien est prépondérant et justifie la subdivision stratigraphique proposée pour le Quaternaire des fonds de vallée de la région. Une synthèse chronostratigraphique pour le Pléniglaciaire supérieur est proposée sur la figure 6.
2) Des plaines balayées par les eaux
a) Lithostratigraphie
En tous points des plaines du bas pays nous observons des formations fluviatiles litées majoritairement sableuses (Fig. 6, unité « S »). Cette unité repose fréquemment sur le substrat antérieur au Quaternaire. L'unité « S » rencontrée en fond de vallée peut être considérée comme l'équivalent stratigraphique de tout ou partie des formations graveleuses des fonds de vallée du bassin parisien. L'unité « S » est associée à une érosion sur versant et au développement de glacis (cryopediments) sur les bas de versant sableux à faible pente. Une activité fluviatile importante, extensive, a affecté l'ensemble du fond de vallée jusqu'aux extrémités amont des bassins et les versants pendant une première partie du Pléniglaciaire supérieur. Le développement de la formation « S » sur substrat sableux drainant dans les parties amont des bassins implique la présence d'un pergélisol (Kasse, 1997 ; Bogaart et al., 2003). Des incisions remarquables dans les parties aval des bassins peuvent être associé à cette phase de forts écoulements : axe de drainage central de la plaine de la Lys et, dans la vallée de la Deûle, incision de la craie à partir de Lille (ou, à minima, un déblaiement d'une incision préexistante).
Les styles fluviatiles correspondants ne sont pas clairement identifiés. Des écoulements en tresses ont pu se développer quand les apports en éléments grossiers étaient abondants (zones de bed rock crayeux dans la vallée de la Deûle, nappes de graviers de silex dans la vallée de l'Escaut). Cependant, les paramètres de lithologie (texture fine majoritaire ou exclusive) et de pente longitudinale (faible) ont vraisemblablement permis le développement de lits méandriformes. Des traces de méandres sont conservées en nombre dans la plaine de la Scarpe sans être encore datées (Fig. 7). Des processus éoliens locaux ont déjà pu intervenir dans ce contexte.
b) Datations
La formation « S » a été datée à plusieurs reprises dans la plaine de la Scarpe, entre environ -28 et -22 ka (dates OSL et radiocarbone) (Deschodt et al., 2012). Le sommet de la formation sableuse de Lille « rue Hegel » a été daté d'environ 21,6 ka Cal BP (Deschodt, 2012). Ces datations sont cohérentes avec la position stratigraphique sous la formation « L » corrélée à la couverture loessique de versant. La nécessité de la présence d'un pergélisol conforte l'attribution chronologique. Les dates évoquées sont compatibles avec la chronologie des occurrences d'un pergélisol continu lors du dernier maximum de froid (Van Vliet et Langohr, 1981 ; Van Vliet-Lanoë, 1989 ; Vandenberghe, 1992, 1993 ; Huijzer & Vandenberghe, 1998 ; Bertran et al., 2013).
c) Comparaisons
Les faciès, la stratigraphie et les hypothèses émises trouvent d'évidentes comparaisons avec les vastes dépôts fluviaux et fluvio-éoliens des plaines du nord-ouest de l'Europe (Kasse, 2002), que ce soit aux Pays-Bas (Vandenberghe, 1985 ; Schwan, 1986 ; Van Huissteden et al., 1986 ; Van Huissteden & Vandenberghe, 1988 ; Huisink, 2000 ; Van Huissteden et al., 2000 ; Van Huissteden & Kasse, 2001 ; Schokker & Koster, 2004 ; Kasse et al., 2007 ; Busschers et al., 2007) ou en Allemagne (Mol, 1997 ; Kasse et al., 2003). Les premiers dépôts du Pléniglaciaire supérieur dans le bas pays sont corrélables à l'Older Coversand I du nord de l'Europe. Les dépôts y sont sableux, fluviatiles, avec une tendance au fluvio-éolien dans la partie supérieure. La mise en place de l'OCI est datée dans la localité type de Twente (à l'est des Pays-Bas) entre 25,2 ± 1,9 et 19,9 ± 1,6 ka par une longue série de dates OSL (Vandenberghe et al., 2013). La même unité est datée aux environs de 25-17 ka à Grubbenvorst (au sud des Pays-Bas) (Kasse et al., 2007).
3) Des plaines balayées par le vent
a) Lithostratigraphie
La formation essentiellement sableuse « S », associée à une activité fluviatile, passe en presque tout point des plaines à une formation limoneuse « L », de texture loessique, ou parfois (en particulier dans la plaine de la Scarpe), à de petites dunes (« L varia ») (Fig. 6). Un faciès transitoire est fréquemment observé entre les deux formations (texture intermédiaire litée). L'apport loessique et la faiblesse des écoulements ont entraîné un exhaussement des fonds de vallée. Dans la plus grande partie des bassins versant, les affleurements deviennent majoritairement voire exclusivement limoneux et en continuité stratigraphique avec la couverture loessique sur versant. Le fait souligne la baisse de compétence, l'absence d'incision (au moins dans la partie amont des bassins) et la non-mobilisation du sable pourtant présent à faible profondeur. L'activité fluviatile est donc passée à une activité fluvio-éolienne, voire purement éolienne. Le phénomène a nécessité la rétractation drastique du réseau hydrographique. L'engraissement du versant sous le vent par le loess modifie la morphologie, restreint la largeur du fond de vallée et tend à déplacer la bande active vers l'est.
b) Datations
Les formations limoneuses (unité « L ») ont été datées à plusieurs reprises dans la vallée de la Deûle (Deschodt, 2012, 2014) et dans la plaine de la Scarpe (pour sa variation de faciès sableux, unité « L varia ») dans la plaine de la Scarpe (Deschodt et al., 2012). Leur âge se situerait aux environs de 20 à 17 ka (datations par OSL). Dans la vallée de la Deûle, les datations OSL de Lille « rue Hegel » donnent des résultats plus anciens mais avec une large marge de probabilité qui les rend compatibles avec la date radiocarbone effectuée sur l'unité sableuse « S ». À cet endroit, la comparaison des dates permet d'avancer un passage de l'une à l'autre des formations à environ 21,7 ka (Deschodt, 2012). Le passage de la formation S à L n'est probablement pas isochrone dans le détail en tout point du fond de vallée (Deschodt, 2014). Toutefois, il est probablement très rapide, associé à la dégradation du pergélisol et à un apport loessique abondant. L'unité « L » se développe en continuité avec les loess sur versant, confortant par corrélation longue distance une datation aux environs de 22 ka (Haesaerts, 1985 ; Van den Haute et al., 1998 ; Antoine et al., 2002a ; Frechen et al., 2003 ; Koster, 2005).
c) Comparaisons
L'évolution d'un système fluviatile extensif vers un système dominé par l'éolien, trouve des correspondances évidentes avec les plaines qui s'ouvrent sur la mer du Nord. Toutefois, si la formation « S » est corrélable avec l'« Older Coversand 1 » (cf. supra), nous constatons dans le nord de la France l'absence du « Beuningen gravel bed » (érosion de déflation et repère majeur de la zone sableuse).
d) Un modèle morpho-sédimentaire des vallées loessiques du bas pays
La persistance d'écoulements (pic de crue), la largeur des fonds de vallées et le dépôt massif de loess concourent au développement de faciès sédimentaire, d'une morphologie et d'un fonctionnement fluviatile originaux. Nous proposons un modèle morpho-sédimentaire pour les vallées loessiques (Fig. 8), en distinguant trois sections de l'amont vers l'aval. Elles sont caractérisées respectivement par du ruissellement diffus, une morphologie fluviatile liée à un « transit » sédimentaire dans une étroite bande active, et, plus en aval, une morphologie fluviatile affirmée encaissée dans une plaine en remblaiement par les dépôts fluvio-éoliens (modelé rencontré dans la plaine de la Lys et dans la vallée de la Deûle en aval de Lille).
e) Le phénomène dunaire
Le faciès éolien loessique est majoritaire mais non exclusif. Quand les eaux ont charrié et déposé du sable en quantité suffisante, de petites dunes ont pu se développer. Les sables dunaires sont interstratifiés avec des lits de loess. Elles se situent systématiquement à l'est (sous le vent) des épandages fluviatiles. Une dune a été ainsi observée sur l'interfluve entre Deûle et Scarpe (Deschodt, 2014). Le modelé dunaire est généralisé à une large partie orientale de la plaine de la Scarpe où des trains de dunes linéaires sont révélés sur un levé LiDAR (Fig. 7). Certaines ont été observées et datées sur le terrain (Deschodt et al., 2012). Il est difficile à détecter en raison d'un dénivelé faible (maximum de l'ordre de 3 mètres), d'une extension parfois restreinte ou d'un éventuel dépôt loessique final susceptible de masquer la texture associée à la forme. Des modelés éoliens contemporains de plus grande ampleur existent un peu plus au nord (Verbruggen & Kiden, 1989 ; Vandenberghe, 1983 ; Kasse, 2002).
f) Un héritage morpho-sédimentaire prépondérant
L'activité fluvio-éolienne de la fin du Pléniglaciaire a laissé une couverture continue et une empreinte morphologique dans le bas pays. Le dernier état des chenaux du Pléniglaciaire supérieur constitue fréquemment le lit majeur des cours d'eau ultérieurs et contraint le tracé des écoulements du Tardiglaciaire et de l'Holocène. Les rives des anciens chenaux pléniglaciaires peuvent localement rester inscrites dans la topographie. Des dépôts éoliens ou fluvio-éoliens ont pu créer une morphologie confuse avec un mauvais drainage naturel. Sous le climat plus tempéré et humide du Tardiglaciaire et de l'Holocène, ces zones deviennent aisément humides ou marécageuses. L'héritage morpho-stratigraphique de la fin du Pléniglaciaire constitue un facteur prépondérant de la structuration des larges plaines du bas pays. Sa prise en compte est essentielle pour comprendre les évolutions ultérieures (contrainte sur le réseau hydrographique, logique de développement des zones humides...) ou leur peuplement (axes de circulation, noyaux de peuplement, ressources...).
IV. — Les dépôts postérieurs au pléniglaciaire supérieur Weichselien
1) Le Tardiglaciaire
a) Deux stratotypes régionaux complémentaires : Houplin- Ancoisne et Dourges
Les enregistrements les mieux documentés pour le Tardiglaciaire sont ceux d'Houplin-Ancoisne « Station d'épuration » (Deschodt et al., 2004) et du « Marais de Dourges » (Dourges « Delta 3 », sur la commune d'Hénin-Beaumont) (Deschodt et al., 2005 ; Deschodt, soumis), proposés comme stratotypes régionaux (Deschodt, 2014). Le premier concerne un remplissage de chenal et le second une zone lacustre et palustre alimentée soit par la nappe, soit par des crues. Ils peuvent être comparés à une quinzaine de sites attestés ou présumés du Tardiglaciaire, bénéficiant, au total, d'une trentaine de dates radiocarbone (Deschodt, 2014). L'évolution du Tardiglaciaire est comparable aux régions voisines, avec cependant quelques particularités.
b) Système lacustre, palustre et variation des niveaux d'humidité
L'enregistrement du Bølling et de l'Allerød est le plus détaillé dans les dépressions fermées de fond de vallée. La présence d'un système palustre et lacustre rapproche indéniablement le système morpho-sédimentaire du bas pays de celui des plaines de Belgique et des Pays-Bas (Crombé et al., 2013 ; Hoek et al., 1999 ; Denys et al., 1990 ; Bos et al., 2006 ; Heiri et al., 2007). Entre Dourges et les lacs septentrionaux, nous constatons cependant des divergences du niveau hydrologique au cours du Tardiglaciaire. Le fait, ainsi que le recensement d'épisodes d'apports détritiques, participe à une réflexion sur les variations des précipitations et leur saisonnalité au cours du Tardiglaciaire (Deschodt, 2014).
c) Détail de l'évolution paléoenvironnementale au Dryas récent
L'amorce d'un réseau de coins de glace à Dourges précise la limite sud du pergélisol discontinu au début du Dryas récent. Comme dans le Bassin parisien, le bilan Dryas récent dans le système fluviatile est au remblaiement des chenaux. Toutefois, contrairement au Bassin parisien où nombre de fonds de vallée sont envahis par une boue crayeuse (Antoine et al., 2000b, 2012 ; Pastre et al., 2002), les dépôts restent confinés au lit mineur. Cette géométrie, ainsi que leur composition essentiellement sableuse avec des lits organiques rapprochent encore une fois le bas pays des plaines plus septentrionales belges (Munaut & Paulissen, 1973). La raison est probablement l'absence de versant en forte pente avec de la craie à l'affleurement.
L'ensemble des données sur le Dryas récent dans la zone d'étude permet de reconstituer l'évolution paléo-climatique suivante (Deschodt, 2014) :
- vers environ 11,03 ka BP, quelques décennies d'un froid sec, formation d'un mince sol humifère (prairie ?) ;
- épisode froid intense, solifluxion et amorce d'un pergélisol discontinu ;
- épisode humide, fonte du pergélisol, érosion fluviatile intense sur versant, création de ravines, forts écoulements dans le réseau fluviatile ;
- entre environ 10,7 ka BP et 10,4 ka BP, écoulements très réguliers enregistrés dans le réseau fluviatile (fonte printanière d'une couverture neigeuse ?) et tendance au remblaiement des chenaux, éventuellement développement tourbeux ;
- après 10,4 ka BP jusqu'à l'Holocène peu d'informations : probable arrêt des écoulements dans les réseaux amont, contexte froid et sec.
2) L'Holocène
a) Une difficulté de synthèse propre à l'Holocène
Les données sur l'Holocène sont multiples, mais fragmentaires. Le caractère partiel des observations, la complexité de l'objet même (diversité des dépôts, une commande climatique moins nette que pour le Pléistocène, croisé à une influence anthropique croissante depuis le Néolithique) et la nécessité de résolution chronostratigraphique plus précise pour la période compliquent, voire limitent, les synthèses.
b) Une évolution majeure à la fin de l'Atlantique - début du Subboréal
D'après les enregistrements en fond de vallée, l'Holocène peut être subdivisé en deux grandes périodes. La première partie, jusqu'environ la fin de l'Atlantique, est caractérisée par un système tourbeux, voire travertineux, en aggradation, avec une tendance à l'envahissement des fonds de vallées. À la fin de l'Atlantique ou au début du Subboréal, un nouveau système chenalisé se met en place probablement sous une commande à dominante climatique (plus humide) renforcée par l'anthropisation du milieu (néolithisation) (Boulen et al., 2014). La fin de l'Atlantique reste marquée, dans tous les hydrosystèmes européens des moyennes latitudes, par une métamorphose du système ou des apports détritiques et marque une bipartition majeure de l'Holocène (Notebaert & Verstraeten, 2010). À Valenciennes « le Vignoble », la croissance de la tourbe (déjà fortement ralentie) s'arrête après environ 5,4 ka BP (soit env. 6,2 ka Cal BP). À Rouvignies-Haulchin, la tourbière ne se développe plus depuis environ 7 ka BP (env. 7,8 ka Cal BP) et le nouveau chenal de l'Escaut est déjà actif vers 4 ka BP (env. 4,6 ka Cal BP). Dans l'hypothèse où la fin du système tourbeux du Vignoble précèderait de peu l'incision, celle-ci se produirait peut-être vers 5,5 ka BP (environ 6,3 ka Cal BP ou 4 300 av. J.-C.).
c) Plusieurs phases érosives intra-holocènes ?
Une série d'indices (Deschodt, 2014) permet d'envisager une période de forte activité fluviale aux environs de 3 ka BP (environ 3,2 Cal BP). Sous réserve d'investigations supplémentaires et d'une meilleure résolution chronologique, tout ou partie des indices pourrait être rapproché de la dégradation climatique bien mise en évidence vers 2,7 ka BP (Van Geel et al., 1996 ; Van Geel & Magny, 2002). D'autres indices permettent d'envisager une période de forte activité pendant l'Antiquité. Elle avait déjà été perçue à Lille (Deschodt et al., 2006). Nous avions alors conclu à un phénomène local. Nos observations s'ajoutaient à celle de Ladrière dans la région de Bavay (Ladrière, 1881). Avec, de plus, les transects de Famars, de Rouvignies-Haulchin (Deschodt, 2014) et de Saint-Saulve (Neaud & Deschodt, 2014), nous devons admettre le caractère régional d'une crise hydrologique qui a entraîné le charriage d'une nappe grossière dans le fond des lits mineurs. Le phénomène, qui répond probablement à un forçage climatique, interviendrait vers le 2e- 3e siècle apr. J.-C. Une partie des dépôts travertineux lacustres holocènes rencontrés dans la région (Sommé, 2006) pourrait être associée à cette phase (notamment dans le bassin de la Sensée-Satis).
d) Des dépôts d'inondations récents
La plupart des fonds de vallée sont scellés par des dépôts d'inondations limoneux ou limono-argileux. Leur présence est systématique dans le haut pays où leur épaisseur varie de quelques décimètres à plusieurs mètres. L'arrivée de ces limons d'inondations dans les fonds de vallées marque une rupture dans les hydrosystèmes avec les périodes antérieures. L'exemple de Valenciennes « Le Vignoble » (Boulen et al., 2014) semble indiquer que l'érosion de versant ne s'est manifestée que relativement tard dans la zone d'étude, probablement en lien avec un changement de l'utilisation des sols au Moyen Âge. Cette interprétation est partagée pour le Royaume-Uni (Lewin et al., 2005). Dans la zone d'étude, les inondations ont pu être aggravées par d'éventuelles fluctuations climatiques (dégradation climatique du « Petit Âge Glaciaire » ? avec éventuellement des précipitations hivernales plus abondantes) (Antoine et al., 2002b ; Nesje & Dahl, 2003) ou par le tassement de la tourbe dans le fond de vallée de l'Escaut (ex. de Prouvy) (Deschodt, 2014). La création de biefs et moulins a aussi pu jouer un rôle important dans le stockage du limon en fond de vallée (Lespez et al., 2005, 2006 ; Barraud & Ménanteau, 2009).
V. — Conclusion
Le bas pays appartient aux vastes plaines du Nord de l'Europe. Toutefois, il s'en distingue par son appartenance à la zone loessique et par l'absence de grands cours d'eau. Les possibilités d'enregistrements s'en trouvent renforcées, avec parfois des dépôts exceptionnels telle la formation fluviatile eemienne de Waziers. Les enregistrements quaternaires antérieurs au Weichselien sont encore sous-exploités (qu'ils se trouvent en faible profondeur ou enfouis dans la vallée flamande). La géométrie et le comblement de la vallée flamande indiquent une morphogenèse récente vraisemblablement liée à un changement paléogéographique à la fin du Saalien dans le sud du bassin de la Mer du Nord. A la fin du dernier Glaciaire, l'activité fluviatile extensive érosive est suivie d'une rétractation du réseau vers - 22 000 ans et d'un envahissement éolien massif des fonds de vallée du bas pays. Cet épisode est déterminant dans la configuration ultérieure du réseau hydrographique. L'évolution paléoclimatique du Tardiglaciaire et de l'Holocène peut être perçue à travers des enregistrements variés, en chenal et dans les zones humides.
Remerciements. — L'auteur exprime sa gratitude à la SGN pour l'invitation qui lui a été faite, à P. Auguste et J. Sommé pour leur relecture attentive, à ses collègues de l'INRAP et à l'INRAP qui a permis de finaliser cette synthèse.