I. — Introduction
Profitant du suivi de nombreuses fouilles préventives, on peut tenter un bilan des phénomènes pédologiques holocènes observés dans les stratigraphies. Il s'agit ici de l'étude des sols des sites de plateaux, de versants et de vallons secs sur limons décarbonatés, des périodes historiques, protohistoriques et néolithiques du Nord – Pas-de-Calais et de Moyenne Belgique, plus rarement des régions voisines.
II. — Objectifs
L'objectif de cette contribution est la prise en compte des conditions pédologiques tardiglaciaires et holocènes initiales et des modifications intervenues depuis, dans l'étude de l'état actuel des sols de Nord - Pas-de-Calais et des régions limitrophes. Les sols reflètent en outre les liens entre évolution de l'environnement et impact sur et par les activités de l'homme du passé et des végétaux et animaux liés à celles-ci. Les matériaux les plus superficiels et les pédogenèses récentes sur plateaux et versants constituent aussi le point de départ et de référence pour bon nombre d'activités humaines étudiées par les archéologues, historiens et géographes. A long terme, le but est de contribuer à la création d'un cadre pédologique pour les occupations humaines des 6 000 dernières années, pour les sites de versants et de plateau, enfin de vallons secs. Quel a été le rythme des changements locaux, observables et datables grâce aux fouilles ? Y a-t-il des tendances à plus grande échelle, une fois ces résultats comparés entre eux et avec les recherches hors sites ?
III. — Matériaux et méthodes
Deux sites, à Houplin-Ancoisne « Rue Marx-Dormoy » (Nord, resp. E. MARTIAL) et à Erre « Rue Condorcet et Hubert Parent » (Pas-de-Calais, resp. B. BEHAGUE) illustrent le mieux ce propos grâce à la richesse de leurs litho- et pédostratigraphies. Un grand nombre d'autres sites ont été traités à l'aide d'analyses granulométriques et chimiques, parfois de lames minces, depuis 1992. A côté de ces cas, on a par ailleurs pu proposer des cartes de répartition de certains des phénomènes anthropiques les plus intéressants, par phénomène (horizon de surface, enclos,…) , par époque et par interprétation, révélant leur évolution sur 6 000 ans (Fechner et al., 2014).
IV. — Processus dominants et datation
Dans les stratigraphies sur limon étudiées en Nord – Pas- de-Calais et dans les régions limitrophes, on note avant tout la forte intervention de phénomènes pédologiques tels que la bioturbation, l'anthropisation, les labours et l'érosion- sédimentation. Pourtant, sur les sites aux sédiments non- calcaires, décalcifiés ou décarbonatés, le lessivage des argiles est considéré comme le principal processus pédologique au sein de ce qu'on appelle parfois, par convention, le « sol holocène » , formant le sol brun lessivé. Pour sa formation, il importe avant tout que l'acidité soit compatible avec la migration d'argile (p. ex. Schroeder, 1992, p. 60-1, 93-4) et qu'il n'y ait ni nappe phréatique, ni roche peu ou non perméable à ce niveau. En cas de limon plus profondément décarbonaté, on y observe des horizons bien différenciés tels que, de haut en bas, le « B dark » ou « B sombre » , le « B2t » et le « B3t » , dits « à doublets » (fig. 1-2). Sur d'autres matériaux parentaux de la région que les limons, la pédogenèse est parfois apparentée mais moins marquée. Sur les sites étudiés, ce processus de lessivage des argiles s'avère systématiquement antérieur à la période traitée ici (voir aussi Van Vliet-Lanoë, 1990 ; Van Vliet et al., 1992). Un site stratifié du Mésolithique ancien traité en Moyenne Belgique permet d'attribuer l'essentiel de cette pédogenèse à une phase située entre 15 000 et 10 000 B.P., avec un achèvement peu important du processus de formation au début de l'Holocène (Fechner et al., 2007).
Par contre, dans les stratigraphies des derniers 6 000 ans, on note la forte intervention d'autres phénomènes pédologiques. Il s'agit de la bioturbation, de l'anthropisation et des phénomènes combinant pédologie et lithologie, à savoir l'érosion- sédimentation à différentes échelles spatiales et d'intensité et avec différents taux de pénétration verticale, par labours avec déplacements de sédiment, en nappe, en rigole, en ravin (Langohr, 1990). Les dépôts de colluvions (fig. 1) sont actifs localement dès le Néolithique final (deux sites de Houplin- Ancoisne). Ils deviennent localement plus actifs à la Tène (p. ex. site d'Erre). A noter que ce phasage, s'il se confirme, serait semblable à ce que l'on observe en Champagne. Par contre, il serait décalé par rapport à certaines autres régions avoisinantes : la Moyenne Belgique limoneuse, au nord, ne connaitrait de nettes attestations qu'à partir de l'époque gallo- romaine et certaines parties au moins d'Ile-de-France et de Moselle verraient le processus d'érosion-sédimentation être présent à de plus nombreux endroits dès l'âge du Bronze (Pastre et al., 1997 ; Fechner et al., 2014 ; Gebhardt et al., 2014). En Picardie, un cas spectaculaire de colluvions en fond de vallée sec étudié à Saint-Quentin « Parc des Autoroutes » (Aisne) serait aussi du Bronze final. L'érosion aura tendance à remonter progressivement le long d'un versant, changeant le point d'inversion de sa courbe avec le temps, et donc aussi les endroits d'érosion maximale et de sédimentation (Langohr, 1990). Il s'agit aussi de tenir compte du fait que les dépôts colluviaux en fond de vallée ou en reprise alluviale peuvent parfois être décalés de plusieurs siècles par rapport au moment de leur érosion initiale comme le montrent les travaux menés dans la Limagne (Ballut, 2001).
V. — Anthropisation progressive
La formation initiale (fig. 2), rencontrée par les occupants néolithiques, comprend le sol brun lessivé, uniquement marqué en surface par un horizon de surface très fin (il en reste 1 à 3 centimètres) et très peu humifère, résultat d'une bonne décomposition de la litière (p. ex. deux sites d'Houplin-Ancoisne (Nord), mais aussi de Carvin et de Verquin (Pas-de-Calais)). La bioturbation initiale est stationnelle, avant d'être accentuée avec le temps, renforcée entre autre par l'ajout d'engrais par l'homme. La bioturbation locale plus étendue, plus complète et profonde telle que définie comme sol anthropique ou anthroposol par Langohr (2001) apparaît notamment par endroits à Ribemont- sur-Ancre (Somme) dans un enclos laténien, à Bruyelle (Hainaut, Belgique), sous la cour de la pars urbana d'une villa, et un peu plus loin, à Saint-Brice-sous-Forêt (Val d'Oise), dans un enclos gallo-romain. La nette anthropisation par les mises en culture des sols apparaît aussi lorsqu'on compare les sites sous forêt et hors forêt sur et le long d'un tracé linaire traversant la Moyenne Belgique, tel que le tracé belge du TGV entre Lille et Cologne. Les sites hors forêt ou dans des forêts récentes s'y différencient non seulement par un pH redevenu neutre ou légèrement calcaire, mais aussi par un aplanissement du microrelief. Enfin, parmi les marques d'anthropisation les plus communes que l'on peut repérer et parfois dater sur les sites archéologiques, on signalera des phénomènes tels que les labours avec divers outils aratoires et diverses méthodes d'amélioration des fertilités physique ou chimique, telle que, au contraire, la péjoration involontaire de ces fertilités, enfin telle que la pollution chimique, notamment par le phosphore. L'étude de ce dernier phénomène est particulièrement utile aux archéologues, lorsque sa corrélation spatiale et/ou stratigraphique avec un ensemble de structure(s) archéologique(s) permet d'attester d'une activité polluante plus ou moins précise, synchrone avec les occupations (Broes et al., 2013).
Les aspects liés aux cultures et aux occupations humaines ont aussi fait l'objet de cartographies par sujet et par époque dans le cadre du projet déjà mentionné (Fechner et al., 2014), mais dont il sera question ailleurs.
VI. — Conclusions
Le constat général qui ressort de ces études est la présence régulière dans les stratigraphies anciennes sur limon des derniers 6 000 ans, de phénomènes d'érosion et de bioturbation, de labours, de nivellements et de creusements anthropiques (fig. 2). Ce n'est donc pas le lessivage, phénomène pédologique postdépositionnel surtout actif au Tardiglaciaire, mais l'érosion- sédimentation et la bio- et anthropo-turbation qui sont les plus présents, d'après les travaux de suivi des fouilles préventives. Ces dynamiques « récentes » se limitent avant tout à des mélanges physiques, des modifications chimiques et à des phénomènes d'érosion et de sédimentation. Dans nos régions, la plupart sont étroitement liées à l'homme. Une étude plus approfondie des horizons de surface anciens et de leur utilisation agricole fera l'objet d'autres articles.