Introduction au colloque Eau lors des 150 ans de la SGN à DOUAI (27 mars 2022)

DOI : 10.54563/asgn.2295

p. 103-104

Texte

Je remercie la Société Géologique du Nord et son président de permettre au président du Comité de Bassin d’ouvrir ce colloque de pleine actualité pour la vie des humains et de la planète dans toutes ses composantes. J’apprécie la présence du CAUE* et de l’Association ADOPTA dans ce colloque.

Notre Agence née en 1964 a déjà un long passé mouvementé par la volonté des politiques souvent plus attentifs à ses moyens qu’à ses missions, par la nature des évènements car les désordres climatiques envahissent le monde de la terre et des océans, par l’inflation des normes et des textes tant sur le plan européen que national, par l’urgence climatique enfin où, en 2021 et 2022 sur notre territoire local, ont cohabité des arrêtés de catastrophe naturelle, soit pour la sécheresse soit les inondations, soit les coulées de boue, soit encore les rétractations d’argile.

C’est dire que la prise de conscience en cours pour laquelle vous êtes des acteurs incontournables requiert à la fois votre engagement, vos savoirs et expériences et ce colloque à Douai, ville symbole du mariage de la ville et de la nature, ville siège de l’Agence, ville de l’association Adopta, est à la fois significatif d’une conscience collective qui s’éveille, s’indigne et surtout propose de nouveaux chemins pour permettre à la nature de se régénérer, de nouveaux regards pour une économie écologique frugale et circulaire car notre patrimoine eau ne peut continuer à subir les outrages de l’homme. Notre devise du nouveau SDAGE* qui a été proposé au vote mardi 15 mars jour prend tout son sens : Sobriété, Solidarité et Innovation. Ce SDAGE ambitieux a été validé à 97 %.

Ajouterai-je que les hommes ne peuvent continuer à subir les conséquences des outrages faits à la nature tant la relation homme/nature se dégrade dans ses principes et ses contenus. Ici dans notre bassin, 22 % des masses d’eau sont en bon état et avec des efforts collectifs, nous espérons dans la perspective du SDAGE 2027 atteindre 50 %, ce qui est à la fois énorme et dérisoire.

La loi de 1992 affirme que l’eau est le patrimoine commun de la Nation mais, comme le sait tout propriétaire ou tout bon père de famille, le patrimoine nécessite entretien et réparation voire valorisation au-delà des simples intérêts d’utilisation à court terme.

L’empilement des textes depuis la DCE montre un paradoxe évident : les exigences législatives ayant trait à la quantité et qualité n’ont jamais été aussi nombreux, les moyens financiers accordés ne sont pas à la hauteur et le patrimoine des ouvrages de valorisation et distribution manquent cruellement de sécurité et de qualité, ceux de réparation « eaux usées » restent insuffisants, ceux de prévention quasi inexistants.

De plus, malgré la prise de conscience de la fragilité de nos ressources, malgré certains discours, malgré les Assises de l’eau 2019, le sentiment utilitaire reste dominant comme si nos fondamentaux économiques n’avaient aucune capacité à intégrer les urgences environnementales et démocratiques.

La forte artificialisation de nos espaces, les pollutions historiques nombreuses et d’origine diverse, l’agriculture forte consommatrice d’eau et d’intrans ne font qu’ajouter aux difficultés. La guerre en Ukraine voit l’urgence de réponses dans le temps court au détriment du temps long.

Il conviendrait de se réapproprier l’architecture globale de la DCE dans son triptyque.

  • Eau vitale pour les humains
  • Eau vitale pour la croissance économique
  • Eau vitale pour les écosystèmes naturels

Triptyque à relire à travers les deux objectifs de développement durable (ODD)

  • Objectif 6 : accès à l’eau et à l’assainissement à tous
  • Objectif 14 : conservation et exploitation des océans, des mers et des ressources marines.

Aussi, au-delà de la gestion petit cycle qui a constitué, après les pollutions industrielles, le cœur des activités des agences, il convient de prendre en compte les nouvelles données environnementales qui portent sur le grand cycle, sur le rapport urbain/rural, sur les agricultures et leurs relations à la terre avec la présence massive des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (C.M.R), sur la surface maritime et plus globalement les océans.

A ces nouvelles données environnementales s’ajoutent les enjeux humains d’accès à l’eau et à l’assainissement pour certaines populations, les enjeux d’habitat avec la désertification de certains espaces ou la submersion continue dans d’autres territoires, les enjeux géopolitiques aussi : ainsi l’un des premiers actes russes face à l’Ukraine fut le rétablissement de la continuité de la rivière pour alimenter la Crimée en eau et les enjeux en France se traduisent par l’accès à l’azote biélorusse, aux produits phytosanitaires et à la nécessité d’intensifier les récoltes de blé pour compenser la perte d’activités agricoles dans l’Ukraine dévastée. Par ailleurs de nombreux pays investissent dans la génétique des plantes ou des systèmes de précision pour répondre aux nouveaux défis de l’eau.

Il nous appartient donc de refonder nos logiciels de protection et de gestion de l’eau, d’inventer une fiscalité environnementale audacieuse pour que l’eau soit vraiment, comme le dit la loi de 1992, « le bien commun de la Nation » pour qui depuis les comités consultatifs, les communes et intercommunalités, les SDAGE et les SRADDET et, au-delà, les COP et les Forums nous soyons tous au cœur de cet enjeu de vie.

Ce colloque participe, comme le colibri de P. Rabbi le faisait contre les incendies, à la lutte contre l’indifférence ou la consommation linéaire ; il participe à la prise de conscience des urgences climatique, environnementale et humaine ; il invite à être attentif à la vie complexe des rivières et des océans, ces communs à tous et à personne ; il invite surtout à être des acteurs d’un autre logiciel pour établir les rapports entre l’homme et la nature pour que nous n’ayons jamais à méditer sur l’actualité d’un message que j’emprunte à Sitting Bull : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas

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Référence papier

André Flajolet, « Introduction au colloque Eau lors des 150 ans de la SGN à DOUAI (27 mars 2022) », Annales de la Société Géologique du Nord, 30 | 2023, 103-104.

Référence électronique

André Flajolet, « Introduction au colloque Eau lors des 150 ans de la SGN à DOUAI (27 mars 2022) », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 30 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/2295

Auteur

André Flajolet

Président du Comité de Bassin Artois-Picardie, ancien président du Comité National de l’Eau (2008-2012)

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