I. — Introduction
Le 8 février 2017, le Centre Historique Minier de Lewarde a accueilli l'Assemblée Générale de la Société Géologique du Nord. Le matin était consacré à la réunion statutaire et l'après- midi à une rencontre de divers acteurs qui s'intéressent au bassin houiller du Nord – Pas-de-Calais. Pour la majeure partie des habitants et des acteurs intéressés par le développement socio-économique de ce territoire, la date du 21 décembre 1990 (remontée de la dernière gayette à Oignies) marquait symboliquement la fin d'une activité industrielle et de celles qui en dépendaient. La perception de la situation était focalisée sur le plus immédiatement sensible : les pertes d'emploi, de ressources économiques et leurs conséquences individuelles et collectives. De l'aveu même que m'a fait un directeur des HBNPC (Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais) quelques années plus tard, le mot d'ordre reçu par l'exploitant de son actionnaire unique, l'Etat, était d'effacer toute trace superficielle de l'activité extractive afin de permettre à la population de passer à autre chose. A l'époque je jugeais cette position aussi simpliste que radicale. C'est la suite de notre conversation qui, inconsciemment, m'a conduit à organiser cette rencontre du 8 février 2017. Quelles qu'elles soient, les activités humaines à venir seront toujours héritières des effets de celles du passé : héritages culturels partiellement valorisés par le classement UNESCO, héritages physico-chimiques peu perceptibles au citoyen non averti tant pour des raisons d'inaccessibilité que d'évolution dynamique sur des échelles de temps autres que celles du quotidien. Les publications qui suivent remettent en perspective quelques analyses phénoménologiques qui ont jalonné l'activité passée et conditionné l'avenir.
II. — Les exposés
« On ne fait pas des trous impunément », telle est la première réaction, naturelle pour un géologue. Physiquement, il faudra du temps pour que le territoire régional, dans une épaisseur de l'ordre de 1500 m, retrouve un équilibre hydromécanique. De plus, le gisement houiller du Nord – Pas-de-Calais a la particularité d'être entièrement souterrain. Cela lui permet d'échapper aux problèmes de drainage acide que rencontrent les autres bassins houillers d'Europe pourvus d'un accès à l'air libre. Mais cela a aussi engendré une situation où, en toute innocence, un urbanisme non contraint a exposé une large population et ses activités aux effets des affaissements miniers et de leurs conséquences hydrauliques. Un premier article (Meilliez, 2017) rappelle les étapes de la découverte progressive du gisement houiller, dans une ambiance de scientisme triomphant, et contribuant au développement de la géologie naissante. La prérogative de l'Etat sur la propriété des ressources naturelles stratégiques a nécessité le recours au régime des concessions minières à des sociétés privées jusqu'en 1945, à une société nationale ensuite. Ce régime concessionnaire a conditionné toutes les étapes de gestion de l'exploitation. L'esprit de concurrence inhérent au régime privé n'a pas empêché une certaine harmonisation des pratiques à l'issue de la terrible épreuve de 1914-1918. Le passage au régime public a amené une rationalisation indispensable. La sortie de concession, procédure novatrice en France en 1994, a rendu aux édiles municipaux une liberté d'action, bridée de droit depuis longtemps. Une négociation difficile parce que très complexe, a conduit l'Etat et les collectivités à mettre en place un service en charge du suivi technique des conséquences des activités minières, de la préservation et de la valorisation des documents scientifiques et techniques nécessaires à ce suivi (Lemal & Meilliez, 2017).
La période de déclin de la production, aboutissant à la fermeture correspond à la fin des Trente Glorieuses, au moment où la société prenait conscience d'avoir traversé une période de développement tant individuel que collectif, accédé à la propriété, accédé à des moyens de communication de plus en plus puissants et personnalisés. De telle sorte que l'individu était pris en étau entre des perspectives d'avenir qui s'assombrissaient et une frénésie de tentations au divertissement sous toutes ses formes. La dégradation des paysages devenait plus sensible au fil des fermetures tandis que la sensation de besoins s'accroissait, au propre comme au figuré. Des initiatives locales (conseil régional, communes, associations, entreprises, citoyens) s'échinaient à enrayer cette dérive et à envoyer des messages d'espoir et de reprise en mains. Le temps fort de cette réaction aura été le classement au Patrimoine de l'Humanité (UNESCO) en 2012 ; ce n'est pas l'accès au nirvana mais l'ouverture d'un nouveau chapitre à écrire (Bertram, 2017 ; Neveu, 2017).
Et puis il y a les actions de valorisation qui doivent se poursuivre et sans cesse améliorer la mise à disposition, la qualité de l'information. Ma culture commence avec la science de l'autre. Tous les sujets sont accessibles, à condition de les présenter comme tels. En 1907, Charles Barrois ouvrait le Musée Houiller dans les locaux de la Ville de Lille, aux noms de l'Université de Lille et de la Société Géologique du Nord. Ce lieu dédié a complété le Musée Gosselet, ouvert en 1902 pour mettre à la disposition des chercheurs, des industriels et des citoyens un outil géologique documentaire et des collections (roches, fossiles) qui sont toujours une référence mondiale (Cuvelier & Oudoire, 2017). Alors que le repli de l'activité extractive a commencé, une autre initiative, venue de l'exploitant, a doté le territoire d'un outil de valorisation, lui aussi maintenant mondialement connu : le Centre Historique Minier de Lewarde. Une présentation des missions et des outils de ce centre illustre bien qu'il est possible et souhaitable de mettre la science et le citoyen à portée l'un de l'autre, tant sous forme d'étude que de loisir (Malolepszy, 2017). Enfin, l'inextinguible soif de comprendre dépasse l'épisode de l'extraction. Et l'article de Graveleau et al. (2017) démontre que les efforts dans ce sens, entrepris même au début du XXe siècle, sont toujours fertiles : de la représentation 3D sur plaques de verre à la modélisation 4D numérique, l'aventure scientifique n'est pas terminée.
III. — Conclusion : Le gisement houiller est-il épuisé ?
La formulation un peu provocante de ce titre a pour seul objectif de regarder bien en face la réalité géologique des ressources naturelles disponibles sous et sur ce territoire : charbon, gaz, terrils, eau. Le charbon et le gaz sont des produits stratégiques au sens du Code Minier (www.legifrance.fr), leur exploitation ne peut être conduite que sous le régime d'une concession de l'Etat. L'exploitation des terrils relève du droit des carrières, celle de l'eau est régie par le Code de l'Environnement (www.legifrance.fr). Même si les efforts de modélisation qui se préparent (Graveleau et al., 2017) laissent augurer d'une meilleure compréhension de la géologie régionale sur une épaisseur qui pourrait faire le lien avec la connaissance géophysique profonde (Cazes & Torreilles, 1988), le résultat essentiel énoncé par Pruvost (1930) est toujours valide : le gisement de charbon du Nord – Pas-de-Calais est l'extrémité occidentale très effilochée d'un bassin d'avant-pays orogénique qui, par la Belgique et l'Allemagne, peut être suivi jusqu'en Europe Centrale. En Nord – Pas-de-Calais, la série est incomplète, les veines sont moins épaisses et très discontinues. Il n'empêche que la structure de détail a besoin d'être mieux comprise, ne serait-ce que pour mieux circonscrire les effets des modifications induites par la phase d'extraction (Meilliez, 2017).
On aura compris que dans le contexte économique mondial, la réserve de charbon solide d'accès facile est épuisée en Europe du nord-ouest. Cette phase d'extraction aura permis de constater que dans le Nord – Pas-de-Calais, l'état de fracturation des roches constituant le gisement, son encaissant (sous et autour) et ses morts-terrains (couches récentes surmontant le gisement) est intense à très intense. La phase actuelle de remontée des eaux dans les vides résiduels constitue une expérience en temps réel : l'eau met en pression le gaz (le grisou) qui occupe l'atmosphère souterraine. Pour éviter tout risque de fuite au travers de terrains très fracturés sur lesquels vivent plus de 1,2 millions de personnes, ce gaz est pompé afin de maintenir le réservoir en sous-pression le plus longtemps possible. La désorption naturelle du gaz s'arrêtera lorsque l'eau aura tout ennoyé. Certes, il reste du charbon solide, donc du gaz dont la désorption pourrait être stimulée pour exploitation. S'il s'agit d'aller chercher du gaz dans les terrains non encore exploités entre les vides miniers résiduels, c'est mettre en œuvre une opération contraire à ce que la mise en sécurité du gisement demande, avec plus de 1,2 millions d'habitants au-dessus. C'est aussi réinvestir pour empêcher l'eau de remonter (remettre en route les pompes d'exhaure) pour que le réservoir existant puisse encore servir en tant que réservoir comme il le fait depuis 1990, mais en le maintenant artificiellement en sous- pression, comme aujourd'hui, pour tenter de prévenir les fuites éventuelles, sans certitude d'y réussir de façon durable. S'il s'agit d'aller chercher du gaz à faire désorber venant d'autres couches que celles des terrains miniers, c'est d'abord accroître la surface d'investigation, et donc l'effectif de population sous laquelle les opérations seraient menées. Or l'état de fracturation de ces couches est à peine moins intense hors du bassin houiller, notamment à cause d'une tectonique peu spectaculaire, mais toujours vivante. Il suffit de consulter le Bureau Français de Sismologie pour s'en convaincre (www.franceseisme.fr), et les Annales de la Société Géologique du Nord (https://iris.univ-lille.fr/handle/1908/32/browse). Enfin, le succès que rencontre l'exploitation des gaz de schistes aux Etats-Unis ne peut être un argument encourageant, car il faut comparer ce qui est comparable. Les Etats-Unis disposent de trois gigantesques réservoirs de charbon et de gaz dérivé : celui des Appalaches (Pennsylvanie, Virginie occidentale, Ohio, Tennessee, …) prolonge vers l'ouest celui du Nord de la France et du sillon de Sambre-et-Meuse ; celui qui occupe une situation analogue de bassin d'avant-pays, mais plus jeune, à l'ouest du continent nord-américain au front des Rocheuses (Montana, Wyoming, Colorado, Nouveau Mexique, …) ; et celui qui s'étend sous les immenses plaines centrales (Dakotas Nord et Sud, Minnesota, Wisconsin, …), dans des bassins peu épais et peu profonds qui n'ont jamais été déformés par l'évolution géologique postérieure. Là sont les véritables réserves en cours d'exploitation, sur des territoires où la densité de population est inférieure à la densité des zones les moins peuplées du Nord – Pas-de-Calais. Les conditions d'exploitation sont donc favorables uniquement sur ces grands bassins. La géologie européenne n'a pas de réservoir de taille comparable. Les compagnies pétrolières qui avaient été un moment tentées par d'éventuels gisements polonais l'ont vite compris et s'en sont retirées.
L'avenir du charbon comme ressource énergétique n'est plus inscrit dans le gisement houiller du Nord – Pas-de-Calais.