I. — Introduction
La phase d'extraction du charbon à partir du bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais s'est achevée le 21 décembre 1990. Environ 2,4 Gt de charbon ont été extraites, déterminant un volume global de vides de l'ordre de 2 km3 dans le sous- sol. Cette estimation a été réalisée par l'un de nous (FM) sur la base de la production totale de charbon (voir Meilliez, 2017, fig. 1). L'exploitation a été menée sous régime privé depuis ses débuts jusqu'en 1945. Les compagnies ont été regroupées en une société unique par l'ordonnance du 13 décembre 1944, et la nationalisation de cette société a été prononcée par la loi du 5 mai 1946, l'Etat devenant actionnaire unique d'une société publique chargée de conduire l'exploitation, Charbonnages de France (CdF). Mais, territorialement, les concessions sont restées le cadre légal autorisant cette société nationale à opérer sur un territoire donné pour l'exploitation par l'intermédiaire de filiales régionales, les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) ici. L'arrêt des travaux d'exploitation nécessitait que fut définie une procédure de sortie de concession minière, situation qui ne s'était encore jamais présentée en France. Cette procédure a deux finalités : rendre aux maires des communes concernées leur droit de police sur les biens fonciers, mobiliers et immobiliers ayant servi à l'exploitation, et mettre en place un dispositif de suivi des conséquences de l'exploitation sur le territoire et dans le gisement. Cette publication a pour objectif d'inventorier avec un regard de géologue les conséquences de l'activité extractive sur le milieu physique et de présenter les moyens mis en œuvre pour en suivre l'évolution et/ou y remédier.
II. — Les conséquences sur le milieu environnant, leurs traitements et suivis
Le gisement du Nord – Pas-de-Calais est exclusivement souterrain, ce qui détermine un mode d'exploitation et une typologie de conséquences spécifiques (Meilliez, 2017). L'exploitation a été menée quasiment partout dans le gisement du Nord – Pas-de-Calais selon le mode dit d'exploitation totale, c'est-à-dire en extrayant le volume complet de la veine de charbon, avec l'appui temporaire d'un soutènement (Fig. 1). Qu'il soit réalisé manuellement ou mécaniquement, le retrait de cet appui provoquait l'éboulement du toit de la veine. La décompression des couches surmontant ce toit s'est répercutée et dissipée dans tout le volume rocheux jusqu'à atteindre la surface du sol. Par ailleurs, afin de travailler dans les chantiers et galeries, il fallait en permanence pomper l'eau qui s'y accumulait et la rejeter à l'extérieur (exhaure). L'arrêt progressif des chantiers a été mené en réduisant peu à peu l'exhaure, laissant les eaux d'infiltration emplir lentement les interstices résiduels. L'existence de cavités souterraines résiduelles et, aujourd'hui, leur lent ennoiement par les eaux d'infiltration sont les deux phénomènes qui modifient les circulations d'eaux souterraines et, localement, peuvent encore conduire à de faibles ajustements. Depuis 1945 au moins, l'exploitant s'est donné les moyens de mesurer en continu ces modifications. L'exploitant ayant aujourd'hui disparu, cette mission revient à l'Etat qui en a donné la gestion au Département Prévention Sécurité Minière (DPSM) du BRGM au travers de son Unité Territoriale Après Mine Nord (UTAM Nord). Cette mission est détaillée dans les lignes suivantes.
1) Conséquences sur le sol
a) Le phénomène d'affaissement minier
L'excavation du sous-sol détermine inéluctablement une cuvette d'affaissement en surface dont la morphologie, la profondeur et le délai d'émergence dépendent de plusieurs paramètres : la profondeur et l'inclinaison du chantier, son ouverture (hauteur excavée), et surtout la nature (composition et structure) des terrains qui recouvrent le chantier. Les géologues appellent massif rocheux toute formation qui se débite en blocs jointifs, crayeuse, gréseuse, schisteuse, les distinguant des matériaux granulaires de type sable ou argile. Le sous-sol est un massif rocheux qu'on pourrait, en caricaturant, décrire comme un jeu de cubes dont toutes les couches n'ont pas la même composition, ni la même épaisseur, et dont les « cubes » n'ont pas tous la même forme régulière bien que jointifs. L'extraction consiste à retirer les cubes d'une couche, déterminant une taille dont le toit est momentanément étayé à l'avancement (Fig. 1). La progression du soutènement marchant déstabilise le toit qui s'éboule, provocant des ajustements qui se propagent de proche en proche entre blocs voisins jusqu'au sol de surface. Tout se passe comme si les vides se fragmentaient et migraient vers la surface entre les blocs rocheux. Un modèle géométrique simple a conceptualisé les effets d'une exploitation unique et horizontale dans un sous-sol formé d'une couche homogène et continue (Fig. 2A, Knothe, 1957). Ce modèle a alimenté de nombreuses études, sources d'abaques à partir desquels les services de CdF ont examiné les situations de dégâts lorsqu'un affaissement minier était suspecté. Les exploitations du Nord – Pas-de- Calais ont toutes été suffisamment profondes pour ne provoquer que des affaissements, où la surface du sol s'accommode sans rupture du sol, à la différence d'autres régions où une exploitation souterraine à faible profondeur a provoqué des effondrements. Un effondrement est une cavité qui s'ouvre en surface de façon soudaine et brutale. Un affaissement évolue lentement (de quelques semaines à quelques années) et de façon continue, mais affecte une surface plus grande que le chantier qui en est responsable (Fig. 2A). L'angle limite circonscrit en théorie le volume des terrains concernés par ces ajustements ; la ligne que sa trace détermine au sol délimite l'aire d'influence du chantier d'extraction. En réalité, la forme conique théorique de la surface limite est modulée par de nombreuses variations locales de la succession des couches (nature, épaisseur, pendage) en un lieu. Elle dépend aussi de l'éventuelle superposition de tailles exploitées. Mais personne n'a encore su confectionner un outil numérique qui prenne en compte toutes ces variables en même temps, de sorte que, par défaut, le seul modèle utilisé pour l'évaluation des dégâts et des indemnités de compensation ne peut être que le modèle de Knothe (Fig. 2A).
La progression du front de taille en profondeur provoque le déplacement d'une onde sigmoïde, laquelle fait basculer temporairement le bâtiment sous lequel elle passe. Si le bâtiment est suffisamment articulé, il s'adapte au passage de l'onde en étant soumis successivement à un régime de contraintes extensives puis compressives (Fig. 2A). De sorte qu'au final, au fond de la cuvette d'affaissement, le bâtiment paraît n'avoir subi qu'une simple translation vers le bas, laquelle peut même ne pas être perçue par les habitants au cours du déplacement. La vitesse de propagation de l'onde et la forme des bâtiments sont aussi des variables importantes. Lorsque l'abattage se faisait à la main, lentement, les dégâts étaient moins abondants qu'avec l'abattage mécanisé. Les premiers affaissements destructeurs de bâtiments ayant été quand même reconnus à partir de 1865 dans le Pas-de-Calais, l'observation de cette fragilité a été un argument supplémentaire, pour les compagnies minières à partir de 1880, pour construire des cités pavillonnaires plutôt que des corons linéaires (Le Maner, 1995, p. 82).
En théorie, le processus d'affaissement est asymptotique (Fig. 2B) et tend vers une valeur maximale, évidemment inférieure à celle de l'ouverture (l'épaisseur) de la veine. Si l'ensemble des terrains sus-jacents fonctionnait comme un piston monobloc, l'affaissement en surface serait égal à l'ouverture. Mais les mouvements relatifs entre blocs déterminent un certain foisonnement, phénomène que connaît bien toute personne qui a fait un trou dans le sol avec une bêche et tente de le reboucher en tassant les déblais. Autrement dit, la valeur d'un affaissement ne peut jamais atteindre 100% du vide excavé. L'usage a montré que, selon la profondeur et la géologie locale, l'affaissement maximal est compris entre 75% et 90% de l'ouverture (Decherf et al., 1980). Le mode exploitation totale utilisé dans le Nord – Pas-de-Calais (Fig. 1) était nécessaire car tant dans les terrains houillers que dans les couches supérieures (craie pour l'essentiel), la taille des blocs élémentaires est beaucoup trop petite pour assurer un étaiement, même temporaire, à la différence de la Lorraine où la couverture des morts-terrains est très différente. On peut considérer aujourd'hui en Nord – Pas-de-Calais, que l'essentiel des affaissements est achevé, au-delà du seuil qui, dans le droit français, engage la responsabilité de l'exploitant (Fig. 2B).
b) Conséquence sur la circulation aquifère dans les terrains houillers
La remontée naturelle de l'eau dans les terrains houillers interagit avec les terrains vierges de l'encaissant houiller et avec les éboulis abandonnés derrière le chantier d'abattage, après retrait de l'étaiement. L'assèchement nécessaire à l'exploitation minière a fait perdre aux terrains vierges leur eau de capillarité. La situation est comparable à celle d'une éponge racornie abandonnée. A la remise en eau, de même que l'éponge desséchée a besoin d'un peu d'eau pour retrouver ses propriétés d'éponge, de même les terrains vierges ont reconstitué leur stock d'eau capillaire et ont donc gonflé (Bekendam & Pöttgens, 1995). Ce gonflement est très modeste. Par contre, les éboulis qui occupent les chantiers, remis en eau, ont tendance à améliorer leur compaction initiale. Il s'agit d'une loi fondamentale de la géotechnique, bien connue sur tous les chantiers de terrassement. Mais là aussi, le tassement (réduction du volume des vides) est très modeste. De telle sorte que les profils topographiques de contrôle, levés à 0,1 mm près par l'Institut Géographique National, ne mesurent que le bilan des deux phénomènes antagonistes touchant des volumes de terrains voisins. Les effets superficiels de ce bilan doivent être d'autant moins perceptibles aux habitants que la vitesse d'évolution imposée est celle, très lente de la remontée de l'eau souterraine. En revanche, de subtils changements dans les écoulements de surface (voir paragraphe suivant) pourraient trahir localement des déplacements différentiels au-dessus des transitions entre massifs exploités et inexploités.
2) Conséquences sur les écoulements de surface
Les cuvettes d'affaissement peuvent, ici ou là, avoir fait descendre la surface topographique sous le niveau d'équilibre piézométrique de la nappe phréatique, c'est-à-dire de la nappe locale la plus superficielle. De telle sorte que toute surface destinée à assurer ou recueillir un écoulement (topographie basse, fossé, cours d'eau, canaux, réseaux d'adduction et d'assainissement) peut subir des dommages allant jusqu'à la rupture des réseaux et l'inversion des écoulements naturels favorisant la formation d'un étang au point bas local. Certains sites, laissés en l'état, ont retrouvé un équilibre naturel et sont aujourd'hui équipés pour les loisirs : la Mare à Goriaux (Raismes), l'Etang d'Amaury (Hergnies), le Parc des Glissoires (Avion-Lens), etc. D'autres, et surtout ceux qui affectent les sites urbains, ont fait l'objet de travaux importants de type endiguement et/ou de type station de relevage des eaux (SRE) par les divers exploitants au fil de l'évolution de l'affaissement. Les deux dispositifs ne sont pas nécessairement associés. L'endiguement consiste à maintenir le profil en long du cours d'eau pour préserver sa linéarité et donc sa capacité d'écoulement d'amont en aval. Le dispositif SRE est un système de pompes qui collecte l'excès d'eau accumulée en un point bas pour la transférer soit dans un plan d'eau, soit dans un cours d'eau voisin (Fig. 3A). Le bassin houiller était équipé d'environ 150 installations SRE avant que la rationalisation réalisée par CdF n'en réduise le nombre à environ 70, dont une cinquantaine est directement gérée par le service de l'UTAM- Nord (Fig. 3B). Il est important de noter que ces installations (digues et SRE) ne font que restituer en aval les eaux qui se présentent à l'amont ; aucun apport d'eau souterraine ne participe à ces flux.
3) Conséquences sur l'ensemble de l'hydraulique souterraine
a) Effets sur l'hydrosystème régional
L'hydrosystème régional comporte quatre aquifères naturels qui sont, de haut en bas (Meilliez et al., 2015) :
- les alluvions locales : restreintes à quelques fonds de vallées, ressource inutile en tant qu'eau potable ;
- les Sables d'Ostricourt (Thanétien, e2b des cartes géologiques) : visible au fond de certaines cuvettes d'affaissement minier (Bois d'Epinoy, près de l'échangeur autoroutier de Libercourt ; base de loisirs du Marais de Carvin ; mare à Goriaux de Raismes, …) ; ressource inutile en tant qu'eau potable ;
- la craie du Turonien supérieur et du « Sénonien » (Coniacien, Santonien principalement sur le bassin minier : c3c à c4-c5 des cartes géologiques) : il s'agit de la ressource principale de la région ;
- le Calcaire Carbonifère (h1 des cartes géologiques) : cette ressource renouvelée à partir d'affleurements situés en Belgique (Tournaisis), est exploitée pour partie sur le versant nord-est de la Métropole Européenne de Lille. Le Calcaire Carbonifère est situé sous les terrains houillers, au moins tout le long de la bordure nord du gisement.
A ces quatre aquifères s'en ajoute un cinquième, fabriqué par l'Homme : les vides résiduels du bassin houiller. Son volume potentiel est estimé à 550 millions de m3 (CdF, 1999), soit environ le quart de l'ensemble des vides réalisés pour les besoins de l'extraction. Sa caractéristique est d'être en cours de remplissage.
Ces aquifères sont isolés les uns des autres par des niveaux peu perméables, plus ou moins continus. Toutefois de nombreuses connexions peuvent les relier : drainance descendante naturelle par les failles et systèmes naturels de fractures, et drainance ascendante par percolation depuis le Calcaire Carbonifère. S'ajoutent aussi les connexions d'origine humaine que sont les puits, forages, et fractures dont l'ouverture a été induite par la diffusion des affaissements vers le haut (voir ci-dessus). Les besoins de l'exploitation ont aussi nécessité le prélèvement d'eau en provenance de l'aquifère de la craie pour l'essentiel, afin d'être injectée dans les chantiers, entre autres pour abaisser le taux de poussière à l'abattage. Le fonctionnement de l'ensemble de l'hydrosystème minier a été schématisé (Fig. 4) afin d'estimer les volumes en jeu. Durant la période d'exploitation sous régime public, les volumes d'eau accumulés dans les excavations, puis exhaurés (= rejetés en surface), ont été enregistrés quotidiennement, fosse par fosse. Durant la période d'exploitation privée, ce travail était réalisé au niveau de chaque concession. L'abattage desstots (terrain inexploité séparant les concessions ou entourant un puits de mine) après la nationalisation a établi des connexions maîtrisées entre chantiers et a permis d'optimiser, peu à peu, le réseau d'exhaure. Au cours du bilan hydraulique réalisé (CdF, 1999), le report sur diagramme de la production de charbon et du volume exhauré, siège par siège, concession par concession, et finalement pour l'ensemble du bassin houiller de 1947 à 1989, a révélé une relation linéaire affine : la production d'une tonne de charbon induisait l'exhaure d'une tonne d'eau. L'ordonnée à l'origine de cette fonction représente donc une estimation du débit de fuite, c'est-à-dire du débit intrinsèque de remplissage des vides résiduels, à savoir de l'ordre de 10 000 m3/an. Le rapport du volume des vides résiduels au débit quotidien permet ainsi d'évaluer la durée du remplissage des vides causés dans les terrains houillers, ce qui envoie au début du XXIVe siècle, c'est-à-dire au-delà de 2300 (CdF, 1999). Au final, outre l'individualisation d'un nouvel aquifère, morcelé, l'impact peu visible de l'activité extractrice aura été de modifier les circulations hydrauliques souterraines d'une façon qui reste à déterminer au cas par cas en fonction des ajustements. En conséquence, un autre impact aura été d'affaiblir localement les caractéristiques mécaniques des massifs rocheux concernés.
b) Modélisation de la remontée de l'eau
Dans le cadre des obligations réglementaires actualisées par la réforme du Code Minier en 1994, CdF a entrepris une étude compréhensive des phénomènes en jeu afin d'élaborer un outil prédictif des conséquences qu'entraînera l'ennoiement naturel des vides créés par l'activité extractive. Cette étude, dite par la suite Etude 3H, menée en concertation avec toutes les parties prenantes (CdF, 1999), a servi de base pour les négociations de sortie de concessions minières. Le maire de chaque commune concernée s'est vu ensuite remettre un exemplaire de cette étude, accompagnant les informations propres à son territoire. La variable déterminante est la vitesse de remontée de l'eau souterraine, que l'on qualifiera de niveau piézométrique du Houiller. Les deux questions prioritaires étaient : à quel cote se stabilisera ce niveau ? et quand ? Les deux conséquences majeures de cette remontée sont : quels ajustements locaux du sous-sol et du sol résulteront de la remise en eau des terrains desséchés depuis longtemps ? Qu'adviendra-t-il de la bulle de gaz de houille résiduelle qui sera progressivement comprimée par le niveau piézométrique du Houiller ?
Afin de répondre à ces questions il fallait définir les conditions initiales de la modélisation. Les niveaux piézométriques choisis, tant dans le Houiller que dans la Craie, furent ceux atteints en 1972, à partir du moment où la fermeture progressive avec abandon de chantiers a commencé. La construction du modèle hydraulique a été calée sur la reconstitution de la remontée des eaux entre 1972 et 1998, année de l'Etude 3H. Un modèle géologique (lithologique et structural) a été défini, la perméabilité étant la variable de différenciation lithologique pour ce type d'étude (Fig. 5).
La rationalisation mise en œuvre à partir de 1945 a mis en connexion toutes les concessions, à l'exception des deux extrémités, est et ouest. Par conséquent le remplissage peut être suivi au travers d'un nombre limité de sites. Cinq doublets piézométriques (Houiller, Craie) ont été réalisés pour compléter le nombre de sites disponibles et renseigner les conditions aux limites. Toutefois la géométrie du système est irrégulière : il ne faut pas imaginer une cavité unique se remplissant comme un récipient, mais plutôt de nombreuses cavités relativement petites, séparées par des terrains peu à très peu perméables, mais reliées par l'entrelacs des galeries et puits ayant servi à l'extraction (Fig. 6). De sorte que le remplissage ne progresse pas de façon linéaire mais connaît des temps de pause apparente tandis que l'eau se déverse d'un chantier dans l'autre via les galeries.
Les principaux résultats de cette Etude 3H sont les suivants :
- Le niveau piézométrique du Houiller n'atteindra nulle part la surface du sol ; il se stabilisera dans la Craie après avoir saturé complètement les terrains houillers.
- En théorie, cette stabilisation ultime n'interviendra pas avant le début du XXIVe siècle, toutes choses égales par ailleurs. Mais d'ores et déjà on constate que le niveau observé est inférieur au niveau prédit.
- Les ajustements mécaniques locaux dans les terrains se font très lentement, gouvernés par la répartition des cavités et la vitesse de remontée de l'eau. Leur intensité en surface ne peut être qu'une fraction de l'espace résiduel après la première phase d'affaissement. Une prévision précise exigerait un coût de modélisation certainement très élevé, au cas par cas. Le moyen de contrôle choisi consiste en profils topographiques très précis, ciblés notamment sur les derniers sites excavés et avec une forte densité de population.
- L'ennoiement total des vides houillers entraînera à terme la disparition complète de la bulle de gaz résiduelle (voir § 4).
En 2005, après 6 ans de recueil de données mesurées, un recalage du modèle a permis de constater un retard dans les prédictions de 1999, conséquence de nombreuses approximations réalisées pendant la constitution du modèle. Depuis l'outil recalé est resté en l'état, tout en poursuivant des campagnes régulières de mesures.
4) Le gaz de mine
Les conditions de libération du gaz de mine (ou gaz de houille) sont directement liées à l'exploitation minière. Dès le premier creusement d'une cavité dans le massif rocheux, la décompression relative qui affecte les roches, dont le charbon, détermine la libération du gaz, composé d'oxydes de carbone (simple et double), de molécules légères d'hydrocarbures (méthane, éthane, …) qui se désorbent du charbon de façon continue et inévitable. Il s'agit du grisou. Aussi des systèmes d'aérage ont-ils été dimensionnés au regard des chantiers à protéger afin d'éviter l'accumulation de ce grisou dans les chantiers d'exploitation et de provoquer des explosions souvent meurtrières. Le mélange de ce gaz avec l'oxygène injecté par l'aérage pouvait déclencher une explosion en fonction de la proportion des constituants. A l'arrêt de l'exploitation, tous les puits de mine identifiés par CdF ont été mis en sécurité soit par remblaiement, soit par bouchons cimentés en tête de puits. L'arrêt de l'aérage a coupé l'arrivée d'oxygène. L'atmosphère des cavités s'est donc peu à peu saturée en gaz de mine. La remontée de l'eau comprime ainsi le gaz présent dans les vides miniers. Et eu égard à l'état très hétérogène des terrains sus-jacents, il est impossible de garantir leur imperméabilité à la migration du gaz de mine au travers de pores et fissures d'origines diverses. CdF l'a compris très tôt et a anticipé le risque de migration de gaz au travers des terrains sus-jacents et vers la surface via les puits ou tout autre fissure, en souhaitant abaisser la pression du réservoir souterrain. L'exploitation de ce gaz a donc pris l'aspect d'un captage actif via un processus de pompage et une valorisation par réinjection dans le réseau public gazier, dans le but de prévenir la migration du gaz de mine au travers des terrains et de faciliter la mise en sécurité de l'enjeu de surface. Concrétisée par Méthamine, cette valorisation est actuellement poursuivie par une société privée, Gazonor qui, participe, sans que ce soit son but premier à la mise en sécurité du réservoir. Compte tenu de l'étendue du bassin minier, de la continuité des chantiers miniers, de leurs interconnexions et du phénomène actif de désorption, le stockage du gaz de mine au sein du réservoir est effectif. Le captage actif sera possible tant que l'ennoyage du réservoir permettra une production. Mais il arrivera un moment où, la topographie du toit des terrains houillers étant mollement ondulée, quelques bulles minces mais étendues seront isolées les unes des autres et mises en pression par la remontée de l'eau qui elle-même se mettra en charge. Pour éviter le risque de migration au travers des terrains lors de l'ultime mise en pression du gaz par l'eau, CdF a réalisé des exutoires de gaz de mine qui ont pour vocation de mettre en relation les points hauts du réservoir avec l'atmosphère. Cet écoulement passif n'est permis que par différence de pression entre la pression interne au réservoir et la pression atmosphérique et permet d'évacuer le gaz de mine mis en pression susceptible d'être piégé par la remontée de l'eau. Ce risque « migration » gaz est un risque qui aura totalement disparu lorsque l'ensemble des vides miniers sera inondé, soit d'ici environ un siècle. Compte tenu de la cinétique de la remontée des eaux, il est évident que le contrôle régulier de ces installations de sécurité est primordial.
III. — Conclusion : Utam-Nord, un service necessaire
De 1994 à 2006, CdF a mis en œuvre pour chaque concession les procédures successives de demande d'arrêt de travaux (DADT) puis de sortie de concession (Fig. 7), définissant dans le cadre de ses obligations légales, des mesures compensatoires que l'on peut résumer ainsi :
- Contrôle et gestion des ouvrages miniers (terrils, puits, exutoires de gaz de mine, piézomètres) ;
- Optimisation du réseau des stations de relevage des eaux et surveillance d'un système d'endiguement ;
- Suivi de la qualité des eaux souterraines au droit des anciens sites miniers ;
- Suivi de la remontée des eaux dans le Houiller ;
- Suivi des mouvements de terrain résiduels ;
- Gestion de la migration du gaz souterrain.
La liquidation de l'EPIC CdF (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial : Charbonnages de France) impliquait la mise en place d'un service dévolu au suivi de ces mesures compensatoires, le Département Prévention Sécurité Minière (DPSM), rattaché au BRGM (Fig. 7).
Toutefois le rôle du DPSM s'étend aussi à la préservation et à la valorisation des archives techniques intermédiaires laissées par CdF. Elles sont nécessaires à la gestion des conséquences minières et sont à conserver en fonction des phénoménologies à maîtriser. Elles comprennent :
Des archives foncières liées aux actes de cession de CdF : ces archives sont donc à garder tant que le BRGM sera gestionnaire des ouvrages pour le compte de l'Etat.
Des archives d'exploitation qui incluent à la fois ce qui est relatif aux travaux d'extraction mais aussi aux ouvrages miniers : ces archives sont à entretenir au moins jusqu'à l'ennoyage des terrains houillers (1 siècle au minimum : voir §4), et certainement jusqu'à la stabilisation hydrodynamique souterraine (environ 3 siècles). Les plans miniers très détaillés, et les relevés géologiques sont très utiles pour la reconstitution des structures géologiques (Meilliez, 2017).
Des archives ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) : ces archives sont à conserver jusqu'à la fin du suivi de la pollution des eaux souterraines.
Des archives IHS (installations hydrauliques de sécurité : les SRE et les sytèmes d'endiguement) : ces archives sont à conserver ad vitam aeternam compte tenu de la sensibilité des installations.
L'UTAM-Nord gère ainsi aujourd'hui environ 3 km d'archives minières régionales produites durant la phase d'exploitation, et nécessaires à la gestion des risques. Le maintien de ces archives a pour mission, outre les questions de gestion des risques, de ne pas perdre le témoignage du savoir-faire. Il est vrai que ces archives sont, pour l'instant au moins, peu étudiées. Elles participent à la mémoire de l'exploitation minière. Ce type d'archives est à la fois indispensable pour la mise en œuvre des mesures visant à la protection des biens et des personnes, mais représentent également un fonds scientifique et culturel propre à ce bassin minier. Il est donc nécessaire de faire en sorte que les collectivités territoriales, comme les citoyens, sachent de quoi elles traitent et puissent être en mesure de les aborder. La lecture de tels documents nécessite toujours de faire l'effort de se remettre dans le contexte de la période de rédaction de tels documents plutôt que de juger de leur utilité par rapport à une connaissance d'aujourd'hui. Les préoccupations des exploitants des premiers puits, en n'importe quel endroit du gisement, devaient être très éloignées des impacts que nous avons à gérer aujourd'hui. Comment s'y prend-on donc, aujourd'hui, pour laisser à nos descendants dans trois siècles les éléments qui leur permettront de comprendre le fonctionnement du territoire qu'ils habitent ? La gestion de l'Après-Mine est aussi une démarche scientifique, au même titre que la prospection d'un nouveau gisement.
Remerciements. — Les auteurs remercient très chaleureusement les relecteurs, Gilles Vigneron et Hervé Coulon. Ils remercient aussi la direction du BRGM d'avoir autorisé la rédaction de cet article. L'équilibre du texte doit beaucoup à de nombreuses discussions avec les représentants de Charbonnages de France, de la DRIRE (avant naissance de la DREAL), d'ACOM-France et ACM-NPdC, du Conseil Régional NPdC, de la Mission Bassin Minier, et du Centre Historique Minier, pour la période 1995 – 2006.