Les mémorialistes du XVIe siècle goûtent à un contact nouveau avec l’histoire. Alors qu’ils craignent que l’historiographie officielle ne les oublie et ne fasse pas correctement mention de ce qu’ils ont pu accomplir pour le bien du royaume, ces hommes – et ces femmes – n’hésitent plus à conter leur propre version des événements. À l’image de Philippe de Commynes qui inaugura le genre, ils manifestent leur désir de gloire qui devient dès lors l’une des caractéristiques principales de la noblesse.
Dans les premières pages de son récit, le mémorialiste d’Ancien Régime théorise toujours sa prise de plume. Qu’il s’agisse de la disgrâce, de l’engagement de sincérité, du destinataire ou de l’évaluation de son style, le scripteur use de ce que l’on qualifie souvent de préface pour nouer le pacte qui le lie au futur lecteur1. C’est en ce lieu que l’inscription dans une généalogie, une lignée, une race, est d’abord perceptible. Il s’agit souvent du seul moment où les mémorialistes du XVIe siècle s’étendent sur leurs origines et interpellent leurs héritiers, le reste du texte s’efforçant principalement à mettre en lumière la vie et les faits de son auteur.
Pour la période qui nous importe, nous recensons une quarantaine de Mémoires. Dans ce corpus, si vaste mais également si ténu au regard de l’abondance des titres des XVIIe et XVIIIe siècles, douze offrent une véritable place aux évocations généalogiques, avec une proportion égale d’auteurs catholiques et protestants2. Ces rappels, qu’ils concernent les ascendants ou les descendants, méritent une attention particulière de la part des chercheurs. Leur présence, qui participe indiscutablement de la poétique du genre, invite à s’interroger non seulement sur leur contenu, mais également sur les motivations des mémorialistes. Il s’agira également de soulever la question du rôle que ces évocations ont pu avoir dans le conditionnement du lecteur. Pour ce faire, nous adopterons la démarche proposée le plus souvent par ces œuvres, évoquant successivement l’auteur, les origines de ce dernier, avant d’aborder sa descendance, souvent désignée comme destinataire de ce travail de recomposition.
Soi, avant les autres
L’égotropisme du genre des Mémoires ne fait aucun doute3. Il s’agit, pour quiconque prépare une telle entreprise, de mêler son histoire à l’Histoire. De cette manière, dans la lecture qui est imposée par le mémorialiste, tout doit partir de lui-même : il se désigne chaque fois comme l’échelon de référence de la généalogie familiale qui, nous l’avons dit, est préalablement proposée à la lecture. Cela se manifeste tout d’abord par l’usage de la première personne : le « je » de l’auteur est particulièrement présent dans ces lignes qui doivent être une introduction au récit de la vie de l’homme d’État. Que ce soit chez Beauvais-Nangis, Bouillon ou Brantôme, nombreux sont les mémorialistes qui utilisent cette inscription grammaticale dès le premier mot de leur œuvre, véritable caution de l’exactitude des faits contés. Lisons en ce sens le commencement des Mémoires de Rochechouart :
Je, Guillaume de Rochechouart, seigneur de Jars, de Breviande et de La Faye, fils unique et seul héritier de Jean de Rochechouart, seigneur de Jars, et d’Anne de Bigny, fus né l’an de grace 1497, le 6 janvier.4
Le ton est ici très formel, se rapprochant d’un acte officiel. De plus, chez les mémorialistes qui choisissent de se donner d’emblée la stature d’un personnage historique, usant de la troisième personne du singulier comme Jacques-Auguste de Thou ou Théodore Agrippa d’Aubigné, leur nom est délibérément apposé en en-tête. Il ne s’agit pas seulement de rappeler au lecteur distrait l’objet des propos qui suivent mais bien de s’instituer en tronc solide de l’arbre généalogique familial :
Jacques-Auguste de Thou naquit dans la maison de ses pères, à Paris, le 8 octobre 1553 vers les sept heures du matin. Ce même jour il fut présenté au baptême dans l’église de Saint-André-des-Arcs, par René Roulier, évêque de Senlis, par François Demié, conseiller au Parlement, d’une famille noble du Limousin, et par Marguerite Bourgeois, épouse d’Augustin de Thou, son oncle.5
Et même lorsque le mémorialiste dissocie délibérément le narrateur de son sujet, mêlant le « je » à la troisième personne du singulier pour traiter de la personne qu’il était alors, il se place comme l’intersection du passé et de l’avenir de sa lignée. Le duc de La Force écrit notamment « Je commencerai par son extraction »6 : il n’est pas alors question de transcrire seulement une histoire familiale, mais de transcrire son histoire, celle dont le résultat aboutit à sa naissance.
Cette impression de prééminence du mémorialiste dans les évocations généalogiques est renforcée chez les auteurs protestants. En effet, ces derniers structurent leur récit à partir de la notion de prédestination, le récit de vie étant tributaire des conceptions religieuses, seules à définir, à la Renaissance, le sens de l’existence7. Le texte de d’Aubigné est, à ce propos, éloquent. Il raconte avoir été sauvé à la naissance d’une mort certaine, comme aidé par Dieu :
Théodore Agrippa d’Aubigné […] nasquit en l’hostel de Saint-Maury, près de Pons, l’an 1551, le 8e de febvrier. Sa mère morte en accouchant, et avec telle extrémité, que les médecins proposèrent le chois de mort ou pour la mère ou pour l’enfant ; il fut nommé Agrippa, comme oegre partus […].8
Sur ce même modèle, Mergey ne manque pas de rappeler qu’il était, par sa naissance, défavorablement placé dans l’ordre de succession de sa maison. La démonstration est ainsi faite que tout porte à croire que l’auteur ne peut être voué qu’à une carrière ecclésiastique, ce qui ne fut pourtant pas le cas. Ce n’est qu’après avoir mentionné ses parents, ses quatorze frères et sœur et le décès de dix d’entre eux qu’il évoque son sort : « Et moy, Jean de Mergey, qui suis le cadet et dernier de tous […] »9. L’effet sur le lecteur, qui ne peut que constater l’élection, n’en est que plus fort.
Un cas particulier s’invite dans notre étude, celui de Charlotte Arbaleste, dame de Mornay. Parce qu’elle est une femme, de surcroît protestante, elle est limitée par les contraintes sociales et religieuses de son temps10. Son écrit tout entier constitue un témoin de ces entraves : ce ne sont pas ses Mémoires qu’elle rédige, mais ceux de son époux, Philippe Duplessis-Mornay, pour servir de modèle de conduite huguenote à leur fils. Aussi, nous ne lisons pas les évocations généalogiques de l’auteur, mais celles du sujet, ici distinct :
Je commenceray donc à leur faire le discours de sa naissance. Il naquit à Buhy, païs du Vexin le Françoys, mil cinq cens quarante neuf, le cinquiesme novembre, deux heures devant le jour, et fut baptizé le onziesme jour du dit moys […].11
De cette manière, et c’est également le cas dans l’ensemble de son œuvre, Charlotte Arbaleste se présente d’une manière socialement acceptable, où les affaires de sa famille et le dévouement à son mari dépassent sa propre individualité. Ces qualités, particulièrement importantes pour l’éthique protestante, servent bien évidemment à la mise en valeur du scripteur, au même titre que les évocations généalogiques de son époux devaient glorifier les origines de ce dernier12. Évidemment, elle ne disparaît pas totalement du récit et n’hésite pas à intervenir à la première personne pour développer les aspects de sa personnalité qu’elle souhaite rendre publics, mais elle n’en est pas le point central. Enfin, dans ce cas si particulier d’écriture, nous retrouvons une nouvelle fois de nombreuses références à la prédestination et à l’élection de Philippe de Mornay, l’un des principaux chefs du parti protestant :
[…] Mais comme Dieu ne vouloit qu’il feust plongé en l’idolâtrie, luy osta tost tels allèchements, par la mort de feu mon dit sieur le doyen son oncle, qui mourut en sa ditte abbaye de Saumer, le jour d’octobre 1556 […].13
Ainsi, le mémorialiste du XVIe siècle qui choisit d’octroyer à l’histoire familiale une place de choix, n’en oublie pas moins d’insérer son sujet en amont d’une démonstration qui aurait dû faire de lui le dernier cité. Il s’agit alors certainement de ne pas apparaitre comme un simple maillon d’une transmission : il faut être le point de convergence de décennies d’héritages familiaux. Ces derniers, loin d’être négligés par nos apprentis généalogistes, suivent généralement dans l’ordre du récit cette mise au point.
Maisons et transmissions
Lorsque l’on se penche sur les évocations généalogiques des Mémoires du XVIe siècle, on est tout d’abord frappé par l’extrême diversité de forme de ces lignes. Certains écrivent très peu, à la manière d’un Rochechouart ou d’un Mergey, qui se contentent de quelques lignes et ne remontent dans leur histoire familiale que jusqu’à la génération les précédant. D’autres, au contraire, rédigent avec de nombreux détails une galerie de portraits plus ou moins dense. Charlotte Arbaleste propose notamment, dans le récit des origines de son époux, une longue description de celle qui était alors sa belle-mère, Françoise de Bec, décrite comme une épouse et une mère exemplaire :
Quant à sa famille et maison, elle l’a toujours gouvernée avec beaucoup d’honneur et de louange, et continuant en son veufvage a passé son temps à bastir et accommoder le bien de ses enfans, où elle a prins ung singulier plaisir […].14
Gouyon, lui, va encore plus loin et propose une liste extrêmement détaillée de ses illustres ascendants, remontant au XIIIe siècle et consacrant à chacun d’entre eux un exposé minutieux. Le premier, Hervé du Chastel, est ainsi décrit :
[…] Ce seigneur magnanime et genereux, préferant le service de son prince et sa foy et le bien de sa patrye à l’amour naturelle que chascun porte à ses enfans, fit réponse qu’il estoit resolu de garder la place à celuy quy la luy avoit comminse en garde […].15
Pour autant, si chacun de nos mémorialistes adopte une forme qui lui semble adaptée au dessein qu’il s’est fixé, nous retrouvons de nombreuses similitudes dans le fond de ce qui fut alors écrit. Tous les personnages cités ne sont que vertus et honneurs, et servent une notion que l’on retrouve dans chacune de ces généalogies : la maison. Au XVIe siècle, ce terme s’entend à la fois pour désigner un manoir assorti de ses membres, et pour évoquer une extraction ou une race16. Ainsi, au même titre que des terres doivent se transmettre d’une génération à l’autre, les qualités doivent se transmettre par le sang, devenant inhérentes à une lignée. Chaque aptitude, chaque distinction et chaque faveur se devait d’être transcrite dans ces généalogies pour justifier la grandeur d’une maison. Il s’agit alors pour les mémorialistes de se référer à des modèles qui, passés à la postérité ou non, ont œuvré à l’élaboration d’une illustre famille. Bouillon parle, à ce propos, d’un « honneste desir de perpétuer l’honneur et la vertu en nostre race »17. Le vocabulaire employé par Gouyon se montre également particulièrement élogieux à l’égard de ses aïeux :
[…] honnestes moeurs et vertuze conversation que de la genereuse race et noble extraction d’où elle est issue, afin de les inciter à imiter et ensuivre tant la vraye piété et autres excellentes vertus de leur mere que les gestes mémorables et faitz genereux de ces ancestres et personnages sortis de l’illustre maison du Chastel […].18
Quant à Charlotte Arbaleste, dont on connaît la ferveur religieuse, elle décrit avant tout la mère de son époux comme une femme qui persévéra dans sa foi protestante en dépit des troubles du royaume :
[…] Elle se déclare ouvertement, l’an 1560 […] et nonobstant les guerres, persécutions et massacres, a continué et persévéré, et n’y a épargné chose qui ait esté en sa puissance ; mesmement du temps de la Saint-Barthélemy, 1572, que l’Evangile se taisoit presque par toute la France, il continuoit toujours en sa maison.19
Toutes ces cautions morales sont autant de profits pour ces maisons et, grâce à l’hérédité, doivent se lire comme des instruments de mesure de la vertu des mémorialistes. Qui peut alors douter de la bonne foi d’un homme descendant de personnages si grands ? Qui pourrait penser qu’il ne dispose pas, lui aussi, de ces qualités qui ont fait la grandeur de sa famille ? Lisons une nouvelle fois le duc de La Force :
Le père étoit de la maison de Caumont dont le nom est assez connu par les histoires, et la mère de celle des Beaupoil, desquels la probité, piété et sainteté de vie étaient sans exemple ; il a bien suivi leurs traces, pouvant la France rendre ce témoignage de lui, que sa étoit irréprochable […].20
Constatons ici que les branches maternelle et paternelle n’offrent pas le même type d’héritage, comme si le sang du père devait transmettre les valeurs liées à l’honneur militaire et celui de la mère celles liées à la droiture et à la dévotion. Mais surtout, le mémorialiste se place délibérément au point de rencontre de ces deux lignées distinctes mais tout aussi vertueuses, combinant l’héritage de la noblesse immémoriale de son père aux qualités de celle de sa mère. Nous retrouvons ce même schéma chez Brantôme qui de surcroît, comme pour focaliser l’attention du lecteur, use de prétéritions :
Je ne m’amuseray point à vous raconter l’antiquité de la maison de Bourdeille, ny des hauts faits et beaux exploits de guerre, qu’ont accomplis nos pères, grands-pères, ayeux, bisayeux et ancestres, aux guerres qui se sont faites tant à la Terre-Sainte, que de-là et de-çà les monts, soubs nos braves et vaillans Roys, qui estoient pour lors.
Je ne m’amuseray non plus à vous parler de l’antiquité de la maison du Fou, venue de Bretaigne, et fort agrandie par le Roy Louis XI, et autres Roys qui sont venus après […].21
Ces références aux différentes branches de leurs lignages offrent aux personnages que nous étudions une envergure bien plus grande et les présentent comme les meilleurs de leur lignée, parce que combinant les valeurs issues de deux maisons vertueuses. Les mémorialistes ne se présentent plus alors uniquement comme les garants d’un héritage et d’une histoire, ils s’instituent en meilleurs fruits d’une généalogie déjà prestigieuse. Charge était alors confiée à la graine d’améliorer encore le prestige de l’arbre.
Perpétuer la grandeur ?
Comme le rappelait il y a quelques années André Bertière, « Le mémorialiste de la Ligue allait de l’avant, portant comme un viatique le récit de ses actions qu’il transmettait à ses descendants »22. En effet, les enfants sont généralement les destinataires désignés de ces œuvres qui s’apparentent à des manuels d’instruction ; pour ne citer que le cas le plus parlant, Théodore Agrippa d’Aubigné intitula ses Mémoires Sa vie à ses enfants. Les héritiers apparaissent très clairement dans les récits généalogiques que nous étudions. Chaque portrait doit les guider sur le chemin de l’honneur, vertu qui constitue alors un modèle idéal de comportement et de conduite23. Outre la possibilité de recomposer son identité sociale à partir des descriptions plus ou moins détaillées de ses ancêtres, le descendant peut ainsi savoir ce qui est attendu de lui et tâcher de s’y conformer. La dimension massivement masculine de ces auteurs et de leurs destinataires, dans une société où le maniement des armes constitue le meilleur moyen d’atteindre la postérité, fait que ce sont d’abord les hommes de guerre du lignage que l’on a assignés à comparaitre. Pour évoquer son propre père, Bouillon écrit :
Nostre maison tient de celle des anciens comtes d’Auvergne ; mon père mourut à la bataille dicte de Saint-Quentin, m’ayant laissé en l’aage de près de trois ans avec fort peu de support et faveur.24
Quel pourrait-être le meilleur moyen pour encourager son fils à la vertu que d’inscrire ici en filigrane la magnanimité de son grand-père, mort au combat au service de son royaume ? Les épées s’invitent dans les généalogies, cherchant à susciter l’admiration des derniers vivants, enjoignant à agir de la même manière. Chez Charlotte Arbaleste, seule représentante féminine de notre étude, la guerre est également évoquée, mais lorsqu’il s’agit de trouver en son beau-père un modèle pour son fils, l’aspect religieux prend le dessus :
[…] À l’article de la mort, il se ressouvint de plusieurs bons propos que journellement Mademoiselle de Buhy, sa femme, luy tenoit touchant les abus de l’Eglize Romaine dont elle avoit dès lors congnoissance, et ne voulut avoir aucun prebstre ny recevoir aucune cérémonie superstitieuse, s’assurant de son salut par le mérite et passion d’un seul, Jésus-Christ […].25
Les mémorialistes peuvent alors directement inscrire leurs descendants dans la lignée de laquelle ils étaient issus, celle-ci ayant pour vocation d’être perpétuée. À l’instar de Beauvais-Nangis, certains auteurs les interpellent ainsi directement :
Vostre grand-père se nommoit Antoine de Brichanteau, fils de messire Nicolas de Brichanteau, chevalier de l’ordre, capitayne de cinquante hommes d’armes, seigneur de Beauvais-Nangis, et de dame Jeanne d’Aguerre, laquelle estoit fille de messire Jean d’Aguerre, baron de Vienne, grand maistre de Loreyne et de dame Jacqueline de Lénoncourt.26
Le possessif est ici la marque d’un ancrage dans une généalogie familiale : il n’est pas question du père du mémorialiste mais du grand-père de son fils, le destinataire désigné27. En outre, un tel nom induit une responsabilité de taille pour cette descendance car il faudrait idéalement ajouter à ce patrimoine du prestige, ou tout au moins le laisser en l’état. Bouillon fait débuter son histoire familiale par ces mots :
Mon fils, j’ay creu n’avoir pas assés faict pour vous en vous mettant au monde par la bénédiction de Dieu, mais que mon amour vers vous et l’honneste desir de perpetuer l’honneur et la vertu de nostre race, et plus que tout cela la reconnaissance que je doibs rendre à Dieu de nous avoir faicts de rien […].28
Enfin, il convient de souligner ici que l’exemplarité des modèles choisis par le mémorialiste pour illustrer sa maison rend la tâche qui incombe à ses héritiers d’autant plus lourde. L’étalage de titres et de charges sert certes à la gloire de la famille, mais invite également à s’en montrer digne :
Je dirai donques que très-haut, illustre et puissant seigneur, monseigneur François de Scépeaux, sire de Vieilleville, comte de Durestal, baron de Mathefelon, seigneur de la Vaisousiere, de Saint-Michel-du-Boys et de la Berardiere, mareschal de France, gouverneur et lieutenant Général pour le roi Henri II, François II et Charles IX, en la ville de Metz et pays messin, étoit fils de haut et puissant seigneur messire René de Scépeaux […].29
Les héritiers ont donc pleinement leur place dans ce qui constitue la somme des hauts faits des membres de leur maison. Derniers maillons d’une généalogie que le mémorialiste s’efforce de présenter comme prestigieuse, ils doivent comprendre que c’est entre leurs mains que se joue l’avenir de la lignée. Mais ne nous méprenons pas : les Mémoires du XVIe siècle n’ont pas été rédigés uniquement à des fins de transmission familiale. La présence, dans le récit des généalogies, d’enfants à qui il faut transmettre un héritage ne doit pas nous faire oublier la dimension apologétique du genre. Ce sont bien souvent des hommes ayant connu la disgrâce qui écrivent ; une telle rédaction doit avant tout permettre de laver un honneur et d’offrir une tribune où l’on pouvait se défendre de l’historiographie officielle30. Aussi, il va de soi que les Mémoires s’adressent à un public. La tâche de la descendance est alors double : connaître et préserver les valeurs que reflète son nom, tout en veillant à ce que les véritables destinataires de ces récits de vie, en l’occurrence le pouvoir et la postérité, entendent ce que l’auteur a eu à dire.
Au terme de cette étude, il apparaît que les évocations généalogiques des Mémoires du XVIe siècle constituent un véritable moyen d’action. Plaçant le mémorialiste au centre d’un héritage familial, elles lui permettent en quelques lignes de jouir du bénéfice de la gloire de ses ancêtres. Dans un contexte de retour en grâce espéré, le scripteur se place dans la lumière de sa lignée pour en tirer profit. Lisons une dernière fois Jacques-Auguste de Thou :
Ils le nommèrent Jacques ; le père l’avoit ainsi souhaité pour renouveler un nom qui, outre le rapport avec celui de la mère, étoit comme héréditaire dans sa famille, et qui avoit été porté de suite par trois de ses aïeux avant Augustin de Thou, grand-père de l’enfant.31
La dimension politique de ces fragments ne peut ainsi être sous-estimée : ils servent à appuyer la demande de réhabilitation que constituent ces œuvres. Les héritiers, souvent cités, sont quant à eux invités à perpétuer l’honneur d’une maison, en veillant à accrocher dans la galerie des portraits de famille le glorieux tableau que constituent ces Mémoires.