Cet ouvrage collectif est en partie tiré d’un colloque organisé en 2011 par l’équipe XVIIIe siècle de l’UMR LIRE (Littérature, Idéologies, Représentations XVIIIe - XIXe), à l’Institut des sciences de l’homme et de l’Université Lumière-Lyon 2. Il s’agit d’un ouvrage tout à fait remarquable, fort bien édité, qui tout à la fois illustre la mise en œuvre de méthodes nouvelles dans la pratique de la science littéraire et contribue de manière significative aux avancées de la connaissance dans le champ émergent des études biographiques. Dans sa « Présentation générale », Olivier Ferret engage le débat principalement avec les thèses de François Dosse, l’auteur du Pari biographique (Paris, La Découverte, 2005), dont à bon escient il critique respectueusement certaines des thèses, comme la classification de la biographie en trois « âges », « héroïque », « modal » et « herméneutique », qui néanmoins continuent de présider discrètement à l’ensemble de l’ouvrage. Ce texte introductif mérite en soi qu’on s’y arrête, d’abord pour la raison qui vient d’être dite, qui démontre une pensée bien affirmée sur la biographie comme relevant « d’un domaine de la connaissance, voire d’une discipline du savoir ». Il le mérite ensuite parce qu’il justifie l’à-propos de cet ouvrage par le fait qu’il participe à montrer comment la biographie moderne, ainsi définie, se constitue comme telle dans l’histoire de la littérature vers la fin du XVIIe siècle, c’est-à-dire au début de ce « long XVIIIe siècle » qui définit la période d’application de la présente étude. En effet, il faudra un jour prochain démontrer comment la naissance de la biographie a coïncidé avec celle du roman, « dans une période où l’histoire n’est pas encore conçue comme une science historique, et fait encore largement partie des « belles-lettres » ». Là n’est toutefois pas l’objectif de cette anthologie d’articles, qui se propose de montrer, par des études de cas bien choisies, comment la biographie, en tant que genre littéraire au sens large, participe pragmatiquement à la construction de discours politiques. « Sont ainsi à explorer les liens qu’entretient l’écriture biographique avec la construction d’imaginaires politiques, mais également avec les dispositions de construction, à l’occasion polémique, d’une légitimité, conduisant ainsi à une interrogation sur les processus de légitimation politique et sur le rôle que jouent les écrits biographiques dans cette opération ». Saluons ici une méthodologie de la recherche littéraire qui allie avec bonheur l’héritage du nouvel historicisme avec celui des théories de la réception. Une brève introduction seconde présente et commente rapidement quelques exemples bien choisis de ces illustrations qui accompagnent souvent les biographies étudiées, démontrant que la biographie déborde du champ de la littérature tout comme elle se distingue de celui de l’histoire. Cet ouvrage très bien conçu se divise en quatre parties – « Agir », « Édifier », « Justifier », « Interpréter » –, chacune d’entre elles étant présentée par un texte de cadrage d’Anne-Marie Mercier-Faivre, si bien que l’on ne perd jamais de vue la forte cohérence de l’ensemble, qui se lit de ce fait avec une aisance qui fait toute l’élégance d’une érudition distinguée. Le recueil commence fort, avec une étude que Christophe Cave consacre aux Anecdotes sur Mme la comtesse du Barry de Pidansat de Mairobert et autres ouvrages du même ordre, relevant des libelles et s’inspirant du modèle du récit libertin, érotique ou pornographique. Ce « type de biographie politique, entre libelle et effet de vérité », relève de « la méthode voltairienne en philosophie appliquée […] à la politique ». Samy Ben Messaoud étudie plusieurs exemples de vies privées aussi différents que la Vie privée de Louis XV et les Mémoires de la vie privée de Benjamin Franklin, qu’analyse ensuite plus avant l’article d’Olivier Ritz. C’est une des grandes réussites de ces articles, qu’ils se donnent pour objet de recherche des groupes d’œuvres et d’auteurs, ne s’enfermant jamais dans le pré carré d’un seul ouvrage, mais pratiquant une forme de comparatisme au rythme enlevé. « La biographie politique émerge entre ombres et lumières, écrit Ben Messaoud, à travers ces textes excessifs certes, mais qui traduisent un besoin de transparence et une aspiration à la constitution d’un nouveau Panthéon ». L’un des textes les plus passionnants est sans aucun doute celui de Shojiro Kuwase, « Reconnaître Rousseau », dans lequel il se penche sur la tension entre l’image idéale que s’étaient construite les lecteurs de Rousseau et l’autoportrait posthume très décevant que le philosophe brosse de lui-même dans la seconde partie des Confessions, publiée en 1789, quatre ans après sa mort. Refus de lire ce livre décevant, rééditions expurgées, théorie du complot supposant que des ennemis avaient falsifié cette œuvre en y insérant des anecdotes scandaleuses, publication de biographies de Rousseau gommant les frasques avouées de Jean-Jacques : il n’y a peut-être pas d’exemple plus probant de la différence radicale entre autobiographie et biographie, et ce texte de Kuwase fait naître le désir de lire une étude bien plus longue sur cette question-là. Après un article édifiant de Florence Boulère sur l’utilisation des biographies courtes dans les manuels d’éducation des années 1780, Simone Messina se penche sur la réhabilitation de Robespierre par Albert de Laponneraye, à travers les Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères (1834). Autre article magistral, celui de Jean-Luc Chappey, « Usages politiques et sociaux de la biographie entre la Convention et le Directoire (1794-1799) », démontre que si la Révolution française n’invente pas la biographie, elle lui confère une portée nouvelle. Dans un premier temps, des biographies à charge dénoncent les « monstres » de la Terreur, des martyrologes établissent des listes de leurs victimes sous forme de séries de brèves notices biographiques, participent directement au déclenchement de la « Terreur blanche » : ces massacres de républicains qui se déroulèrent, particulièrement dans le Sud-Est, à partir de l’hiver 1794. Les députés de la Convention cherchent alors à canaliser ce mouvement en publiant des biographies et de petits dictionnaires biographiques faisant l’éloge de « héros nationaux », d’où émergent les types sociaux, et tout particulièrement celui du savant qui consacre sa vie au progrès du genre humain. Chappey va jusqu’à parler d’une « véritable invasion du politique par le biographique », qui avec l’émergence du héros militaire, particulièrement après le coup d’État du 18 brumaire, puis la constitution de dossiers individuels, s’épanouit en ce qu’il appelle une « biocratie ». Et Chappey de conclure en émettant l’hypothèse que le culte romantique du moi fut sans doute une réaction au « processus de saisie du biographique par l’État ». Tout aussi passionnante est l’étude de la Notice sur la vie de Sieyès par Erwan Sommerer : une autobiographie déguisée en biographie, pièce maîtresse dans la stratégie de reconquête du pouvoir par l’abbé Sieyès. Francesco Dendena analyse de façon comparable les autobiographies des Feuillants, et Marie-France Piguet les Mémoires de M. le Comte de Montlosier. Dans la dernière partie, consacrée à la façon dont la biographie opère une interprétation évolutive des figures historiques, Myrtille Méricam-Bourdet observe le renversement de perspective par lequel on accorde finalement à Oliver Cromwell le crédit de la sincérité de ses opinions religieuses, pour aboutir au Cromwell de Voltaire, qui ouvre la voie à une articulation des ressorts collectifs et individuels de l’histoire. C’est encore sur les « Vies » de Voltaire que Laurence Macé s’arrête, à la lumière de la « Poétique des Vies particulières » de Jean Sgard. Fadi El Hage montre comment les biographies de Napoléon publiées sous la Restauration participent d’une lutte pour établir la légitimité des Bourbons. Enfin, c’est fort à propos qu’Éric Gatefin ferme la marche en revenant à Sainte-Beuve, et termine en cédant la parole au maître de la critique biographique : « car enfin ce temps qui a précédé notre naissance, ce dix-huitième siècle tout entier, nous le savons, avec un peu de bonne volonté et de lecture […] ; nous pourrions entrer à toute heure dans un salon quelconque et ne pas y être trop dépaysés ». Une bibliographie générale venant s’ajouter à celles des articles, un index des noms de personnes, et des notices biographiques des auteurs apportent à ces actes de colloques la touche finale qui en fait un beau livre, démontrant à plus d’un titre que l’art du « viographe », comme disait Jacques Le Vasseur en 1633, fait aujourd’hui l’objet d’une recherche très vivace.
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.), Biographie et Politique. Vie publique, vie privée, de l’Ancien Régime à la Restauration
p. 92-94
Bibliographical reference
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.), Biographie et Politique. Vie publique, vie privée, de l’Ancien Régime à la Restauration, Lyon, Presses Universitaires de Lyon [coll. Littérature et idéologies], 2014. Broché. 263 p. ISBN 978-2-7297-0878-8. 22€
Text
References
Bibliographical reference
Joanny Moulin, « Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.), Biographie et Politique. Vie publique, vie privée, de l’Ancien Régime à la Restauration », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts, 4 | -1, 92-94.
Electronic reference
Joanny Moulin, « Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.), Biographie et Politique. Vie publique, vie privée, de l’Ancien Régime à la Restauration », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts [Online], 4 | 2015, Online since 23 juin 2015, connection on 18 janvier 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/figures-historiques/202
Author
Joanny Moulin
Aix-Marseille Université
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