Introduction
Parmi les accidents susceptibles de se produire dans une installation nucléaire, l’incendie représente un risque majeur. Il peut endommager des éléments essentiels à la sûreté et conduire à la dispersion de matières radioactives dans l’installation, voire dans l’environnement. Ainsi, l’incendie qui s’est produit en 1957 dans l’installation de Rocky Flats a donné lieu à un rejet environnemental de plutonium suite à l’endommagement des filtres THE du réseau de ventilation. Dans de telles situations, la connaissance des caractéristiques physiques des aérosols émis s’avère alors indispensable afin d’appréhender leur impact sur les équipements de sectorisation, sur le personnel amené à intervenir ou bien encore afin de prédire leur transport dans l’atmosphère [Gregory et al., 1991, DOE, 1999].
L’objectif de cette étude est de produire des données expérimentales sur le colmatage de filtres plissés THE, dans des conditions d’incendie. En effet, si de nombreux travaux ont été menés sur le colmatage de filtres THE [Novick et al., 1992, Penicot et al., 1999, Thomas et al., 2001], ces travaux portent essentiellement sur des filtres plans et des particules de morphologies simples (sphère, cube) pour des conditions de température et d’humidité éloignées des situations d’incendie. Hashimoto et al. [1993] ont développé une corrélation empirique de colmatage de filtre THE en situation d’incendie, qui n’identifie pas réellement les différents paramètres d’influence. C’est pourquoi l’IRSN a mis en place des installations expérimentales permettant d’acquérir les paramètres caractéristiques de l’aérosol de combustion [granulométrie, morphologie, nature physico-chimique : Ouf et al., 2008], afin de les introduire dans une corrélation empirique décrivant le colmatage, à vitesse de filtration constante, d’un type spécifique de filtres THE [Mocho et Ouf, 2011].
Connaissances disponibles sur le colmatage de filtres THE plissés
L’état actuel des connaissances ne permet pas de décrire le colmatage de filtres THE plissés par des aérosols de combustion, au moyen d’une loi phénoménologique. En effet, pour un filtre plan, dans les premiers temps du colmatage, le dépôt des aérosols s’opère à l’intérieur du médium filtrant, sous la forme de dendrites, conduisant à une légère augmentation de sa perte de charge. Celle-ci peut s’exprimer, entre autres, à partir de la vitesse de filtration, du diamètre des fibres du filtre, du diamètre des particules, de la compacité des particules et de différentes constantes [Novick et al., 1992, Penicot et al., 1999, Thomas et al., 2001]. Puis, rapidement, un dépôt en surface (gâteau) du médium filtrant apparaît, conduisant à un accroissement significatif de la perte de charge du filtre. Cette perte de charge, due au gâteau, est en général décrite à partir d’une relation de type Kozeny [1927].
Mais, pour un aérosol de combustion dont la morphologie est complexe, il s’avère difficile de distinguer dans la valeur de la perte de charge totale la contribution du mécanisme de filtration en surface. Les rares travaux disponibles ne sont pas transposables aux filtres plissés THE. De plus, contrairement aux différents modèles proposés, Del Fabbro et al. [2002] ont mis expérimentalement en évidence un accroissement significatif du pouvoir colmatant des aérosols à faible vitesse de filtration, dû à une réduction de la surface de filtration au cours du colmatage de ces filtres. Seuls Joubert et al. [2009] ont étudié l’influence de l’humidité sur le colmatage des filtres plissés, dans la zone de réduction de surface. Les auteurs mettent en évidence que, pour une même masse d’aérosol déposée, une augmentation de l’humidité conduit à une augmentation de la perte de charge du filtre, pour des particules non hygroscopiques, ainsi que pour des particules hygroscopiques, en-dessous de leur point de déliquescence.
Le colmatage d’un filtre plissé peut donc être modélisé en trois phases : une première phase de filtration en profondeur (au sein du médium composant le filtre), une phase de filtration en surface (formation d’un gâteau de particules) et une phase de réduction de la surface de filtration (obturation progressive des plis) caractérisée par une augmentation significative de la perte de charge du filtre. La figure 1 illustre, à partir de données expérimentales issues de Del Fabbro [2001], une séquence complète de colmatage d’un filtre THE plissé industriel pour un aérosol submicronique de NaCl.
La maîtrise de l’ensemble des paramètres et constantes de chacun des modèles phénoménologiques du colmatage apparaît délicate. L'établissement d'une relation empirique, à partir de paramètres choisis, a donc été préféré. Cette approche a préalablement été introduite par Gregory et al. [1991] mais n’est valable que pour un combustible, une condition de combustion et une vitesse de filtration. Afin de disposer d’une corrélation simple et applicable à différents combustibles et vitesses de filtration, la nouvelle relation proposée est basée sur un ensemble de paramètres dont l’influence significative a été mise en évidence expérimentalement sur la gamme de configurations étudiées. Cette corrélation, purement empirique, ne pourra être appliquée avec confiance que dans son domaine de développement et en particulier pour les gammes expérimentales de vitesse de filtration, de diamètre de particules et de taux de condensats utilisés pour son élaboration. L’industrie nucléaire française n’utilisant que des filtres THE à petits plis (hauteur des plis d’environ 30 mm, distance entre deux plis d’environ 2 mm), les paramètres liés au plissage et aux caractéristiques du médium filtrant n’ont pas été étudiés ; les filtres utilisés correspondent à une classification H14 selon la norme EN 1822 et la corrélation développée n’est donc valable que pour ce type de filtre développé par la société CAMFIL FARR.
Figure 1. Illustration des différentes phases de colmatage d’un filtre THE plissé (d’après Del Fabbro, 2001et pour un aérosol submicronique de NaCl).
View of the different clogging phases of a pleated HEPA filter (adapted from Del Fabbro, 2001 for submicronic NaCl aerosol).
Installations expérimentales
L’installation « BANCO » (BANc de COlmatage) de l’IRSN [Mocho et al., 2007 ; Ouf et al., 2008 ; Mocho et Ouf, 2011] (figure 2), comporte un foyer de combustion (1 m3), raccordé à un conduit d'extraction se divisant en deux voies calorifugées, munies d’un filtre plissé THE, dont les débits d'air varient respectivement de 50 m3/h à 450 m3/h. Des essais à différentes vitesses de filtration peuvent ainsi être réalisés pour un même régime de combustion (caractéristiques des suies identiques).
L’installation « DIVA » (Dispositif d’études de l’Incendie, de la Ventilation et de l’Aérocontamination) de l’IRSN [Le Saux et al., 2005], constituée de trois locaux de 120 m3 et d’un réseau de ventilation, permet d’apprécier l’influence du changement d’échelle et de mener des essais d’incendie à l’échelle réelle d’une installation nucléaire.
L’instrumentation comprend des capteurs électroniques de pression pour la mesure de la perte de charge du filtre et une balance pour mesurer la perte de masse du combustible. La distribution granulométrique et la concentration massique en aérosols de combustion sont déterminées à l’aide d’un granulomètre DEKATI ELPI basse pression et d’une microbalance (R&P TEOM 1105). La morphologie et le taux en condensats des aérosols sont caractérisés respectivement par microscopie électronique en transmission (MET) et par évaporation/dessiccation dans une étuve.
Les filtres étudiés sont des filtres plissés THE à fibres de verre de diamètre moyen 1 μm, de la société CAMFIL-FARR, référence 1501.37.00, développant une surface réelle de filtration de 6 m2 et ayant un débit nominal de filtration de 450 m3/h.
Figure 2. Dispositif expérimental BANCO (d’après Mocho et Ouf, 2011).
BANCO experimental setup (from Mocho and Ouf, 2011).
Combustibles étudiés
Sur l’installation « BANCO », les différents combustibles étudiés sont des granulés solides de polymères : le polyméthacrylate de méthyle (PMMA), le polycarbonate bisphénol A (LEXAN) et le polychlorure de vinyle (PVC), tous deux en association à 33 % et à 50 % (en masse) avec le PMMA afin de favoriser leur combustion. Par ailleurs, la combustion d’une masse de 4 kg d’un mélange d’éléments électriques (blocs terminaux, coupe-circuit, bloc contact, relais, câbles électriques et diverses goulottes PVC) représentatifs des éléments d’une armoire électrique type employée dans les installations nucléaires françaises a été aussi étudiée à l’échelle analytique de l’installation « BANCO » (BANCO_ élément_électrique). Dans l’installation « DIVA », une masse de 44 kg de ce même mélange d’éléments électriques et des armoires électriques réelles ont été mises en œuvre au cours de deux essais PICSEL_V1 et EP2.
Lors des essais BANCO et de PICSEL_V1, le filtre est disposé dans une branche d’extraction pour laquelle la vitesse de filtration est maintenue constante. L’essai EP2 a consisté à étudier l’influence d’un filtre THE sur le déroulement du feu dans le local incendie. Dans ce cas, et à l’inverse des essais BANCO et PICSEL_V1, le débit, et donc la vitesse, de filtration ne sont pas maintenus constants, reproduisant ainsi une situation réaliste d’incendie dans un local équipé d’un premier niveau de filtration à l’extraction. L’objectif d’un tel essai est de confronter la corrélation empirique de colmatage, développée en régime aéraulique statique de filtration (i.e. débit de filtration constant) à une situation dynamique pour laquelle la vitesse de filtration n’est pas imposée.
Le régime de combustion est caractérisé par le ratio d’équivalence global (Ger ф ; rapport entre les masses de combustible et d’air mises en jeu adimensionné par ce même rapport dans les conditions stœchiométriques et donc proportionnel à l’inverse de l’excès d’air disponible pour la combustion) ; un ratio d’équivalence global inférieur à 1 correspond à un foyer sur ventilé et supérieur à 1 à un foyer sous-ventilé. De même, la ventilation du foyer (ou local) de combustion est caractérisée par le taux de renouvellement de l’installation (exprimé en h–1) ; celui-ci correspond au rapport du débit de ventilation sur le volume du local ventilé. Le tableau 1 synthétise les conditions expérimentales rencontrées lors des différents essais de cette étude. On remarquera ainsi que l’installation « DIVA » se caractérise par de faibles taux de renouvellement. Cette spécificité se traduit par un temps élevé de résidence des aérosols dans le local incendie « DIVA », favorisant ainsi divers phénomènes physico-chimiques d’évolution de ceux-ci (agglomération, dépôt, adsorption, désorption, oxydation…).
Le colmatage d'un filtre peut se caractériser par l'évolution de sa résistance aéraulique R en fonction de la masse d'aérosols déposés Mæ. Cette résistance est définie par la relation : R = ∆P/(μ.Qv), où ∆P représente la perte de charge du filtre (Pa), Qv le débit volumique de filtration (m3/s), μ la viscosité dynamique du fluide (Pa.s) à sa température au niveau du filtre. La vitesse de filtration a été maintenue constante durant le colmatage sauf dans le cas de l’essai EP2 pour lequel l’objectif était de mettre en évidence l’interaction ventilation-incendie à travers le colmatage progressif du filtre THE.
Tableau 1.Conditions expérimentales.
Experimental conditions.
Combustible |
Débit de filtration (m3/h) |
Vitesse de filtration (cm/s) |
Taux de renouvellement (h–1) |
Surface de combustion (m2) |
Ratio d’équivalence global ф |
PMMA (100 %) |
50 |
0,23 |
50 |
0,0625 |
0,5 |
450 |
2,1 |
450 |
0,0625 |
0,06 |
|
PMMA-LEXA(50/50) |
50 |
0,23 |
50 |
0,0625 |
0,25 |
450 |
2,1 |
450 |
0,0625 |
0,01 |
|
PMMA-PVC (50/50) |
50 |
0,23 |
50 |
0,0625 |
0,25 |
450 |
2,1 |
450 |
0,0625 |
0,04 |
|
Éléments électriques |
50 |
0,23 |
50 |
0,16 |
≈ 0,8 |
PICSEL_V1 |
50 |
0,23 |
2,5 |
2,4 |
≈ 2,0 |
EP2 |
30 à 300 |
0,14 à 1,4 |
0,25 - 2,5 |
2,4 |
– |
Résultats expérimentaux de colmatage obtenus
Lors des essais menés sur l’installation BANCO, les paramètres susceptibles d'alimenter la corrélation empirique de colmatage ont été identifiés. Ils sont liés aux filtres (caractéristiques du médium filtrant), au régime aéraulique de filtration (vitesse de filtration) et aux produits de combustion (masse surfacique déposée, morphologie et granulométrie des agrégats et des particules élémentaires, taux en condensats). À titre d’illustration, la figure 3a présente l’effet de la vitesse de filtration (Vf) sur la résistance aéraulique R du filtre adimensionnée par sa résistance aéraulique R0 lorsqu’il est vierge, lors de son colmatage par des aérosols issus de la combustion de PMMA et pour un débit constant de ventilation du foyer de 450 m3/h (ratio d’équivalence global constant). À masse surfacique déposée égale, ces résultats montrent une augmentation du pouvoir colmatant des aérosols de combustion de PMMA lorsque la vitesse de filtration diminue. Ce phénomène est principalement lié à l'hétérogénéité de l'écoulement d'air dans un filtre plissé et à l'arrangement des particules le long des plis qui conduit à une réduction de la surface utile de filtration [Del Fabbro, 2001].
Par ailleurs, le pouvoir colmatant de l’aérosol de combustion dépend également de la nature (solide, liquide et/ou liquide/solide), de la forme (fractale, fractale avec gangue ou compacte), de la taille (diamètre des particules primaires composant les agrégats) et du taux en condensats Tc de l’aérosol (fraction massique d’aérosols volatils à une température de 130 °C). En effet, les mécanismes de dépôt de particules solides ou liquides sur le filtre sont différents [Penicot et al., 1999]. L’étude a donc été étendue à d’autres combustibles « secs » (polycarbonate LEXAN) ou émetteurs de condensats (PVC). La figure 3b présente les résultats obtenus à la vitesse de filtration de 0,23 cm/s (vitesse nominale des filtres divisée par 9) pour différentes conditions d’essais et différents mélanges combustibles. Ces résultats montrent que le taux de condensats (Tc) des aérosols déposés sur le filtre THE a une influence significative sur le colmatage. Les différences de pouvoir colmatant observées en fonction des combustibles peuvent s’expliquer, d’une part, par la différence de taille des particules primaires constituant les agrégats (en accord avec les conclusions issues des travaux de Gregory et al., 1991 menés pour des feux de polystyrène et de PMMA), d’autre part, par leur nature plus ou moins « solide » ou « liquide » en fonction du taux en eau/condensats [Penicot et al., 1999], dans la gamme de masses surfaciques déposées considérées lors de nos essais (Mæ < 10 g/m2). De plus, les fortes disparités de pouvoir colmatant des aérosols émis lors des essais menés sur les installations « BANCO » et « DIVA » s’expliquent aussi par les effets conjoints du ratio d’équivalence global qui, lorsqu’il évolue, peut modifier sensiblement la morphologie des agrégats (morphologie de type fractale ou compacte, nature physico-chimique et taille des particules primaires, cf. tableau 2, Mocho et al., 2007 ; Ouf et al., 2008 ; Mocho et Ouf, 2011) et des conditions aérauliques spécifiques à chacun de ces dispositifs. Ainsi, les essais menés sur l’installation BANCO sont caractérisés par des taux de renouvellement très élevés (50 à 450 h–1), sous-entendant un temps caractéristique de résidence des aérosols dans le foyer et la gaine de ventilation faible (de l’ordre de quelques dizaines de secondes). À l’inverse, les essais « DIVA » étant menés pour de faibles taux de renouvellement (3 h–1), le temps de résidence est ici significativement plus important (de l’ordre de quelques dizaines de minutes). Si l’on associe ce temps de résidence élevé à des conditions thermodynamiques favorables à la condensation de composés organiques et/ou inorganiques à la surface des particules (admission d’air frais dans le local « DIVA »), il apparaît évident que les natures et structures morphologiques des particules échantillonnées lors des essais « BANCO » et « DIVA » peuvent être, pour un même combustible, significativement différentes (cf. figure 4 et tableau 2).
Figure 3b.Influence de la nature du combustible sur le colmatage des filtres THE (Vf = 0,23 cm/s).
Influence of the nature of the fuel on clogging of pleated HEPA filters (Vf = 0,23 cm/s).
Combustible |
ф |
Nature |
Dpp (nm) |
Dev (nm) |
Df |
TH (%) |
Tc (%) |
PMMA (100 %) |
0,5 |
Fractale |
51 ± 9 |
232 |
1,74 |
≈ 2 |
≈ 2 |
0,06 |
40 ± 8 |
266 |
1,78 |
≈ 2 |
≈ 2 |
||
PMMA-LEXAN (50/50) |
0,25 |
Fractale |
60 ± 12 |
295 |
1,64 |
≈ 2 |
≈ 2 |
0,01 |
48 ± 10 |
259 |
1,62 |
≈ 2 |
≈ 2 |
||
PMMA-PVC (50/50) |
0,25 |
Fractale |
77 ± 16 |
365 |
1,61 |
17 |
35 |
0,04 |
59 ± 13 |
256 |
1,69 |
16 |
25 |
||
Éléments électriques |
≈ 0,8 |
Fractale |
64 ± 17 |
273 |
1,70 |
10 |
21 |
PICSEL_V1 |
≈ 2,0 |
Compacte |
- |
222 |
- |
N.M. |
> 25 |
EP2 |
- |
Compacte |
- |
226 |
- |
N.M. |
> 20 |
N.M. : non mesuré.
Figure 4.Clichés MET de particules émises par différents combustibles.
Transmission electron microscopy micrographs of particles emitted by different fuels.
Caractérisation des émissions particulaires
La figure 4 présente des clichés de microscopie électronique en transmission des particules émises lors des essais expérimentaux de cette étude. Ainsi, les particules émises sur l’installation « BANCO » dénotent une morphologie fractale (Df = 1,7) caractéristique de flammes de diffusion de combustibles simples [Ouf et al., 2008]. À l’inverse, la combustion d’éléments électriques à grande échelle sur l’installation « DIVA » (essais PICSEL_V1 et EP2) conduit à l’émission et à la coexistence de deux populations distinctes. L’une de structure fractale plus compacte (Df = 2,0, cliché V1_2) et la seconde, non-fractale et majoritaire (clichés V1_1, EP2_1 et EP2_2). Les caractéristiques des aérosols émis sont par ailleurs synthétisées dans le tableau 2. Sont ainsi détaillées les valeurs de diamètre des particules primaires composant les agrégats (Dpp), la dimension fractale Df (décrivant la morphologie et la compacité des agrégats émis) et le diamètre équivalent en volume Dev des agrégats (diamètre d’une particule sphérique présentant le même volume que la particule considérée) ainsi que le taux en eau des aérosols (TH) et en condensats (TC). Les trois premiers paramètres (DPP, Df et Dev) sont mesurés par analyse des clichés de microscopie électronique en transmission [Ouf et al., 2010] tandis que TH et TC sont mesurés par analyse des filtres de prélèvement.
Les différences morphologiques significatives observées entre les essais à échelle analytique (« BANCO ») et à échelle réelle (« DIVA » PICSEL_V1 et EP2) peuvent s’expliquer, d’une part, par des conditions de combustion très disparates (Ger = 0,5 et 2), favorisant la formation de vapeur de combustible imbrûlé, d’autre part, par le faible taux de renouvellement (proche de 3 h–1) dans l’installation « DIVA » privilégiant l’interaction entre les agrégats et les imbrûlés émis, résidant dans le local pendant plusieurs dizaines de minutes. La formation d’une gangue d’imbrûlés autour des agrégats initiaux au cours de leur transport dans le local en feu et le réseau de ventilation de l’installation « DIVA » donne ainsi lieu à l’apparition de particules non fractales et de dimensions plus importantes (cf. tableau 2). À l’inverse, même si un ratio d’équivalence global de 0,8, du même ordre de grandeur que ceux relevés sur « DIVA », est observé lors des essais menés sur des éléments électriques dans l’installation « BANCO », la condensation des imbrûlés ainsi produits ne peut avoir lieu à la surface des particules du fait, d’une part, du faible temps de résidence de celles-ci, d’autre part, des conditions thermodynamiques spécifiques à ce dispositif (en particulier le niveau de température supérieur à 130 °C tout au long du transport des aérosols dans la ligne d’extraction de « BANCO »).
Corrélation empirique de colmatage de filtres THE par des aérosols de combustion
La corrélation empirique proposée se présente sous la forme suivante :
où R et R0 représentent les résistances aérauliques du filtre colmaté et vierge (m–3), Mæ la masse surfacique d'aérosols déposée sur le filtre (g/m2), dp le diamètre caractéristique de l’aérosol (diamètre moyen des particules élémentaires composant les agrégats ou le diamètre équivalent en volume de l’aérosol s’il n’est pas de type agrégat, m), Vf la vitesse de filtration (m/s) et a, b des paramètres d’ajustement sur les résultats expérimentaux en fonction du taux de condensats déposés sur les aérosols TC ( %). On notera que cette corrélation empirique n’est en toute rigueur valable que dans sa gamme de développement, c’est-à-dire pour une vitesse de filtration constante comprise entre 0,23 cm/s et 2,3 cm/s, des diamètres de particules compris entre 40 et 222 nm et des taux de condensats entre 2 et 25 %. L’extrapolation de cette corrélation hors de ces gammes de variation des paramètres est donc hasardeuse, en particulier pour une vitesse de filtration très faible ou un diamètre de particule très petit. Dans ces deux cas, la relation mathématique prédit une résistance aéraulique très grande pour des masses de suies déposées qui peuvent être faibles, ce qui n’a pas de sens physique.
La figure 5 montre un bon accord entre les résultats expérimentaux et ceux issus de la corrélation empirique proposée lors de la combustion de PMMA, où le taux en condensats est faible (TC = 2 %). À l’inverse, la figure 6 souligne la surestimation du colmatage par la corrélation empirique pour un taux en condensats de 35 % (cas de la combustion d’un mélange PMMA/PVC 50 %/50 %). Ainsi, l’écart observé pour le plus fort taux en condensats s’explique par le fait que le dépôt sur le filtre ne peut plus être considéré comme « solide ». Le mécanisme de dépôt étant différent, la corrélation et ses paramètres a et b ne sont donc plus valables. Cette corrélation représente donc correctement les résultats expérimentaux pour des taux de condensats compris entre 2 % et 25 %.
Si l’on considère des combustibles plus complexes tels que ceux émis par la dégradation thermique d’éléments électriques, la morphologie n’est plus de type « agrégat » (cas d’une combustion sous-ventilée avec de fortes interactions aérosols/ imbrûlés telles que celles observées dans l’installation « DIVA », conduisant à la formation d’une gangue autour de l’agrégat initial). Dans cette configuration, il ne faut alors plus décrire les particules comme des agrégats de particules primaires, mais bien comme des particules à part entière et présentant une morphologie compacte. On considère alors comme dimension caractéristique utile à la corrélation empirique, le diamètre équivalent en volume des particules compactes (222-226 nm) qui est ici significativement supérieur à celui des particules primaires (40-77 nm). In fine et dans cette configuration, la taille de l’aérosol final est plus importante et son pouvoir de colmatage est bien plus faible (à masse déposée égale) que pour le cas d’agrégats de nanoparticules présentant une morphologie fractale. De plus, si cet aérosol tend vers un aérosol de nature liquide, son pouvoir colmatant dépendra également de paramètres physiques liés à sa nature chimique (viscosité et tension superficielle entre autres) qui ne sont pas appréhendés dans la corrélation empirique proposée.
In fine, la corrélation empirique de colmatage a été appliquée au cas de la filtration dynamique au cours de l’essai EP2. L’application stricto-sensu de cette corrélation au cas de la filtration dynamique vise uniquement à mettre en évidence la complexité d’une telle situation et à alimenter nos réflexions sur les recherches à mener pour modéliser le colmatage en régime dynamique. En effet, rappelons que cette corrélation a été développée pour un régime de filtration statique (vitesse de filtration constante) et que l’essai EP2 vise à recueillir des données expérimentales de colmatage d’un filtre THE en situation d’incendie et pour une vitesse variable de filtration. La figure 7 présente donc l’évolution expérimentale de la résistance aéraulique du filtre THE en fonction de la masse d’aérosol déposée par unité de surface. En parallèle, on retrouve sur cette figure les résultats issus de la corrélation empirique de colmatage en considérant un diamètre équivalent en volume de 226 nm, un taux de condensats de 20 % et en appliquant la vitesse de filtration mesurée expérimentalement à chaque instant du colmatage au cours de l’essai EP2. On remarque ainsi que, à partir d’une masse surfacique de 25 g/m2, la résistance aéraulique augmente considérablement, traduisant un fort colmatage du filtre THE au-delà de cette valeur seuil. Une telle évolution de la résistance aéraulique est caractéristique de l’ensemble des résistances aérauliques et de la hauteur manométrique du ventilateur d’extraction de l’installation expérimentale DIVA. En considérant la complexité de la situation étudiée ici, une telle comparaison relève donc d’un caractère démonstratif. Ainsi, la corrélation empirique, développée pour des vitesses de filtration constantes, rend assez bien compte du processus de colmatage en régime aéraulique dynamique et est qualitativement en accord avec les ordres de grandeur de résistances aérauliques mesurées expérimentalement. Il convient cependant de noter que, si l’accord est acceptable pour des masses surfaciques supérieures à 25 g/m2, la corrélation tend à sous-estimer la résistance aéraulique du filtre THE en deçà de cette valeur.
Figure 7.Comparaison entre la corrélation empirique et les données expérimentales de colmatage pour des particules produites lors de l’essai EP2 (vitesse de filtration variable).
Comparison between the empirical correlation and experimental clogging data for particles produced during the EP2 test (variable filtration velocity).
Conclusions
Les résultats obtenus dans cette étude représentent un ensemble conséquent d’éléments expérimentaux de caractérisation du phénomène de colmatage de filtres THE par des aérosols formés en cas d’incendie. À notre connaissance, aucune étude ne présente un tel niveau de description sur le comportement aéraulique de ce type de filtre THE et sur les propriétés physico-chimiques des aérosols émis en situation d’incendie.
Cette étude permet ainsi d’identifier des paramètres expérimentaux influençant tout particulièrement le colmatage. La vitesse de filtration, le diamètre caractéristique (diamètre des particules primaires pour le cas d’agrégats de morphologie fractale, diamètre équivalent en volume pour le cas des particules compactes), ainsi que le taux de condensats, sont apparus comme des paramètres majeurs à considérer afin de mieux appréhender le phénomène de colmatage d’un filtre THE plissé industriel. La situation la plus contraignante en termes de colmatage est alors rencontrée pour les plus faibles vitesses de filtration associées aux combustibles produisant des particules de morphologie fractale et présentant un taux de condensats inférieur à 5 %.
Ce travail visant à répondre à des besoins liés à l’évaluation de la sûreté des installations nucléaires, il s’est avéré utile de proposer une corrélation empirique afin de reproduire de manière acceptable (en maintenant constants les paramètres empiriques a et b de cette corrélation) les résultats expérimentaux. Cette relation, purement empirique, peut être utilisée afin de prédire le niveau de colmatage des filtres étudiés (média H14, hauteur des plis d’environ 30 mm, distance entre deux plis d’environ 2 mm) en situation statique de filtration (vitesse constante) et pour la gamme de vitesse (vitesse nominale de filtration à vitesse nominale divisée par 9), de dimension caractéristique (diamètres de particules primaires compris entre 40 et 77 nm, diamètre équivalent en volume des particules compactes de l’ordre de 220 nm) et de taux de condensats des aérosols (2 à 25 %).
In fine cette corrélation a été appliquée au cas du colmatage d’un filtre THE en régime dynamique de filtration (vitesse de filtration variable). En considérant, dans cette corrélation, l’évolution de la vitesse de filtration mesurée expérimentalement lors d’un essai à grandeur réelle, cette dernière permet de rendre compte, de manière qualitative, de l’évolution de la résistance aéraulique du filtre étudié. Une telle comparaison ne permet cependant pas de juger de la pertinence de la corrélation développée en régime statique en vue de décrire le comportement d’un filtre en régime dynamique et pour des configurations d’incendie différentes de celles considérées dans cette étude. Pour ce faire, il s’avère indispensable de poursuivre la démarche entamée, en s’intéressant dans un premier temps au colmatage en régime de filtration dynamique pour des aérosols de référence (solides, liquides et de formes simples) moins complexes que des aérosols de combustion.
Par ailleurs, les résultats de cette étude constituent une importante base de données sur le colmatage de filtres THE par des aérosols de combustion pouvant être utilisée pour développer un modèle semi-empirique décrivant de manière physique le processus de colmatage. Au-delà des perspectives d’amélioration liées au colmatage (approche semi empirique permettant de décrire la filtration en surface et la réduction de surface, investigations sur le régime dynamique de filtration), des travaux de recherche sont nécessaires afin, d’une part, de caractériser la phase condensable à la surface des filtres, d’autre part, d’appréhender les phénomènes mis en jeu lors de l’adsorption et de la désorption de composés organiques/inorganiques à la surface des aérosols émis en situation d’incendie.
Ce travail a été mené par l’IRSN dans le cadre d’un accord de partenariat avec AREVA NC représenté, pour le suivi des travaux, par Sophie BETREMIEUX, Philippe AINE et François HUREL. Les clichés MET ont été obtenus par Michel MAILLE et Patrick AUSSET de l’université de Créteil (Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques, Paris XII). Les essais PICSEL_V1 et EP2 ont été réalisés par le Laboratoire d’Expérimentation des Feux de l’IRSN dans l’installation DIVA située à Cadarache (France).