1. Introduction
Depuis le début des années 1980, la mobilité des personnes et des marchandises liée notamment à l'urbanisation et au développement de zones d'activité à la périphérie des villes a très fortement augmenté, et se manifeste par un accroissement important du trafic routier urbain et inter-urbain. Les transports qui représentent environ 60 % de la consommation des produits pétroliers émettent de nombreux polluants. Certains comme monoxyde de carbone (CO), oxydes d'azote (NOx) et Composés Organiques Volatils (COV) évoluent dans l'atmosphère sous l'effet du rayonnement solaire et sont à l'origine d'une pollution photochimique caractérisée par la production d'ozone et d'autres oxydants (aldéhydes, PAN, acide nitrique...) (CALVERT et al. 1985 ; TOUPANCE, 1988 ; SEINFELD, 1989 ; Académie des Sciences, 1993).
Pour surveiller cette pollution atmosphérique urbaine, des stations de mesure furent progressivement mises en place principalement au centre des villes, dans des zones affectées par la circulation automobile et à proximité des sources d'émissions. Mais la structure des réseaux de surveillance n'est pas homogène, et les stations de mesure de l'ozone sont en nombre limité.
Dans l'espace urbain, un grand nombre de facteurs conditionnent les teneurs ambiantes des différents polluants (SEINFELD, 1989). qu'ils soient directement émis (polluants primaires) ou qu'ils résultent de réactions chimiques plus ou moins différées (polluants secondaires, dont l'ozone) (CALVERT et al., 1985 ; ROTEN et BRlDEL, 1988). Ainsi, l'ozone dont les teneurs croissent régulièrement dans la troposphère se distingue des autres polluants associés aux transports en cela qu'il se distribue sur de larges zones géographiques au cours de périodes d'ensoleillement prolongé (Académie des Sciences, 1993). Les variations spatio-temporelles de l'ozone sont relativement indépendantes des autres polluants. De nombreuses observations épidémiologiques le concernant montrent des liens entre des épisodes de smog photochimique et la santé respiratoire chez les populations sensibles comme la sensibilisation des asthmatiques (ERPURS, 1994 ; Extrapol, 1995 ; SFSP, 1996).
C'est un polluant à surveiller particulièrement. Il est donc important de connaître sa distribution spatiale au niveau de l'ensemble d'une agglomération.
La distribution spatio-temporelle des niveaux d'exposition de la population générale à l'ozone peut être estimée par des procédés biologiques (bioindication végétale) (ASHMORE et al., 1978, GARREC et ROSE, 1988 ;HEGGESTAD , 1991) ou chimiques (capteurs passifs) (GROSJEAN et al., 1995 ; HANGARTNER el al., 1995) plus ou moins simplifiés. Des campagnes de mesures estivales à l'aide de plantes sensibles à l'ozone constituent une approche originale que nous avons développée. En effet, la bioindication utilisant les végétaux supérieurs sensibles à l'action spécifique d'un type de polluant permet d'évaluer sa répartition spatiale au niveau d'une agglomération, voire d'une région (ASHMORE et al., 1978 ; LORENZINI, 1995) uniquement à partir de l'observation de nécroses apparues après exposition d'une à deux semaines. Cette méthode qui permet de définir un indice de dommage foliaire en relation avec les niveaux d'exposition à l'ozone pour une période considérée (KRUPA et al., 1992) conduit à la réalisation de cartes de la présence relative du type de polluant responsable (KRUPA et al., 1992 ; LORENZINI, 1994 ; Comité Régional Nord-Pas-de-Calais de l'APPA, 1996).
Nous présentons les résultats de l'étude de la distribution de l'ozone réalisée au cours de l'été 1996 sur l'agglomération nancéienne à l'aide d'un réseau de bioindicateurs végétaux constitué de plantules de tabac sensible.
2. Cadre de l'étude
2.1. Caractéristiques géographiques et démographiques
La Communauté Urbaine du Grand Nancy regroupe 20 communes. C'est la plus importante unité urbaine de la Lorraine du Sud. Elle occupe le bassin de la Meurthe qui s'étend en amont du confluent des vallées de la Meurthe et de la Moselle. Elle est bordée de collines à l'ouest et au nord-est qui culminent entre 320 m et 370 m d'altitude. Elle compte environ 300 000 habitants pour une superficie de 153 km2. La partie ville-centre (Nancy) représente moins du tiers de sa population. La densité la plus forte (> 5 000 hab/km2) se rencontre à Nancy et à Saint-Max, alors que la plus faible (< 500 hab/km2) se situe au sud/sud-est de l'agglomération (Art-sur- Meurthe, Fléville, Houdemont, Laneuville-devant-Nancy). C'est toutefois dans ce dernier secteur que se trouvent d'importantes zones d'activités (Ludres-Fléville-Houdemont), l'usine d'incinération des ordures ménagères (Ludres), et en bordure de la Meurthe (secteur industriel de Laneuveville-Varangéville-Dombasle) (fig. 1).
Fig. 1. Communauté urbaine du Grand Nancy. Distribution de la population, principales voies de circulation et stations de mesure de l'ozone AIRLOR.
Grand Nancy urban area. Density of population, main streets and fixed ozone measurement stations.
Source : INSEE 1990 ; Réalisation : CUGN·AIRLOR
2.2. Voies de circulation et trafic automobile
Réseau routier
En milieu urbain, l'origine des précurseurs et des destructeurs de l'ozone est essentiellement automobile. Les émissions sont en relation avec l'intensité du trafic et la structure du réseau routier. A Nancy et dans ses environs, on peut distinguer principalement :
- l'autoroute A31 qui contourne la cuvette nancéienne au sud et à l'ouest et traverse Maxéville ;
- une voie périphérique qui contourne l'agglomération par l'est ;
- de grandes artères d'accès au centre de Nancy qui pénètrent assez profondément dans la zone urbanisée dense ;
- un centre-ville assez concentré avec des axes transversaux délimitant des zones aux rues plutôt étroites.
Trafic automobile
La densité de la circulation automobile définie à partir de comptages de véhicules réalisés par le bureau d'étude de la circulation de la Communauté Urbaine entre 1992 et 1996 varie entre 2 000 véhicules/jour (minimum) et 50 000 véhicules/jour (maximum). Cependant, il faut tenir compte du fait des variations qui peuvent se produire par rapport à ces données. En effet, les campagnes de détection de l'ozone à partir du réseau d'observation des nécroses foliaires apparues sur des plants de tabac ont été réalisées en juin, juillet et août. Pendant cette période de l'année, la structure et l'intensité du trafic sont différentes de celles du reste de l'année. Par exemple, la circulation est réduite au mois d'août, période de vacances.
2.3. Données climatiques
La période d'observations (17 juin-3 septembre 1996) est caractérisée par un ensoleillement moyen, une pluviométrie faible et quelques orages parfois accompagnés de grêle comme les 29 juillet et 20 août dont l'intensité est inégalement répartie sur l'agglomération.
Température et ensoleillement
Les températures moyennes et maximales journalières et les caractéristiques de l'ensoleillement relevées en juin, juillet et août 1996 sont reportées dans le Tableau 1. La température moyenne varie peu d'une campagne à l'autre. Les moyennes des températures maximales relevées chaque jour pour les trois périodes d'observation successives sont respectivement de 18,1 °C, 23,4 °C et 18,7 °C. Les moyennes des valeurs maximales de l'insolation globale (exprimée en Watt/cm2) sont également légèrement plus élevées en juillet qu'en juin et en août.
Direction des vents à Nancy
Les relevés de Météo France au cours des trente dernières années à Nancy-Tomblaine (1962-1993) montrent que les vents dominants sont orientés S-SW et NE. A Vandœuvre-Brabois, au cours de la première période d'observation (.17 juin-4 juillet), les relevés météorologiques effectués par Airlor indiquent une direction privilégiée S-SW, alors que les vents sont préférentiellement orientés NE (35 %) et S-SW (18 %) au cours des deux autres périodes (18 juillet-1er août et 19 août-2 septembre), respectivement.
2.4. Pollution par l'ozone à Nancy
Le réseau de surveillance de la qualité de l'air à Nancy, géré par l'APPA (1965-1993), puis par AIRLOR, fut progressivement équipé de quatre stations de mesure en continu de l'ozone situées sur un site urbain (Kennedy 1) et trois sites périurbains (Vandœuvre-Brabois 2, Fléville 3 et Tomblaine 4), qui mesurent toutes l'ozone et les oxydes d'azote (fig. 1).
Caractéristiques générales
L'analyse statistique des données d'ozone enregistrées sur plusieurs stations de l'agglomération depuis une dizaine d'années a permis de dégager les caractéristiques générales et de les relier notamment aux paramètres météorologiques. En été, les niveaux moyens d'ozone, stables d'une année à l'autre, varient respectivement de 25 µg/m3 sur site suburbain à Vandœuvre-Péri (1987-1989) ou urbain à Nancy-Kennedy (depuis 1992), à 50-60 µg/m3 sur site péri-urbain à Villers-Clairlieu (1989-1993) et Vandœuvre-Brabois (depuis 1994) ou à Fléville (depuis 1995). Les moyennes horaires maximales s'étalent de 80-160 µg/m3 au centre de l'agglomération à 140-220 µg/m3 sur les sites implantés à la périphérie. Les moyennes horaires dépassent respectivement 100 µg/m3 et 150 µg/m3 pendant 6 à 7 % et 0,4%du temps.
Concernant l'influence des conditions météorologiques, sur site péri-urbain à Villers-Clairlieu, des études antérieures (DUPUY, 1991, LIVERTOUX et al., 1992) ont montré des corrélations positives significatives entre les concentrations d'ozone et la température maximale journalière (Tmax, moyenne horaire) d'une part, et la radiation globale d'autre part, en relation avec la production locale d'ozone plus importante en milieu périurbain. Les concentrations maximales horaires dépassent 100 µg/m3 en juin, juillet et août, lorsque la température maximale journalière est supérieure à 22°C.
En été, à Nancy, le nombre d'heures de dépassement des valeurs réglementaires est faible. La valeur d'alerte 360 µg/m3 n'a jamais été atteinte. Quelques heures de dépassement du seuil d'information de la population (180 µg/m3) sont enregistrées sur les stations de fond suburbaines et péri-urbaines alors qu'ils sont quasi-absents sur la station située au centre de Nancy-ville (une heure de dépassement par année à Nancy-Kennedy en moyenne). Des conditions climatiques plus favorables à la formation d'ozone en 1994 (ensoleillement prolongé) ont conduit à l'enregistrement d'une vingtaine d'heures de dépassement de la valeur réglementaire à Vandœuvre-Brabois.
Tableau 1. Caractéristiques climatiques relevées à Nancy pour chaque période d'observation.
Climatic data enregistred at Nancy-Vandœuvre during summer in 1996
|
Température (°C) |
Radiation (W/cm2) |
Humidité relative |
|||
|
Période |
moyenne |
max J |
moyenne |
max. J |
Moyenne (%) |
|
15 juin-30 juin |
18,1 |
27,1 |
640 |
863 |
74 |
|
18 juillet-1er août |
23,4 |
27,5 |
763 |
846 |
61 |
|
20 août-3 septembre |
18,7 |
22,6 |
580 |
763 |
83 |
Caractéristiques de l'ozone durant la campagne d'observation (été 1996)
Les principales données concernant les mesures de l'ozone par les stations physico-chimiques du réseau de surveillance géré par AIRLOR durant les périodes d'observation en juin, juillet et août 1996 sont reportées dans le tableau II. Les niveaux moyens, plus élevés en juillet, atteignent 80 µg/m3 à Vandœuvre-Brabois et oscillent entre 50 µg/m3 et 60 µg/m3 à Tomblaine et Fléville d'une part, 30 µg/m3 et 55 µg/m3 au centre de Nancy (Kennedy), d'autre part. Les concentrations maximales horaires et journalières sont légèrement plus faibles en août b) (Tableau II). La valeur horaire d'information de la population (180 µg/m3) n'a pas été dépassée.
3. Matériel et méthodes
3.1. Kits de mesure de l'ozone par bio-indication végétale
La miniaturisation du système d'observation classique proposée par LORENZINI (1994, 1995) a été réalisée au moyen de plantules de tabac Bel-W3 sensible à l'ozone (fig. 2). Chaque kit de mesure est constitué de :
• un bac de 20 × 30 cm, soit 600 cm2 de surface servant de réserve d'eau,
• un flotteur en polystyrène expansé dans lequel sont encastrées 2 plaques de 24 puits dont les alvéoles recevant les plants de tabac sont perforées pour leur permettre de s'alimenter en eau.
Figure 2. Kit de mesure de l'ozone par bio-indication végétale ; (a) vue générale (b) plants témoins (à gauche) et sensibles (à droite).
Miniaturized kit for ozone biomonitoring (photo INRA).
Une plaque comporte 12 plants de tabac sensible à l'ozone (cv. Bel-W3) alors que l'autre est équipée de 12 plants de tabac peu sensible (cv. Bel-B) utilisé comme témoin. Le bac est surmonté d'une ombrière qui protège les jeunes plants d'une trop forte insolation, ceci de façon à favoriser l'ouverture des stomates des feuilles.
Les cultures et le repiquage des plants de tabac sont effectués à partir d'un milieu homogène constitué de tourbe et de sable. Après environ 4 semaines de culture en serre, les plants parvenus au stade 5 feuilles peuvent être implantés sur les sites d'observation durant deux semaines en moyenne.
Tableau II. Niveaux d'ozone (µg/m3) mesurés en juin, juillet et août dans l'agglomération nancéienne.
Ozone levels in Nancy area (µg/m3) during summer 1996 at the three periods (1) June 17-30; (2) July 18-August 2 and (3) August 20-Sept. 3
|
Période 1 |
Période 2 |
Période 3 |
|||||||
|
M* |
max. J* |
max. H |
M* |
max. J |
max. H |
M* |
max. J |
max H |
|
|
Kennedy 1 |
33 |
63 |
126 |
54 |
81 |
130 |
30 |
63 |
84 |
|
Brabois 2 |
69 |
110 |
176 |
86 |
126 |
174 |
61 |
85 |
157 |
|
Fleville 3 |
53 |
64 |
160 |
70 |
96 |
162 |
46 |
74 |
148 |
|
Tomblaine 4 |
57 |
93 |
159 |
73 |
99 |
144 |
53 |
83 |
150 |
3.2. Répartition spatiale des kits de mesure sur la Communauté Urbaine du Grand Nancy
La zone étudiée couvre l'agglomération nancéienne, soit Nancy et 18 communes de la Communauté Urbaine du Grand Nancy. Une cinquantaine de sites équipés de plants de tabac sont répartis sur l'ensemble de l'agglomération nancéienne selon un maillage assez serré (fig. 4). Le nombre de stations implantées dans les différentes communes tient compte de la densité d'urbanisation et de la taille de la ville : 17 stations à Nancy, 5 à Vandœuvre, 4 à Villers et de 1 à 2 dans les autres villes périphériques.
Les kits de mesure sont installés en bordure des voies de circulation sur le toit des abribus du réseau de transports urbains, à l'exception de quelques-uns placés dans des jardins publics. De tels supports sont particulièrement adaptés à la réalisation de ce type d'étude pour plusieurs raisons :
-
la hauteur par rapport au sol, qui les rend relativement inaccessibles au vandalisme ;
-
leur densité à Nancy et dans les villes périphériques ;
-
leur situation en bordure des voies de circulation ;
-
leur accessibilité permanente pour l'observateur.
3.3. Périodes d'observation des bio-indicateurs végétaux
Trois campagnes d'observation ont été entreprises durant l'été 1996 : du 17 juin au 4 juillet, du 18 juillet au 1er août et du 19 août au 3 septembre.
3.4. Calcul de l'indice de nécrose foliaire sur les plants de tabac
L'indice de nécroses foliaires, INF, définit l'effet cumulé de l'exposition à l'ozone pour la période d'exposition (deux semaines en moyenne) (Tableau III). Quatre classes sont déterminées à partir du nombre relatif de feuilles endommagées (p) et du pourcentage de la surface nécrosée calculé sur l'ensemble des 12 plantules de tabac Bel-W3 sensible :
p = 100 (F + f) / N
où N est le nombre de feuilles exploitables, F le nombre de feuilles fortement nécrosées, et f, le nombre de feuilles faiblement nécrosées.
Un score correspondant à l'une des quatre classes de l'indice, est attribué à chaque kit de mesure et reporté sur la carte de l'agglomération nancéienne, au niveau de chaque site d'implantation.
3.5. Cartographie
Les cartes sont réalisées à partir de la Base de Données Urbaines de la Communauté Urbaine du Grand Nancy.
La répartition spatiale de la présence relative d'ozone est établie par interpolation en mode des distances pondérées à l'aide du logiciel Geoconcept NT Expert (Alsoft, Paris-France) à partir des indices de nécroses foliaires qui visualisent les effets de l'ozone sur les plants de tabac après des périodes d'exposition moyennes de deux semaines et qui sont en relation avec les niveaux d'exposition à l'ozone caractérisant ces sites (KUPRA et al., 1992).
4. Résultats et discussion
4.1. Bilan des mesures
La Figure 4 résume le bilan des résultats des trois campagnes d'observations menées au cours de l'été 1996. Le nombre d'observations validées après deux semaines d'exposition est légèrement supérieur à 50 % en juillet mais légèrement inférieur à 40 % en juin et août : 19 stations en juin (39 %) ; 28 en juillet (53 %) ; 17 en août (35 %). Ces pourcentages moyens sont en relation avec les conditions météorologiques particulières qui ont sévit localement {des plantules détériorées par des orages violents en juillet et en août) et plusieurs kits de mesure disparus ou vandalisés.
4.2. Cartes de distribution de l'ozone
Tableau III. Estimation des classes de nécrose.
Definition of the four levels of the foliar necrosis index
|
Classe |
Critères |
Aspect foliaire |
Présence d'ozone |
|
0 |
p ≤ 5 % et F = + 0 |
non nécrosé |
non détectable |
|
1 |
5 % < p ≤ 15 % et F = 0 |
faiblement nécrosé |
faible |
|
2 |
p > 15 % et F ≤ 2 |
moyennement nécrosé |
moyenne |
|
3 |
p > 15 % et F > 2 |
fortement nécrosé |
forte |
Fig.3. Comparaison des distributions des indices de nécroses foliaires observés en juin, juillet et août.
Comparison of foliar necrosis index observed after the three periods of observation.
Des cartes montrant la répartition des niveaux d'ozone sur l'aire de l'agglomération nancéienne, ont été établies pour chaque quinzaine d'observations à partir de données collectées en appliquant la méthode d'interpolation utilisant les distances pondérées. Ces niveaux croissants de la présence relative d'ozone sont définis à partir d'une échelle comportant huit niveaux d'intensité de gris correspondant aux valeurs croissantes de l'indice de nécroses foliaires. A titre d'exemple, la carte obtenue à partir des observations de la première campagne de juin est représentée Figure 4.
Fig. 4. Cartographie de la présence d'ozone dans l'agglomération nancéienne (17 juin-04 juillet 1996). Huit niveaux de présence d'ozone sont distingués par interpolation des classes de nécroses foliaires.
Distribution of ozone in Nancy during summer 96 (June 17 -July 04). Eight levels of ozone were distinguished by interpolation of the foliar necrosis index.
Distribution et évolution des indices de nécroses
La comparaison des indices de nécroses montre des variations spatiales de la répartition correspondante des niveaux d'ozone sur le territoire du Grand Nancy au cours de l'été 1996, selon les périodes d'observation. La figure 3 compare les taux de réponses des plants de tabac selon la période d'observation pour chaque classe de l'indice INF. En juillet, la part de la classe d'indice 1 (présence faible d'ozone), représente plus de 40 % des sites interprétables. Elle est supérieure aux taux relevés au cours des deux autres périodes (10 % en juin et 19 % en août). Ceci entraîne une chute relative de 50 % environ du nombre de sites pour lesquels la présence d'ozone est élevée (classe 3 de l'INF), malgré un niveau moyen d'ozone plus élevé enregistré par les trois stations péri-urbaines du réseau de surveillance AIRLOR. Les conditions climatiques sont néanmoins différentes : température plus élevée et air ambiant plus sec (Tableau 1). Or, la réponse des plantes à l'ozone dépend aussi des conditions environnementales, notamment climatiques (TINGEY et TAYLOR, 1982). Elle peut être modifiée suite à des adaptations physiologiques apparaissant lorsque les conditions climatiques sont moins favorables et peuvent changer la conductance des stomates et les activités enzymatiques.
Cartographie de la présence d'ozone dans la Communauté Urbaine du Grand Nancy
L'analyse de la distribution spatiale de l'ozone selon les quatre niveaux relatifs de présence d'ozone définis précédemment conduit aux observations suivantes :
Période d'observation du 17 au 3 juillet
Durant la deuxième quinzaine de juin, à l'activité et au trafic soutenus, la distribution relative de la présence d'ozone correspond à un mois typique de la production locale d'ozone en milieu urbain et surburbain (fig.4).
Les présences d'ozone à des niveaux moyens et élevés se répartissent de manière quasi-concentrique autour d'un noyau situé au centre de l'agglomération plus faiblement chargé en ozone non détectable par bioindication végétale (Nancy - Saint-Max - Tomblaine). Ce centre correspond aussi au secteur de l'agglomération où la population est la plus dense et où l'activité et les émissions de polluants d'origine automobile les plus importantes, entraînent ainsi la destruction par l'oxyde d'azote NO d'une grande partie de l'ozone produit localement.
La présence d'ozone est la plus élévée :
• vers l'est et au nord-est de l'agglomération. Ceci matérialise le déplacement de la masse d'air polluée sous l'influence des vents dominants de secteurs W et SW (fig. 4).
• à l'ouest de l'agglomération. Cela concerne les communes situées à l'ouest et au nord-est en bordure du noyau central de l'agglomération à celle de Nancy-ville (Vandœuvre-Villers-Laxou -Maxéville-Dommartemont), secteurs où le relief favorise l'accumulation de l'ozone.
L'effet du relief a pour conséquences de bloquer des masses d'air chargées en ozone en bordure de la cuvette nancéienne. Les infrastructures routière et autoroutière contribuent à la présence d'ozone à un niveau moyen, détectée à l'ouest et au nord, alors que la pollution photochimique s'accumule en bordure de la zone urbanisée plus basse (environ 220 m d'altitude) formant ainsi un anneau plus foncé sur la carte (indices de niveaux 2 et 3).
Au niveau d'un complexe industriel à Laneuville-devant-Nancy, comme à proximité de l'autoroute A31 à l'ouest et au sud, et dans les zones d'activité de Heillecourt-Ludres-Fléville, l'absence de nécroses matérialisée sur la carte par les zones moins foncées est certainement liée à l'émission de polluants, principalement par le trafic routier, capables de détruire l'ozone formé localement. Les mêmes processus de destruction de l'ozone expliquent que des concentrations faibles non détectables soient observées à Nancy-Est (cœur de l'agglomération).
Période d'observation du 19 juillet au 16 août
En juillet, malgré des conditions climatiques plus favorables, (températures plus élevées qu'en juin), des concentrations moins élevées en polluants précurseurs de la formation de photooxydants entraînent la fragmentation de la couronne précédente et l'apparition de zones dispersées où l'ozone est présent en quantité plus élevée à l'est (Pulnoy) et à l'ouest (Laxou, Villers et Vandœuvre) en bordure de la cuvette nancéienne. Cette frange plus concentrée borde une large surface où la présence d'ozone est à un niveau moyen. L'effet du relief persiste donc à l'ouest de l'agglomération. Dans les zones proches de l'autoroute A31, au sud et à l'ouest de l'agglomération, comme au nord à Maxéville, les niveaux d'ozone sont inférieurs au seuil de détection par le Tabac Bel-W3.
Du 19 juillet au 2 août, la direction des vents est plutôt variable, avec toutefois une fréquence plus élevée de la direction NE. Ces conditions sont à l'origine du déplacement de la masse d'air pollué vers l'agglomération, permettant l'accumulation des polluants en bordure de la cuvette nancéienne.
Période d'observation du 20 août au 3 septembre
En août, une présence moyenne d'ozone recouvre une grande partie de l'agglomération. Une forte présence d'ozone (indice de niveau 3) est détectée plutôt en bordure des limites extérieures de l'agglomération à plus faible densité de population, à Art-sur-Meurthe , à Jarville et à Ludres (ZI).La diminution de l'activité et du trafic routier dans les zones industrielles a sans doute eu pour conséquences de limiter la destruction de l'ozone.
Sur les territoires de Nancy et de Saint-Max, où la densité de population dépasse 5 000 hab/km2 et dans le secteur plus industrialisé de Laneuveville, la présence d'ozone n'est pas détectable. Cette période correspond à la reprise progressive de l'activité et du trafic automobile après la période plus calme des vacances, associée à un ensoleillement moins important qu'en juin et juillet.
Ainsi, notre étude de la répartition spatiale de l'ozone dans l'agglomération nancéienne, réalisée à partir de l'observation de ses effets sur des plantes sensibles, confirme l'influence de la densité de circulation urbaine et des conditions climatiques sur sa présence relative. Nos résultats qui sont en concordance avec les données d'ozone mesurées en continu par AIRLOR sur quelques sites urbain et suburbains, complètent la connaissance de la situation d'une agglomération régionale importante vis-à-vis de ce polluant.
5. Conclusion
En conclusion, l'implantation d'un réseau constitué d'une cinquantaine de stations d'observation équipées de plants de tabac sensibles à l'ozone a permis d'établir pour la première fois une cartographie de la distribution de ce polluant en milieu urbain, à partir de l'exemple de l'agglomération nancéienne et d'en suivre l'évolution au cours de l'été 1996. La distribution spatiale de l'ozone dépend essentiellement de l'évolution et de l'importance relative du trafic automobile urbain et périphérique, des conditions météorologiques et aussi des conditions orographiques.
Comparée aux réseaux classiques, l'utilisation de réseaux de plantes bioindicatrices de la pollution atmosphérique urbaine présente plusieurs intérêts :
- ils sont rapidement et facilement installés avec une faible infrastructure ;
- ils ont une grande souplesse au niveau de leur modification, leur extension ou leur déplacement ;
- ils sont peu coûteux (investissement, fonctionnement et suivi), et le nombre de stations peut être très important.
Mais il faut remarquer que ces réseaux de plantes bioindicatrices sont avant tout complémentaires des réseaux de mesures physico-chimiques en permettant grâce aux végétaux :
- de réaliser des études préliminaires qui aident par la suite à choisir les emplacements les mieux adaptés à l'implantation d'analyseurs physico-chimiques ;
- de densifier à faible coût les réseaux classiques ;
- de détecte r des polluants nouveaux ou accidentels, non pris en compte par les stations en place.
Le caractère complémentaire le plus intéressant de ces réseaux d'observation est de pouvoir fournir, en utilisant les végétaux, non seulement une estimation des niveaux de pollution de l'air, mais également des informations d'ordre biologique sur l'impact des polluants vis-à-vis des êtres vivants.
L'utilisation des plantes indicatrices a néanmoins ses limites suite à :
- une disponibilité non permanente liée au climat et au cycle de végétation ;
- une possibilité d'interférences par d'autres stress biotiques ou abiotiques dans les réponses ;
- une information avant tout relative sur les niveaux de la pollution atmosphérique, liée à des réponses de la plante qui varient en fonction des conditions environnementales pour différentes périodes d'observation (humidité relative, ensoleillement, température, cycle végétatif...) qui conditionnent son comportement physiologique.
Cette première approche originale de l'utilisation de végétaux sensibles pour l'étude de la répartition de polluants atmosphériques en zone urbaine devrait être poursuivie durant plusieurs périodes estivales aux conditions météorologiques variables, afin de confirmer ses possibilités d'utilisation pour apprécier l'impact de divers aménagements et du développement de plans de déplacements urbains qui seront entrepris dans le cadre de l'application de la récente loi sur l'air.
Les graines de tabac Bel-B et Bel-W3 nous ont été gracieusement fournies par la SEITA. Didier DEHEM et Frank RADNAI ont activement participé à la réalisation technique de l'étude. La cartographie a été réalisée avec l'aide de Marc Dl CRECENZO (BOU de la CUGN) et Sandrine BOURDET (AIRLOR). Les auteurs remercient l'Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA), et la Communauté Urbaine du Grand Nancy (CUGN) pour l'intérêt et l'aide financière qu'elles ont apportés à notre étude et A IRLOR pour les données d'ozone et climatiques qu'elle nous a communiquée.




