Quand l’atmosphère sent le soufre. Perception des pollutions odorantes

  • When the atmosphere smells like sulfur. Perception of malodors

DOI : 10.4267/pollution-atmospherique.5245

Abstracts

Dans nos sociétés industrialisées, nous vivons quotidiennement avec des nuisances sensorielles telles que les pollutions sonores, visuelles ou odorantes. Cet article passe en revue les mécanismes qui nous permettent de détecter la pollution volatile. L’impact sur nos émotions est abordé, dans la mesure où le sens de l’odorat est intimement lié aux aires cérébrales qui contrôlent notre état d’anxiété. Une description de la chimie de quelques molécules odorantes associées à cette pollution est ensuite abordée. Enfin, un point détaillé sur la physiologie du système olfactif périphérique est présenté. Les mécanismes qui nous permettent de percevoir ces odeurs font intervenir nos neurones olfactifs, situés en haut de notre cavité nasale. Ces derniers expriment pas moins de 400 types de récepteurs olfactifs. Ces récepteurs, ainsi que les événements dits « péri-récepteurs » peuvent être considérés comme la pierre angulaire de notre sens de l’odorat.

In our industrial societies, we lived with sensory nuisances such as noise, visual and odorant pollutions. We review the mechanism of the sense of smell and how odorant pollution can affect us emotionally. The sense of smell is intimately connected to brain areas that control our anxiety. Then, the chemical structures of malodorous compounds are discussed. The physiology of the peripheral olfactory system is then described. The atomistic-level mechanisms responsible for our sense of smell involve our olfactory sensory neurons, located at the top of our nasal cavity. They express ~400 types of odorant receptors. These receptors and the so-called peri-receptor events can be considered as the cornerstone of olfaction.

Outline

Text

“I love the smell of napalm in the morning”

Apocalypse now, 1979, F.F. Coppola

Pollution et perception des odeurs, quel rapport ? L’ozone (O3) est une molécule caractéristique de la pollution atmosphérique qui participe notamment au smog des grandes villes. Elle est par ailleurs à l’origine de l’odeur « électrique » caractéristique perçue dans les salles de photocopieuses, par exemple. En fait, c’est le nom de ce composé, issu du grec ozô (« exhaler une odeur ») qui dresse un pont inattendu entre olfaction et pollution ! Mais de manière plus générale, comment notre système olfactif est-il capable de détecter les composés volatils ? Quels types de molécules sont à l’origine des odeurs de pollution ? Le sens de l’odorat joue un rôle essentiel dans les événements fondamentaux de la vie. Il nous permet aussi bien d’éviter des dangers, de communiquer, de localiser de la nourriture ou d’en tirer du plaisir. On prendra note que la réponse physiologique liée à la perception d’une molécule odorante n’est pas une propriété physique ou une activité biologique mesurable, mais une perception qui ne peut être décrite qualitativement que par un individu. Ainsi, lors de l’inhalation d’un composé odorant, nous catégorisons les odeurs en fonction de trois descripteurs : leur intensité, leur valence (leur caractère plaisant ou déplaisant), et leur qualité olfactive (odeur de « fraise » ou de « gaz d’échappement » ?).

1. Odeur - Culture - Émotion

L’exposition à des polluants aériens a été continue au cours de l’évolution de l’être humain. Pendant longtemps, cette pollution provenait uniquement de sources naturelles comme les feux de forêts ou les éruptions volcaniques. Ces pollutions induisaient un comportement de fuite et d’évitement. La domestication du feu et plus récemment l’industrialisation de notre société ont augmenté de façon spectaculaire la présence de polluants aériens. Le lien entre la pollution de l’air et l’impact physique (sous la forme de pathologies) a été identifié et largement quantifié, celui de l’impact psychologique l’est beaucoup moins. Cette relation passe par la compréhension de l’influence des odeurs sur nos émotions.

1. 1. Odeur et émotion

L’olfaction est un sens intimement lié aux émotions. D’un point de vue neuro-anatomique, l’olfaction est interconnectée, par un réseau réciproque d’axones, aux aires cérébrales gérant les émotions (amygdale et cortex orbitofrontal) et la mémoire (hippocampe) (Gottfried, 2010). La perception olfactive est modulée par les expériences et/ou les états physiologiques. De manière intéressante, la réciproque est vraie, et les odeurs influencent également des états psychologiques ou physiologiques (Krusemark, 2013).

Des croyances ancestrales prêtaient aux odeurs le pouvoir de déclencher des réactions physiques. Plusieurs pharmacopées d’anciennes civilisations (égyptienne, chinoise ou indienne) prescrivent l’utilisation d’huiles essentielles, ou plus généralement des odeurs, pour le traitement du corps ou de l’esprit. On parle d’aromachologie. Plus prosaïquement, les huiles essentielles sont associées à des vertus antistress, énergisantes voire antidépressives. Des bases scientifiques robustes restent toutefois à établir. Il est pourtant facile d’envisager un rôle des odeurs sur notre bien-être, car nous sommes régulièrement agressés par des odeurs désagréables que nous cherchons à éviter.

Ainsi, on peut concevoir que des mauvaises odeurs ont un impact négatif sur notre état émotionnel, et par suite sur notre comportement. Des études récentes ont montré que la pollution par des odeurs déplaisantes (par exemple l’éthanethiol, l’additif odorant qui nous prévient des fuites de gaz) induisait des effets similaires à ceux produits par d’autres facteurs de stress, tels que le bruit ou la foule. Plus généralement, les populations soumises à une exposition régulière à de mauvaises odeurs seraient plus sujettes à des maladies chroniques.

1. 2. Odeur et culture

Une odeur est une sensation, un percept, tout comme une image ou un son. Elle est déclenchée par une composition ou un composé odorant. À l’instar des images ou des sons, certaines odeurs portent des valences positives, d’autres négatives (Bushdid et al., 2016).

Dans bien des cas, la valence associée à une odeur peut se rapporter au phénomène dit « d’alliesthésie », lié au phénomène de récompense : si une chose est bonne pour mon organisme, je vais la trouver agréable. Typiquement, le sens de l’odorat joue un rôle important dans l’ingestion d’aliments (en nous procurant du plaisir lors de leur consommation) et nous permet d’éviter des dangers. De fait, on trouverait des invariants en ce qui concerne les « bonnes » et les « mauvaises » odeurs parmi la population mondiale.

Les odeurs agréables sont généralement associées à des composés frais, comme les odeurs de fleurs, de gazon ou de fruits. En revanche, les molécules volatiles qui sont produites lors de la dégradation de la matière organique (comme lors de la décomposition d’un cadavre, la « cadavérine », ou lors de la pourriture des aliments, la « putrescine ») sont perçues avec des valences très négatives, pour des raisons sanitaires évidentes.

Mais la valence, pour beaucoup d’odeurs, est culturo-dépendante, comme en atteste la citation morbide du début de cet article ! Différentes populations ont appris que dans certains cas, même si une odeur était a priori aversive et activait un signal d’alerte, l’aliment était pourtant propre à la consommation. On citera les fromages français comme le Maroilles et les "œufs de cent ans", qui sont considérés comme une délicatesse en Chine !

2. La chimie des molécules (mal)odorantes

Du point de vue du chimiste, pour qu’un composé soit odorant, il faut qu’il possède un poids moléculaire modéré, une polarité faible, une certaine solubilité dans l’eau, une pression de vapeur et un caractère lipophile élevé. Cependant, il ne doit pas nécessairement posséder des groupes fonctionnels ou une réactivité chimique particulière. Selon une estimation invérifiable, il existerait au moins 27 milliards de molécules odorantes !

À ce jour, la relation universelle entre la structure d’une molécule et son odeur reste à établir. Cependant, on sait que certaines familles chimiques portent des odeurs caractéristiques : les esters sont connus pour leur odeur généralement fruitée, les macrocycles portent souvent une odeur musquée, les composés soufrés sont perçus comme possédant une odeur d’ail ou d’œuf pourri, et les composés aminés sont souvent associés à des odeurs de décomposition. Par ailleurs, nous savons que le nez humain est particulièrement sensible à certains composés produits à l’état de trace par des bactéries mais aussi par des moisissures. Ce sont généralement des dérivés soufrés ou aminés, comme, par exemple, le méthylmercaptan, la triéthylamine, la 1-pyrroline et l’acide isovalérique (tableau 1).

De même, différents polluants de l’air sont aussi des dérivés azotés ou soufrés mais ayant une structure différente. Ce sont, par exemple, des oxydes de soufre (SO2, SO3) ou des oxydes d’azote (NOx). Les oxydes de soufre se forment lors de la combustion de combustibles fossiles (charbons, fiouls) contenant du soufre. Ce sont aussi des composés associés à certaines activités industrielles. En France, les oxydes d’azote proviennent principalement du trafic routier, ils sont formés à haute température dans les chambres de combustion des moteurs thermiques. Sous l’influence du rayonnement ultra-violet, les oxydes d’azote initient la production d’ozone par une série de réactions photochimiques complexes (Atkins, 2005).

Méthylmercaptan

(odeur d’ail)

Triéthylamine

(odeur de poisson)

1-pyrroline

(odeur de fruits de mer)

Acide isovalérique

(odeur de fromage)

Tableau 1. Structure chimique de molécules à l’origine d’odeurs désagréables.

Chemical structure of molecules causing unpleasant odors.

Depuis la révolution industrielle, nous sommes davantage exposés à divers produits chimiques à des concentrations croissantes. L’exposition de façon prolongée à un composé odorant peut résulter en la diminution ou même la disparition de la perception odorante liée à ce composé. On parle d’adaptation olfactive. Si l’adaptation n’a pas été trop longue, la sensibilité peut être restaurée. Néanmoins, lors d’une exposition prolongée, ce phénomène de désensibilisation peut persister. Pour certains composés, cette habituation est probablement moins évidente. Les composés soufrés sont connus pour leur odeur prégnante d’œuf pourri, perceptible à de faibles concentrations. La pollution odorante dans les stations d’épuration est majoritairement due à ce type de composés, à savoir le méthylmercaptan (ou méthanethiol) et l’hydrogène sulfuré.

La désodorisation des endroits contribuant à la pollution olfactive vise le plus souvent à la destruction des molécules, soit par bioépuration, lavage, adsorption, ou, si les odeurs sont légères, par du masquage.

3. Le système olfactif

Lors de son inhalation, un odorant est détecté par la muqueuse olfactive. Celle-ci porte des cellules nerveuses (neurones) qui transforment le message chimique en influx nerveux interprétable par le cerveau.

La muqueuse olfactive tapisse l’intérieur de chaque cavité nasale. Chez les chiens, sa surface peut atteindre 200 cm2. Chez l’homme, elle ne mesure que 5 cm2. C’est le seul tissu nerveux au contact de son environnement, le rendant ainsi sensible aux agressions chimiques.

La muqueuse olfactive est composée de trois types cellulaires, comme schématisé dans la figure 1 :

  • Les neurones olfactifs qui portent les récepteurs qui reconnaissent les odorants ;

  • Des cellules de soutien qui structurent la muqueuse et entretiennent les neurones ;

  • Des cellules-souches qui renouvellent la muqueuse toutes les 3 semaines environ.

Le mucus forme une couche de 50 à 80 µm d’épaisseur. Il contient aussi des OBP (Odorant Binding Proteins ou protéines de liaison des odorants) qui coopèreraient avec les récepteurs olfactifs pour capter les molécules odorantes et générer le signal nerveux (de March et al., 2014).

Figure 1. La physiologie de la perception des odeurs.

Les récepteurs olfactifs sont la pierre angulaire de la perception des odeurs. Ils transforment le message chimique porté par la molécule en un signal électrique qui cheminera le long de nos neurones jusque dans notre bulbe olfactif situé dans la boîte crânienne. L’épithélium olfactif peut être atteint par la voie dite directe (ou ortho-nasale) ou par la voie indirecte (retro-nasale), qui nous permet de « goûter » les aliments lors de la mastication. La voie directe rejoint l’épithélium olfactif à travers nos fosses nasales. Nous utilisons cette voie à chaque fois que nous humons un parfum ou respirons l’air ambiant. C’est d’ailleurs la seule partie de notre cerveau qui expose ses neurones à l’environnement extérieur. Les neurones olfactifs traversent la paroi osseuse de notre crâne (l’os ethmoïde) pour atteindre la muqueuse olfactive. Dans le bulbe olfactif, on distingue les glomérules, qui sont des centres intégrateurs de l’information envoyée par les neurones olfactifs. Ils permettent de réguler la formidable masse d’informations captée par nos neurones olfactifs via leurs récepteurs. Information qui sera ensuite envoyée via d’autres cellules (les cellules mitrales) dans le reste du cortex cérébral.

The physiology of odor perception.

Olfactory receptors are the cornerstone of odor perception. They transform the chemical message carried by the molecule into an electrical signal that will travel along our neurons into our olfactory bulb. The olfactory epithelium can be reached by the so-called direct (or ortho-nasal) route or by the indirect (retro-nasal) route which allows us to "taste" food during mastication. The direct pathway joins the olfactory epithelium through our nasal cavities. We use this way every time we smell a perfume or breathe the ambient air. It is the only part of our brain that exposes its neurons to the external environment. The olfactory neurons cross the bone wall of our skull (the ethmoid bone) to reach the olfactory mucosa. In the olfactory bulb, we distinguish the glomeruli, which are integrative centers of the information sent by the olfactory neurons. They make it possible to regulate the formidable mass of information captured by our olfactory neurons via their receptors. Information that will then be sent via other cells (mitral cells) into the rest of the cerebral cortex.

3. 1. Phénomènes périrécepteurs

Lors de l’inhalation, les molécules odorantes présentes dans l’air entrent en contact avec le mucus olfactif. Ce dernier contient un grand nombre de protéines, dont des protéines de liaison aux odorants, ainsi que des protéines de dégradation. Ces deux types de protéines sont à l’origine de ce que l’on nomme les phénomènes périrécepteurs, c’est-à-dire qui interviennent avant l’activation des récepteurs olfactifs par les odorants.

Les protéines de liaison aux odorants (Odorant Binding Proteins ou OBP) sont de petites protéines solubles sécrétées en abondance dans le mucus nasal d’une grande variété d’espèces animales, y compris chez l’être humain. En effet, les odorants, qui sont pour la plupart hydrophobes, doivent franchir cette barrière aqueuse pour atteindre les récepteurs olfactifs neuronaux. L’hypothèse généralement admise est que les OBP pourraient jouer un rôle de transporteur des odorants. Ces protéines seraient probablement apparues lors de l’adaptation à la vie terrestre. Les OBP ont la propriété de pouvoir lier des odorants, variant aussi bien en termes de taille que de fonctions chimiques.

D’autres protéines intervenant dans ce type de phénomènes sont les Enzymes de Métabolisation des Xénobiotiques (EMX). Elles jouent un rôle de détoxification du mucus olfactif. Un xénobiotique est une molécule d’origine exogène, et les odorants en sont de parfaits exemples ! Dans le mucus nasal, différentes enzymes joueraient un rôle de métabolisation de ces odorants, afin d’éviter la saturation des récepteurs olfactifs. Sans elles, le mucus nasal se retrouverait très rapidement saturé en molécules odorantes, nous empêchant ainsi de percevoir de nouvelles odeurs dans des échelles de temps très rapides.

De manière générale, ces enzymes ont pour fonction de modifier chimiquement les composés odorants, les rendant ainsi inodores. Par exemple, la glucurono-conjugaison de molécules odorantes, catalysée par les UGT (une famille d’enzymes détoxifiantes, aussi et surtout présentes dans le foie), rend les molécules odorantes inactives d’un point de vue olfactif. Cette réaction interviendrait ainsi dans l’arrêt du signal olfactif. Différentes observations confortent l’hypothèse selon laquelle la biotransformation des molécules odorantes aurait un impact notable sur la sensibilité du système olfactif. La perception olfactive résulte de la détection à la fois des molécules odorantes mais aussi des métabolites formés au niveau du mucus et/ou de la muqueuse olfactive : il a été montré qu’en présence de bloqueurs de ce type d’enzyme, l’odeur perçue était effectivement modifiée, comme indiqué dans la figure 2 (Salesse, 2012).

Figure 2. Les mécanismes moléculaires de l’olfaction.

Les odorants seraient transportés par les OBP vers les récepteurs olfactifs. Par ailleurs, leur biotransformation/dégradation pourrait multiplier le nombre des récepteurs impliqués dans leur perception.

The molecular mechanisms of olfaction.

Odorants are thought to be transported by OBPs to olfactory receptors. The biotransformation and/or degradation of odorants could multiply the number of receptors involved in their perception.

3. 2. Les récepteurs aux odorants et les TAARs

Au-delà du répertoire de gènes codant pour les récepteurs olfactifs, il existe dans le génome des mammifères d’autres types de récepteurs chemosensoriels, tels que les Trace Amine-Associated Receptors (TAARs), les récepteurs vomeronasaux de type 1 (V1Rs) et de type 2 (V2Rs), et les récepteurs à peptide formylé (FPRs), qui sont tous des récepteurs à sept domaines transmembranaires. Plus récemment, l’existence d’un autre type de récepteurs chemosensoriels, les MS4A, a été mise en évidence. Notons que dans l’épithélium olfactif humain, on trouve 5 TAARs et 5 V1Rs. Les TAARs seraient les récepteurs qui nous permettent de percevoir une « pollution » odorante issue d’organismes vivants. Mais ce sont bien les récepteurs olfactifs qui sont la pierre angulaire du système olfactif !

La perception sensorielle induite par les odorants est le fruit d’un processus d’une formidable complexité. Elle est la résultante de l’activation sélective d’environ 400 types de récepteurs, exprimés par nos neurones olfactifs. Le processus de la perception d’une odeur peut être comparé à la perception d’un accord musical joué sur un piano de près de 400 touches !

Le comportement des récepteurs olfactifs vis-à-vis des odorants est tout à fait exceptionnel. Un récepteur olfactif peut être activé par des odorants de natures très diverses, et un seul type d’odorant est capable d’activer plusieurs récepteurs olfactifs de séquences d’acides aminés différentes. Ce code, dit « combinatoire », permet de discriminer un nombre de molécules odorantes bien plus élevé que le nombre de récepteurs qu’il contient. D’après une étude récente, ce système nous permettrait de discriminer plus de mille milliards de stimuli olfactifs différents ! (Bushdid et al., 2014).

Longtemps considérés comme des récepteurs aux neurotransmetteurs, les Trace Amine-Associated Receptors (TAARs) sont des récepteurs chemosensoriels présents dans l’épithélium olfactif et permettent la détection de composés qui portent un groupement aminé. Ils ont surtout été étudiés chez les rongeurs où un rôle de récepteur aux phéromones est postulé. Le terme « trace amine » se réfère à des composés aminés biogéniques qui se trouvent à des concentrations extrêmement faibles dans plusieurs tissus des mammifères, et dont les fonctions biologiques sont encore mal connues. Ces composés sont, par exemple, la p-tyramine, la beta-phényléthylamine, la tryptamine et l’octopamine (voir tableau 2), mais ces récepteurs reconnaissent aussi des composés aminés volatils, donc odorants, tels que la cadavérine ou la spermine, au nom évocateur (Liberles et al., 2006).

p-tyramine

(odeur de viande cuite)

β-phényléthylamine

(odeur de poisson)

Octopamine

(inodore)

Tryptamine

(inodore)

Tableau 2. Ligands des récepteurs de type TAARs (Trace Amine-Associated Receptors).

TAARs ligands.

Par ailleurs, les récepteurs olfactifs ne sont pas uniquement exprimés dans l’épithélium olfactif, mais on les retrouve dans d’autres tissus et organes tels que la peau, les poumons, les muscles, les spermatozoïdes et même le cerveau ! (Bushdid et al., 2016). De la même façon, les gènes codant pour des TAARs sont aussi exprimés dans d’autres tissus que les neurones olfactifs, tels que le cerveau, l’estomac, le foie, les poumons et les intestins. On parle dans ce cas d’expression ectopique des récepteurs olfactifs et des TAARs. Si le rôle que jouent certains récepteurs olfactifs ectopiques sont établis dans certains tissus, leur rôle physiologique reste encore à être établi dans bien d’autres cas.

4. Conclusion

L’étude de l’odorat fait appel à des champs disciplinaires extrêmement variés, allant des sciences humaines et sociales aux sciences biologiques, chimiques et physiques ! Ce sens nous permet de décrypter notre environnement chimique. La relation entre la sensibilité à certains odorants et notre patrimoine génétique est de plus en plus étudiée et démontre que nous sommes loin d’être tous égaux vis-à-vis des odeurs ! (de March et al., 2015). À l’instar de la couleur de nos yeux, de celle de nos cheveux ou de notre taille, les gènes de nos récepteurs olfactifs nous rendent unique. La sensibilité à certains composés est dictée par nos gènes, et ce qui est bon pour l’un ne le sera pas forcément pour tous !

Aussi, la relation entre hédonisme et pollution n’est pas si simple. Citons l’odeur du « neuf ». Nous valorisons cette odeur, par exemple dans le cas d’achat de meubles ou de textiles. Cependant, cette odeur si particulière est souvent due à la présence de produits chimiques polluants qui peuvent être toxiques, contribuant ainsi à la pollution d’air intérieur, comme le formaldéhyde. À l’inverse, le méthane (CH4), principal composant du gaz naturel, est un produit chimique extrêmement dangereux bien qu’inodore. L’odeur qui lui est associée est due à l’ajout artificiel d’un composé soufré. Le cyanure, un poison célèbre et extrêmement puissant, possède quant à lui une agréable odeur d’amande amère. Pour autant notre odorat reste un outil d’une formidable sensibilité (Bushdid et al., 2014) et plasticité, qui nous renseigne de façon extrêmement fiable sur la nature de notre environnement volatil.

Bibliography

Atkins P., 2005 : Le Parfum de la fraise. Mystérieuses molécules, Paris, Dunod, 263 p.

Bushdid C., de March C.A., Topin J., et al., 2016 : Ces molécules qui nous mènent par le bout du nez - Le codage moléculaire de la perception des odeurs. Actualité Chimique 406, 21-30.

Bushdid C., Magnasco M.O., Vosshall L.B. et al., 2014 : Humans can discriminate more than 1 trillion olfactory stimuli. Science, 343, 1370-1372.

De March, C.A., Golebiowski, J., 2014 : A computational microscope focused on the sense of smell. Biochimie, 107, 3-10.

De March, C.A., Ryu, S., Sicard, G., et al., 2015 : Structure-odour relationships reviewed in the postgenomic era. Flavour and Fragrance Journal,30, 342-361.

Gottfried J.A., 2010 : Central mechanisms of odour object perception. Nature reviews. Neuroscience, 11, 628-641.

Krusemark E.A., Novak L.R., Gitelman D.R. et al., 2013 : When the sense of smell meets emotion: anxiety-state-dependent olfactory processing and neural circuitry adaptation. The Journal of neuroscience: the official journal of the Society for Neuroscience, 33, 15324-15332.

Liberles S.D., Buck L.B., 2006 : A second class of chemosensory receptors in the olfactory epithelium. Nature, 442, 645-650.

Salesse R., Gervais R., 2012 : Odorat et goût. De la neurobiologie des sens chimiques aux applications, Versailles, Quae, 539 p.

Illustrations

References

Electronic reference

Caroline Bushdid, Jérémie Topin and Jérôme Golebiowski, « Quand l’atmosphère sent le soufre. Perception des pollutions odorantes », Pollution atmosphérique [Online], 234 | 2017, Online since 30 juin 2017, connection on 11 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/5245

Authors

Caroline Bushdid

Institut de Chimie de Nice, UMR CNRS 7272, Université Côte d’Azur, France

Jérémie Topin

Institut de Chimie de Nice, UMR CNRS 7272, Université Côte d’Azur, France

Jérôme Golebiowski

Institut de Chimie de Nice, UMR CNRS 7272, Université Côte d’Azur, France, Department of Brain & Cognitive Sciences, DGIST, Daegu, République de Corée