Introduction
Même si l’olfaction est, parmi nos cinq sens, celui auquel nous attachons souvent le moins d’importance, il est extrêmement présent dans notre quotidien et influence notre qualité de vie. En effet, les odeurs modulent nos humeurs, notre cognition et notre comportement. Ce sens est non seulement essentiel à la prise alimentaire puisque l’olfaction est un composant majeur de la flaveur des aliments (en association avec la gustation et les entrées somatosensorielles) mais il est important également dans l’évitement des dangers tels qu’un incendie, une fuite de gaz ou un prédateur, et enfin il intervient dans les interactions sociales et la reproduction. Les odeurs guident ainsi notre comportement pour répondre aux besoins essentiels à la survie et, au-delà, contribuent fortement aux plaisirs sensoriels et à l’attractivité de l’environnement.
Pour analyser les milliers d’odeurs que nous percevons tous les jours, nous disposons d’un système olfactif capable de les détecter, de les identifier et de les discriminer. Le traitement sensoriel des odeurs est un processus dynamique tout au long de la vie, qui nécessite des apprentissages et met donc en jeu des mécanismes de plasticité cérébrale. Cependant, ce système olfactif très performant peut être perturbé par différents paramètres, comme le stress et la pollution, qui altèrent les réseaux neuronaux sous-jacents.
1. Le bulbe olfactif, première étape de la représentation des odeurs
Les molécules odorantes entrent dans la cavité nasale où elles se lient avec les récepteurs olfactifs des neurones sensoriels présents au niveau de l’épithélium olfactif. L’information est ensuite transmise au bulbe olfactif puis vers d’autres structures cérébrales, aboutissant ainsi à la perception olfactive.
Olfactory system.
Odorants penetrate into the nasal cavity where they bind the olfactory receptors of the sensory neurons at the level of the olfactory epithelium. The information is then transmitted to the olfactory bulb and to higher brain structures leading to olfactory perception.
La perception olfactive se fait schématiquement en trois étapes. Tout d’abord, un odorant, molécule chimique volatile, va atteindre la cavité nasale grâce à la respiration. Cet odorant va alors se lier à des récepteurs olfactifs présents sur les neurones sensoriels de l’épithélium au fond de la cavité nasale. La reconnaissance odorant-récepteur va initier la transformation du message chimique porté par l’odeur en un message électrique. Ensuite, via les axones des neurones sensoriels, le message olfactif est acheminé jusqu’au bulbe olfactif, cortex sensoriel et premier relai cérébral de l’information olfactive (figure 1).
Le rôle du bulbe olfactif est d’élaborer une représentation neurale de l’odorant à partir des signaux issus des neurones sensoriels olfactifs de la cavité nasale, mais également de moduler cette représentation en fonction des influences issues d’autres régions du cerveau puisque l’activité du bulbe olfactif est régulée, entre autres, par des voies neuromodulatrices cholinergiques, noradrénergiques et sérotoninergiques. Ces voies neuromodulatrices sont importantes dans les processus d’attention et de mémoire. Ainsi, l’odeur sera encodée dès le bulbe olfactif sous ses aspects perceptifs (identité, intensité…) et mnésiques (contextes, associations diverses…).
Figure 2. Organisation du bulbe olfactif.
Les neurones sensoriels de l’épithélium olfactif envoient leurs axones vers le bulbe olfactif où ils se connectent aux neurones relais du bulbe (les cellules mitrales) qui, à leur tour, transmettent l’information vers des structures supérieures de traitement. Au niveau du bulbe olfactif, deux populations d’interneurones modulent l’information : les interneurones périglomérulaires et les interneurones granulaires. De plus, les voies neuromodulatrices modulent l’activité des interneurones inhibiteurs.
Olfactory bulb cellular organization.
Olfactory sensory neurons present in the epithelium send their axons to the olfactory bulb where they connect relay neurons (mitral cells) which send the information to higher centers. At the level of the olfactory bulb, two populations of interneurons modulate the information : periglomerular interneurons and granule interneurons. In addition, neuromodulatory fibers modulate inhibitory interneurons activity.
Plus précisément, le bulbe olfactif est constitué de neurones relais (les cellules mitrales), qui reçoivent l’information olfactive grâce à une connexion avec les neurones sensoriels et qui envoient ensuite l’information vers le reste du cerveau. L’information portée par ces cellules mitrales sera sculptée par de petits interneurones inhibiteurs avec qui elles sont connectées (figure 2). Ces petites cellules sont la cible de la neurogenèse adulte.
2. La neurogenèse adulte, une forme originale de plasticité
2. 1. Découverte
La neurogenèse adulte consiste en l’apport permanent de nouveaux neurones dans le circuit neuronal préexistant. En 1906, le neurobiologiste espagnol Santiago Ramon y Cajal (1852-1934) obtient le prix Nobel pour ses travaux sur l’histologie du cerveau. Un de ses postulats affirme que le cerveau adulte est un organe incapable de se régénérer : « Une fois le développement terminé, la pousse et la régénération axonales et dendritiques s’arrêtent de manière irrévocable. Dans le système nerveux central adulte, le réseau nerveux est fixe, terminé et immuable ». Ainsi, à la naissance,nous disposons d’un stock de neurones établissant entre eux de nouvelles connexions,mais il n’y aurait pas d’apparition de nouveaux neurones chez l’adulte. Cet énoncé s’érigea en dogme pendant près d’un siècle. Cependant, depuis lesannées 60, beaucoup de certitudes concernant l’absence de neurogenèse chez l’adulte se sont effondrées. En effet, Joseph Altman, un chercheur américain, découvre dans le cerveau de mammifère des cellules formées à l’âge adulte qui ressemblent à des neurones et qui seront formellement identifiées comme tels grâce à la microscopie électronique par Michael Kaplan quelques années plus tard (Altman, 1969). Après avoir été longtemps ignorée, cette découverte a été confirmée dans les années 90, et il est maintenant bien établi que la neurogenèse persiste tout au long de la vie, principalement dans deux régions du cerveau de mammifère adulte, le gyrus denté de l’hippocampe et le bulbe olfactif (figure 3). Cette neurogenèse a été décrite chez de nombreux mammifères, y compris l’homme (même si la question de la neurogenèse olfactive chez l’homme est discutée par certains auteurs). Entre ces deux sites de neurogenèse, c’est le bulbe olfactif qui reçoit le plus grand nombre de nouveaux neurones.
La neurogenèse adulte, même si spatialement restreinte dans le cerveau de mammifère, permettrait une plasticité accrue dans des structures clés de l’apprentissage et de la mémoire que sont l’hippocampe et le bulbe olfactif. Les études récentes se sont donc attachées à comprendre les interactions entre neurogenèse et apprentissages.
2. 2. Description
2. 2. 1. Mise en évidence de la cellule souche
La cellule souche, cellule capable de donner tous les types cellulaires, a été mise en évidence après mise en culture du tissu neural de mammifère adulte. Les chercheurs ont observé que différentes régions du cerveau, dont la zone sous-ventriculaire bordant les ventricules latéraux, étaient capables de donner des neurosphères, amas de cellules pouvant se différencier en neurones ou en cellules gliales (Reynolds et Weiss, 1992). C’est de cette région que sont issus les neurones formés chez l’adulte du système olfactif.
2. 2. 2. Migration des neurones immatures et intégration dans le réseau neuronal préexistant
Les nouveaux neurones olfactifs ont pour origine des cellules souches situées dans la zone sous-ventriculaire, le long des ventricules latéraux. Ces cellules souches se différencient en neurones immatures (neuroblastes) qui migrent le long du flux rostral migratoire jusqu’au centre du bulbe olfactif. Ensuite, au sein du bulbe olfactif, ces neurones immatures migrent pour rejoindre leur destination finale et se différencier interneurone granulaire ou périglomérulaire.
Adult neurogenesis.
Olfactory newborn neurons originate from stem cells present in the subventricular zone located along the lateral ventricles. Stem cells differentiate into immature neurons (neuroblasts) that migrate along the rostral migratory stream to reach the olfactory bulb. Within the olfactory bulb, the neuroblasts migrate radially to reach their final destination and differentiate granule or periglomerular interneurons.
La cellule souche adulte présente dans la zone sous-ventriculaire va se différencier en neuroblaste (neurone immature), qui va migrer pendant environ six jours le long d’un trajet très stéréotypé, appelé le flux rostral migratoire, pour rejoindre le centre du bulbe olfactif. Ensuite, ces neuroblastes vont entamer une migration radiale pour rejoindre leur destination finale, la couche granulaire, où ils vont se différencier en interneurones inhibiteurs granulaires (94 %), et la couche glomérulaire où ils donneront des interneurones périglomérulaires (4 %) (Lledo, Valley, 2016). Ainsi, des dizaines de milliers de nouveaux neurones arrivent et s’intègrent chaque jour au niveau du bulbe olfactif. Dans des conditions de base, environ un mois après leur naissance, la moitié de ces neurones meurt par un phénomène d’apoptose, et l’autre moitié va survivre à plus long terme dans le réseau neuronal bulbaire. Cependant cet équilibre mort/survie des nouveaux neurones peut être modulé et jouer un rôle crucial dans de nombreux comportements.
3. Quels rôles pourraient jouer les neurones formés à l’âge adulte dans la fonction olfactive ?
Une question clé associée à la découverte de ce phénomène de neurogenèse concerne le rôle fonctionnel de ces nouveaux neurones. Quelle est leur fonction dans le système olfactif ?
Comme le bulbe olfactif a été impliqué dans de nombreux apprentissages olfactifs et qu’il est le siège d’une neurogenèse importante, l’hypothèse d’un rôle central de la neurogenèse dans les processus d’apprentissage a été proposée. Plusieurs études ont montré que l’activité olfactive simple (être exposé à des odeurs) peut moduler le taux de formation des nouveaux neurones en agissant sur leur capacité à survivre dans le réseau préexistant (Mandairon et al., 2006b, Rochefort et al., 2002). En effet, il existe une fenêtre temporelle (environ un mois après leur naissance) où les nouveaux neurones sont particulièrement sensibles à la présence ou l’absence de stimulation olfactive.
Pour comprendre la signification fonctionnelle de la neurogenèse adulte, plusieurs laboratoires ont étudié le rôle de la neurogenèse dans des contextes d’apprentissage et de mémoire. Le paradigme d’apprentissage le plus couramment utilisé est celui de l’apprentissage associatif de discrimination (apprentissage explicite), qui consiste à apprendre à un animal à associer une odeur à une récompense. Au fil des essais d’apprentissage, l’animal parvient à mieux discriminer l’odeur pour trouver sa récompense. Cet apprentissage augmente la neurogenèse (Mandairon et al., 2006a, Sultan et al., 2010). Dans cette lignée, il est maintenant possible, grâce à des vecteurs viraux, de stimuler spécifiquement ces nouveaux neurones, ce qui provoque une amélioration de la discrimination (Alonso et al., 2012). Les nouveaux neurones sélectionnés lors de l’apprentissage deviennent alors le support de la trace mnésique. Ainsi leur suppression pharmarcologique, génétique ou par irradiation, entraîne un déficit de la mémoire (Imayoshi et al., 2008, Lazarini et al., 2009, Sultan et al., 2010). Inversement, un effacement de cette mémoire provoque la suppression prématurée de ces neurones (Sultan et al., 2011).
Parmi les différents types d’apprentissages existe également l’« apprentissage perceptif » qui s’oppose à l’« apprentissage associatif » par son côté implicite, dans le sens où il n’implique pas de conditionnement et pas d’action ciblée de la part de l’animal. L’apprentissage perceptif se traduit par une amélioration de la discrimination entre deux stimuli très similaires, suite à l’exposition répétée à ces mêmes stimuli. Chez les rongeurs, l’apprentissage perceptif olfactif a été mis en évidence par l’exposition répétée à deux odeurs très proches sur le plan perceptuel, donc non discriminées (Mandairon et al., 2006c). Il s’avère que la simple exposition quotidienne à ces odeurs proches pendant une dizaine de jours améliore leur discrimination. Cette amélioration de la perception olfactive est sous-tendue par la neurogenèse, puisque si l’on supprime de façon pharmacologique l’approvisionnement du bulbe olfactif en nouveaux neurones, l’exposition aux odeurs n’améliore plus les performances de discrimination (Moreno et al., 2009). Les mécanismes gouvernant l’intégration et la survie des nouveaux neurones pendant l’apprentissage restent cependant encore mal connus.
Enfin, la neurogenèse adulte semble impliquée dans les apprentissages sociaux et les stratégies de reproduction. Ainsi, les phéromones du mâle dominant sont capables de stimuler la neurogenèse dans le cerveau de souris femelle qui développe une préférence pour l’odeur de ce mâle. Si la neurogenèse est bloquée par l’injection d’antimitotique, cette préférence sociale n’a plus lieu (Mak et al., 2007). La neurogenèse semble également impliquée lors de la gestation. En effet, ce processus est stimulé par une hormone, la prolactine qui, lorsqu’elle est inhibée, induit une diminution de la neurogenèse (Shingo et al., 2003).
Ainsi, ces différentes études montrent qu’en fonction du nombre de nouveaux neurones présents dans le bulbe olfactif, la perception et la mémoire olfactives peuvent être modulées. Au-delà de leur nombre, la morphologie des nouveaux neurones peut être façonnée par l’apprentissage (Daroles et al., 2016, Lepousez et al., 2014) afin d’améliorer les performances olfactives.
Ainsi, les nouveaux neurones bulbaires, de par une modulation de leur nombre, de leur morphologie ou de leur niveau d’excitabilité (Nissant et al., 2009) changent le message envoyé aux autres régions du cerveau et donc la perception et la mémoire de l’odeur. Il est maintenant de plus en plus évident au sein de la littérature que cette neurogenèse est non seulement essentielle au fonctionnement normal du cerveau mais est en plus extrêmement sensible aux changements de l’environnement, qu’ils soient positifs ou négatifs.
4. Effets du stress et de la pollution
4. 1. Les effets du stress sur la neurogenèse
Nous sommes confrontés quotidiennement à des situations aversives qui émergent de notre environnement : un piéton qui traverse un peu trop précipitamment, un entretien d’embauche, l’odeur de gaz indiquant une fuite, une pollution, auxquelles notre organisme répond par un stress. Le stress est généralement défini comme un état de menace de l’homéostasie, c’est-à-dire de notre équilibre physiologique (Smith et Vale, 2006), auquel nous réagissons en activant une large gamme de réponses comportementales et physiologiques appelée communément la réponse au stress. En situation aversive, le maintien de l’homéostasie nécessite l’activation de nombreux systèmes impliquant le système endocrinien, le système nerveux et le système immunitaire formant la réponse au stress (Chrousos et Gold, 1992, Carrasco et Van De Kar, 2003) ayant pour rôle de maximiser les chances de survie de l’organisme face à une situation menaçante.
Le principal effecteur de la réponse au stress est le système corticotrope ou axe HPA, impliquant l’hypothalamus, l’hypophyse et les glandes surrénales. Son activation, induite par une situation aversive, aboutit à la libération spécifique « d’hormones de stress », appelées glucocorticoïdes et corticostérones, qui agiront entre autres au niveau du cortex préfrontal qui gère les informations et gouverne la prise de décision (comme, par exemple, une fuite), mais également sur l’ensemble de l’organisme grâce à la présence de nombreux récepteurs. Ainsi, en réponse à un challenge de court terme, le stress favorise notre survie en guidant notre comportement et permettant une réponse adaptée de notre organisme. Cependant, lors de situations aversives prolongées et/ou répétées, l’activation de l’axe HPA peut être dérégulée (Miller et al., 2007 ; Mizoguchi et al., 2008), on parle alors de stress chronique. En affectant 13,6 % de la population européenne (95 millions d’individus) et 20 % des personnes âgées, le stress chronique fait partie des troubles les plus fréquents dans nos sociétés selon le National Institue of Mental Health, il est délétère pour l’organisme, notamment pour le système cérébral, et pourrait contribuer au développement de nombreuses pathologies (Mcewen et Stellar, 1993).
Le stress favorise notre survie grâce à la mise en place d’une réponse adaptative extrêmement demandeuse en énergie mais qui s’avère être délétère sur le long terme, lors de stress chronique. Cette réponse représente donc un coût pour certaines régions de l’organisme, mais quel est l’impact sur la neurogenèse ?
Des travaux ont montré que le stress entraîne une profonde perturbation de la neurogenèse adulte, conduisant à une réduction rapide et prolongée des taux de prolifération des neuroblastes et de survie neuronale. Chez le rongeur, un stress chronique établi à l’âge adulte ou un stress précoce après la naissance conduit à un dérèglement de l’axe HPA et à l’élévation de la libération de glucocorticoïdes (Lehmann et al., 2013), qui seraient les médiateurs des altérations de la neurogenèse adulte. En effet, des études ont rapporté une diminution de la prolifération des cellules souches ainsi qu’une diminution de la survie des neurones néoformés dans le bulbe olfactif après apport exogène de glucocorticoïdes (Lau et al., 2007 ; Siopi et al., 2016). Les auteurs rapportent également une perturbation des fonctions olfactives (acuité, discrimination entre deux odeurs et mémoire olfactive). À l’inverse, un traitement avec un antagoniste des récepteurs aux glucocorticoïdes, après l’établissement d’un stress chronique, restaure la neurogenèse à des niveaux contrôles (Oomen et al., 2007). D’autre part, la prolifération des cellules souches est favorisée par la suppression des glucocorticoïdes circulants (Guo et al., 2010). Ces résultats suggèrent donc que la quantité de neurones néoformés est modulée par les glucocorticoïdes qui doivent, pour agir, se lier à leurs récepteurs. Ces récepteurs sont présents en très grande quantité dans le bulbe olfactif (Morimoto et al., 1996) et, de façon intéressante, au niveau des cellules granulaires qui correspondent au type neuronal majoritairement produit lors de la neurogenèse adulte (Winner et al., 2002).
Dans nos sociétés vieillissantes, il est intéressant de noter que le niveau de stress s’accroît avec l’âge (Bryant et al., 2008) ainsi que les taux de glucocorticoïdes circulants (Van Cauter et al., 1996) et pourrait expliquer, au moins en partie, la réduction drastique de la neurogenèse observée (Mobley et al., 2014).
Le stress altère donc la neurogenèse, et nous savons aujourd’hui que cette altération est médiée par l’élévation des taux sanguins de glucocorticoïdes (David et al., 2009 ; Mirescu et Gould, 2006). Toutefois, il n’est pas le seul facteur perturbateur de la neurogenèse.
4. 2. La pollution de l’air
12,6 millions est le nombre de décès causés par la pollution en 2012 selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il existe différents types de pollution, mais nous traiterons uniquement des effets de la pollution de l’air, qui est à l’origine de plus de la moitié des décès recensés (7 millions).
Selon le code de l’environnement, « Constitue une pollution atmosphérique [...] l’introduction par l’homme [...] d’agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives. ». Il est largement admis que la pollution de l’air impacte notre système nerveux central et pourrait, à force d’exposition, contribuer au développement de pathologies (Genc et al., 2012). Plus particulièrement, l’exposition aux particules en suspension dans l’air a été associée à la perte de l’odorat et à certaines formes de dégénérescence du système nerveux central (Tjalve et Henriksson, 1999). En effet, les individus vivant dans des régions à forte pollution sont susceptibles de présenter un risque accru de développer des maladies telles qu’Alzheimer (Chen et al., 2017), Parkinson ou des scléroses en plaques (Calderon-Garciduenas et al., 2004 ; Calderon-Garciduenas et al., 2013 ; Calderon-Garciduenas et Villarreal-Rios, 2017). Récemment, des travaux ont mis en évidence un effet néfaste de la pollution atmosphérique sur la neurogenèse adulte (Costa et al., 2015). Mais par quels processus ?
4. 2. 1. Neuro-inflammation et stress oxydatif
L’inflammation et le stress oxydatif sont synonymes d’agression cellulaire et représentent les effets les plus importants causés par la pollution de l’air chez l’homme et l’animal (Costa et al., 2015). De par son organisation, le système olfactif est directement exposé et constitue alors une voie d’entrée idéale par laquelle la pollution de l’air pourrait exercer ses méfaits sur l’organisme. En effet, les molécules volatiles présentes dans l’environnement sont constamment en contact avec notre épithélium olfactif, localisé au fond des cavités nasales, qui contient les neurones olfactifs. Ces derniers projettent directement sur le cerveau et plus particulièrement le bulbe olfactif. Ainsi, les particules présentes dans l’air pollué pourraient aisément pénétrer dans la cavité nasale, interagir avec l’épithélium olfactif, accéder au système nerveux central par l’intermédiaire des neurones olfactifs (Calderon-Garciduenas et al., 2003) et y déclencher une réaction inflammatoire et un stress oxydatif. En effet, la présence de particules polluantes a été identifiée dans le bulbe olfactif de rats après inhalation (Oberdorster et al., 2004) et également chez des personnes vivant dans une atmosphère très polluée (Calderon-Garciduenas et al., 2008). Des études montrent une augmentation des niveaux de cytokines pro-inflammatoires et de la peroxydation lipidique, témoins de l’inflammation et du stress oxydatif respectivement, dans le bulbe olfactif des rongeurs exposés à un air pollué (Costa et al., 2015 ; Tin Tin Win et al., 2008), mais également chez l’homme (Calderon-Garciduenas et al., 2004). D’autres soulignent l’action délétère de l’inflammation et du stress oxydatif sur la neurogenèse, qui peut être restaurée par un traitement anti-inflammatoire et antioxydant (Herrera et al., 2003 ; Monje et al., 2003).
4. 2. 2. La pollution de l’air : une source de stress
De par son action durable et néfaste sur notre organisme, la pollution de l’air représente une situation aversive répétée et prolongée et donc une source de stress. En effet, plusieurs études menées chez l’homme et l’animal suggèrent que l’exposition aux polluants atmosphériques augmenterait les taux sanguins d’hormones de stress (Raff et al., 1981 ; Tomei et al., 2003). Les travaux réalisés chez le rat ont montré une activation de l’axe HPA (augmentation de corticostérone) après 8 heures d’exposition à un air concentré en particules ambiantes (Sirivelu et al., 2006). De façon intéressante, cette étude montre une augmentation des taux de noradrénaline dans le bulbe olfactif, qui est un neuromodulateur essentiel à l’activation de l’axe HPA et qui est également connu pour moduler la neurogenèse bulbaire (Bauer et al., 2003). D’autres recherches ont montré que la pollution de l’air altérait les processus cognitifs, induisait un état de stress et une réaction inflammatoire (Fonken et al., 2011), également connue pour activer l’axe HPA (Berkenbosch et al., 1987).
Outre la toxicité induite par les particules polluantes, la pollution de l’air peut être une source de nuisances olfactives et générer par-là un stress. En faisant partie intégrante du réseau limbique impliqué dans la gestion des émotions, le système olfactif confère aux odeurs une charge émotionnelle importante. Tandis que les odeurs agréables sont largement utilisées en pratique pour réduire le stress et procurer un état de bien-être (aromathérapie, diffuseurs d’odeur...), les odeurs désagréables quant à elles pourraient induire des émotions négatives et générer un stress (Horii et al., 2010). Effectivement, des personnes exposées à des nuisances olfactives se sentent plus stressées (Carlsson et al., 2006).
4. 3. Altérations de la neurogenèse du bulbe olfactif, quelles conséquences ?
La neurogenèse est un mécanisme essentiel à la fonction olfactive. Lors d’un apport exogène chronique de corticostérone, l’apport en nouveaux neurones est réduit de moitié (Siopi et al., 2016), induisant inévitablement des troubles importants de la fonction olfactive. En effet, cette même étude rapporte une altération de l’acuité olfactive, de la détection, de la discrimination et de la mémorisation, qui peuvent être restaurées, en parallèle de la neurogenèse (Hitoshi et al., 2007 ; Oomen et al., 2007), par un traitement pharmacologique réduisant le stress.
Ces altérations peuvent avoir des conséquences dramatiques sur notre organisme en altérant profondément les interactions sociales (perception des parfums, odeurs corporelles), ainsi que notre qualité de vie (Croy et al., 2014), en perturbant les émotions et souvenirs qu’une odeur peut évoquer, mais aussi la reconnaissance et l’appréciation de la nourriture. En conséquence, les déficits olfactifs engendrés par la baisse de neurogenèse induite par le stress et/ou la pollution affecteraient notre santé en provoquant des troubles de la prise alimentaire, des syndromes dépressifs et une incapacité d’adaptation comportementale face à une situation d’urgence (feu, fuite de gaz, par exemple). À l’inverse, un système olfactif défaillant accroît les niveaux de stress (Glinka et al., 2012), suggérant que les déficits olfactifs induits par le stress et/ou la pollution, peuvent en retour conduire à un état de stress chronique. L’état de stress s’aggraverait au fil du temps et, en conséquence, l’altération de la neurogenèse, augmentant à terme les facteurs de risque des troubles psychotiques tels que la schizophrénie (Walker et al., 2008), de la dépression (Van Praag, 2004) et des maladies neurodégénératives (Esch et al., 2002).
Conclusion, traitements et stratégies de prévention
La neurogenèse adulte nous offre de surprenantes capacités de traitement de l’information olfactive, nous permettant ainsi d’évoluer dans un environnement très riche sur le plan sensoriel. Mais cette plasticité « hors du commun » est vulnérable et est aisément perturbée par le stress et la pollution qui nous entourent.
Les niveaux de pollution (OMS, 2016) et de stress (Cohen et al., 2012) étant actuellement en hausse dans nos sociétés, il est important de déployer des stratégies de remédiation pour prévenir, voire compenser ou restaurer, l’altération de la neurogenèse qui en résulte. Des traitements pharmacologiques tels que les antidépresseurs ont révélé des effets bénéfiques sur la neurogenèse. Ils la stimulent chez les rats naïfs (Malberg et al., 2000), la restaurent après l’induction d’un stress chronique (Siopi et al., 2016) et pourrait ainsi limiter voire inverser les dommages causés par le stress. Les anti-inflammatoires et antioxydants ont également fait leurs preuves dans la préservation de la neurogenèse (Herrera et al., 2003 ; Monje et al., 2003).
Outre les approches médicamenteuses, des alternatives plus écologiques existent pour réduire le stress et restaurer la neurogenèse, telles que des épisodes de marche dans la nature (Tyrvainen et al., 2014) et la diffusion d’odeurs. Nous savons aujourd’hui qu’une exposition journalière à une odeur plaisante diminue le stress (Joussain et al., 2014) et que la neurogenèse peut être régulée positivement par des enrichissements olfactifs (Moreno et al., 2009 ; Rey et al., 2012 ; Rochefort et al., 2002). La diffusion répétée d’odeurs plaisantes dans notre environnement pourrait permettre de pallier la réduction de la neurogenèse médiée par le stress et la pollution. En particulier, les odeurs dites « vertes », qui émanent des feuilles des plantes, sont connues pour réduire le stress (Nakashima et al., 2004) et pourraient expliquer la diminution du stress perçu lors d’épisodes de marche dans la nature (Tyrvainen et al., 2014).