L’équipe « Arômes-Parfums-Synthèses-Modélisation » de l’Institut de chimie de Nice (ICN, UMR 7272) s’est fortement investie dans une thématique transdisciplinaire autour du thème « Odorants – odeurs – olfaction ». Pour cela, nous avons eu le support de l’Institut National de Chimie et de la mission interdisciplinaire du CNRS avec le financement d’un GDR pour 2015-2018, dont j’ai la responsabilité avec J. Golebiowski. Cela implique l’organisation de rencontres transdisciplinaires avec des équipes niçoises et avec des équipes françaises spécialisées dans des disciplines variées (outre la chimie, neurosciences, biochimie et récepteurs olfactifs, écologie, communication, anthropologie, linguistique, aspects juridiques…) en vue du montage de projets collaboratifs. Par ailleurs, la thématique des « Sciences des odorants » fait partie des thèmes de recherche « niches » de l’université de Nice.
Depuis l’Antiquité, les parfumeurs comme les cuisiniers ont développé leur art sans attendre l’avènement de la chimie moderne, de la physiologie, de la neurophysiologie, de la biologie moléculaire, de la psychologie et autres sciences cognitives et sociales, toutes sciences qui concourent aujourd’hui à l’étude des sens chimiques. Cependant, sur le plan technique, ce sont bien les découvertes et innovations dans les méthodes d’extraction, d’analyse et de caractérisation, ainsi que les progrès de la chimie de synthèse, qui ont été les facteurs décisifs des évolutions considérables ayant permis au secteur des arômes et des parfums de devenir une industrie mondiale représentant des chiffres d’affaires considérables.
Longtemps ignoré ou relégué à un arrière-plan esthétique, le sens olfactif fait aujourd’hui l’objet d’une réflexion philosophique à part entière, comme en témoignent des travaux récents consacrés aux pouvoirs de l’odeur et du parfum, ou la constitution d’une philosophie de l’odorat. D’un point de vue sociologique, notre époque, où l’on prône le plaisir, l’émotion et la sensualité, réhabilite les sens chimiques pour leur fantastique pouvoir évocateur, non seulement dans la vie quotidienne et dans le domaine commercial, mais aussi dans l’art. Les sens chimiques représentent aussi une formidable fenêtre sur notre cerveau et la façon dont il traite les informations de l’environnement dans lequel il évolue.
Ce regain d’intérêt coïncide avec l’explosion des résultats scientifiques de ces dernières années, comme l’attestent les récents prix Nobel sur des activités centrées sur l’olfaction (Prix Nobel de Médecine, 2004, R. Axel et L. Buck, récepteurs olfactifs) ou celui, plus fondamental, qui permet notamment à la communauté des sens chimiques de mieux se représenter le fonctionnement des récepteurs olfactifs (Prix Nobel de Chimie 2012, R. Lefkowitz et B. Kobilka, récepteurs couplés aux protéines G).
Cette thématique est intrinsèquement hautement interdisciplinaire, et un effort coordonné des différentes disciplines devrait permettre l’établissement d’un schéma à la fois scientifique mais également sociologique lié aux sciences des odorants. Si l’aspect moléculaire et neurologique de ce sens ne peut être contesté, son aspect hédonique apparaît indissociable d’analyses cognitives mais aussi sémantiques des groupes sociaux.
Dans ce GDR O3 : « Odorants – Odeur – Olfaction », nous traitons de manière élargie tous ces thèmes, créant de l’émulation autour de recherches allant de la molécule à la société ; du composé odorant à sa perception par les récepteurs olfactifs puis le passage d’information vers le cerveau, avec les implications médicales, en santé et bien-être. Les analogies avec les systèmes olfactifs chez les animaux, en particulier chez les chiens ou les insectes en relation avec la communication avec les plantes à parfum, seront également traitées.
L’impact des odeurs et des odorants en sciences humaines et sociales, avec des aspects d’anthropologie cognitive, de langage, de psychologie, d’histoire et de géographie sera aussi central. Nous discuterons également des aspects de l’apprentissage des odeurs, de la perception, d’hédonisme, de « nez » et de compositions.
Les aspects industriels seront également pris en compte, des matières premières aux produits finis, pour des applications variées, allant de la parfumerie fine aux détergents, à l’industrie alimentaire ou la cosmétique.
Dans le cadre du GDR, il est apparu un réel consensus autour d’un réseau national pérenne permettant la mise au point de projets de recherche transdisciplinaires autour des sujets associés aux sens chimiques et de manière non-exhaustive aux substances naturelles, leur perception ainsi que leur rôle dans la santé, la culture ou l’environnement. Cinq thèmes majeurs ont été identifiés, et un 6e thème envisage une ouverture vers l’industrie agroalimentaire, en impliquant le sens du goût.
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Physiologie et psychophysiologie de l’olfaction – odeurs – santé, bien-être – apprentissage et mémoire olfactive
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Odorants : communication – éthologie – environnement – analyse sensorielle olfactive
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Histoire – parfums – patrimoine – images sensorielles – langage – société – identités olfactives urbaines
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Odeur humaines – nuisances olfactives – capteurs – masquage – encapsulation – aspects sociologiques – confort olfactif – aspects règlementaires – authenticité – adultération – protection – innovation
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Création ou découverte de substances volatiles – conception de molécules odorantes – ingrédients innovants – substituts d’allergènes – synthèse et biosynthèse
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Interaction odorat-goût – aspects agroalimentaires – saveurs – comportement consommateur
La formation étant un des objectifs principaux de ce réseau « O3 », il est prévu des écoles thématiques autour des différents thèmes développés dans le GDR. Une école autour de « la chimie des odorants » a déjà eu lieu dans la ville de Grasse en juillet 2015.
L’interdisciplinarité de l’axe thématique « Odorants – odeurs – olfaction » est très forte, et la diversité des participants est importante. Les aspects de transversalité nous paraissent également être un atout scientifique qui devrait ouvrir les possibilités pour de nouvelles collaborations scientifiques originales.