1. Introduction
La pollution de l’air a des impacts significatifs sur la santé humaine, en termes de morbidité, mortalité et bien-être (Pope et al., 2002 ; Curtis et al., 2006 ; Dockery et al., 1993 ; Jerrett et al., 2009 ; RCP, 2016). Ces impacts sanitaires ont des conséquences économiques importantes : coûts de la maladie pour le système de soins et les entreprises, consentement à payer pour éviter de la souffrance et la mortalité prématurée (CGDD 2012, 2015 ; OMS/OCDE, 2015 ; Hurley et al., 2005). Malgré un cadre global de règlementation contre la pollution de l’air en place (e.g. directives 2001/81/EC et 2008/50/EC et transpositions en France), on estime que la pollution de l’air est à l’origine, en France en 2010, d’environ 430 000 années de vies perdues dues à l’exposition chronique de la population aux particules fines, et d’environ 2 300 morts prématurées dues à l’exposition aiguë à l’ozone (Holland, 2014b).
Par ailleurs, la qualité de l’air et le changement climatique sont liés dans leur fonctionnement et leurs impacts. Les émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre ont souvent des sources communes, notamment celles liées à la combustion de combustibles fossiles. Les politiques climatiques, impliquant des mesures d’efficacité énergétique et d’autres mesures technologiques, influent donc également sur les émissions de polluants atmosphériques, la qualité de l’air et les effets sanitaires associés. De plus, les mesures d’efficacité énergétique conduiront indirectement à réduire le coût des politiques dédiées à la qualité de l’air (moins de technologies de dépollution étant nécessaires dans une société économe en carbone) (McCollum et al., 2013 ; Rao et al., 2013 ; Bollen et al., 2009 ; Rafaj et al., 2013). Enfin, la chimie atmosphérique est sensible au changement climatique. Celui-ci, en modifiant les caractéristiques physiques de l’atmosphère, modifie la fréquence des phénomènes météorologiques susceptibles de conduire à des épisodes de pollution (Jacob & Winner, 2009).
Afin d’évaluer les effets sanitaires de la pollution de l’air et de politiques de lutte contre cette pollution, il est primordial, au-delà des émissions polluantes, de connaître l’exposition de la population aux polluants atmosphériques. Des modèles chimie-transport permettent de calculer les concentrations actuelles et futures auxquelles les habitants d’une zone géographique donnée sont exposés. Ensuite, l’application de fonctions concentration-réponse permet de quantifier les impacts sanitaires en fonction des concentrations. Des outils d’analyse d’impact sanitaires intègrent de telles fonctions, et également des informations démographiques présentes et futures (WHO, 2016). Parfois ils intègrent des informations économiques pour traduire les impacts sanitaires en un équivalent monétaire, ce qui permet de comparer, dans une même unité, les coûts d’une politique de lutte contre la pollution atmosphérique avec ses bénéfices, c’est-à-dire avec les coûts sanitaires évités grâce à cette politique.
Dans le cadre de ses missions d’appui aux pouvoirs publics ainsi que de projets de recherche, l’INERIS a mis en œuvre une chaîne de modèles qui permet de quantifier puis monétiser les impacts sanitaires de la pollution de l’air, à partir d’informations sur les émissions atmosphériques, via la modélisation de la qualité de l’air et le calcul de l’exposition de la population aux différents polluants. Cette chaîne permet également de simuler la mise en place de mesures de réduction des émissions atmosphériques avec leurs efficacités et coûts associés.
Le présent article présente brièvement cette chaîne de modèles (chapitre 2). Différents types d’application sont illustrés sur la base d’exemples d’études récentes (chapitre 3). L’article termine sur des perspectives de l’utilisation de la chaîne de modèles (chapitre 4).
2. La chaîne de modèles pour évaluer les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique
2.1. L’approche par voie d’impact
L’analyse des impacts sanitaires de la pollution de l’air se base sur l’approche dite par voie d’impact1 qui est illustrée sur la base de la chaîne de modèles INERIS dans la figure 1 (colonnes 1 et 2).
L’analyse des impacts sanitaires part des informations sur les niveaux d’émissions actuels et futurs par secteur d’activité. Ces niveaux d’émissions peuvent être obtenus, par exemple, dans le modèle GAINS-FR (voir section 2.2) sur la base d’une simulation de scénarios, c’est-à-dire d’ensembles de mesures de réduction des émissions. Ils peuvent également correspondre à des résultats d’inventaires ou projections nationales, notamment développés par le CITEPA.
Figure 1. Approche utilisée pour la quantification puis la monétarisation des effets sanitaires de la pollution atmosphérique et pour des analyses coûts/bénéfices.
Approach applied in the quantification and monetisation of health effects from air pollution and in cost-benefit analyses.
Les émissions totales de polluants primaires par secteur sont ensuite spatialisées sur la région étudiée (par exemple, France ou Europe), à une résolution spatiale adaptée à l’étude et aux contraintes en termes de coût de calcul2. La dispersion des polluants gazeux et particulaires et leur transformation chimique dans l’atmosphère correspondant aux émissions d’un scénario pour une année météorologique complète sont modélisées à l’aide du modèle chimie-transport CHIMERE (section 2.3). L’utilisation de ce modèle permet de quantifier les polluants secondaires résultant de réactions chimiques et photochimiques dans l’atmosphère tels que l’ozone ou les aérosols secondaires, et qui, par définition, ne sont pas présents dans les inventaires d’émission.
En post-traitement, les concentrations de polluants sont croisées avec les densités d’habitants exposés, et les expositions moyennes de la population aux PM2,5, à l’ozone et au NO2 sont ainsi calculées. Ces expositions sont les données d’entrée du modèle de quantification et monétarisation des impacts sanitaires Alpha-RiskPoll-France (ARP–FR, section 2.4). Dans ce modèle, les effets de la pollution de l’air sur la santé sont calculés à l’aide de fonctions concentration-réponse. La multiplication des effets sanitaires avec leur valeur unitaire monétaire permet ensuite d’attribuer une valeur monétaire aux effets sanitaires modélisés. La comparaison entre deux scénarios ou entre différentes années d’un scénario permet de calculer les effets sanitaires évités par la mise en place de mesures de réduction de la pollution atmosphérique et ainsi de quantifier les bénéfices sanitaires de ces mesures en termes monétaires.
Lorsque les résultats du modèle ARP-FR sont utilisés à des fins d’analyses bénéfices/coûts, le schéma des flux de données entre modèles s’élargit, comme cela est indiqué dans la colonne la plus à droite de la figure 1. Les résultats monétaires sont alors comparés aux informations sur les coûts de mesures ou de scénarios de réduction des émissions, venant par exemple du modèle GAINS-France ou estimés par des experts. Les résultats économiques présentés plus loin (chapitre 3) représentent des valeurs annuelles pour les bénéfices sanitaires et pour les coûts des mesures de réduction. Les résultats d’analyses économiques sont ainsi présentés sans actualisation.
2.2. Le modèle technico-économique GAINS-France
GAINS-France est la version française du modèle d’analyses intégrées technico-économiques GAINS (Greenhouse Gas - Air Pollution Interactions and Synergies model) développé par l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis), présenté de façon détaillée dans Amann et al. (2011). Le modèle contient des bases de données sur des mesures de réduction des émissions atmosphériques, leurs coûts et leurs efficacités pour réduire les émissions atmosphériques de particules (PM2.5, PM10), de dioxyde de soufre (SO2), des oxydes d’azote (NOx), de l’ammoniac (NH3) et des Composés Organiques Volatiles Non Méthaniques (COVNM), ainsi que des six gaz à effet de serre réglementés par le protocole de Kyoto. Il contient également des informations sur les sources d’émissions des différents secteurs économiques. En choisissant les valeurs que prennent des variables relatives aux activités économiques et à l’application de techniques de réduction des émissions, l’utilisateur du modèle peut traduire des scénarios de politiques de lutte contre la pollution atmosphérique dans le modèle et ainsi simuler les émissions et coûts qui leur correspondent. Les coûts et facteurs d’émission peuvent également être modifiés dans GAINS-France.
Le modèle GAINS contient des relations fonctionnelles linéarisées, par exemple issues du modèle chimie-transport EMEP3, permettant ainsi de prendre en compte la dispersion atmosphérique des polluants dans l’algorithme d’optimisation. Dans les études présentées dans cet article, cette fonctionnalité du modèle GAINS-FR n’est pas exploitée. En outre, à la place du modèle EMEP, le modèle CHIMERE est employé, ce qui permet une plus grande flexibilité quant à la résolution spatiale des simulations, et donc une plus grande précision des calculs.
2.3. Le modèle de chimie-transport CHIMÈRE
CHIMÈRE4 est un modèle de chimie-transport eulérien qui permet, à partir de flux d’émissions primaires, de données de météorologie et de conditions limites pour la qualité de l’air, ainsi que de champs climatiques lorsque l’impact du changement climatique sur la qualité de l’air est considéré, de calculer les concentrations atmosphériques de dizaines de polluants (gaz et aérosols) sur des domaines d’étendues variées (locaux à continentaux). Le modèle est utilisé pour l’analyse de processus, des scénarios de pollution présents ou futurs et la prévision opérationnelle de la pollution atmosphérique (Menut et al., 2013).
Dans les études présentées ici, les flux d’émissions simulés correspondent à des scénarios issus de modèles (e.g. GAINS) et de projections nationales d’émissions par des experts nationaux. Les données de sortie sont des concentrations de polluants déterminées à la maille, et transformées en expositions de la population en moyenne annuelle de particules fines (PM2.5), d’ozone (SOMO355) et de dioxyde d’azote (NO2). Ce sont les données d’entrée pour l’analyse des impacts sanitaires de la pollution atmosphérique avec le modèle ARP-FR.
2.4. Le modèle d’impact sanitaire et économique ARP-FR
L’outil d’analyse des impacts sanitaires ARP-FR reproduit les calculs faits avec l’outil ARP (développé par M. Holland et J. Spadaro, EMRC) dans les études pour la commission européenne (Holland et al., 2005c ; Holland, 2014b ; CE, 2013).
L’outil applique les méthodes d’analyse initialement développées dans le cadre du projet ExternE (External cost of Energy6) financé par la CE dans les années 1990. Depuis la fin des années 1990, ces méthodes sont appliquées aux analyses coûts-bénéfices de politiques proposées par la CE et la CEE/NU. Elles ont fait objet de plusieurs revues (Krupnick et al., 2005 ; WHO, 2013a et b). La méthodologie est documentée dans Holland et al. (2005 a, b et c ; 2011), Hurley et al. (2005) et dans les revues citées ci-dessus. En 2014 et 2015, le modèle a été mis à jour pour appliquer la récente mise à jour de la méthodologie, suivant la revue par l’OMS/Europe « Health Risks of Air Pollution in Europe » (HRAPIE, WHO 2013 a et b), décrite dans Holland (2014 a et b).
Les choix méthodologiques pris dans CAFE et HRAPIE et mis en œuvre dans ARP comprennent des fonctions concentrations-réponses liant des niveaux d’exposition aux polluants à des impacts sanitaires spécifiques, ainsi que des indicateurs monétaires et leurs valeurs, comme cela est explicité ci-après. Le tableau 1 ci-après synthétise les indicateurs sanitaires pris en compte (entre parenthèses les classes d’âges de population pour lesquelles des fonctions concentration-réponse ont été développées et pour lesquelles les impacts sanitaires associés peuvent être calculés), le polluant à la source des impacts, ainsi que les fonctions concentration-réponse utilisées par défaut, l’unité des impacts et les valeurs unitaires monétaires appliquées par défaut pour monétiser les impacts sanitaires.
La quantification des effets sanitaires est spécifique aux classes d’âges pour lesquelles des fonctions concentration-réponse ont été développées sur la base d’études épidémiologiques. Le modèle ARP-FR contient des bases de données avec des projections démographiques par pays, déclinées en fonction des classes d’âges des différents indicateurs sanitaires.
Les impacts sanitaires quantifiés sont des effets chroniques et/ou aigus7 de l’exposition des populations aux concentrations de particules fines (PM2.5), de l’ozone (O3) et du dioxyde d’azote (NO2), en termes de morbidité et de mortalité.
La mortalité chronique peut être exprimée soit en termes d’années de vie perdues (espérance de vie), soit en termes de morts prématurées (tableau 1). Les années de vie perdues sont monétarisées par l’indicateur VOLY (Value of Life Year), les morts prématurées par l’indicateur VSL (Value of Statistical Life). Un argument en faveur de l’utilisation de l’indicateur des années de vie perdues est le fait que la perte de durée de vie liée à la pollution de l’air peut être limitée. Par exemple, le décès aurait pu se produire dans la même année dans tous les cas. La raison pour laquelle les deux indicateurs sont actuellement utilisés pour des analyses menées pour la commission européenne est le fait que la valeur d’un VOLY dans la méthodologie CAFE a été calculé à partir des estimations d’une VSL pour laquelle des études de consentement à payer ont été menées (Hurley et al., 2005 ; Krupnick et al., 2005). Pour les deux indicateurs, des valeurs moyennes et médianes des estimations de consentement à payer sont disponibles. Les résultats économiques des études présentées ci-après (section 3) se basent sur des calculs d’années de vie perdues avec monétarisation par le VOLY et l’utilisation de valeurs médianes.
En cohérence avec les recommandations de l’OMS, tous les aérosols constituant les PM2.5 sont considérés comme s’ils avaient le même degré de nocivité, indépendamment de la source et de leur composition chimique. En effet, une quantification précise des effets de composants individuels des particules fines n’est pas possible en l’état actuel des connaissances (Miller et al., 2011 ; WHO, 2013a et b).
La prise en compte des effets sanitaires dus au NO2 représente un ajout récent par l’OMS par rapport à la méthodologie CAFE dans laquelle seuls les effets sanitaires des PM2.5 et de l’ozone étaient évalués.
Davantage de détails sur le modèle ARP-FR, son utilisation, les sources bibliographiques pour les indicateurs d’effets sanitaires et les calculs sont fournis dans CITEPA et al. (2016a et c), Schucht et al. (2015) et Schucht (2016a).
3. Applications récentes
Cette chaîne de modèles a été utilisée dans diverses études récentes aux objectifs différents : pour évaluer les bénéfices sanitaires de scénarios prospectifs de politiques de réduction de la pollution et les mettre en perspective avec les coûts de ces politiques, et aussi pour comparer l’efficacité économique de différentes mesures de réduction des émissions entre elles.
3.1. Cobénéfices en Europe de politiques climatiques ambitieuses
3.1.1. Cadre de l’étude
Dans le cadre du projet PRIMEQUAL Salut’Air8 (Évaluation des StrAtégies de LUTte contre la pollution de l’AIR à longue distance dans le contexte du changement climatique), un consortium d’instituts9 a étudié (Colette et al., 2015 ; Schucht et al., 2015 ; Colette et al., 2013 ; Schucht, Colette, 2015) :
-
l’efficacité de politiques européennes planifiées pour réduire les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique en Europe dans deux contextes de politiques climatiques ;
-
les bénéfices d’une politique ambitieuse contre le changement climatique en termes de a) moindres dépenses de réduction des émissions atmosphériques et b) dommages sanitaires de la pollution évités ;
-
le bilan entre ces bénéfices et les coûts de l’atténuation du changement climatique.
La qualité de l’air en Europe et les effets sanitaires associés ont été analysés pour deux jeux de politiques visant la pollution de l’air, l’énergie et le changement climatique à l’horizon 2050. Les deux scénarios prospectifs sélectionnés10 sont identiques en termes de politique de gestion de la qualité de l’air (ils supposent la mise en œuvre de toutes les règlementations contre la pollution de l’air actuellement planifiées pour 2030). Par contre, ils différent en termes de politique climatique :
-
scénario de référence (REF) : aucune politique climatique n’est mise en œuvre ;
-
scénario d’atténuation (MIT) : mise en œuvre d’une politique ambitieuse limitant le réchauffement de la planète à 2° C d’ici 2100.
3.1.2. Méthode
Un nouveau système de modélisation exhaustif de la qualité de l’air et du climat régional dans un cadre d’analyse coûts-bénéfices a été développé. La chaîne de modélisation INERIS a été intégrée dans des scénarios à long terme (produits par deux modèles, MESSAGE et GAINS) et liée à des modèles existants de climat et de chimie-transport globaux. Ce système est donc exhaustif dans le sens où il couvre la modélisation du changement climatique et de la qualité de l’air à l’échelle mondiale, et qu’il descend ensuite à l’échelle régionale. À l’échelle de l’Europe, la chaîne de modèles (figure 2) a été utilisée pour :
-
analyser les scénarios et quantifier les coûts économiques associés (modèles d’énergie et d’analyse intégrée MESSAGE et GAINS) ;
-
raffiner spatialement les projections de modèles climatiques globaux et régionaux (modèles IPSL-CM5A-MR et WRF) et de modèles globaux de chimie-climat (modèle LMDz-OR-INCA), afin d’atteindre des échelles spatiales pertinentes pour les études d’impact ;
-
analyser la qualité de l’air en Europe (modèle CHIMÈRE) ;
-
étudier l’impact sanitaire (modèle ARP-FR), afin de quantifier les bénéfices des politiques de gestion et de les comparer aux coûts de l’atténuation.
Concernant les modèles utilisés, le système de modélisation dans la figure 2 contient les modèles GAINS, CHIMÈRE et ARP-FR, mis en œuvre à l’INERIS et déjà évoqués dans la figure 1. Il s’y ajoute ici des modèles mis en œuvre par d’autres instituts : le modèle MESSAGE et les modèles IPSL-CM5A-MR, WRF et LMDz-OR-INCA.
Figure 2. Chaîne de modélisation intégrée du climat et de la qualité de l’air à l’échelle continentale, et quantification des coûts et des bénéfices associés.
Integrated climate and air quality modelling chain at continental scale, and quantification of associated costs and benefits.
3.1.3. Résultats
Les mesures de gestion de la qualité de l’air planifiées à ce jour en Europe (REF) conduisent à des réductions significatives d’émission de polluants. La politique ambitieuse contre le changement climatique (MIT) apporte un cobénéfice additionnel important en termes de moindres émissions atmosphériques. L’amélioration de la qualité de l’air en Europe est donc plus forte sous le scénario avec la politique climatique ambitieuse (MIT) que sans cette politique (REF).
Par rapport au scénario de référence, le scénario d’atténuation du changement climatique se caractérise par une consommation d’énergie sensiblement plus faible due aux améliorations de l’efficacité énergétique des technologies de l’offre (production d’énergie) et de demande (consommation d’énergie), par des restructurations du mix énergétique, avec un remplacement d’énergies fossiles par des énergies renouvelables et une augmentation de la production d’électricité zéro carbone, et par des changements structurels et des changements modaux dans les transports.
En termes économiques, les mesures d’atténuation du changement climatique conduisent à des dépenses pour faire évoluer le système énergétique de 107,5 milliards d’euros par an en 2050 (figure 3), mais les coûts de la lutte contre les émissions de polluants atmosphériques sont indirectement réduits de 42 milliards d’euros, grâce au cobénéfice des politiques climatiques. Le coût net de l’atténuation de la pollution de l’air et du changement climatique s’élève donc à 65,5 milliards d’euros en 2050.
Les impacts sanitaires baissent entre 2005 et 2050, et les coûts associés devraient décroître de 60 % dans cette période sous le scénario de référence. Une réduction additionnelle des coûts sanitaires de 50 % serait atteinte grâce au scenario avec politique climatique ambitieuse. Cette forte réduction des impacts sanitaires conduirait à une réduction des coûts sanitaires de 62 milliards d’euros en 205011.
Le coût additionnel net total de l’amélioration de la qualité de l’air et de l’atténuation du changement climatique se limite à 3,5 milliards d’euros en 2050 en Europe, compte-tenu des bénéfices liés aux dommages sanitaires évités.
Figure 3. Décomposition des coûts et bénéfices des politiques combinées de lutte contre la pollution atmosphérique et le changement climatique (scénario REF : aucune politique climatique n’est mise en œuvre ; scénario MIT : mise en œuvre d’une politique climatique ambitieuse limitant le réchauffement de la planète à 2° C d’ici 2100 ; scénarios REF & MIT : toutes les règlementations contre la pollution de l’air actuellement planifiées pour 2030 sont mises en œuvre).
Decomposition of costs and benefits from combined air pollution and climate change control policies (REF scenario: no climate policy implemented; MIT scenario: implementation of climate policy limiting global temperature increase to 2° C by the end of this century; REF & MIT: full implementation of current air pollution legislation by 2030).
Une analyse de décomposition (Colette et al., 2013 ; Schucht et al., 2015) a permis d’identifier la contribution des différents facteurs d’influence à la réduction de l’exposition de la population aux polluants atmosphériques et donc à la réduction des dommages sanitaires : mesures européennes de réduction des émissions atmosphériques, changement climatique, transport intercontinental de polluants atmosphériques. Dans les deux scénarios, plus de 90 % de la réduction des dommages sanitaires sont expliqués par des mesures de réduction des émissions. Environ 5 % sont dus au changement climatique, qui conduit donc à une amélioration nette malgré une pénalité due à l’augmentation de l’ozone. Le transport intercontinental de polluants explique moins de 3 % dans la réduction des dommages sanitaires.
Les cobénéfices de la politique d’atténuation du changement climatique en termes d’économies pour l’atténuation de la pollution de l’air et en termes d’effets sanitaires évités compensent donc quasiment les coûts d’une telle politique. Ces bénéfices sont de plus sous-estimés. En effet, l’analyse ne chiffre pas les bénéfices liés à la meilleure qualité de l’air pour les cultures, les écosystèmes et le bâti, ni d’autres effets positifs liés à l’atténuation du changement climatique12.
3.2. Bénéfices sanitaires et coûts pour la France de politiques européennes de lutte contre la pollution atmosphérique
3.2.1. Cadre de l’étude
Dans cette étude pour le ministère de l’Écologie, l’INERIS (Schucht & Colette, 2014) a évalué les améliorations atteignables pour la santé en France, en respectant en 2030 les objectifs du projet de directive NEC (plafonds nationaux)13 révisée, qui fixe des niveaux d’émissions maximaux par pays pour 5 polluants : PM2.5, NOx, SO2, NH3 et COV. L’étude s’est également intéressée à la question de savoir quelle part de l’amélioration de la qualité de l’air en France provient des réductions d’émissions qui ont lieu en France par rapport à celles qui ont lieu dans d’autres pays européens, dans le cadre de la directive NEC. Quatre situations ont été analysées :
-
scénario A : situation pour l’année historique 2005 ;
-
scénario B : tous les pays de l’UE28 appliquent en 2030 la réglementation en vigueur ;
-
scénario C : tous les pays de l’UE28 respectent en 2030 les objectifs de réduction des émissions qui correspondent à la nouvelle directive NEC ;
-
scénario D : la France respecte en 2030 ces nouveaux objectifs, tandis que les autres 27 États membres restent aux niveaux d’émissions correspondant à la réglementation en vigueur.
Pour l’UE28 dans sa totalité, les émissions des cinq polluants sont les plus élevées dans le scénario A et les moins élevées dans le scénario D. Les scénarios C et D établissent des objectifs identiques pour la France ; pour chaque pays UE27 (UE28 hors France), les niveaux d’émissions sont identiques dans les scénarios B et C.
3.2.2. Méthode
Cette étude utilise la chaîne de modélisation, comme cela est présenté dans la figure 1. Les informations sur les émissions et sur les coûts des mesures de réduction des émissions ont été fournies par le modèle GAINS. CHIMÈRE a été appliqué pour calculer l’effet des différents niveaux d’émissions sur la qualité de l’air en France et en Europe, et pour déterminer l’exposition de la population aux concentrations de polluants. L’étude a ensuite utilisé l’outil ARP-FR dans la version basée sur la méthodologie CAFE (cf. plus haut). Les valeurs monétaires dans cette étude sont exprimées en € de 2005.
3.2.3. Résultats
L’amélioration successive de la qualité de l’air en France, en passant du scénario A au scénario D, est reflétée par une réduction des effets sanitaires liés à la pollution de l’air. Illustrée par l’indicateur sanitaire de la mortalité prématurée, l’étude établit que l’exposition chronique de la population aux particules fines est responsable de 50 000 morts prématurées par an en 2005. Ce résultat est cohérent avec les 48 000 morts prématurées estimées dans la récente étude de Santé Publique France (Pascal et al., 2016). La mise en place de davantage de mesures de réduction des émissions en France et en Europe réduit ce nombre. En 2030, selon le scénario B (réglementation en vigueur), les morts prématurées se chiffreraient à 34 000, et elles se chiffreraient à 32 000 et 30 000 selon les scénarios C (réglementation plus stricte en France) et D (réglementation plus stricte également dans les autres 28 États membres de l’UE), respectivement.
Les réductions de la valeur des dommages pour la France de la totalité des effets sanitaires pris en compte suivent les mêmes tendances. Elles sont présentées dans la figure 4 (barres vertes). Ces bénéfices sanitaires, c’est-à-dire les coûts sanitaires évités grâce à la réduction des émissions et à l’amélioration de la qualité de l’air, ont été mis en perspective avec les coûts de mesures de réduction des émissions (cf. figure 4, barres rouges). Deux résultats, présentés dans cette figure en termes de bénéfices et de coûts additionnels en 2030 par rapport au scénario précédent respectif14, sont à souligner :
-
en France, les bénéfices sanitaires dus aux politiques de réduction des émissions atmosphériques (mise en œuvre de la réglementation en vigueur en 2030 ; mesures supplémentaires de réduction des émissions nécessaires pour respecter les nouveaux objectifs NEC) excèdent les coûts15 ;
-
la France gagne presque autant en termes de coûts sanitaires évités par la mise en œuvre de la nouvelle directive NEC par les autres pays de l’UE28 (bénéfices du passage du scénario C au scénario D) que par la seule mise en œuvre de cette directive en France (bénéfices du passage du scénario B au scénario C).
Figure 4. Analyse relative au scénario précédent, bénéfices et coûts additionnels en France, en million €/an.
Analysis relativeto preceding scenario, additional benefits and costs in France, in million €/year.
En d’autres termes, ne pas renforcer la réglementation contre la pollution atmosphérique entraînerait donc des coûts pour la société, qui sont largement supérieurs aux coûts engendrés par le respect de la nouvelle directive. Par ailleurs, une coopération européenne dans la lutte contre la pollution atmosphérique en Europe est bénéfique pour les États membres, et notamment la France qui en tire un bénéfice presque égal à celui de sa propre action.
3.3. Performances coûts/bénéfices de mesures individuelles de réduction des émissions
3.3.1. Cadre de l’étude
Dans le projet « Aide à la décision pour l’élaboration du PREPA »16(Programme de Réduction des Émissions de Polluants Atmosphériques), un consortium d’instituts et bureaux d’études17 a évalué des mesures individuelles de réduction des émissions par rapport à leur capacité à :
-
améliorer la qualité de l’air (effet sur les concentrations) ;
-
contribuer au respect des valeurs limites de concentrations dans l’air ambiant des directives qualité de l’air 2008/50/CE et 2004/107/CE (CE 2008 et 2004) ;
-
contribuer au respect des objectifs de réduction des émissions nationales de la Directive NEC (CE 2001).
3.3.2. Méthode
Une analyse multicritères a été réalisée pour évaluer les mesures de réduction des émissions dans un cadre socio-économique (CITEPA et al., 2016a, b et c). En plus des critères habituels (coûts des mesures, effet sur la qualité de l’air et la santé), l’évaluation tient compte d’autres aspects pertinents pour la faisabilité des réductions d’émissions : l’acceptabilité sociétale des mesures et l’éventuel besoin de leviers juridiques (cf. figure 5).
Une cinquantaine de mesures ont été évaluées. Elles se rapportent à différents secteurs de l’économie : industrie et production d’énergie, transports, agriculture, résidentiel et tertiaire.
Le potentiel de réduction des émissions de chaque mesure analysée ainsi que ses coûts ont été fournis par des sources et experts de différents secteurs économiques. Ensuite, la chaîne de modélisation INERIS a été appliquée pour calculer les impacts sur la qualité de l’air, sur les dépassements de valeurs limites locales, sur la santé et en termes de performance coûts/bénéfices. La version récente du modèle ARP-FR utilisée tient compte des effets sanitaires du NO2 en plus de ceux des PM2.5 et de l’ozone.
Figure 5. Caractérisation multicritères des mesures de réduction des émissions (source : CITEPA et al., 2016a).
Multi criteria assessment of emission reduction measures.
3.3.3. Résultats
À titre d’exemple, les résultats de l’évaluation pour 2 mesures innovantes pour le secteur agricole sont présentés (figure 6), pour quelques-uns des critères d’évaluation (coût/bénéfice). Dans les deux graphiques, les valeurs économiques sont exprimées en millions d’euros de 2013 et concernent l’année 2020.
Figure 6. Exemples d’évaluations coûts/bénéfices de mesures dans le cadre du PREPA (source : CITEPA et al., 2016b) ; barres rouges = coûts de la mesure, barres vertes = bénéfices sanitaires, barres bleues = bénéfices nets (= bénéfice sanitaire moins coûts).
Examples of cost/benefit evaluations of measures in the framework of the PREPA; red bars= costs of measure, green bars= health benefits, blue bars= net benefits (= health benefits minus costs).
L’étude a permis de comparer, pour chaque secteur ainsi qu’entre secteurs, différentes mesures de réduction des émissions par rapport aux différents critères d’évaluation et aussi leur performance globale appréciée par une grille d’analyse multicritères développée pour cette étude. Des scénarios regroupant différentes combinaisons des mesures analysées ont également été évalués par rapport à leur capacité à réduire les émissions au niveau des plafonds d’émissions et à améliorer la qualité de l’air (y compris le respect des normes).
4. Conclusions et perspectives
La chaîne de modèles mise en œuvre à l’INERIS permet d’évaluer des politiques de lutte contre la pollution atmosphérique en termes de coût des actions, de leurs effets sur la qualité de l’air, y compris sur le dépassement de valeurs limites, et de leurs effets sanitaires associés. Elle permet de quantifier et monétiser les effets sanitaires, aussi bien des mesures individuelles de réduction des émissions atmosphériques que des jeux de mesures complexes, comme des scénarios de mise en œuvre de politiques publiques. Des analyses coûts/bénéfices de scénarios servent aussi à établir jusqu’à quel niveau d’ambition les bénéfices d’une politique future en dépassent les coûts.
De plus, comme illustré avec le projet Salut’AIR, la chaîne de modèles est en mesure de tenir compte de l’impact du changement climatique sur la qualité de l’air, et de quantifier les cobénéfices de politiques de lutte contre le changement climatique en termes de coûts évités de lutte contre la pollution atmosphérique et en termes de bénéfices sanitaires.
Les exemples d’études présentés dans cet article ont mis en évidence les bénéfices pour la France de politiques nationales et internationales de lutte contre la pollution atmosphérique et le changement climatique. Elles montrent que, pour beaucoup de politiques actuellement envisagées, les seuls bénéfices sanitaires dépassent les coûts. Ceci implique que, d’un point de vue de la société, ne pas agir contre la pollution est plus coûteux que de mettre en place des politiques plus ambitieuses.
Les versions françaises des modèles GAINS et ARP permettent à l’utilisateur d’adapter la totalité des hypothèses et paramètres de calcul. Elles sont construites de façon flexible, permettant de les adapter à des situations spécifiques et de mener des analyses de sensibilité sur tout paramètre. Concernant ARP-FR, des échanges d’informations entre l’INERIS et Santé Publique France sont d’ailleurs prévus afin d’échanger sur les hypothèses utilisées dans les différentes évaluations d’impacts sanitaires. Par ailleurs, ARP-FR pourra être élargi à des effets sanitaires non encore évalués, comme, par exemple, les effets de la pollution de l’air sur le développement des cancers, d’autres effets actuellement suspectés et plus généralement des causes spécifiques de mortalité, comme, par exemple, celles qui ont été étudiées dans le projet européen APHEKOM (Pascal et al., 2011). Ce projet a étudié les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique, entre autres, dans des villes françaises.
Il conviendrait aussi de mettre l’outil ARP-FR en perspective avec les autres outils les plus connus, utilisés notamment en Europe et aux États-Unis. Une comparaison de leurs données d’entrée, hypothèses, calculs et résultats, comme l’a proposé Anenberg et al. (2016), permettrait de mieux apprécier l’incertitude nécessairement inhérente dans cette modélisation qui se base sur une chaîne de plusieurs modèles.
L’analyse des impacts sanitaires, se situant en fin de chaîne, risque de cumuler les incertitudes de toutes les étapes de modélisation ; toutefois, mener des analyses d’incertitudes couvrant la chaîne entière de modélisation n’est pas évident. Afin de s’assurer de la cohérence des ordres de grandeurs, à chaque étape de la modélisation, les résultats sont comparés avec des résultats d’autres analyses appliquant des méthodes comparables mais sur la base d’autres scénarios et modèles (e.g. Schucht et al, 2015 ; Schucht & Colette, 2014). Pour les résultats d’évaluation coût-bénéfice avec l’outil ARP, des distributions de probabilité ont été générées sur la base d’analyses Monte-Carlo (cf. Holland et al., 2005b ; Schucht et al., 2015). Ces analyses ont montré que les résultats de nos études étaient robustes vis-à-vis des différentes plages de valeurs concernant les taux d’incidence, les fonctions concentration-réponse et les valeurs économiques. Enfin, nous appliquons une approche conservatrice, assurant que les bénéfices calculés dans nos études sont plutôt sous-estimés et non surestimés. Les raisons sont multiples : utilisation de valeurs monétaires médianes basées sur l’indicateur des années de vie perdues et plus basses que les valeurs moyennes ou celles pour la monétarisation des morts prématurées ; inclusions uniquement des composantes chimiques et effets sanitaires pour lesquels les fonctions concentration-réponse sont acceptées par l’OMS et la commission européenne ; exclusion d’autres catégories de bénéfices de l’amélioration de la qualité de l’air, par exemple pour les cultures, les bâtiments et les écosystèmes. Pour toutes ces raisons, nous sommes confiants en la robustesse de nos calculs de bénéfices sanitaires pour une estimation basse des bénéfices de la réduction des polluants atmosphériques.
À l’avenir, la chaîne de modèles pourrait également servir à calculer des coûts de dommages sanitaires par tonne de polluant émise en France. Des telles valeurs sont produites et utilisées notamment par l’Agence Européenne de l’Environnement ou en Belgique ou aux Pays-Bas (EEA, 2014 ; De Bruyn et al., 2010 a et b). Elles permettent notamment d’estimer les dommages sanitaires attribuables à des installations individuelles, et interviennent dans des décisions sur les technologies à mettre en place dans une installation donnée, en comparant le coût de la technologie à la tonne de polluant non émise, aux coûts des dommages.
Les résultats d’études présentés dans les sections 3.1 et 3.3. sont issus de projets qui ont été menés en collaboration avec d’autres instituts. Nos remerciements vont aux institutions ayant financé ces projets ainsi qu’aux collègues impliqués dans les projets. Nos partenaires au projet Salut’air ont notamment été Sophie Szopa et Robert Vautard (LSCE/IPSL/CNRS), Laurent Menut (LMD/IPSL/CNRS), Mike Holland (EMRC) et Shilpa Rao, Wolfgang Schöpp, Peter Kolp et Zbigniew Klimont (IIASA). Ce projet a reçu des financements de la part de l’ADEME et du ministère de l’Écologie, dans le cadre du programme PRIMEQUAL. Les travaux ont bénéficié de l’allocation de calcul scientifique GENCI du projet 6877 sur les supercalculateurs du TGCC. Le projet PREPA a été mené sous la responsabilité de Nadine Allemand (CITEPA), avec l’appui de Laurence Rouil et Jean-Marc Brignon (INERIS). Les auteurs comprennent également Jean-Marc André, Romain Bort, Sandra Dulhoste, Anaïs Durand, Céline Gueguen, Édith Martin, Étienne Mathias et Laetitia Nicco (CITEPA), Simon Mariani (Énergies Demain), David Fayolle et Guillaume Le Clercq (AJBD), ainsi que des collègues à l’INERIS : Antoine Chaux, Florian Couvidat, Jérôme Drevet, Sophie Hubin, Myriam Merad, Charline Pennequin et Elsa Real. Ce projet a été financé par le Marché MEDDE 1100025000 relatif à l’appui pour l’élaboration du futur programme de réduction des émissions de polluants atmosphériques.