La multifonctionnalité d’un « jardin partagé » au cœur du 10e arrondissement de Paris

DOI : 10.4267/pollution-atmospherique.6549

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Cette aventure associative urbaine a pris naissance à propos de la question posée par la valorisation des biodéchets dans une résidence parisienne. De fil en aiguille, cette gestion environnementale collective a suscité la création d’une association impliquée dans une action d’agriculture urbaine, dont la récolte de légumes (photos 1 et 2) n’est pas le seul bénéfice.

Photo n° 1 une partie de la récolte 2017 (photo : N. Truffy).

Photo n° 1 une partie de la récolte 2017 (photo : N. Truffy).

Photo 2. Les fraisiers dans leur bac (photo : N. Truffy).

La genèse du projet

Un jardin partagé de près de 600 m² a vu progressivement le jour ces dernières années au sein d’une résidence composée de plus de 150 logements sociaux ou à destination de certains salariés (salariés SNCF ou d’autres entreprises par le biais du 1 % logement/Action logement) et appartenant à un bailleur unique. Comment l’idée de ce jardin partagé est née dans cette résidence du 10e arrondissement où beaucoup de locataires ne se connaissaient pas ou très peu, avec un turn over régulier et une diversité sociale et culturelle forte ?

L’idée de ce jardin partagé a commencé tout simplement par le souhait de quelques locataires de pouvoir faire du compost au sein de la résidence avec les déchets biodégradables du quotidien.

Après, d’une part, l’accord du bailleur pour installer un composteur et, d’autre part, l’aide de la Mairie de Paris pour fournir tant le matériel (composteur et bio-sceaux) que les conseils d’un maître composteur, la possibilité de composter a été mise en place au sein de la résidence. La « publicité » de ce nouveau compostage a été faite par les locataires (affiches dans les parties communes de la résidence, discussions entre les locataires, etc.). Et, très vite, la question s’est posée de savoir ce qui pourrait être fait du compost.

S’agissant d’une résidence avec plusieurs bâtiments et deux petites cours intérieures ornées de quelques parcelles de pelouse, l’idée de créer un jardin partagé pour utiliser ce compost est née, comme pour tous les projets, grâce à la volonté forte de quelques personnes de souhaiter faire bouger les lignes, de voir plus loin et de penser la ville et la vie ensemble différemment.

Les locataires intéressés (moins d’une dizaine au départ) ont créé une association (« 37 et Pluches ») et convaincu le bailleur de mettre à leur disposition une parcelle et de les suivre financièrement afin qu’ils puissent lancer le projet. Le bailleur a certes participé à la mise en place de ce projet par la mise à disposition d’une première parcelle et par la dotation d’une subvention, mais il a fallu que les locataires s’investissent beaucoup et fassent preuve d’ingéniosité pour que le projet prenne réellement corps et puisse vivre, dans la mesure où la subvention ne couvrait que très partiellement les premières dépenses indispensables (outils, terres, tuyau d’arrosage, graines, etc.).

La mauvaise qualité du sol urbain constitue une première difficulté qu’il a fallu surmonter en réalisant une partie du jardin dans des bacs hors sol. Il a donc fallu faire livrer la terre, ce qui représente un coût important.

Photos 3 et 4. Les bacs installés dans le fond de la cour près du composteur, en été et en hiver (photo : N. Truffy).

Les locataires se sont donc lancés dans le « système D » :

  • récupération de planches ou de palettes pour la construction de bacs pour les plantations, d’un coffre de rangement pour les outils, de deux serres, construites uniquement avec des matériaux de récupération (photo 5) ;

  • confection d’une peinture « maison » pour peindre les différentes constructions réalisées ;

  • récupération de graines, etc.

Photo 5. Une serre construite par les habitants (photo : N. Truffy).

Le projet a pris vie petit à petit grâce à l’investissement important de certains locataires et à leur amour de la nature et du jardinage. En particulier, il convient de mentionner le rôle moteur joué par un fils d’agriculteur, qui s’est découvert une passion pour le jardinage et est devenu un véritable expert. Il a constitué une ressource d’autant plus forte pour l’association qu’ayant professionnellement des horaires variables, il a pu s’investir dans le jardinage.

La résidence a commencé à prendre un autre visage, et la surface accordée au jardin s’est agrandie : des bacs avec des légumes ont orné la première parcelle, et une petite serre a été installée. Conscient, d’une part, des bienfaits de ce jardin pour l’ensemble de la résidence et, d’autre part, de l’investissement de certains locataires, le bailleur a, petit à petit, cédé les différentes parcelles de la résidence à l’association, qui dispose aujourd’hui de l’ensemble des parcelles, soit environ 600 m². En particulier, une bande de terrain plus ou moins délaissée le long des voies ferrées, bordant la façade ouest de la résidence, est venue agrandir le jardin (photo 6).

Photo 6. Une nouvelle parcelle ouverte au jardinage le long de la façade ouest de la résidence (photo : N. Truffy).

Le bailleur a également accepté de doter l’association d’une subvention fixe de 800 € à partir de janvier 2018, soit près de 4 ans après le lancement du projet.

Les locataires ont commencé à se connaître et à organiser des rencontres autour de ces parcelles et spécialement autour de celle qui a redonné un nouveau visage à la cour centrale (photos 3 et 4).

Comment un jardin partagé peut-il changer le visage d’une résidence ?

Il faut bien le reconnaître, l’aspect et l’ambiance de cette résidence, plus de 4 ans après, ne sont plus les mêmes… Les délaissés ont été remplacés par des légumes en tout genre (tomates de toutes sortes, radis, carottes, concombres, courges, pommes de terre, betteraves, poireaux, haricots, etc.), des fruits (framboises, fraises, groseilles, et même une poire l’année dernière, etc.) et des fleurs.

La vie au sein de cette résidence a changé. Le jardin a naturellement créé du lien social entre les différents locataires puisque des rencontres ont été organisées régulièrement pour présenter le projet et inciter les adhésions à l’association, mais aussi pour partager et déguster les légumes et les fruits récoltés. Les résidents ont ainsi appris à se connaître, ils prennent désormais le temps de se parler et d’échanger.

Un week-end par mois, l’association a mis en place des ateliers jardinage destinés à tous les locataires, au cours desquels les plus expérimentés donnent des conseils à ceux qui le sont moins sur les rudiments du jardinage et de l’économie circulaire. En effet, certaines semences sont effectuées à partir des graines récoltées l’année précédente, et le terreau issu du compost est utilisé pour fertiliser la terre des bacs. Des virées au centre équestre de l’arrondissement voisin sont également organisées une à deux fois par an pour récupérer le fumier. Des solidarités se sont nouées, en particulier pour assurer l’arrosage tout au long de l’été.

Ce jardin a également permis de donner une place forte à la nature au cœur même de la ville, les enfants et les grands pouvant désormais s’émerveiller devant ce potager qui s’enrichit chaque année de nouvelles variétés de légumes et de fruits. Des visites ont même été organisées pour les jeunes élèves de l’école maternelle du quartier.

Même si les apports d’un jardin partagé au sein d’une résidence sont indéniables, il n’en demeure pas moins que sa création et son entretien peuvent se heurter à certaines difficultés.

Les difficultés rencontrées dans la création, le développement et l’entretien du jardin partagé

Les difficultés rencontrées sont d’ordres différents :

- difficultés financières : la création, le développement et l’entretien ont un coût (terre, outils, plantes, eau, abris de jardins, etc.) qui n’est pas négligeable. Si l’association a réussi à obtenir quelques dotations, elles n’ont pas été suffisantes pour faire face aux diverses charges. En conséquence, le prix de l’adhésion annuelle à l’association est passé de 10 à 20 € par personne (ou plus précisément par adulte) et ne peut pas être compensé par le partage des récoltes, puisque le bénéfice, qui n’est pas l’objectif premier de l’association, n’est pas à l’échelle du montant de l’adhésion destinée avant tout à couvrir les frais. Il convient de rappeler, en effet, que le jardin est dans une résidence composée, pour partie, de logements sociaux et donc de familles qui ne peuvent pas effectuer un investissement collectif trop élevé.

En outre, les locataires ont été obligés d’assurer beaucoup de travail par eux-mêmes entraînant parfois un certain découragement, car les tâches à effectuer sont lourdes et ne répondent pas toujours à un imaginaire très bucolique ;

- des possibilités d’investissement différentes : tous les locataires, et plus particulièrement tous les adhérents de l’association, ne peuvent pas s’investir de la même manière dans le jardin, que ce soit pour des raisons de temps, de compétences en matière de jardinage ou de bricolage, ou simplement de priorités. La récupération des matériaux et de la terre arable prend du temps. Il faut accepter que tout le monde ne puisse ou ne souhaite pas s’investir de la même manière.

L’idée générale de l’association est que chacun doit pouvoir participer à l’entretien et au développement du jardin comme il le peut ou comme il le souhaite, en ayant toutefois conscience que le jardin ne peut durer que s’il y a un investissement relativement important de certains locataires. Cette idée peut être parfois difficile à accepter ;

- des visions parfois différentes : ce jardin partagé a été créé pour changer le visage de la résidence et pour créer du lien entre les locataires autour de la nature. L’objectif n’était donc pas de distribuer une petite parcelle à chaque locataire pour qu’il en fasse ce qu’il souhaite mais bien de créer un jardin partagé conçu ensemble et où chacun peut apporter sa petite pierre. De même, l’idée première est de partager ensemble les récoltes ;

- des difficultés techniques : la mauvaise qualité des sols nécessite des apports de terres arables importants, l’arrosage est encore compliqué sur la parcelle ouest qui bénéficie d’une citerne qui est souvent insuffisante ; l’installation d’un robinet serait nécessaire mais pas encore acceptée par le bailleur.

La dernière parcelle utilisée présente un accès direct sur le boulevard voisin, le jardin n’est donc pas à l’abri d’incivilités voire de vandalisme, même s’il a été clos par le bailleur.

Ces difficultés réelles n’enlèvent toutefois rien à la beauté de ce jardin qui a donné au mois d’août dernier une magnifique récolte partagée et dégustée autour d’un verre au milieu de plants de tomates, de courges de diverses couleurs, de rires d’enfants et de discussions entre locataires qui, il y a encore quelque temps, ne se croisaient quasiment jamais ou n’échangeaient qu’un rapide bonjour.

Illustrations

References

Electronic reference

Anne-Sophie Roussel-Truffy, « La multifonctionnalité d’un « jardin partagé » au cœur du 10e arrondissement de Paris », Pollution atmosphérique [Online], 237-238 | 2018, Online since 10 octobre 2018, connection on 11 décembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/6549

Author

Anne-Sophie Roussel-Truffy

Habitante du 10e arrondissement