L’expression écologie urbaine a, semble-t-il, été inventée entre le début du XXe siècle et 1940 à l’université de Chicago. Polysémique, elle désigne un vaste domaine de recherche, structuré autour de problématiques extrêmement variées. Celles-ci relèvent d’une vision bio-géo-physique de la ville, basée sur l’analyse de l’organisation des composantes de l’écosystème urbain et de leurs interactions, mais également d’une vision sociotechnique qui considère avant tout la ville comme un milieu artificiel dans lequel les humains procèdent à des activités sociales, culturelles et économiques supposées différentes de celles pratiquées en dehors des cités.
Grimm et al. (2000), puis Pickett et al. (2001) ont proposé de distinguer deux écologies urbaines : une écologie « dans » la ville et une écologie « de » la ville. La première fait appel pour l’essentiel aux concepts et méthodes de l’écologie générale et des sciences associées (sciences du sol, de l’eau, etc.) et considère un réseau d’interactions entre organismes vivants, et entre organismes vivants et composantes abiotiques de leur environnement. L’humain n’y est en général pris en compte qu’à travers le forçage d’un certain nombre de variables biologiques ou physiques qu’il génère. Cette écologie cherche à caractériser l’écosystème urbain par des structures et des dynamiques propres, comme elle le ferait pour une forêt ou pour un lac.
L’écologie de la ville cherche à prendre en compte explicitement les structures et les dynamiques humaines au même titre que les structures et les dynamiques des autres composantes du milieu urbain au travers d’une approche plus holistique. Elle dépasse la simple analyse des impacts de l’humain sur la biodiversité et les processus naturels, pour aborder celle des rétroactions de la biodiversité et de la nature sur les humains. Elle fait évidemment appel à la notion d’écosystème, comme l’écologie dans la ville, mais aussi à celle de socio-écosystème, popularisée par Elinor Ostrom (2009). Les fondements théoriques du socio-écosystème sont encore en débat ; pourtant la liaison entre écologie, économie et sciences sociales que le socio-écosystème implique (Burkhard et al., 2010) est de plus en plus souvent déclinée concrètement dans les opérations de restauration écologique, de gestion des services écosystémiques et d’adaptation au changement climatique, sans oublier la question de la renaturation des villes.
1. Écologie dans la ville
1.1. Des conditions particulières
La ville est un milieu de vie remarquable et, à certains égards, extrême. En effet, la présence d’un grand nombre d’humains et la concentration dans l’espace de ses infrastructures confèrent un état tout à fait particulier à certaines conditions physico-chimiques. Les matériaux minéraux, toitures, murs, asphalte, constituent de vastes surfaces imperméables, ce qui engendre une réduction marquée du taux d’infiltration des précipitations dans les sols. La conséquence en est la domination du processus de ruissellement sur tous les autres processus du cycle de l’eau, d’où des risques d’érosion et d’inondation, ainsi que l’exportation d’eau à l’extérieur de la zone urbaine, l’assèchement des sols, la faiblesse de l’évaporation et, secondairement, de la transpiration végétale1.
Ces mêmes matériaux sont souvent de couleur sombre, ce qui a pour effet de réduire sensiblement l’albédo2 moyen des villes comparativement à celui des milieux ruraux environnants. Les surfaces urbaines absorbent donc une grande partie de l’énergie lumineuse incidente, s’échauffent et émettent un rayonnement infra-rouge thermique intense, d’où une température de l’air toujours plus élevée en ville qu’à la campagne. Ce phénomène est désigné sous le nom d’îlot de chaleur urbain : en moyenne, la température de l’air dans l’hypercentre est de 2 à 4 °C plus élevée que dans la zone rurale, en fonction de la densité de population, c’est-à-dire de la densité des infrastructures. En cas de canicule, cette différence entre ville et campagne peut atteindre facilement la dizaine de degrés, ce qui pose à l’évidence un problème de santé publique.
Un point important à noter, notamment dans une perspective d’action, est que l’îlot de chaleur urbain résulte également de la faiblesse de l’évapotranspiration en ville : le passage de l’eau de la phase liquide à la phase vapeur est consommateur de chaleur, ce qui abaisse la température de l’air. Plus l’évapotranspiration est faible, plus l’îlot de chaleur urbain est fort. Or, en ville, l’évapotranspiration est très fréquemment inférieure de 25 à 40 % à celle des zones agricoles et naturelles ; cela est la conséquence d’un ruissellement accru de 10 à 30 % et d’une réduction de l’humidité du sol de 30 à 50 % (Pickett et al., 2001).
Au-delà du cycle de l’eau, c’est l’ensemble des cycles biogéochimiques qui sont profondément perturbés en ville (Kaye et al., 2006). Le cycle du carbone est marqué par une concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère plus élevée que dans la zone rurale, en raison de la combustion de grandes quantités de composés organiques fossiles (pétrole, charbon) ou actuels (bois), jusqu’à une centaine de ppm supplémentaires. Une interruption partielle du recyclage des matières mortes végétales vers le sol due au ramassage des feuilles mortes et le scellement de la surface des sols sont également des traits spécifiques du cycle du carbone en ville. Les suies et les particules fines qui se déposent sur les sols et les végétaux, qui ont une durée de vie élevée, peuvent s’accumuler dans les sols et contribuer significativement à leur enrichissement en carbone.
Les sols urbains peuvent ressembler à des sols naturels ou agricoles ou en différer totalement. Leurs caractéristiques dépendent étroitement de la nature et de la quantité de matériaux apportés (pierres, morceaux de briques, déchets organiques ou minéraux, etc.). Ils sont le plus souvent jeunes et peu évolués. Leur physico-chimie est extrêmement variée : ils peuvent être riches ou pauvres en matière organique, en phosphore et éléments minéraux ; leur densité est élevée en raison de leur fréquentation intense par les humains et, corrélativement, leur perméabilité est faible. Les éléments traces métalliques3 sont en général en forte concentration en raison de la pollution actuelle et historique de l’air, de l’eau et des sols par l’industrie, les transports, le traitement des déchets, etc. (Foti et al., 2017).
De façon inattendue, les sols urbains ne sont pas nécessairement pauvres en carbone organique. Ainsi, une étude menée à Paris au pied des tilleuls argentés (Tilia tomentosa) d’alignement a montré une accumulation au cours du temps, passant d’une teneur de 1,5 % les toutes premières années à 2,5 % sous des arbres de 70 à 80 ans. Il est possible que cela soit le résultat d’une biomasse et d’une activité racinaires accrues qui permettent de mieux assurer la nutrition minérale des arbres en azote, phosphore, etc. (Rankovic, 2016). Quant au cycle de l’azote, son étape atmosphérique présente un enrichissement en oxydes d’azote (NO2, N2O) majoritairement en provenance des pots d’échappement des voitures, ainsi qu’en acide nitrique (HNO3), NH3 et NH4+. Le NO2 est un précurseur de l’ozone, molécule qui peut atteindre des valeurs très fortes dans l’air urbain les jours de température et d’ensoleillement élevés.
1.2. La vie dans la ville
La nature a toujours occupé une place importante en ville, en termes de production alimentaire par le passé et, notamment depuis le XIXe siècle, pour sa dimension esthétique et ses aménités. Ces dernières, renforcées par la notion de service écosystémique, demeurent au cœur des politiques de renaturation de la ville. Mais une dimension nouvelle vient s’ajouter dans le contexte du changement climatique. Celui-ci se traduit en effet par une migration de la niche climatique4 des organismes de 150 à 200 km vers le nord dans l’hémisphère nord par degré Celsius de température moyenne supplémentaire. La mobilité devient donc un enjeu majeur du maintien de la biodiversité, et il importe que les villes, si elles ne peuvent constituer un lieu de résidence pour toutes les espèces, ne soient en tous cas pas un obstacle à leur passage, d’où l’importance du maintien d’espaces libres de constructions et de l’établissement de continuités écologiques urbaines vertes, bleues et brunes.
Dans tous les écosystèmes, les plantes alimentent les réseaux trophiques5 à travers le processus de production primaire6. En ville, les surfaces disponibles pour les végétaux sont limitées mais diversifiées : jardins et potagers, terrains abandonnés depuis plus ou moins longtemps, interstices entre les trottoirs et les murs, entre les pavés, etc. Mais la densité moyenne du couvert végétal est basse, ce qui contraint fortement le peuplement animal qui doit faire face à la rareté généralisée des ressources alimentaires. Bien que la production locale de déchets organiques puisse favoriser certaines espèces, on peut s’attendre à ce que l’abondance de la plupart des espèces soit peu élevée, et ce d’autant plus que les sites de refuge, d’élevage des jeunes et de nidification sont peu nombreux en raison de l’homogénéité des bâtiments et du manque de végétaux ligneux.
Les villes fournissent un habitat à une vaste gamme de plantes. À Birmingham, 902 espèces végétales ont été identifiées dans les parcs, les jardins particuliers et les terrains vagues. Les toits végétalisés de la moitié nord de la France comptent 176 espèces de plantes vasculaires, dont 86 % indigènes, toutes adaptées à la sécheresse et aux températures élevées. Un effet positif de la profondeur du substrat sur la diversité végétale y a été observé (Madre et al., 2014). Dans la ville d’Haïfa en Israël, la flore compte 392 espèces vasculaires, dont 43 espèces invasives, dans les espaces abandonnés. Ce nombre varie avec un certain nombre de caractéristiques, comme la taille des espaces, le degré d’imperméabilisation des sols, la distance aux limites de la ville, etc. Les espèces rares et natives sont moins nombreuses dans les zones les plus urbaines, alors que c’est le contraire pour les espèces exogènes (Malkinson et al., 2018).
Dans les jardins privés de cinq villes de Grande-Bretagne (Edinburgh, Belfast, Leicester, Cardiff, Oxford), 77 espèces de lichens et 67 espèces de mousses ont été recensées (Smith, 2010) ainsi que 1 056 espèces de plantes vasculaires dont seulement 29 % indigènes, soit en moyenne 58 espèces par jardin, avec une richesse spécifique plus élevée que dans de nombreux autres habitats non urbains, en raison de la présence massive d’espèces non indigènes (Loram et al., 2009).
À partir d’une analyse de la littérature disponible, Faeth et al. (2011) ont établi que les caractéristiques de la biodiversité animale sont largement dépendantes de celles de la végétation urbaine, elle-même sous contrôle humain direct. En général, la richesse spécifique végétale est souvent plus élevée en ville qu’ailleurs, en raison notamment de la présence d’espèces exotiques, alors que celle des espèces animales est plus faible. Chez ces dernières toutefois, on peut observer des abondances très élevées dans certains groupes d’oiseaux (moineaux, étourneaux, espèces granivores) et d’arthropodes. Ainsi, les murs végétalisés de Paris et de la région parisienne accueillent 31 espèces d’araignées et 31 espèces de scarabées (Madre et al., 2015). 59 espèces d’araignées sont présentes sur les toits verts de Londres, soit 9 % de la faune britannique ! Quant aux toits de Bâle, ils offrent un habitat pour 25 espèces d’oiseaux, dont deux sur liste rouge de l’UICN7, et 172 espèces de scarabées (Gedge & Kadas, 2005).
Une analyse des données publiées pour 75 villes du monde a montré que la surface des terrains fréquentés par la flore et la faune et la densité des corridors verts sont les principaux facteurs influençant positivement la biodiversité (richesse et diversité spécifiques). Ses auteurs concluent qu’une politique de maintien ou d’accroissement de la biodiversité en ville passe nécessairement par l’extension de la surface moyenne des espaces verts et la création de corridors (Beninde et al., 2015). La question de la facilitation de l’expansion des espèces invasives demeure ouverte, mais, pour l’instant, il n’a pas été démontré que les talus des voies de chemin de fer, qui jouent le rôle de corridors fonctionnels, favorisent particulièrement ces espèces invasives. Bien entendu, d’autres facteurs jouent sur les biodiversités animales et végétales, comme la présence de toits verts qui fournissent des habitats pour des espèces généralistes et quelques espèces rares.
Les habitats urbains étant très dispersés, on peut s’interroger sur les modalités de leur colonisation et sur les risques d’isolement génétique des espèces qui les fréquentent. À Birmingham, la structure génétique des papillons et des carabiques ne témoigne pas d’isolement ni de difficulté particulière de dispersion au sein de la ville : les plantes comme les invertébrés semblent moins dépendants de corridors pour leur dispersion que de chaînes d’habitats voisins, qui font que la ville leur est en quelque sorte perméable (Angold et al., 2006).
Une analyse de l’ADN du lombric (Lumbricus castaneus) échantillonné dans onze parcs et squares des 19e et 20e arrondissements de Paris a montré que la diversité génétique totale de ce ver de terre est relativement élevée, avec dix groupes génétiquement différents identifiés. Au sein de chaque parc, plusieurs groupes sont présents, jusqu’à 6 à Belleville, ce qui suggère que les vers ont des difficultés à migrer, même sur de courtes distances. La structuration génétique des vers de terre des parcs parisiens semble ainsi moins influencée par des processus de colonisation de proche en proche que par des évènements de transport passif, par les oiseaux ou les humains, par exemple (Dupont, comm. pers.).
En raison de leurs caractéristiques biologiques, physiques et chimiques, les villes constituent évidemment des milieux particuliers de sélection naturelle et d’évolution des espèces. Il a été observé un phénomène de sélection sur certaines caractéristiques des plantes et sur leur phénologie. Par exemple, la Crépide de Nîmes (Crepis sancta) de la région de Montpellier, cultivée en conditions contrôlées, présente une taille, une capacité photosynthétique, une efficience d’usage de l’eau, une teneur en azote plus fortes quand elle provient de la zone urbaine que lorsqu’elle provient de la zone rurale. De plus, elle fleurit et entre en sénescence plus tard en ville qu’à la campagne (Lambrecht et al., 2016). Dans la même zone, une étude poussée de la génétique des mésanges (Parus major) a été conduite le long d’un gradient d’urbanisation. Elle suggère une perte de diversité génétique qui résulterait soit des faibles effectifs des populations étudiées, soit de leur relatif isolement géographique. L’échange de gènes entre populations serait ainsi légèrement plus faible en zones urbaines qu’en zones plus naturelles, ce qui pourrait être favorable à un processus d’adaptation des mésanges aux conditions urbaines (Perrier et al., 2017).
Comme dans les autres écosystèmes du monde, la biodiversité microbienne des sols reste une grande inconnue. Une étude très récente menée sur des sols sous pelouses et forêts d’Île-de-France, de l’hypercentre parisien aux zones rurales périphériques, révèle que la biomasse et la diversité microbiennes répondent significativement au gradient de pression urbaine et, dans une moindre mesure, au type de couverture des sols. La biomasse d’archées8 est ainsi beaucoup plus élevée (de l’ordre de 107 organismes par gramme de carbone organique) sous herbacées que sous forêts, et décroît de la périphérie vers le centre. La différence entre sols sous pelouses et sous forêts est nettement moins marquée pour les biomasses de bactéries et de champignons et tend elle aussi à décroître de la périphérie vers le centre (Foti, 2017).
Une étude menée dans les parcs de 16 villes chinoises avait également souligné la grande diversité du peuplement microbien mais avait montré, contrairement à l’étude précédente, que la structure de la communauté microbienne était moins sensible à l’urbanisation qu’à des facteurs environnementaux classiques, au premier rang desquels le pH (Xu et al., 2014). De la même façon, à Manhattan, la diversité et la composition de la communauté microbienne semblent moins sensibles à la fragmentation des sols et aux stress urbains que les autres organismes vivants, ce qui suggère une grande résilience du monde microbien aux conditions physico-chimiques qui règnent en ville (Reese et al., 2016).
2. Écologie de la ville
À l’échelon planétaire, l’impact du milieu urbain sur la biodiversité est fonction de l’extension spatiale des villes et de leur perméabilité aux organismes. Un peu avant 2010, les villes couvraient au moins 0,5 % de la surface des continents (Schneider et al., 2009), ce qui peut sembler peu mais qui est en réalité beaucoup puisque les villes sont évidemment situées dans les zones biologiquement les plus productives de la planète. En 2030, cette valeur devrait atteindre 1,5 % (Seto et al., 2012). Outre la perte de surfaces plus ou moins sauvages que cela entraînera, les conséquences de cette expansion découleront aussi de la proximité de zones de haute biodiversité. Par exemple, en Europe de l’Ouest, 75 % des villes sont situées à moins de 50 km d’une aire protégée, et 35 % à moins de 10 km ; en Amérique du Nord, les valeurs sont respectivement de 90 % et 17 % (Mc Donald et al., 2012).
L’impact de la ville sur la biodiversité et sur la biosphère en général dépasse largement la simple question de l’espace consommé. En effet, la ville et ses habitants constituent un système hétérotrophe au sens où il est totalement dépendant de la productivité biologique et des ressources de toutes natures de l’arrière-pays : la ville importe de l’énergie, de l’eau, des aliments, des matériaux et des objets manufacturés, tandis qu’elle exporte des déchets, des polluants et d’autres substances. Cette particularité a été bien quantifiée au travers des études de métabolisme urbain. À Paris intra-muros, en 2003, ont été importées 3 tonnes d’oxygène9 par habitant et par an, et 8,8 tonnes de matière, et sont sortis 1,5 tonne d’eau de combustion par habitant et par an, 1,9 tonne de déchets, 3,1 tonnes de produits émis vers l’atmosphère et 3,9 tonnes d’exportations vers d’autres territoires (Barles, 2007). La question qui se pose est évidemment celle de l’efficience écologique de la ville. Autrement dit, un urbain a-t-il une empreinte écologique moindre qu’un rural ? Cela est bien le cas pour Paris intra-muros puisque la moyenne des importations de matière en France s’élevait à la même époque à 17,6 tonnes par personne et par an.
Du fait de la concentration de la plus grande partie de la population humaine sur des surfaces restreintes, les politiques urbaines deviennent des leviers majeurs de lutte contre les dérèglements planétaires en cours et, surtout, contre leurs conséquences sur le bien-être et la santé des urbains. En effet, les villes vont exacerber le changement climatique aussi bien en termes de température que d’hydrologie. Dans une perspective de réchauffement global de 3 à 4 °C, le milieu urbain sera soumis à des périodes de canicules plus nombreuses et plus intenses en raison du phénomène d’îlot de chaleur. C’est ainsi que l’on prévoit dans le centre d’Anvers 28 jours de canicule par an en moyenne contre une quinzaine « seulement » dans la périphérie dans le cas d’un scénario, pessimiste, de réchauffement planétaire situé entre 5 et 6 °C. Or on sait depuis longtemps que ces pics de chaleur sont responsables d’une surmortalité accrue en fonction de leur intensité et de leur durée. Au Japon, entre 1968 et 1994, alors que la population est concentrée sur 3 % du territoire, les pics de chaleur ont causé la mort de 2 326 personnes, le taux le plus élevé – soit 0,67 ‰– ayant été enregistré en 1994 quand la température a dépassé 39 °C. Les catégories les plus touchées étaient les moins de 4 ans et les plus de 70 ans qui ont ainsi contribué à 50 % de la mortalité liée à ces températures extrêmes (Nakai, 1999). En France, l’excès de décès lié aux trois semaines de canicule de 2003 est estimé à 15 000, soit une surmortalité de 55 % environ. À Paris intra-muros, la surmortalité a atteint près de 190 % entre le 1er et le 20 août (Cadot, Spira, 2006)…
Des solutions existent pour atténuer fortement ces pics de chaleur et, d’une manière générale, l’îlot de chaleur urbain. Ce dernier est positivement lié à la densité de l’habitat et, réciproquement, négativement lié à la densité de la végétation présente en ville. Cette dernière engendre une réduction de la température de l’air à travers son impact sur l’albédo, la luminosité au sol (phénomène d’ombrage) et l’évapotranspiration. Les études sont unanimes : dans les parcs, la température de l’air est inférieure en moyenne de 2 °C à celle du reste de la ville (Bowler, 2010), valeur qui peut atteindre 8 °C dans certains cas (Taha, 1997), ce qui contribue évidemment à refroidir les rues adjacentes jusqu’à quelques centaines de mètres de distance selon la taille du parc ; de même pour les arbres des rues. À Bangalore, la température dans les rues plantées est inférieure de plus de 5 °C à celle des rues non plantées (Vailshery et al., 2013), et dans beaucoup de villes européennes, la différence est en moyenne de 1 °C. À Chicago, une modélisation numérique a suggéré qu’une augmentation de 10 % de la couverture des arbres impacterait significativement la température de l’air, au point de permettre 5 à 10 % d’économie sur les dépenses de climatisation et de chauffage (Mc Pherson et al., 1997).
Bien entendu, la géométrie des rues et des bâtiments, ainsi que le volume des arbres, c’est-à-dire le régime de taille qui leur est appliqué, influencent l’intensité de leur impact thermique sur l’air. Un autre point important concerne la composante transpiration du refroidissement. Or beaucoup d’arbres en ville semblent présenter des difficultés d’approvisionnement en eau. C’est le cas à Paris, où les arbres des rues montrent des taux de croissance plus faibles que dans les parcs en raison de stress hydriques marqués, notamment en 1976 et 2006 (David et al., 2017). Les toits végétalisés, principalement à travers le processus d’évapotranspiration, contribuent également au refroidissement de l’air et réduisent le flux de chaleur qui pénètre dans les bâtiments, couramment de 10 à 80 %, plus dans certains cas. Bien sûr, cela dépend du type de couverture végétale, les réductions les plus faibles étant observées pour les toits extensifs à Sedum et les plus fortes pour les toits intensifs, à substrat épais. L’impact sur la température de l’air est de 1 à 2 °C, mais une simulation réalisée pour Manchester montre que si tous les toits du centre-ville étaient végétalisés, c’est une réduction de 7,6 °C que l’on obtiendrait en cas de canicule (Gill et al., 2007), ce qui n’est pas négligeable sur le plan sanitaire.
Les toits végétalisés présentent également un grand intérêt en cas d’épisode pluvieux intense. En effet, ils réduisent, selon qu’ils sont extensifs ou intensifs, respectivement de 65 à 85 % le ruissellement issu des bâtiments (Mentens et al., 2006). De nombreuses études ont confirmé ces valeurs, ce qui démontre que les toits végétalisés seront de plus en plus précieux à l’avenir en raison de l’intensité croissante des événements pluvieux extrêmes prédits par les modèles de changement climatique. Ces évènements posent en effet des problèmes de protection des systèmes de drainage et d’assainissement des villes, ainsi que de sécurité des biens et des personnes. L’efficacité des toits dépend bien évidemment de la nature et de la hauteur des substrats utilisés mais aussi, et l’on sait encore très peu de choses sur le sujet, de l’identité des espèces présentes. Une étude récente menée à Paris a ainsi démonté que, selon les plantes utilisées, on peut multiplier facilement par deux la rétention d’eau sur les toits. Cette biodiversité engendre aussi une modification de la qualité chimique de l’eau en y ajoutant, entre autres, du nitrate et du carbone organique dissout. Mais là encore, l’identité des plantes permet de considérablement réduire les quantités impliquées, à nouveau d’un facteur deux (Dusza et al., 2017).
La nature en ville a sans doute d’autres conséquences sur la santé publique. La réduction de la pollution de l’air est souvent invoquée. Malheureusement, il y a encore peu de travaux sur le sujet, et tous suggèrent un effet modeste. Une étude menée sur 13 villes aux États-Unis fait état d’une réduction de 0,62 % de la concentration des particules de taille inférieure ou égale à 10 microns, de 0,61 % pour le dioxyde de soufre, de 0,40 % pour le dioxyde d’azote (Nowak et al., 2006). À Santiago du Chili, l’amélioration de la qualité de l’air ne dépasse pas 2 % et est attribuable pour plus de la moitié à l’interception des particules de taille inférieure ou égale à 10 microns. En d’autres termes, la question des effets directs de la biodiversité urbaine sur la santé demeure ouverte. En revanche, il semble bien exister un lien entre le niveau de biodiversité dans la ville et le sentiment de bien-être des habitants. Cela a été bien quantifié dans quatre villes italiennes (Carrus et al., 2015) et à Melbourne et Sydney en Australie (Taylor et al., 2018). Mais bien entendu, le sentiment de bien-être s’explique aussi par des facteurs économiques, culturels et autres qui eux-mêmes conditionnent le degré de fréquentation des espaces verts, la distance du logement au parc, etc. Un grand nombre d’études sur le sujet sont donc nécessaires si l’on veut y voir plus clair sur cette importante question des apports de la biodiversité à la santé et au bien-être.
3. Conclusion
La nature en ville est souvent vue comme une question d’esthétique et d’agrément ; elle l’est, certes, mais elle est aujourd’hui au cœur de problématiques environnementales urgentes, qui exigent des politiques ambitieuses immédiates. Force est de constater qu’on est encore loin du compte dans les villes de France, malgré des initiatives exemplaires ici et là. Cela est sans doute à mettre sur le compte d’une perception insuffisante des enjeux. Il est temps de se persuader que planter des arbres dans les rues, végétaliser les toits et ménager des habitats pour la faune, c’est désormais mener une politique efficace de santé et de sécurité publiques.