I. — Introduction
Le Givétien de la Villedé-d'Ardin (Ardin, Deux-Sèvres, ouest de la France) affleure sur la bordure sud du massif hercynien vendéen, prolongement du Massif armoricain au sud de la Loire (Fig. 1 & 2A). Son extension cartographique est modeste (moins de 10 km²) et une partie de l'affleurement est masquée par la couverture jurassique de la bordure septentrionale du Bassin aquitain (Fig. 2B). Le Givétien est accolé par faille au bassin namuro-stéphanien de Faymoreau, extrémité sud-orientale du Sillon houiller vendéen, accident d'importance crustale. Les séries du Dévonien et du Carbonifère, non métamorphiques, sont encadrées cartographiquement par des formations sédimentaires épimétamorphiques rapportées au Paléozoïque inférieur et peut-être au Protérozoïque (Fig. 2B, 2C & 3).
1) Cadre géologique
Le Givétien de la Villedé-d'Ardin affleure entre le complexe Les Essarts-Mervent au sud-ouest et le synclinorium de Chantonnay au nord-est, c'est-à-dire au droit de la zone de suture varisque entre le Gondwana, représenté par le domaine sud-armoricain, et la microplaque armoricaine (Fig. 1). Il s'agit d'un secteur complexe constitué de terrains sédimentaires et volcaniques peu métamorphiques qui datent du Protérozoïque supérieur (série des Mauges et peut-être Unité de Roc-Cervelle) et du Cambrien au Dévonien moyen à supérieur (Unités de Chantonnay, Puyhardy et la Villedé-d'Ardin). Ce domaine a été ensuite dilacéré par les accidents décrochants d'importance crustale du Cisaillement sud-armoricain, dont le fonctionnement et les granitisations associées sont carbonifères. La zone étudiée est prise entre plusieurs de ces failles avec, du nord-est au sud-ouest, les accidents de Secondigny, le Sillon houiller vendéen jalonné de dépôts namuro-stéphaniens (bassin de Faymoreau), enfin l'axe Les Essarts-Mervent. Il est par conséquent délicat de savoir à quelle marge appartenait ce secteur lors de l'ouverture océanique de l'Ordovicien moyen - Océan médio- européen au sens de Matte (2001) et Cartier et Faure (2004). Sa position dans l'édifice structural issu de la collision continentale au Dévonien supérieur est également discutée (Ballèvre et al., 2009). L'idée dominante est de considérer que ce complexe intermédiaire serait allochtone au droit de la suture, dont les jalons métamorphiques de haut grade affleurent dans la région nantaise (série de Champtoceaux) et le long de l'axe Les Essarts-Mervent (Fig. 2A).
2) Éléments de datation
Les calcaires de la Villedé-d'Ardin sont attribués au Givétien depuis Mathieu (1936 ; 1937a) qui a identifié le brachiopode Stringocephalus burtini parmi la faune de la Marbrière et de Fontbriand (localité dénommée également le Cimetière-aux-Chiens) (Fig. 3). Auparavant, ils étaient placés selon les auteurs dans le Dévonien ou le Carbonifère. Mathieu avait également récolté - dans les déblais - des coraux dont il confia l'étude à D. Le Maître. Cette dernière a déterminé 10 espèces de polypiers et 12 espèces de stromatopores qui ont confirmé l'attribution au Dévonien moyen (Le Maître, 1937). Cinq spécimens de Stringocephalus burtini, parmi les sept figurés par Mathieu (1937a), provenaient du musée de Poitiers (coll. Sauvaget) ; les deux autres appartenaient à la faculté des sciences de Poitiers (coll. Sauvaget et coll. Welsch). Mathieu décrit en outre un échantillon conservé au musée de la ville de Niort (coll. Ducrocq). Une recherche menée en 2011 avec Denise Brice dans les collections de géologie de l'Université de Poitiers n'a pas permis de retrouver les échantillons du musée de Poitiers, soit qu'ils aient disparu, soit qu'ils n'y aient pas été versés lors de sa fermeture. En revanche, des échantillons et sections polies appartenant au matériel figuré par D. Le Maître ont été découverts dans les collections de l'Université. De nouvelles collectes menées à partir des années 1960 ont montré la richesse du contenu fossilifère (tentaculites, crinoïdes, débris végétaux…). L'âge givétien a été confirmé par la découverte des trilobites Dechenella rittbergensis et D. cf. setosa (Camuzard et al., 1968, 1969 ; Bouton, 1983).
Si l'âge des calcaires est bien établi, il n'en était pas de même des grès et conglomérats qui leur sont associés cartographiquement (Fig. 3). Mathieu (1937b) les attribuait au Houiller car il considérait qu'ils reposaient en discordance sur le Givétien, notamment dans la carrière de Fontbriand (Fig. 3). L'étude cartographique et structurale détaillée du secteur a montré que cette assise détritique se situe en fait à la base de la série fossilifère de la Marbrière (Bouton, 1983, 1990), ce que proposait déjà Fournier (1888). La succession stratigraphique du Givétien de la Villedé-d'Ardin est donc plus développée que ce qu'envisageait Mathieu (Fig. 4A).
3) Relation avec les formations métasédimentaires contiguës et la question de la phase éodévonienne
Le Givétien non métamorphique est environné par des unités épimétamorphiques qui sont attribuées au Cambrien supérieur (Unité de Puyhardy) et au Cambrien-Dévonien moyen à supérieur (Unité de Chantonnay) sur des arguments paléontologiques et géochronologiques (Fig. 2C). L'encaissant cartographique du Givétien et du Houiller est l'Unité de Roc-Cervelle-Marillet, qui a été rapportée au Cambrien par corrélation lithostratigraphique avec la formation de Bourgneuf, située à base de la série de Chantonnay (Bouton, 1990). Le contraste métamorphique et structural entre le Givétien non métamorphique et ces terrains épimétamorphiques intensément déformés a conduit Ters (1976) à considérer que le Givétien scellait un épisode tectono-métamorphique « éohercynien » dans le sud du Massif armoricain. Cependant des faits nouveaux ont rendu cette interprétation discutable et suscité des interrogations quant à la signification géodynamique du Givétien. En effet, la phase de structuration synschisteuse de l'Unité de Chantonnay, située à quelques kilomètres d'Ardin, affecte une série contenant une faune du Dévonien moyen à supérieur (Wyns et al., 1989). Cette déformation intervient dans l'intervalle Dévonien moyen-supérieur – Carbonifère inférieur (Godard et al., 2010) et elle est scellée par la sédimentation namuro-stéphanienne du Sillon houiller vendéen. De fait, il n'a pas été possible jusqu'à présent d'apporter de réponse formelle quant aux relations initiales entre le Givétien et les formations déformées qui l'encadrent. L'allochtonie du Givétien sur son substratum métamorphique a même été envisagée (Bouton, 1990).
4) Objectif de l'article
Le présent article a pour premier objectif de présenter une synthèse des travaux en grande partie inédits réalisés par les auteurs sur la Villedé-d'Ardin (Camuzard, 1972 ; Bouton, 1983, 1990 ; Bouton et Branger, 2007). Il fournit également l'occasion de rediscuter des relations entre le Givétien et les terrains adjacents, ainsi que de sa situation paléogéographique dans la géodynamique varisque.
II. — Contexte cartographique et structural
Le Givétien affleure selon une lanière NW-SE d'un peu plus de 4 km de longueur pour une largeur maximale d'environ 0,45 km (Fig. 3). Il est recoupé par des failles transverses, dont la plus importante, masquée par le plateau jurassique de la Villedé, décale le Givétien en décrochement apparent senestre. Cet accident conduit à distinguer le compartiment de la Marbrière au nord-ouest et le compartiment de Fontbriand (ou du Cimetière aux Chiens) au sud-est. Le Dévonien disparaît au nord-ouest, à Saint-Laurs, en se biseautant contre la faille sud du bassin namuro-stéphanien de Faymoreau. Le compartiment de Fontbriand est moins étendu puisque le Givétien y est rapidement interrompu par une faille NNE-SSW, accident au-delà duquel aucune occurrence dévonienne n'est connue. Dans les deux compartiments, le contact entre le Givétien et l'encaissant épimétamorphique s'effectue par des failles subverticales, souvent repérées à quelques mètres près, qui n'engendrent pas de déformation notable des couches dévoniennes. Quelques sondages destructifs réalisés à Fontbriand n'ont pas recoupé le contact entre ce dernier et son substratum (Ters, 1980).
Dans le compartiment de la Marbrière, les couches sont subverticales ou fortement inclinées vers le NNE, ce qui permet d'estimer l'épaisseur du Givétien à environ 400 m (sauf accident tectonique longitudinal non identifié). Les couches dévoniennes s'accordent ainsi avec les assises carbonifères très redressées par les failles bordières du graben houiller. A Fontbriand, l'agencement structural est plus compliqué, avec plusieurs blocs rigides séparés par des failles NW-SE. Un nouveau panneau givétien, pincé entre les grès et conglomérats du Cimetière aux Chiens et les schistes de Roc-Cervelle, a été découvert en 1992 (Fig. 3). Il s'agit d'un calcaire beige bioclastique riche en entroques, avec intercalations de faciès construits à stromatopores. Les compartiments rigides du Givétien sont basculés en zone autour d'un axe N115°E-30NW, axe identique à celui du plissement souple qui affecte les terrains houillers (Fig. 4B). Ceci amène à considérer que le Givétien et le Namuro-Stéphanien ont été déformés conjointement lors de la structuration majeure du bassin houiller, c'est-à-dire après le dépôt du Stéphanien. Le Givétien, exempt de tout métamorphisme, ne possède donc pas de déformation souple ou fragile qui lui soit spécifique (Bouton, 1990). L'Unité de Roc-Cervelle qui constitue l'encaissant cartographique du Dévonien, présente en revanche une schistosité de flux très marquée, globalement subhorizontale, associée à une linéation d'étirement N30°E et à des plis couchés d'axe de même orientation. Cette déformation est acquise dans les conditions du faciès métamorphique des schistes verts.
III. — Stratigraphie, biostratigraphie
1) Succession stratigraphique
La stratigraphie du Givétien de la Villedé-d'Ardin, établie progressivement par Mathieu (1937b), Camuzard et al. (1968, 1969), Camuzard (1972), puis Bouton (1983, 1990), comprend cinq formations (Fig. 4A).
a) U1 - conglomérats quartzeux silicifiés
Ce premier terme est un conglomérat contenant des galets quartzeux hétérométriques et une matrice quartzarénitique. Le contenu paléontologique se réduit à quelques débris végétaux mal conservés (oxydés) récoltés dans des grès fins laminés intercalés dans les conglomérats du Cimetière aux Chiens. L'attribution de cette formation au Givétien n'est pas formellement démontrée. Cependant, dans le compartiment de la Marbrière, sa position au mur des Grès jaunes à entroques, à faune du Givétien, indique qu'elle constitue le terme le plus ancien de la série (Fig. 3). Ce n'était pourtant pas l'avis de Mathieu (1937b) qui la rapportait au Carbonifère en se basant sur une supposée similitude de faciès avec le poudingue supérieur de la Verrerie (Stéphanien du bassin houiller de Faymoreau). Un examen détaillé montre qu'il n'en est rien : les galets du Stéphanien, très arrondis, contiennent toujours une faible proportion d'ignimbrites, de phtanites et de gneiss alors que ceux de l'infra-Givétien sont assez peu usés et exclusivement quartzeux. Les mauvaises conditions d'affleurement ne permettent pas de déterminer clairement le milieu de dépôt. Les quelques figures sédimentaires observées évoquent toutefois un contexte fluviatile de haute énergie.
b) U2 - grès jaunes à entroques (environ 30 m)
Cette unité d'une trentaine de mètres d'épaisseur est constituée de quartzarénites décalcifiées jaunes, à empreintes d'entroques et parfois de brachiopodes. Au Cimetière aux Chiens, elle contient des intercalations de conglomérats à graviers quartzeux et de grès fins micacés à trilobites, brachiopodes à valves plates, entroques, tétracoralliaires isolés ou en petites colonies. Son âge est établi par le trilobite Dechenella sp. cf. D. setosa. Cette unité s'est déposée dans un milieu marin peu profond, de haute énergie, dominé par les apports siliciclastiques.
c) U3 - calcaires argilo-gréseux sombres en bancs décimétriques (environ 40 m)
Bien exposée dans la carrière de la Marbrière, l'unité débute par une vingtaine de mètres de calcaires marneux sombres, riches en matière organique (« calcschistes »), disposés en bancs pluridécimétriques. Des calcaires argileux noirs à miches leur succèdent. La faune est riche et diversifiée : trilobites, brachiopodes, tétracoralliaires solitaires, tentaculites et pièces d'exosquelettes de poissons que l'on trouve en cortex des miches. L'origine de ces miches n'est pas bien établie (diagenèse ou remaniement). Les débris végétaux (Protolepidodendron) sont abondants dans les couches basales. Les calcaires micritiques sombres montrent des tétracoralliaires en position de vie, en individus isolés (dont Calceola sandalina) ou en formes branchues souvent encroûtées par des stromatopores. Les apports terrigènes restent importants (quartz, mica, argile). L'abondance des végétaux terrestres traduit un milieu confiné proche d'une zone émergée. Il évoque une lagune sapropélique d'arrière récif.
d) U4 - calcaires gréseux sombres massifs (50 m)
Dans la carrière de la Marbrière, ce niveau est très massif et diaclasé. Il est formé de calcaires gréseux généralement dolomitisés et de grès à ciment calcaire, avec des intercalations conglomératiques (floatstone laminé rouge à entroques et débris de calcaire bioclastique à grands stromatopores). Hormis les entroques, la macrofaune est peu abondante (brachiopodes, trilobites, parfois polypiers). La microfaune comprend des ostracodes, des algues et des foraminifères. Le milieu de dépôt est celui d'une plate-forme agitée peu profonde, dont le détritisme est en partie alimenté par la destruction d'édifices récifaux (environnement péri-récifal).
e) U5 - calcaire beige construit (200 m)
Ce faciès très massif correspond au fameux marbre de la Villedé-d'Ardin qui était bien exposé dans les anciennes carrières du Bois Blanc, de la Gaconnière et de Périgny avant que la végétation ne les envahisse. Sa teinte est variable, souvent noire à nuances rouges, parfois beige ou blanc. Les bancs épais et massifs sont riches en coraux rameux, grands brachiopodes (stringocéphales) et entroques. Les principaux organismes constructeurs sont des colonies de polypiers branchus, de stromatopores dendroïdes encroûtés principalement par des stromatopores lamellaires, globuleux et accessoirement des stromatolithes. Ces biostromes sont associés à des niveaux bioclastiques à entroques (Cimetière aux Chiens) et, dans la carrière de Fontbriand, avec des faciès micritiques blancs fenestrés à oncolites et petits gastéropodes qui révèlent des environnements restreints inter à supratidaux. Les conditions d'affleurement ne permettent pas de connaître l'organisation spatiale de ces différents faciès, donc de reconstituer la morphologie récifale.
2) Biostratigraphie
L'attribution au Givétien repose sur la présence de Stringocephalus burtini dans les calcaires de la Marbrière et du Cimetière aux Chiens (Mathieu, 1937a). Cet âge a été confirmé par les trilobites qui furent découverts d'abord à la Marbrière dans l'unité U3 (Camuzard et al., 1968), puis dans les grès jaunes U2 du Cimetière aux Chiens (Bouton, 1983). Les spécimens de la Marbrière furent étudiés par J. Pillet qui identifia les pygidiums de Dechenella rittbergensis Zimmerman, 1892, Dechenella sp., Schizoproteus ? sp. L'empreinte de pygidium de l'unité U2 a été déterminée par P. Morzadec comme Dechenella sp. cf. D. setosa, qui note qu'elle est très proche des formes figurées par J. Pillet dans Camuzard et al. (1968). Cet avis semble rejoindre celui de Chlupáč (1992) qui, après examen des formes étudiées par J. Pillet, émet des doutes quant à la diagnose de J. Pillet concernant l'espèce D. rittbergensis.
L'association de Stringocephalus burtini et de Dechenella sp. caractérise un Givétien plutôt basal, ce qui est confirmé par la présence de Calceola sandalina déjà signalée par Camuzard et al. (1968).
La faune de la Villedé-d'Ardin contient également selon Le Maître (1937) dix espèces de coraux appartenant aux genres Cyathophyllum, Grypophyllum, Thamnophyllum, Favosites et Pachypora, ainsi que 12 espèces de stromatopores. Camuzard et al. (1969) citent en outre les brachiopodes Schizophoria striatula (SCHLOTH), « Atrypa » sp., Stringocephalus ? sp., Spinatrypa ? sp., le tentaculite Dicriococonus sp. cf. D. orientalis (Karpinski), des débris végétaux qui pourraient appartenir soit à Protolepidodendron scharianum Potonié & Bernard, soit à Protolepidodendronpsis pulchra Hoeg. Les recherches palynologiques menées sur les marnes noires se sont avérées jusqu'à présent infructueuses.
IV. — Problèmes posés par le givétien de la Villedé-d'ardin
1) La question du substratum initial
Si la formation givétienne se présente comme une série transgressive, rien ne prouve que l'Unité de Roc-Cervelle sur laquelle elle repose vraisemblablement, constitue son substratum initial : les relations actuelles entre les deux unités sont tectoniques et aucun indice du remaniement des schistes de Roc-Cervelle - ni de quelque autre formation identifiable - n'a été décelé dans le Givétien. Le cortège de minéraux lourds est dominé par des espèces ubiquistes (hormis quelques grains de staurotide) qui ne renseignent pas non plus sur l'origine du matériel détritique. La relation entre le Givétien et l'Unité de Roc-Cervelle a suscité trois interprétations :
a) le Givétien repose en discordance stratigraphique sur un substratum structuré lors d'une phase varisque précoce. Cette hypothèse, avancée par Ters (1976), a été largement reprise par la suite comme un des arguments de datation de l'événement tectono-métamorphique D1 identifié de la fin du Silurien au Dévonien moyen dans le Massif armoricain et le Massif central. Elle suppose que l'Unité de Roc-Cervelle soit d'âge Paléozoïque et que sa déformation soit varisque. Bouton (1990) considère ainsi que l'Unité de Roc-Cervelle appartient au Paléozoïque inférieur du fait de sa similitude de faciès avec le Cambrien de l'Unité de Chantonnay. Quant à sa déformation synmétamorphe - linéation d'étirement N30°E portée par une schistosité horizontale -, son orientation est compatible avec celle des structures éovarisques, même si ici le sens de chevauchement n'est pas établi ;
b) le Givétien est allochtone et se serait déposé sur un domaine actuellement inconnu à l'affleurement. Cette proposition a également été avancée par Bouton (1990) pour expliquer que le Givétien soit épargné par la déformation plicative NW-SE qui affecte les unités de Roc-Cervelle, Puyhardy et Chantonnay (dans l'Unité de Chantonnay, une linéation d'étirement N100°E est associée à cet épisode).
Selon cette hypothèse, la tectonique à l'origine du graben houiller aurait créé des instabilités gravitaires qui auraient induit le glissement rigide, en bloc, du Givétien depuis un domaine disparu, puis son piégeage dans la dépression qui accueillera la sédimentation houillère. Cette proposition est difficile à étayer car on ne connaît pas d'indice de glissement dans le Givétien, ni aucune formation géologique ayant pu servir de couche-savon ou de matrice à ce supposé olistolithe ;
c) le Givétien repose en discordance sur un substratum à déformation anté-varisque. Dans les Mauges, le Cambrien à Paradoxydes de Cléré-sur-Layon scelle ainsi la déformation cadomienne qui affecte le Protérozoïque (Cavet et al., 1966). Cette hypothèse n'a jamais été vraiment considérée, car il était difficile d'expliquer la présence d'une relique cadomienne exempte de métamorphisme hercynien en plein cœur de l'orogène varisque. Cependant, elle mérite d'être mieux examinée. D'un point de vue lithostratigraphique, les sédiments de l'Unité de Roc-Cervelle peuvent être corrélés aussi bien avec le Cambrien de l'Unité de Chantonnay qu'avec le Précambrien des Mauges. Wyns (1980) en plaçait d'ailleurs une partie dans le Briovérien, tandis que la sixième édition de la carte géologique de la France au million note cet ensemble en bk, en lui attribuant une teinte voisine du Briovérien des Mauges (noté b). Seule une datation radiochronologique du protolite ou du métamorphisme pourrait trancher entre ces deux possibilités. D'un point de vue structural, la direction d'étirement N30°E de l'Unité de Roc-Cervelle n'a pas d'équivalent dans le Paléozoïque fossilifère de l'Unité de Chantonnay dont la déformation est caractérisée par un étirement N100°E. On ne peut donc exclure qu'elle soit cadomienne. Il faut cependant préciser que cette linéation, bien exprimée dans la région de la Villedé, n'est pas ubiquiste puisqu'on ne la connaît pas dans les témoins de type Roc-Cervelle situés au nord du bassin houiller : unité de Marillet (Bouton, 1990) et schistes du Pin dans la région de Montaigu (Godard et al., 2010). L'attribution du bloc de Roc-Cervelle au Cadomien pose également le problème de ses relations avec l'Unité de Chantonnay. Les contacts entre les deux unités sont tectoniques et il n'est pas possible de savoir si l'Unité de Chantonnay est discordante sur celle de Roc-Cervelle. De plus, les conglomérats de l'Unité de Chantonnay ne remanient que très exceptionnellement des galets déjà déformés (Godard et al., 2010).
2) Un environnement de dépôt particulier
A quelques dizaines de kilomètres de la Villedé-d'Ardin, l'Unité de Chantonnay présente une série sédimentaire qui va du Cambrien probable au Dévonien moyen à supérieur (Fig. 2C). Sa partie sommitale, le Groupe de Réaumur, correspond à une épaisse série de pélites sombres couronnée par un puissant ensemble basaltique sous-aquatique. Elle contient des lentilles de calcaires à entroques renfermant des conodontes dévoniens (Icriodus sp.) et des tentaculites appartenant au genre Striatostyliolina (Wyns et al., 1989). Le genre Striatostyliolina, connu du Praguien au Frasnien, est surtout répandu au Givétien. Ceci conduit à dater du Dévonien moyen à supérieur le début de volcanisme sous-marin qui coiffe le Groupe de Réaumur. Rapporté à un magmatisme d'arrière-arc (Thiéblemont & Cabanis, 1986), il suppose le fonctionnement d'une zone de subduction dès le Dévonien moyen à supérieur. La sédimentation terrigène subsidente du Groupe de Réaumur contraste fortement avec les environnements peu profonds à constructions récifales de la Villedé-d'Ardin.
3) Une faune spécifique
Le Dévonien de la Villedé-d'Ardin est le seul gisement armoricain du trilobite Dechenella et du brachiopode Stringocephalus. Le genre Dechenella caractérise la marge récifale qui longe le continent des Vieux Grès Rouges où il est souvent associé, comme à la Villedé-d'Ardin, aux stringocéphales. On le connaît également en Moravie et plus rarement sur la marge nord-gondwanienne (Maroc). Les espèces D. rittbergensis Zimmermann et D. setosa Whidborne, qui sont morphologiquement assez proches, sont connues en Moravie (calcaire de Čelechovice) et en Angleterre dans le Devon (Chlupáč, 1992). Un rapprochement des trilobites de la Villedé-d'Ardin avec les faunes moraves est compatible avec les reconstitutions de la Chaîne varisque médio-européenne proposées par Matte (2001) et Ballèvre et al. (2009). Dans cette hypothèse, le témoin de la Villedé-d'Ardin occuperait, au nord du Gondwana, une position équivalente à celle des domaines moldanubien ou moravo-silésien (Fig. 1).
4) Une autre formation particulière, l'Unité de Puyhardy (Cambrien supérieur)
Dans l'environnement immédiat de la Villedé-d'Ardin, l'Unité de Puyhardy, ensemble très faiblement métamorphique de siltstones et grès rouges, repose en discordance aussi bien sur l'Unité de Roc-Cervelle que sur celle de Chantonnay. Ce contact subhorizontal est considéré comme tectonique (Bouton, 1990). L'Unité de Puyhardy a livré plusieurs gisements de brachiopodes (Ters & Pillet, 1987 ; Bouton, 1990). Ceux-ci appartiennent au genre Billingsella, genre index du Cambrien supérieur, dont ils sont le seul gisement en France. Connu en Espagne (Demanda), au Maroc (Anti-Atlas) et au Kazakhstan, ce brachiopode est caractéristique de la marge nord-gondwanienne (R. Feist, communication orale). Comme le Givétien, la formation de Puyhardy est dépourvue des manifestations volcaniques omniprésentes dans les terrains contemporains de l'Unité de Chantonnay (Formation du Bourgneuf).
V. — Conclusions
Les études stratigraphiques et la cartographie méticuleuse menées sur la région d'Ardin ont permis de reconstituer assez précisément la succession stratigraphique du Givétien de la Villedé-d'Ardin. Celui-ci représente une séquence transgressive qui aboutit à la mise en place d'un édifice récifal en milieu marin peu profond. À quoi correspond ce petit lambeau sédimentaire non métamorphique préservé au cœur de l'orogène varisque ? Si l'on ne peut retenir l'idée de Mathieu (1937b) d'une série continue du Cambrien au Givétien, celle de Ters (1976) d'une discordance stratigraphique du Givétien sur un Paléozoïque inférieur métamorphisé va à l'encontre de nombreuses données régionales (Bouton, 1990 ; Poncet, 1993 ; Colchen & Rolin, 2001) qui placent les épisodes de structuration majeure depuis la fin du Dévonien (phase tangentielle) jusqu'au Carbonifère (phase décrochante avec plutonisme dans le Haut-Bocage vendéen, suivie d'une phase extensive en Vendée littorale). Pour concilier ces données contradictoires, Bouton (1990) a proposé une mise en place tectonique du Givétien non métamorphique entre une structuration tangentielle éovarisque de son substratum actuel, l'Unité de Roc-Cervelle, et la sédimentation houillère namurienne. Cette hypothèse ne résout pas le problème de l'origine paléographique de la série déplacée ; de plus il est difficile d'admettre qu'un tel déplacement se soit fait sur une grande distance sans déformation (la succession stratigraphique actuelle semble être celle d'origine). En fait, la solution la plus simple consiste à faire de l'ensemble constitué par les unités de Roc-Cervelle, Puyhardy et la Villedé-d'Ardin, un domaine relique peu ou pas affecté par la tectonique varisque, ce qui implique que la structuration de l'Unité de Roc-Cervelle soit cadomienne et que les formations de Puyhardy (Cambien supérieur) et la Villedé d'Ardin (Givétien) soient discordantes sur ce socle. Les relations entre l'Unité de Roc-Cervelle et le Givétien seraient alors comparables à ce que l'on observe dans les Mauges entre le socle cadomien et sa couverture sédimentaire paléozoïque. Ceci signifie-t-il que les Mauges et l'Unité de Roc-Cervelle appartenaient au même bloc continental jusqu'au Dévonien moyen ? Il est difficile de l'affirmer car les témoins de la couverture sédimentaire du bloc de Roc-Cervelle n'ont pas d'équivalent stratigraphique dans les Mauges où l'on ne connaît ni le Cambrien supérieur, ni le Givétien. De plus, la couverture sédimentaire des Mauges présente une affinité faunistique plutôt saxo-thuringienne et/ou moldanubienne (Ducassou et al., 2011), tandis que les faunes de Puyhardy et de la Villedé-d'Ardin sont plutôt de caractère nord-gondwanien. Enfin les domaines des Mauges et de Roc-Cervelle sont séparées par le bassin de Chantonnay, dont la série sédimentaire cambro-dévonienne se distingue nettement des précédentes par son caractère subsident et l'importance du volcanisme au Cambrien supérieur-Ordovicien inférieur, puis au Silurien-Dévonien moyen à supérieur. Il n'est donc pas exclu que le témoin de Roc-Cervelle – la Villédé-d'Ardin appartienne plutôt au Domaine sud-armoricain, c'est-à-dire nord-gondwanien, plutôt qu'au bloc des Mauges dont la position dans la Chaîne varisque serait plus septentrionale (Cartier & Faure, 2004 ; Ducassou et al., 2011). Ces conjectures montrent à quel point il reste difficile de situer ce segment vendéen de la Chaîne varisque dans les reconstitutions géodynamiques (par exemple fig. 9 de Ballèvre et al., 2009).
Remerciements. — Les auteurs remercient vivement les deux rapporteurs, Denise Brice et Michel Ballèvre, pour leur relecture attentive et constructive. Les conseils de Michel Ballèvre ont été particulièrement utiles pour replacer l'objet de l'étude dans le contexte paléographique varisque.