I. — Localisation, contexte et méthodologie
La Manche et la Mer du Nord se rencontrent dans le Pas- de-Calais au contact de deux substrats du massif géologique du Weald-Boulonnais. Au nord-est se trouvent les terrains crétacés qui forment le Cap Blanc-Nez, alors qu'au sud-est s'étendent les formations jurassiques du Cap Gris-Nez. Au cœur du site des deux caps, Wissant est une commune située sur la partie la plus étroite du détroit du Pas-de-Calais. Le bassin de Wissant est constitué d'une plaine basse abritée derrière une côte sableuse et dunaire insérée entre les deux caps. À l'arrière des cordons littoraux, nous observons un marais continental. Le creusement pléistocène du bassin est démontré (Briquet, 1930 ; Sommé, 1975). Celui-ci a conduit à la formation de la falaise pléistocène dont le tracé se suit actuellement dans le paysage à une altitude moyenne de 10-15 m NGF (Fig. 1). Cette falaise morte délimite la plaine maritime qui s'est comblée durant le Quaternaire par les atterrissements continentaux, alluviaux et marins. La baie est la proie de l'érosion côtière qui a conduit à la destruction de la digue en 2000 et 2007 (Lequint, 2007). Les rythmes d'érosion côtière montrent des vitesses parmi les plus importantes en France avec un rythme moyen de l'ordre de 5 m/an. L'objectif final de notre travail, dans le cadre d'une thèse, est de reconstituer l'évolution des dynamiques géomorphologiques de la baie de Wissant et son occupation humaine depuis l'Holocène. Elle a pour but de faire un état des lieux des données historiques, archéologiques et géomorphologiques. La synthèse préliminaire des données géomorphologiques, historiques et archéologiques existantes apporte une première vision de la connaissance de l'évolution morphologique et de l'occupation humaine du bassin de Wissant. L'objectif de notre recherche est de fournir de nouvelles données sur l'évolution de la baie sur les 10 000 dernières années et sur son potentiel archéologique.
II. — Présentation des données
Le site de Wissant fascine les érudits depuis le XVIème siècle. Les scientifiques modernes et contemporains ont recherché dans les archives et le sol des éléments attestant de la présence potentielle du port antique de César Portus Itius à Wissant comme pour le port carolingien de Quentovic sur la Canche. Dans les deux cas la question reste ouverte.
1) Histoire
Les sources attestent de l'importance médiévale du port de Wissant dans le transit de voyageurs vers la Grande- Bretagne (Kapferer, 1991). À partir de l'époque moderne, l'étude des sources antiques, notamment la « Guerre des Gaules » de César (1860), a conduit à de nombreux débats sur la position du possible port antique (Henry, 1810). Le « Camp de César » a ainsi été associé à une motte médiévale qui se retrouve dans le paysage actuel, mais sans réelle démonstration.
2) Archéologie
Les données archéologiques sont en majeure partie anciennes (Cousin, 1863). De nombreuses campagnes de fouilles ont été entreprises par des érudits à partir de la fin du XVIIIème siècle. À partir des années 1950, avec le développement des études archéologiques, les rapports de fouille sont plus précis et mieux illustrés (Mariette, 1965). Puis l'archéologie préventive va prendre le relais avec la réalisation de plusieurs diagnostics par l'INRAP et le Conseil Général du Pas-de-Calais. Il faut cependant noter qu'un seul diagnostic se situe dans la plaine maritime proprement dite. Les données archéologiques observées se répartissent sur l'ensemble de la baie mais également là où l'érosion a dégagé des vestiges comme dans les dunes de la partie est de la baie.
3) Géomorphologie
L'analyse des dynamiques géomorphologiques permet d'aborder l'évolution du paysage trop souvent considéré comme un cadre fixe ou vaguement évoqué alors qu'il va être le support des aménagements réalisés aux différentes époques. C'est de la première moitié du XXème siècle que datent les premières études géomorphologiques quant à l'origine quaternaire de la baie de Wissant (Briquet, 1930). À partir des années 70, les recherches menées à l'Université Lille 1 ont contribué à préciser la connaissance de l'évolution quaternaire (Pinte, 1986 ; Sommé, 1975). Quelques travaux ont spécifiquement été consacrés aux Quaternaire et à l'Holocène du bassin de Wissant (Mortier & Boels, 1982) ou intégrés dans une étude régionale (Battiau-Queney, 2003 ; Deboudt & Vergne, 1998 ; Fauchois, 1998 ; Meurisse-Fort, 2007). Plus récemment, l'Université du Littoral Côte d'Opale a fourni de nombreuses données sur l'évolution morphodynamique de la baie (Aernouts & Héquette, 2006). La localisation des données montre que les études géomorphologiques ont bien étudié les massifs dunaires et les tourbières littorales de la partie Ouest en délaissant une bonne partie de l'Est de la plaine maritime.
III. — Synthèse géoarchéologie
L'étude et la confrontation des données existantes sur Wissant permettent déjà de donner une idée de l'évolution du site et sur son occupation humaine. La transgression postglaciaire est divisée entre le Calaisien (8000 – 5000 BP) et le Dunkerquien (5000 BP – Actuel). Mais si la première phase est bien présente au niveau des formations sédimentaires dans la région, la seconde l'est beaucoup moins (Meurisse-Fort, 2007).
1) Un développement à proximité du littoral
Durant la protohistoire, les premiers foyers de population apparaissent à proximité de la Motte au Vent et dans la carrière du Fart. Ils sont contemporains de la fin du Calaisien, le ralentissement de la transgression est à l'origine d'une phase de développement des formations continentales tourbeuses entre 5 000 et 3 000 BP (Deboudt & Vergne, 1998). Les périodes gauloise et romaine voient se développer des habitations à proximité directe du littoral. Les vestiges archéologiques montrent qu'une activité halieutique s'était développée à l'époque sur les tourbières au niveau de l'estran actuel et sur l'embouchure de l'Herlen.
2) Mobilité du village en lien avec la mer
À l'époque carolingienne, la population va se replier sur l'arrière-pays et abandonner ses positions littorales basses. Cette époque correspond à une grande période de tensions avec les invasions barbares, mais elle pourrait également correspondre à une invasion marine qui a pu envahir les zones basses occupées. Toutefois le repli est de courte durée, car à partir du Xème siècle, les populations vont réinvestir les positions littorales antérieures. Le port connaît un nouvel essor. Un havre naturel apparaît guidé par un chenal de marée au niveau du marais de Tardinghen (Mortier & Boels, 1982), il facilite le développement du port et donc sa prospérité.
3) Ensablement et abandon du port
À partir du XIVème siècle, le havre va commencer à s'ensabler et le port va être progressivement impraticable. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le village est en majeure partie ensablé lors de différentes tempêtes. Ce qui le conduit à renaître à une certaine distance du rivage autour de la chapelle Saint- Nicolas. Il n'y aura plus qu'une activité de subsistance jusqu'à la fin du XIXème siècle. Avant de connaître par la suite un nouveau développement avec l'apparition de la station balnéaire.
IV. — Conclusion et perspectives
Si les différentes phases climatiques et eustatiques du Calaisien et du Dunkerquien ne sont pas toutes clairement identifiées dans la région, c'est sans doute parce que localement certains systèmes ont évolué avec leurs caractéristiques propres (comblement, inondations, subsidences,…). À Wissant, les données actuelles ne permettent pas de comprendre clairement l'évolution de la baie. Elles sont lacunaires et ne montrent pas l'évolution du système littoral. Mais l'évolution de l'occupation laisse entrevoir de possibles interactions avec l'évolution du paysage littoral. Les dynamiques géomorphologiques ont pu dicter ou influencer les phases d'occupation ou d'abandon. L'étude précise de l'évolution du paysage par l'établissement du cadre chronostratigraphique et paléoenvironnemental peut faciliter la compréhension du site tant du point de vue de son histoire environnementale qu'humaine. C'est l'objectif principal de notre recherche. Pour l'atteindre nous allons commencer la réalisation d'une campagne de sondage sur l'ensemble du bassin de Wissant afin de mettre en évidence sa formation et son évolution. Ces carottages devraient nous permettre d'avoir une vision plus synoptique de l'évolution de la baie et du bassin de Wissant en lien avec les données de l'occupation humaine dans un contexte de transgression postglaciaire. L'étude de la couverture sédimentaire intégrée dans le sens de la constitution d'une base de données permettra également d'appréhender le potentiel archéologique des différentes parties du bassin de Wissant par la réalisation d'une carte des formations superficielles (Deschodt, 2008).