Le bassin minier du Nord – Pas-de-Calais, un patrimoine inscrit sur la liste du patrimoine mondial à valoriser

  • The Nord – Pas-de-Calais Coal Basin : a World Heritage Site to promote

DOI : 10.54563/asgn.880

p. 55-57

Résumés

Le pays noir du Nord – Pas-de-Calais a longtemps souffert d’une image négative dans les yeux des habitants et des visiteurs, ce qui a été un obstacle à tout projet culturel ou touristique. Le chemin fut long et difficile avant que le Bassin n'engrange les effets bénéfiques et visibles de 30 ans de politiques de reconquête des friches notamment : progressivement, ce qui était vu comme un fardeau est devenu un héritage ayant de la valeur, ce processus ayant été accéléré par le projet d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Soutenue fortement par les habitants, l'inscription du Bassin minier du Nord - Pas-de-Calais à l'UNESCO est devenue réalité le 30 juin 2012, en tant que « Paysage Culturel Evolutif », ce qui est à la fois la reconnaissance mondiale de la Valeur Universelle et Exceptionnelle de ce patrimoine scientifique, industriel, social et de la diversité de ses paysages, mais aussi un moteur pour l'innovation et les projets culturels, économiques et touristiques.

The Nord – Pas-de-Calais « black country » suffered a long time from a repulsive image for inhabitants and visitors, which was an obstacle to any touristic or cultural projects. lt has been a long and difficult way before the Mining Basin gained the visible benefits of 30-year brownfield regeneration policies for example: progressively, which used to be considered as a “burden” has become a valuable heritage, this process being accelerated by the World Heritage candidacy. Highly supported by inhabitants, the inscription of the Nord – Pas-de-Calais Mining Basin on the World Heritage List was obtained on 30th June 2012, as an "evolving cultural landscape", which is both a worldwide recognition of the Universal and Exceptional Value of this scientific, industrial, social heritage and of the diversity of its landscapes, and a booster for innovation and cultural, economic and touristic projects.

Plan

Texte

I. — Introduction

Le paysage n'est qu'une image dans le film de l'histoire géologique d'un territoire. Mais rapporté à l'échelle de la vie humaine, un paysage se fait palimpseste : il porte les traces plus ou moins conservées ou effacées, de toutes les activités que le genre humain y a inscrites. Dès le début du XVIIIe siècle, la recherche et la production de la houille ont inséré un réseau spécifique au travers d'un territoire que l'agriculture n'avait pas fini d'occuper et que l'urbanisme ne rongeait pas encore. Mais 270 ans plus tard, les interactions entre agriculture, industrie et urbanisme ont complètement modifié le paysage et sa dynamique, notamment via les cheminements de l'eau. Certaines conséquences environnementales sont indélébiles (affaissements, pollutions …) et ont contribué à l'émergence d'une représentation très négative du Pays noir : les paysages de la mine sont restés longtemps et restent encore un patrimoine contesté, à cause de l'effet-repoussoir provoqué par l'image désastreuse des friches, emblématiques du développement non durable, tant pour les habitants que pour les visiteurs.

II. — La résilience inachevée du bassin minier

La brutale disparition de l'activité extractive a été vécue comme un choc économique et social tant les conséquences ont été traumatisantes pour les individus et les collectivités vivant sur ce territoire. Ayant subi une succession de chocs et de crises économiques, le Bassin minier est aujourd'hui dans un processus de résilience encore inachevé. Au fil du temps, le paysage et l'économie du territoire ont significativement évolué. Le Bassin minier est devenu attractif en accueillant nombre d'activités et d'emplois, en développant les échanges et a diversifié son tissu économique autour de filières reconnues. Pour autant, le Bassin et pour une partie de ses habitants, demeurent à l'écart de ce développement. Les salariés des nouvelles entreprises rechignent encore à venir y habiter, à l'exception des franges nord et sud, peu marquées par la mine. Ainsi, le Bassin minier est devenu un territoire de paradoxes où se côtoient embellie économique et pauvreté, création d'emplois, chômage élevé et baisse de la population. Le processus de patrimonialisation, la prise de conscience de la valeur de cet héritage culturel ont été accélérés par le pari apparemment fou de la candidature à l'UNESCO, portée depuis l'origine par Jean-François CARON, maire de Loos-en-Gohelle et vice-président du Conseil Régional. Il a su convaincre et fédérer autour de lui un grand nombre d'acteurs, pour monter ce dossier de candidature sous la houlette de l'Etat et le porter jusqu'au succès le 30 juin 2012. Le renforcement d'un sentiment d'appartenance à une identité commune et une culture partagée, et les valeurs d'universalité et d'ouverture sont une condition de la résilience globale du territoire minier. Le sentiment de fierté pour l'histoire de cette communauté de travail et humaine est un moteur pour le rebond aujourd'hui, pour les générations présentes et futures du bassin. Cela n'efface pas les souffrances et les conflits forts vécus par les acteurs, mais rappelle le sens des efforts accomplis et les valeurs formant le ciment de cette communauté sociale. Cette identité, cette culture sont maintenant reconnues au niveau universel via l'UNESCO.

Figure 1

Figure 1

Photo prise (novembre 2008) depuis le sommet d'un terril, montrant les diverses générations de cités minières à Oignies (62), et les installations de surface de la fosse 9-9bis (concession de Dourges). Au fond les anciens bâtiments de la sucrerie de Thumeries, situés sur les sables et argiles du Thanétien (série landénienne). Photo F. Meilliez.
 
Picture shot (november 2008) from a heap top at Oignies (62) : it exhibits most of the diverse mine housing, and the 9-9bis pit buildings (Dourges land concession). Abandonned sugar refinery buildings appear in the far distance. They lie over Thanetian clays and sands (Landen series). Picture F. Meilliez.

III. — Une ambition culturelle innovante, un plan de gestion « UNESCO » exigeant

Le 30 juin 2012, le bassin minier du Nord – Pas-de-Calais était inscrit par l'UNESCO sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité en tant que paysage culturel évolutif et vivant (voir le site : http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org ; Fig. 1). La Valeur Universelle et Exceptionnelle du Bien a été définie autour de trois critères de l'UNESCO :

Critère (ii) : Le Bassin minier témoigne de manière exceptionnelle des échanges d'idées et d'influences à propos des méthodes d'exploitation des filons charbonniers souterrains, de la conception de l'habitat ouvrier et de l'urbanisme, ainsi que des migrations humaines internationales qui ont accompagné l'industrialisation de l'Europe.

Critère (iv) : Les paysages miniers évolutifs et vivants du Bassin offrent un exemple éminent du développement à grande échelle de la mine de houille, aux XIXe et XXe siècles, par les grandes compagnies industrielles et leurs masses ouvrières. Il s'agit d'un espace structuré par un urbanisme, des constructions industrielles spécifiques et les reliquats physiques de cette exploitation (terrils, affaissements).

Critère (vi) : Les événements sociaux, techniques et culturels associés à l'histoire du Bassin minier ont une portée internationale. Ils illustrent de manière unique et exceptionnelle la dangerosité du travail de la mine et l'histoire de ses grandes catastrophes (Courrières). Ils témoignent de l'évolution des conditions sociales et techniques de l'exploitation des houillères. Ils représentent un lieu symbolique majeur de la condition ouvrière et de ses solidarités, des années 1850 à 1990. Ils témoignent de la diffusion des idéaux du syndicalisme ouvrier et du socialisme.

Les inventaires et études scientifiques, techniques et historiques, la sélection des éléments à l'aide de critères partagés et le croisement de leurs résultats avec les stratégies de gestion de plus de 110 propriétaires et gestionnaires de sites ont resserré la délimitation du Périmètre inscrit autour de 353 éléments, soit 25% du patrimoine existant (89 communes concernées), portant la Valeur Universelle Exceptionnelle du Bien inscrit. La tâche fut longue et complexe. Ainsi, comme le décrit l'ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites : http://www.icomos.org), cette succession de paysages résultant d'une quasi mono-industrie extractive comprend : des éléments physiques et géographiques (terrils, terres agricoles, étangs d'affaissement minier, bois), un patrimoine industriel minier (carreaux de fosses, bâtiments industriels résiduels, chevalements), des vestiges des équipements de transports dit cavaliers (canaux, chemin de fer, convoyeurs), un habitat ouvrier et un urbanisme caractéristiques (corons, cités-jardins, habitat pavillonnaire …), des éléments monumentaux et architecturaux témoins de la vie sociale (églises, écoles, châteaux patronaux, sièges sociaux des compagnies, locaux syndicaux, gares, hôtels de ville, hôpitaux, dispensaires, salles des fêtes, équipements sportifs), enfin des lieux de mémoire et de célébration de l'histoire du Bassin et de ses mineurs.

La Mission Bassin Minier (www.missionbassinminier.org) est devenue la structure officiellement désignée pour gérer l'inscription du Bassin minier du Nord – Pas-de-Calais sur la Liste du Patrimoine mondial, en coordination étroite avec l'Etat et veille à l'application du Plan de gestion du Bien inscrit. Rendu complexe par la nature même du Bien inscrit, le Plan de gestion tente de résoudre la quadrature du cercle : comment protéger la valeur universelle exceptionnelle du Bien, y compris les conditions d'intégrité et/ou d'authenticité définies lors de son inscription, tout en permettant son évolutivité ? Le Plan de gestion rassemble et combine de façon cohérente les outils de la protection réglementaire et de la planification avec la contractualisation, marque de l'engagement des partenaires, les politiques d'intervention régionales et les plans d'action sectoriels qui concernent la protection et la gestion du Bien, autour de deux axes fondateurs : il s'agit non seulement de protéger, d'aménager et de gérer, mais aussi de promouvoir, de valoriser, et de transmettre.

IV. — La médiation et la valorisation du patrimoine au cœur de la feuille de route collective

Depuis l'inscription, la Mission Bassin Minier a poursuivi l'esprit de mobilisation populaire qui avait soutenu la candidature. Elle est donc particulièrement attentive à la poursuite de cette appropriation par le plus grand nombre. Elle a développé un important chantier lié à la médiation vis-à-vis des publics scolaires et hors temps scolaire et le grand public : elle a noué un partenariat avec le Rectorat, créé un espace « médiation » au sein de son site internet dédié au Patrimoine mondial, créé des expositions itinérantes, porté une résidence-mission avec un artiste, formé des médiateurs, contribué à des guides touristiques ... Elle a également construit des outils de communication et de promotion (une Marque spécifique, un festival « le Bassin minier fête le Patrimoine mondial », le déploiement de la signalétique, les événementiels sportifs avec le Trail des Pyramides noires et la participation au salon Sports de nature) pour faire comprendre et rayonner l'inscription au plan national et international. Les premiers signes encourageants du changement de regard sur le patrimoine minier commencent à être tangibles, par un fort et durable impact médiatique et une amélioration indiscutable de la notoriété du territoire. Ce mouvement s'inscrit dans une dynamique de coopération positive avec le Louvre-Lens, inauguré en 2012, marque mondialement connue. Initié par l'Etat, un contrat de destination touristique a distingué en 2015 ce couple « UNESCO-Louvre-Lens », en le hissant parmi 20 destinations prestigieuses à promouvoir à l'international, dont la Corse et la Vallée de la Dordogne. Cette promesse d'un tourisme culturel est encore en construction mais les autres expériences européennes montrent que 10 ans seront nécessaires pour que la Destination porte des fruits.

L'inscription a été certes un temps d'accomplissement décisif et intense, mais il a surtout été un nouveau départ. La prise de conscience collective de cet héritage culturel comme un « capital » vivant et un moteur pour l'action et l'innovation aujourd'hui restent toujours un processus, même si les preuves de cette appropriation citoyenne se multiplient, sous la forme d'initiatives et de projets. Instigatrice du Musée Houiller aujourd'hui placé sous l'autorité de la Ville de Lille, la Société Géologique du Nord aura plaisir à participer à cet effort.

Remerciements. — La Mission Bassin Minier remercie la Société Géologique du Nord de son invitation à participer à cette rencontre et à cette publication, geste qui élargit l’éventail des coopérations pour valoriser ce patrimoine collectif.

Illustrations

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    Photo prise (novembre 2008) depuis le sommet d'un terril, montrant les diverses générations de cités minières à Oignies (62), et les installations de surface de la fosse 9-9bis (concession de Dourges). Au fond les anciens bâtiments de la sucrerie de Thumeries, situés sur les sables et argiles du Thanétien (série landénienne). Photo F. Meilliez.
     
    Picture shot (november 2008) from a heap top at Oignies (62) : it exhibits most of the diverse mine housing, and the 9-9bis pit buildings (Dourges land concession). Abandonned sugar refinery buildings appear in the far distance. They lie over Thanetian clays and sands (Landen series). Picture F. Meilliez.

Citer cet article

Référence papier

Catherine Bertram, « Le bassin minier du Nord – Pas-de-Calais, un patrimoine inscrit sur la liste du patrimoine mondial à valoriser », Annales de la Société Géologique du Nord, 24 | 2017, 55-57.

Référence électronique

Catherine Bertram, « Le bassin minier du Nord – Pas-de-Calais, un patrimoine inscrit sur la liste du patrimoine mondial à valoriser », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 30 mai 2022, consulté le 21 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/880

Auteur

Catherine Bertram

Mission Bassin Minier, Carreau de Fosse 9/9bis, BP 16, F–62590 Oignies ; cbertram@missionbassinminier.org

Droits d'auteur

CC-BY-NC