ALEPO et APV : la contribution de l’Italie à l’étude de la Galloromania peripherica

DOI : 10.54563/bdba.450

p. 109-130

Résumés

L’ALEPO (Atlante Linguistico ed Etnografico del Piemonte Occidentale) et l’APV (Atlas des Patois Valdôtains), deux atlas linguistiques dont les travaux ont été lancés en Italie dans les années 1970, documentent les parlers gallo-romans (occitans et francoprovençaux) des Alpes occidentales. Cette contribution présente un rappel de leur histoire scientifique, un bilan et des exemples (aune, frêne, donner, feuille) de lecture géolinguistique des données recueillies, en replaçant cette « périphérie linguistique » dans les dynamiques générales de la Gallo-Romania.

ALEPO (Atlante Linguistico ed Etnografico del Piemonte Occidentale) and APV (Atlas des Patois Valdôtains) are two linguistic atlases launched in Italy in the 1970s, with the aim of documenting Gallo-Romance dialects (Occitan and Franco-Provençal) of the Western Alps. This contribution informs about their scientific background and about the state-of-the-art, giving also some examples (alder, ash tree, to give, leaf) of geo-linguistic interpretation of their data, contextualizing this “linguistic periphery” into the general Gallo-Romance dynamics.

Plan

Texte

Introduction

Parmi les paradigmes théoriques de la dialectologie moderne, l’opposition entre « centre » et « périphérie » géographiques joue un rôle prépondérant dans l’observation de la variation diachronique lorsqu’elle est analysée à travers le prisme diatopique1. Ce paradigme a été élaboré surtout en Italie dans le cadre des études géolinguistiques du début du xxe siècle.

De fait, les fondements de la Wellentheorie et les dynamiques psycho- et sociolinguistiques qui sous-tendent l’approche de Gilliéron ont forgé une vision géographique de l’innovation linguistique. À cette vision s’ajoute le concept de polarisation entre les centres moteurs et les marges extrêmes de diffusion des innovations. Il est donc connu que les périphéries, analysées sous ces angles, sont généralement les aires les plus visiblement « conservatrices ».

Dans la présente contribution, la « périphérie » est l’extrémité sud-orientale de l’aire étymologiquement gallo-romane, qui appartient au territoire politiquement italien, c’est-à-dire la zone alpine des régions de la Vallée d’Aoste et du Piémont. Outre son intérêt géolinguistique, cette aire présente deux caractéristiques sociolinguistiques qu’il est pertinent de relever. En premier lieu, la Galloromania peripherica italienne (ci-après GPI) est le seul territoire de la Galloromania continua continentale européenne dans lequel les variétés dialectales gallo-romanes n’ont pas eu le français pour langue-toit de façon stable au fil du temps2. Deuxièmement, si l’on compare les régions voisines italiennes, françaises et suisses, les données sociolinguistiques apportent la preuve d’une vitalité linguistique supérieure des parlers gallo-romans en Italie3. Ainsi, en dépit de la tendance indéniable à l’abandon de la plupart des langues minoritaires en Europe, les parlers gallo-romans italiens restent des « objets sociaux » bien reconnaissables4.

Le cas de cette périphérie italienne du domaine gallo-roman sera illustré à partir de deux objets géolinguistiques concrets : les atlas linguistiques régionaux ALEPO (Atlante Linguistico ed Etnografico del Piemonte Occidentale) et APV (Atlas des Patois Valdôtains), conçus il y a 50 ans dans le but de documenter la situation dans cette aire5. On procédera à une brève présentation des atlas : genèse scientifique, couverture géographique et structure des données, aspects principaux de leur informatisation, situation actuelle. On proposera ensuite quelques perspectives d’analyse mettant en lumière l’apport scientifique de ces outils, ou comment l’étude détaillée d’un espace limité (la GPI) peut renforcer la compréhension des dynamiques géolinguistiques plus générales de la Galloromania.

Deux atlas, un seul projet

Une même idée est à l’origine de l’ALEPO et de l’APV. En Italie, cette idée va germer dans la foulée du débat qui, en France, a débouché dans les années 1950 sur le lancement du projet d’atlas régionaux français. La publication du premier volume de l’ALJA en 1971 et les travaux préparatoires de l’ALP6 servent alors de déclencheur à l’idée de concevoir un atlas pour documenter les parlers gallo-romans occitans et francoprovençaux du versant politiquement italien des Alpes, dans la lignée des travaux français. Cette idée est présentée en 1972 à Aoste par un groupe de dialectologues italiens, suisses et français à l’occasion des Journées d’études francoprovençales organisées par le Centre d’études francoprovençales de Saint-Nicolas7.

Pour des raisons politiques et d’organisation, les travaux pour le Val d’Aoste et le Piémont vont vite avancer de façon indépendante. Les enquêtes pour l’APV commencent dès 1973 avec le soutien économique de l’Assessorat régional de la Vallée d’Aoste et après formation d’un comité scientifique appelé à diriger un groupe de chercheurs locaux. Pour l’ALEPO, il faut attendre l’année 1980 pour que la Région Piémont réponde au projet présenté par l’université de Turin en l’intégrant à ses activités culturelles permanentes. Le projet ALEPO peut alors démarrer sous la direction de Sabina Canobbio et Tullio Telmon8.

Quoique « séparés à la naissance », les atlas reposent sur une même approche méthodologique, à commencer par l’adoption du « Questionnaire Tuaillon »9, déjà utilisé pour l’ALJA, qui est réemployé sans modification dans les enquêtes de l’APV, mais traduit en italien et adapté par Tullio Telmon pour l’ALEPO. Cela détermine aussi une attention portée à égale mesure sur les finalités ethnolinguistique et géolinguistique, d’où le choix de la méthodologie de recueil des données (structure semi-directive du questionnaire, présence de questions ouvertes en complément des questions onomasiologiques traditionnelles) et celui d’avoir abondamment recours à l’iconographie et à l’enregistrement de textes authentiques. On notera également le choix significatif qui a été fait d’utiliser l’alphabet phonétique, dit ALF-Rousselot, conformément à la tradition de la dialectologie gallo-romane.

En revanche, les trajectoires des deux atlas frères seront différentes. Malgré son lancement rapide, le projet valdôtain prend bientôt du retard par rapport à son équivalent piémontais. Dès la phase des enquêtes et bien qu’ayant démarré sept ans plus tard, l’ALEPO a déjà rattrapé l’APV en 1991. À cette date, pour l’APV, il manque encore les informations des points situés en dehors du territoire valdôtain pour compléter la base de données. Les informations manquantes seront récupérées en partie à travers des enquêtes spécifiques menées en Suisse et en partie grâce à la collaboration avec l’équipe ALEPO et l’équipe de Tuaillon, les deux ayant autorisé l’utilisation de leurs données pour les points respectivement piémontais et savoyards prévus dans le réseau APV.

Pour ce qui est de la numérisation, celle de l’ALEPO, bien que laborieuse, s’achève au début des années 2000. Pour l’APV, en revanche, l’administration régionale confie cette tâche dès 1996 à des consultants et à des sociétés informatiques, mais les rapports difficiles entre les différents acteurs conduisent finalement, en 2014, à l’arrêt au moins provisoire de toute mise en valeur numérique. Le nombre de publications reflète ces différentes trajectoires : en 2020 paraîtra le volume pilote de l’APV (sur « Le lait et les activités laitières »). En comparaison, six volumes de l’ALEPO ont été publiés depuis 200310.

La raison de cet écart n’est pas de nature économique. Le ralentissement des travaux de l’APV, voire leur abandon pendant de longues périodes, s’explique bien plus par l’absence de pôle universitaire de recherche en Vallée d’Aoste, absence qui a pour conséquence un manque de gouvernance scientifique et de ressources humaines dûment formées. En 2010, les autorités régionales lancent enfin un appel à collaboration auquel l’université de la Vallée d’Aoste répond ; un travail considérable de révision des matériaux et de réorientation globale des objectifs scientifiques est alors indispensable. La publication du volume pilote marque l’achèvement de ce travail de fond11.

ALEPO et APV : couverture géolinguistique, structure et dimensions des bases de données

La Figure 1 précise l’extension de l’aire couverte par les bases de données linguistiques des deux atlas, en ajoutant quelques points de repère géographiques : on notera les cols alpins les plus importants, les chefs-lieux des provinces d’Aoste, de Turin et de Coni, les villes françaises et italiennes les plus proches de la frontière, ainsi que la mer de Ligurie (que l’on aperçoit en bas à droite). Tout d’abord, si l’on compare la distribution des triangles en nuance de bleu, qui marquent les points de la GPI présents dans les atlas géolinguistiques français, et celle des triangles violets (ALEPO) et rouges (APV), on remarque que certaines zones étaient déjà moyennement couvertes par l’ALF, l’ALJA et l’ALMURA12 tandis que d’autres étaient insuffisamment couvertes ou non couvertes. On procédera maintenant à une brève contextualisation historique, géographique, géolinguistique et sociolinguistique des données des atlas italiens et du territoire concerné, lequel, pour la commodité de l’exposé, a été subdivisé du nord au sud en quatre zones A, B, C, D, marquées aussi en Fig. 113.

Figure 1.

Figure 1.

L’aire gallo-romane « italienne », son appartenance linguistique (rouge : francoprovençal ; jaune : occitan), ses zones géographique (A, B, C, D : voir texte) et sa couverture géolinguistique (triangles en nuance bleu : atlas français ‒ ALF, ALJA, ALMURA ‒ ; triangles rouges : APV ; triangles violets : ALEPO).

D’un point de vue géographique, le Val d’Aoste (Fig. 1, zone A) est la haute vallée de la Doire Baltée (rivière qui trouve sa source aux pieds du massif du Mont-Blanc) et est relié aux territoires aujourd’hui français et suisse par les cols du Petit et du Grand-Saint-Bernard, respectivement. Voies de passage dès le Néolithique ancien, ces cols garantissent depuis longtemps la continuité des rapports entre le pays d’Aoste et son arrière-pays francoprovençal (côté suisse et côté savoyard). D’un point de vue dialectologique, on notera dans le Val d’Aoste une bipartition entre la haute vallée (à l’ouest) et la basse vallée (à l’est). Un faisceau d’isoglosses scinde la vallée selon un axe nord-est/sud-ouest et sépare ces deux aires. Ce faisceau constitue une frontière entre phénomènes linguistiques gallo-romans et italo-romans (plus précisément, gallo-italiques), mais aussi entre innovations oïliques et formes plus anciennes de type gallo-roman au sens large14. Pour ce qui est de la vitalité linguistique, le Val d’Aoste reste le foyer de survivance du francoprovençal le plus dynamique ; sur la base de pourcentages cités ci-avant (cf. n. 3), on peut estimer que le nombre de locuteurs avoisinait encore les 25 000 en 2016.

L’aire était déjà bien documentée par les atlas français, la France accordant une attention particulière à la Vallée d’Aoste en raison du rôle historique du français dans cette région, où il fut longtemps « langue-toit » et où il acquit au sortir de la Seconde Guerre mondiale le statut de langue coofficielle (avec l’italien). Les 16 points d’enquête de l’APV ajoutent néanmoins un complément significatif de documentation, surtout pour les nombreuses vallées latérales qui partent du cours principal (ouest-est, puis nord-sud en basse vallée) de la Doire15.

Contrairement à la zone A, la deuxième zone géographique (Fig. 1, zone B) délimite un territoire négligé dans les atlas français. Elle s’étend sur les cinq vallées francoprovençales septentrionales de la province de Turin (vallée de l’Orco, Valsoana et les trois vallées de Lanzo) qui se déploient en éventail à partir de la plaine au nord du chef-lieu provincial. Ces vallées n’ayant aucun col important vers l’arrière-pays français (haute vallée de l’Arc), leur caractère francoprovençal s’explique par une longue appartenance politique aux États de la Maison de Savoie et par leur localisation. Elles se situent en effet à la croisée de deux aires d’influence francoprovençale en territoire italien : au nord, les cols autour du massif du Grand Paradis les relient au Val d’Aoste et au Petit-Saint-Bernard ; au sud, autour du Rochemelon, la zone est en communication avec le mont Cenis16. Au fil du temps, leur marginalité géopolitique a cependant permis au piémontais (la « langue de la plaine ») d’avancer progressivement jusqu’au fond des vallées, en s’implantant durablement dans le répertoire local et, là où le francoprovençal s’est maintenu, en entamant ses structures linguistiques. Les estimations les plus récentes font état de 14 000 à 22 000 locuteurs dans toute l’aire francoprovençale piémontaise, val de Suse y compris (voir ci-après). Si l’on tient compte de la répartition démographique entre val de Suse et vallées septentrionales (2/3 contre 1/3), on peut estimer entre 5 000 et 7 000 le nombre de locuteurs dans ces dernières17.

Le réseau ALEPO comprend pour cette zone cinq points incontestablement francoprovençaux, soit un par vallée : du nord au sud Ingria, Ribordone, Chialamberto, Balme, Lemie. S’y ajoutent deux points « de transition » entre francoprovençal et piémontais (Carema et Traversella) et deux points piémontais (Campiglia Cervo et Rocca Canavese).

La zone C en Fig. 1, qui recouvre la partie méridionale de la province de Turin, est une région de frontière linguistique entre francoprovençal et occitan caractérisée par la présence de deux cols (mont Cenis et Montgenèvre) orientés suivant deux axes différents. Le mont Cenis est situé au sommet du val Cenischia au nord de Novalaise. Il relie le bas et le moyen val de Suse, jusqu’à la limite sud-ouest de Jaillon (Giaglione, en italien), à la vallée de l’Arc et ainsi à l’aire francoprovençale. Le haut val de Suse et le val Cluson (val Chisone, en italien), quant à eux, ont appartenu au Dauphiné jusqu’au Traité d’Utrecht (1713) et ont donc toujours été tournés vers le Montgenèvre et le Briançonnais, c’est-à-dire vers l’aire occitanophone alpine18. Le val de Suse est en outre caractérisé (comme on le voit en Fig. 1) par une « piémontisation » profonde, qui s’est déroulée le long d’un axe routier parmi les plus importants des Alpes, celui qui conduisait de Turin aux cols vers la France. Tout le versant droit de la Doire Ripuaire, linguistiquement encore francoprovençal, se présente donc maintenant comme une « aire résiduelle » et isolée, par rapport à un stade antérieur de continuité avec le versant gauche19. À l’extrémité sud de la zone C, le val Germanasca et le val Pellice sont en revanche le siège historique des communautés vaudoises, occitanophones et, pour ce qui est surtout le niveau high du répertoire, francophones20. Pour ce qui est de la répartition des locuteurs entre francoprovençal et occitan dans l’ensemble de la zone C, on estime que le premier y serait parlé par approximativement 10 000 à 15 000 locuteurs, tandis que le second compterait 6 000 à 12 000 locuteurs.

Ce contexte géographique était déjà en partie documenté dans l’ALF avec trois points occitans (Oulx dans le haut val de Suse ; Perrero et Bobbio Pellice dans les vallées vaudoises) et dans l’ALJA (point francoprovençal de Jaillon). On notera cependant la contribution significative du réseau ALEPO, en particulier pour la compréhension de la complexité linguistique de l’aire francoprovençale en val de Suse. Tout l’intérêt des sept points d’enquête est de répertorier des parlers conservateurs (à Novalaise, Jaillon, Mattie, Coazze) et des parlers marqués par une interférence avec le piémontais (le long du lit de la Doire et sur la rive gauche, à Suse, Chanoux [Chianocco] et Condove). Pour l’aire occitanophone, l’ALEPO complète les données des atlas français avec des enquêtes à Bardonnèche (haut val de Suse) et à Pramollo et Sestrière (débouché et haute vallée du Cluson). On notera aussi les données de Villar Pellice pour l’aire vaudoise, qui s’ajoutent à celles de Perrero déjà présentes dans l’ALF. En plaine, Val della Torre et Bibiana, respectivement à la limite des aires francoprovençale et occitane, ainsi que Moncalieri (aux portes de Turin), sont les points de comparaison piémontais.

La zone méridionale de l’arc alpin (Fig. 1, zone D), dans la province de Coni, était entièrement absente des atlas français. Ce territoire assez vaste comprend les vallées de l’ancien marquisat de Saluces et celles qui s’étendent radialement à partir de la ville de Coni. Du nord au sud, on trouve ainsi la vallée du Pô, le val Varaita (de 1343 à 1713, la haute vallée a appartenu à la République des Escartons, sous influence dauphinoise), le val Maira, le val Grana, la vallée de la Stura, la vallée du Gesso et le val Vermenagna. Cette région compte deux cols principaux : le col de Larche (Colle della Maddalena, en italien) relie la vallée de la Stura à la vallée de Barcelonnette ; le col de Tende est lui situé dans l’aire où le vivaro-alpin cède le pas au brigasque, qui fait déjà partie des parlers liguriens. Dans cette aire linguistique très peu étudiée dans son ensemble, on notera la présence des « parlers du kje » (à Fontane di Frabosa), qui sont considérés comme un cas emblématique de « vestige » de provençal alpin au sein d’une aire fondamentalement piémontaise méridionale21.

Le réseau de l’ALEPO documente les parlers de différents points d’enquête couvrant chaque vallée occitanophone au sens propre (vallée du Pô : Oncino ; val Varaita : Bellino et Sampeyre ; val Maira : Cartignano et Canosio ; val Grana : Monterosso ; vallée de la Stura : Aisone et Argentera ; vallée du Gesso : Entracque ; val Vermenagna : Limone Piemonte). De même les vallées plus orientales sont-elles couvertes (vallée du Pesio : Chiusa di Pesio ; aire des parlers du kje : lieu-dit Fontane di Frabosa), sans oublier la zone brigasque (Tende, en territoire français, et Briga Alta). Les points de contrôle piémontais sont Piasco, Boves et Pamparato (du nord au sud et d’ouest en est).

Au sujet de la structure et de la taille des bases de données, ALEPO et APV, en vue de publier leurs résultats, ont fait le choix d’abandonner le système de transcription phonétique ALF-Rousselot (utilisé à l’origine pour recueillir les matériaux linguistiques) et d’utiliser la norme courante de l’API-Alphabet phonétique international ; la part des archives déjà publiée ou en cours de publication (voir ci-après) est donc déjà disponible dans ce format. En revanche, la conversion en bases de données relationnelles a été effectuée sur des plateformes numériques différentes. ALEPO a eu recours à Microsoft Access et SQL Server ; de son côté, APV a d’abord opté pour l’environnement Macintosh (Filemaker), avant de basculer sur PC du fait d’une réorientation des politiques numériques de la Région, en prévoyant en parallèle (au moment de programmer la publication des résultats de l’APV en 2009) un processus de conversion axé sur les technologies web qui, comme on l’a dit, n’a jamais été achevé.

La dimension des archives ALEPO et APV est importante. Les quelques 6 000 entrées du questionnaire utilisé ont permis de recueillir environ 260 000 réponses pour l’ALEPO (42 points d’enquête) et 114 000 pour l’APV (en ne tenant compte que des 16 points valdôtains et des trois points valaisans ou savoyards pour lesquels une enquête a été spécifiquement réalisée ; cf. n. 15). Aux réponses en tant que telles s’ajoute une somme considérable d’informations supplémentaires : contenus linguistiques, métalinguistiques ou ethnographiques, sous forme de notes et de textes courts produits plus ou moins spontanément par les informateurs et dûment enregistrés dans les cahiers d’enquête, ainsi qu’un ensemble varié de compléments iconographiques22. Concernant la mise à disposition informatique des données, pour ALEPO seules celles ayant déjà été traitées à des fins de publication ont été numérisées (soit environ 1 300 cartes et 52 000 réponses) ; pour l’APV, en revanche, toute la base est disponible, mais uniquement au format « de transition » Filemaker (c’est-à-dire en alphabet ALF-Rousselot).

GPI et Gallo-Romania : perspectives d’interprétation géolinguistique

Je proposerai maintenant quelques exemples d’interprétation géolinguistique des données issues des atlas gallo-romans italiens. Chaque fois, ces données seront observées à deux échelles géographiques : la configuration spécifique de l’aire faisant l’objet de notre étude et sa localisation à la périphérie de l’espace plus large de la Galloromania continua européenne. Pour ce faire, nous exploiterons des cartes ayant été élaborées à partir des contenus ALEPO et APV qui seront replacées ici dans le contexte gallo-roman, tiré surtout des Lectures de Brun-Trigaud et al. mais aussi parfois du dépouillement direct des données ALF23. Quelques données supplémentaires, tant pour le domaine gallo-roman italien que pour l’Italo-Romania, seront également tirées de l’AIS24.

Le but de cette étude est de mettre en vis-à-vis le cadre des connaissances consolidées relatives aux dynamiques géolinguistiques générales de l’aire gallo-romane et les dynamiques qui ressortent d’observations à échelle plus réduite effectuées sur le territoire de la GPI. On commencera donc par des exemples de configurations relativement simples de ces dynamiques croisées, pour arriver à des situations plus complexes, mais aussi plus instructives.

Aune25

Le cas des dénominations de l’aune est un des meilleurs exemples de configuration de l’espace géolinguistique gallo-roman en « lignes de passage horizontales », opposant le nord et le sud de la France sur la base d’isoglosses qui constituent des « lignes de soutien » qui témoignent de la résistance aux innovations oïliques et qui s’enfoncent progressivement du nord au sud26. Dans le cas d’espèce, nous observons la plus septentrionale de ces lignes de soutien, située à hauteur du bassin de la Loire (Fig. 2).

Figure 2.

Figure 2.

Aune : distribution gallo-romane « étendue » des types étymologiques.

Les types étymologiques qui s’opposent dans ce cas sont : au nord, le lat. alnus (A) ; au sud, des formes issues d’un radical sûrement gaul., *vern-, subdivisées assez clairement en une aire occidentale où le lexème est le masc. *vernus (B1) et une aire orientale où l’on retrouve en revanche le fém. *verna (B2), l’aire orientale s’étendant au-delà des Alpes dans le quart occidental de l’Italie du Nord, au-delà duquel *verna cède la place à alnus, puis au dérivé *alnetanus > it. ontano à l’est et au sud.

L’observation de la figure permet avant tout de rappeler un élément de contexte général qui caractérise les dynamiques géolinguistiques anciennes de part et d’autre des Alpes occidentales : la fréquente extension des lexèmes gallo-romans dans l’aire plus largement « gallo-italique ». Dans le cas qui nous occupe, cette perméabilité des Alpes s’applique à un étymon celtique et donc prélatin.

En descendant à l’échelle géographique de la GPI (Fig. 3), on remarquera la présence, au sein d’une aire où prévaut fondamentalement le type occitan oriental (B2, qui est par exemple le seul attesté en Val d’Aoste), de deux points du réseau ALEPO (Ingria en zone francoprovençale et Canosio en zone occitane) où l’on relève la forme occidentale et géographiquement plus éloignée, le masc. *vernus (B1).

Figure 3.

Figure 3.

Aune : l’aire gallo-romane « italienne », avec les occurrences du type masc. *vernus (B1).

La situation de relatif isolement géolinguistique de ces deux points (Ingria, à l’extrême nord de l’aire francoprovençale piémontaise, et Canosio, point occitanophone de haute montagne situé dans une vallée fermée en amont) pourrait bien suggérer une antériorité de cette forme par rapport à un type fém. plus récent *verna émanant peut-être, avec succès, du gallo-latin oriental de Gaule narbonnaise. Toutefois, dans le cas d’espèce, l’observation de la coexistence et de l’alternance « libre » de formes majoritaires et minoritaires, tant en territoire italien qu’en territoire français (cf. aussi en Fig. 2 les « îlots » B2 dans la continuité géolinguistique B1 de la Gallo-Romania française), semble fournir une grille d’interprétation plus pertinente que l’évaluation du simple rapport diachronique entre conservation et innovation.

Frêne27

Dans le deuxième exemple, nous sommes face à une autre configuration typique des dynamiques de compétition linguistique entre le nord et le sud de la Gallo-Romania, qui aboutit à la forme « en cloche » des aires conservatrices méridionales. Dans cette configuration, le Massif Central montre au centre une résistance supérieure aux innovations oïliques comparé aux zones plus perméables à l’Ouest (zone atlantique, jusqu’à la Garonne) et à l’Est (vallée du Rhône)28.

Figure 4.

Figure 4.

Frêne : distribution gallo-romane « étendue » des issues du lat. fraxinus.

La distribution des résultats gallo-romans du type étymologique lat. fraxinus (Fig. 4) révèle deux types de réduction syllabique du proparoxyton latin : dans la zone septentrionale (A), la forme *fra(xi)nus est marquée par la chute de l’avant-dernière syllabe ; dans la zone méridionale (B), par opposition, la forme *fraxi(nus) fait chuter la dernière syllabe. On retrouve une distribution identique dans la GPI, où l’aire francoprovençale présente la même évolution que la zone septentrionale (frèno et formes proches), tandis que l’aire occitane suit l’exemple de la zone sud (fràisse, par exemple) et forme un continuum avec les dialectes gallo-italiques du nord-ouest (piémontais et ligurien).

En regardant l’aire de la GPI en détail, il est intéressant d’observer les dynamiques de compétition entre modèles linguistiques dans la zone de contact entre francoprovençal, parlers d’oc et piémontais, c’est-à-dire le val de Suse (Fig. 5). Pour rappel, il s’agit d’une zone frontière entre les deux variétés gallo-romanes également exposée à la pression du piémontais qui avançait depuis Turin et sa plaine. Dans cette zone, le type frèno (A) résiste à Novalaise, au fond du val Cenischia qui communique directement avec le continuum francoprovençal, à travers le mont Cenis ; dans le reste de la moyenne et de la basse vallée francoprovençale, c’est la forme fràisse (B) qui est en revanche attestée, renforcée à la fois par les parlers occitans de la haute vallée et (surtout) par le piémontais ; on remarquera en outre, dans une zone-tampon enserrée par les aires A et B et incluant Suse, la coexistence des deux formes dans le répertoire. On observe la même situation qu’en val de Suse dans les vallées les plus méridionales des trois vallées de Lanzo (vallée de Viù, point de Lemie ; val d’Ala, point de Balme), c’est-à -dire la pénétration progressive de la forme piémontaise au fil d’un processus d’érosion. La troisième vallée, le val Grande (Chialamberto), est quant à elle restée à l’abri de cette innovation.

Figure 5.

Figure 5.

Frêne : distribution des types *frèno (A) et fràisse (B) dans l’aire de contact entre francoprovençal et occitan-piémontais (val de Suse, vallées de Lanzo).

Cette illustration du principe de « compétition linguistique » se situe dans un passé relativement proche et s’explique par des dynamiques ayant trait, entre autres, à la dimension de la diffusion des modèles dominants au niveau sociolinguistique. Elle trouve son parallèle dans la situation française : l’aire assez grande d’attestation du type A en Figure 4 correspond aux alentours d’Avignon, où « le parachutage de la forme centrale » est la cause de son « expansion dans l’aire d’influence de cette ville »29.

Donner30

La diffusion du type étymologique donare (qui en lat. classique signifiait ‘faire un don’, et non ‘donner’ en sens neutre) est considérée comme un exemple de diffusion des mots provenant du français central dans l’espace gallo-roman31. À sa présence diffuse (Fig. 6) s’ajoutent deux autres types lexicaux latins dont les contours géolinguistiques sont moins bien définis que dans les exemples précédents : baiulare et dare. Pour baiulare (‘porter, porter sur le dos’; d’où le fr. bailler, anciennement attesté aussi dans le sens de ‘donner’), des continuateurs sont attestés dans trois aires assez vastes et séparées : la Gascogne, le Massif central et une aire orientale s’étendant du francoprovençal jusqu’à la Meuse. La forme dare, le correspondant sémantique latin de ‘donner’, est attestée dans une zone restreinte aux pieds des Pyrénées centrales et dans presque tout l’espace italo-roman, à l’exception de l’extrême sud (sicilien et calabrais méridional) où le type dunari est lui considéré comme un « normandisme ».

Figure 6.

Figure 6.

Donner : distribution gallo-romane « étendue » des types étymologiques.

La configuration de la GPI (Fig. 7) nous offre ici des pistes pour une réévaluation de ce secteur onomasiologique. En premier lieu et de façon générale, la présence continue et stable de donare dans toute la zone de contact entre parlers gallo-romans (francoprovençaux et occitans) et gallo-italiques suggère que la raison de cette stabilité pourrait être liée au fait que les communautés locales de locuteurs auraient considéré ce mot comme porteur de particularité linguistique. Ainsi, donare aurait été une sorte de « marqueur de gallo-romanité », un shibboleth facilement opposable aux locuteurs des communautés piémontaises voisines. Ce phénomène expliquerait également bien la persistance de donare à Frabosa Soprana (cf. le point indiqué en Fig. 7). On l’a dit, ce point est situé dans la petite aire des parlers du kje, une variété qui ne présente que des traits résiduels d’occitanité : la claire opposition des deux lexèmes dare (italo-roman) et donare (gallo-roman et appartenant au lexique de base de la langue française), ainsi que la haute fréquence d’utilisation de ce verbe dans le discours, expliqueraient bien sa conservation comme un cas flagrant de « loyauté linguistique ».

Figure 7.

Figure 7.

Donner : l’aire gallo-romane « italienne » et la distribution des types étymologiques donare (A), baiulare (B) et dare (C) ; en bas, mise en évidence, l’aire des parlers du kje (Frabosa Soprana).

La deuxième piste apparaît clairement si l’on s’intéresse à la partie francoprovençale de la GPI et surtout à l’ensemble valdôtain. Cette aire possède, on l’a vu, des dynamiques géolinguistiques propres : les flux d’innovation gallo-romans progressent visiblement d’ouest en est, à travers les passages alpins32. En tenant compte de cette spécificité, le fait que le type baiulare ne soit attesté que dans la haute vallée (autour d’Aoste) ne peut être interprété que comme la preuve d’une innovation émanant de l’arrière-pays francoprovençal. Par opposition, le type oïlique donare est présent en basse vallée d’Aoste et dans les autres vallées piémontaises francoprovençales isolées ; ce dernier type est par conséquent plus ancien que le premier.

Si cette analyse est confirmée, elle appellera alors nécessairement une relecture du panorama linguistique français, où donare et baiulare ont longtemps coexisté selon une dynamique particulière. En effet, si le premier était renforcé par son appartenance à la langue qui s’est imposée au fil du temps, le second s'est démontré, à l'épreuve des faits, doté d'une certaine « vitalité linguistique » dû à son caractère sémantique expressif et ancré dans les pratiques de la vie quotidienne. Ce caractère lui a permis de résister dans certains endroits et même de se diffuser et de s’imposer comme forme innovante dans d’autres zones telles que l’aire francoprovençale italienne.

Feuille33

Terminons avec un exemple qui porte sur un des nœuds de la dialectologie gallo-romane, à savoir l’identification du francoprovençal et de ses caractéristiques linguistiques. On abordera la question d’un point de vue phonétique en étudiant les formes du /a/ atone final, en particulier dans les mots féminins en contexte palatal, contexte qui en francoprovençal peut marquer des oppositions entre, par exemple, /ˈfɛna/ (‘femme’, < lat. foemina) sans palatalisation et /ˈfɔʎi/ (‘feuille’, lat. folia) palatalisée. Je me penche ici sur le second cas34.

La GPI présente à cet égard une situation extrêmement variée (Fig. 8) dans laquelle on observe une vaste aire italo-romane (débordant dans l’aire occitane alpine française proche de la frontière) marquée par la conservation du /a/ latin, à laquelle s’opposent dans les Alpes des solutions allant de la vélarisation en /ɔ/, à la fermeture en /i/, à la centralisation en /ə/, jusqu’à l’amuïssement.

Dans ces solutions, on reconnaît aisément les gallo-romanes attestées dans les données ALF et visibles en Fig. 8, centrée sur le centre-sud de la France, qui nous permettent de saisir en un coup d’œil sa répartition dialectale. En effet, la ligne jaune et la ligne verte qui traversent la France d’est en ouest indiquent respectivement la limite septentrionale de la solution occitane en voyelle vélaire et celle méridionale de l’amuïssement oïlique, en marquant ainsi la frontière majeure entre ces deux sous-groupes gallo-romans. Cependant et dans le même temps, là où elles s’écartent l’une de l’autre, les lignes délimitent deux aires latérales (correspondant à peu près au gascon à l’ouest et au francoprovençal à l’est) où les solutions divergent de celles majoritaires et sont moins bien définies d’un point de vue géolinguistique, la tendance générale étant une palatalisation qui se manifeste pourtant à des degrés divers : du plus haut /i/ aux moyens /e/ et /ɛ/, incluant aussi la présence du /ə/, une centralisation interprétable comme solution intermédiaire entre la palatalisation et l’amuïssement oïlique.

Figure 8.

Figure 8.

Feuille : distribution dans le centre-sud de la Gallo-Romania des issues de /a/ atone final en contexte palatalisant (folia).

En se concentrant maintenant sur le bassin du haut et moyen Rhône, qui peut être considéré comme le berceau géo-historique du francoprovençal35, on observera que la distribution interne des solutions montre une opposition assez claire entre une zone centrale où sont attestés des degrés moyens de palatalisation et trois zones périphériques (le Lyonnais, le point de Nendaz en Suisse, une partie de l’aire francoprovençale italienne) qui présentent une palatalisation plus poussée en /i/.

Cette opposition s’explique assez bien si l’on regarde de plus près la partie de la GPI concernée (Fig. 9). Sur le territoire italien, on observe des voyelles moyennes et centrales uniquement dans les zones directement exposées aux flux d’innovation provenant du nord du domaine gallo-roman, se diffusant le long du Rhône et de l’Isère et aboutissant aux passages alpins : la haute et moyenne Vallée d’Aoste à travers les cols du Petit et Grand-Saint-Bernard ; les points de Novalaise et de Bardonnèche situés juste au-delà du Mont Cenis et du Fréjus ; Sestrière, en contact avec le Montgenèvre, où l’on enregistre isolément la solution amuïe, encore plus « centrale ». Le reste du territoire (là où l’influence du modèle italo-roman ne réussit pas à s’imposer, comme elle l’a fait dans la partie plus orientale du Val d’Aoste ou dans la basse vallée de Suse) tend par contre à conserver les traits originaux : le /ɔ/ dans les points occitanophones plus éloignés de la frontière, le /i/ francoprovençal dans les vallées fermées du Piémont et, en continuité géographique, dans le point valdôtain méridional de Champorcher.

Figure 9.

Figure 9.

Feuille : issues de /a/ atone final (<folia) dans le secteur francoprovençal ; cols alpins et lignes de pénétration des issues gallo-romanes septentrionales (en vert) et italo-romanes (en bleu).

Dans ce dernier exemple, l’observation en détail du contexte gallo-roman italien fonctionne comme un révélateur décisif qui précise la configuration géolinguistique du secteur francoprovençal, partagé entre des aires centrales novatrices et des aires latérales conservatives. Cette connaissance du contexte détaillé permet par conséquent de reconnaître dans la solution en /i/ un trait en quelque sorte « authenthique » des parlers concernés. Cette conclusion est d’ailleurs cohérente avec la caractérisation générale du francoprovençal en tant que système linguistique : si l’on peut reconnaître à ce groupe linguistique une identité propre, ce n’est pas tant par l’existence en son sein de centres propulseurs à l’origine de sa diffusion qu’en raison de sa tendance à refuser les innovations provenant de l’extérieur.

Conclusions

Les quelques exemples présentés ici laissent entrevoir l’importance de la contribution que l’étude de la Galloromania peripherica italienne peut apporter à la dialectologie gallo-romane.

D’un côté, les territoires de la GPI peuvent constituer un terrain d’exploration intéressant permettant de tester le prisme communément accepté au travers duquel les dynamiques géolinguistiques de la Gallo-Romania sont observées, c’est à dire l’opposition entre un « centre » robuste d’irradiation et une « périphérie » dialectale méridionale qui peut offrir (et a toujours offert) un certain degré de résistance aux innovations qui se développent à Paris ou au nord de l’Hexagone.

D’un autre point de vue, il convient de noter que ce sont les caractéristiques mêmes de ces territoires qui en font un terrain d’observation particulièrement fertile. Leur richesse vient de la complexité géographique propre au territoire alpin (sur les plans physique et socio-économique), territoire qui réunit les caractéristiques opposées d’« aires isolées » et de « couloirs de transit ». Les exemples présentés démontrent que la prise en compte de ces caractéristiques accroît la « lisibilité » des dynamiques de diffusion linguistique dans l’espace. Sur le territoire alpin, la portée et la direction de ces dynamiques de diffusion peuvent en fait être observées avec un niveau de précision supérieur, offrant ainsi d’importants indices pour passer de l’observation synchronique à l’explication diachronique.

Enfin, sur le plan plus général de l’histoire des langues romanes, c’est la position même de la GPI, au croisement de deux des trois sous-familles linguistiques gallo-romanes (occitane et francoprovençal) et du groupe des dialectes gallo-italiques, qui renforce son intérêt. Les raisons en sont évidentes : elles portent sur les aspects de son substrat linguistique ancien, sur la période romane et néolatine de formation des couches linguistiques de l’aire et, plus tardivement, sur les phénomènes de contact linguistique et culturel continu entre la France et l’Italie qui se sont produits précisément au sein de ces territoires alpins.

Notes

1 Cf. I. Milka, Trends in Linguistics, Berlin, De Gruyter, 1970, p. 93-96, en particulier § 181-182, et J. K. Chambers et K. P. Trudgill, Dialectology, Cambridge University Press, Cambridge, 1998, p. 167-176, ainsi que G. Sanga, « Isole tra le onde. Sui rapporti tra dialettologia, etnologia, etnolinguistica », dans La dialettologia oggi fra tradizione e nuove metodologie. Atti del Convegno Internazionale, Pisa 10-12 février 2000, dir. A. Zamboni, P. Del Puente et M. T. Vigolo, Pisa, ETS, 2001, p. 253-281. Pour le domaine de la dialectologie galloromane, on signale G. Brun-Trigaud, Y. Le Berre et J. Le , Lectures de l'Atlas linguistique de la France de Gilliéron et Edmont. Du temps dans l'espace, Paris, CTHS, 2005, qui reprend l’approche linguistique spatiale. Retour au texte

2 Dans tout l’arc alpin occidental italien, l’inventaire linguistique « historique » met en lumière une « diglossie multiple » au sein de laquelle les langues dialectales occupent le niveau low, tandis que l’italien et le français se partagent le niveau high, l’une ou l’autre langue ayant occupé une position dominante d’un contexte géographique ou historique à un autre. Pour la Vallée d’Aoste, cf. G. Raimondi, « Micro-territoires aux carrefours de l’Europe : le cas de la Vallée d’Aoste, dans C. Hélot, A. Camilleri-Grima et J. Jiménez-Salcedo (dir.), Small is plurilingual : langues et identités dans les micro-territoires, Bern, Peter Lang, à paraître. Retour au texte

3 Voir ci-après le détail des diverses zones. Pour l’aire occitanophone piémontaise en général, on estimait à 200 000 le nombre de locuteurs en 1994 ; même si on se tient au nombre de 20 000 estimé prudemment en 2012 (cf. R. Regis, « Quanto è vitale l’occitano in Piemonte? Elementi di valutazione », dans A. Pons (dir.), Vita, morte e miracoli dell’occitano, Scuola Latina, Pomaretto, 2016, p. 28-44), il s’agit quand même d’environ un tiers de la population, contre 1 % d’occitanophones en moyenne en France (Ibid., p. 29-30). On renvoie également, pour le détail du Val d’Aoste, à G. Raimondi, « Lingue minoritarie “dialettali” e scuola : il caso della Valle d’Aosta », dans F. Avolio, A. Nuzzaci et L. Spetia (dir.), Politiche e problematiche linguistiche nella formazione degli insegnanti, Lecce, Pensa MultiMedia, 2019, p. 115-128) : en 2000, plus de la moitié de la population (55,77 %) connaissait et utilisait le francoprovençal. Même dans ce contexte, toutefois, ce pourcentage important est en baisse dans la période suivante (2006 : 33,8 % ; 2015 : 19,8 % ; Ibid. p. 123). Retour au texte

4 Un projet visant à inventorier les parlers de l’arc alpin occidental italien (y compris, outre l’occitan et le francoprovençal, les dialectes alémaniques walser autour du mont Rose) a été récemment financé par le ministère italien de l’Enseignement supérieur (action PRIN 2019, responsables Livio Gaeta et Gianmario Raimondi). Le projet biennal « CLiMAlp-Corpus Linguistics Meets Alpine Heritage », conduit en partenariat par les universités de Turin et d’Aoste, vise à rassembler des données lexicales et textuelles dans une base en ligne qui prendra la forme d’un corpus interrogeable accessible même à un public non-spécialiste. Ces ressources serviront à mener des analyses linguistiques de corpus. Retour au texte

5 Pour toute information sur l’ALEPO, dirigé par Riccardo Regis (Dipartimento di Studi Umanistici, Université de Turin), consulter le site http://www.alepo.eu/. L’APV est codirigé par Saverio Favre et Gianmario Raimondi ; son siège et ses archives se trouvent auprès de l’Assessorat régional aux biens culturels d’Aoste (pour toute information, s’adresser à g.raimondi@univda.it). Retour au texte

6 ALJA = J.-B. Martin et G. Tuaillon, Atlas Linguistique et ethnographique du Jura et des Alpes du Nord, Paris, Éditions du CNRS, 1971-1981 (3 vol.) ; ALP = C. Martel et J.-C. Bouvier, Atlas linguistique et ethnographique de la Provence, Paris, Éditions du CNRS, 1975-1986 (3 vol.). Retour au texte

7 Il s’agissait de Corrado Grassi et Tullio Telmon, Ernst et Rose-Claire Schüle, et Gaston Tuaillon, un des pères de l’ALJA. Pour le démarrage du projet, cf. T. Telmon, « L'Atlante linguistico del francoprovenzale cisalpino : progetto e situazione attuale », dans M. Cortelazzo (dir.), La ricerca dialettale, vol. I, Pisa, Pacini, 1975, p. 97-102. Retour au texte

8 Cf. T. Telmon, « Per un atlante delle parlate galloromanze in territorio piemontese », Bollettino dell'Atlante Linguistico Italiano, s. III, t. 3-4, p. 58-71. Retour au texte

9 G. Tuaillon, Questionnaire pour enquêtes dialectales en pays alpin, Grenoble, ELLUG, 1972-1973. Retour au texte

10 Pour les six volumes ALEPO publiés entre 2003 et 2013, consulter le site (http://www.alepo.eu/index.php/il-progetto/risultati). Le site permet également de télécharger le dernier volume (ALEPO V-I, Lo spazio. V-II, Il tempo) et les index mis à jour, publiés exclusivement en ligne dans un format électronique gratuit. Retour au texte

11 Un aperçu détaillé de l’historique du projet APV et du plan d’édition du premier volume, ainsi qu’une bibliographie complète pour la période 1978-2017, sont maintenant disponibles en ligne (cf. G. Raimondi, « APV-Atlas des Patois Valdôtains », dans Lo spazio comunicativo dell’Italia e delle varietà italiane, dir. T. Krefeld et R. Bauer, Korpus im Text. Versione 67, http://www.kit.gwi.uni-muenchen.de/?p=8083&v=67). Retour au texte

12 ALF = J. Gilliéron et E. Edmont, Atlas linguistique de la France, Paris, Champion, 1902-1910 ; ALJA = J.-B. Martin, Atlas Linguistique ; ALMURA = Atlas Linguistique Multimédia de la Région Rhône-Alpes, https://www.atlas-almura.net/. Retour au texte

13 Pour un contexte général (historico-linguistique, dialectologique et sociolinguistique) sur les aires francoprovençale et occitane, cf. respectivement S. Favre, « Comunità francoprovenzale », dans Enciclopedia dell’italiano, Roma, Istituto dell’enciclopedia italiana Treccani, 2011, en ligne, http://www.treccani.it/enciclopedia/comunita-francoprovenzale_(Enciclopedia-dell'Italiano)/ ; et R. Regis, « Comunità provenzale », dans Enciclopedia dell’italiano, Roma, Istituto dell’enciclopedia italiana Treccani, 2011, en ligne, http://www.treccani.it/enciclopedia/comunita-provenzale_(Enciclopedia-dell'Italiano)/. Retour au texte

14 Pour les détails de cette caractérisation géolinguistique, notamment au niveau lexical, cf. G. Raimondi, « Le sub-aree dialettali della Valle d’Aosta : anfizone, dialettiche interne e rapporti con le aree gallo- e italoromanza », dans Studi linguistici in onore di Lorenzo Massobrio, dir. F. Cugno, L. Mantovani, M. Rivoira et M. S. Specchia, Torino, Istituto dell’Atlante linguistico Italiano, 2014, p. 779-791 et Id, « Conflitti di lingue e di culture fra Gallo-Romània e Gallo-Italia. Una rilettura a partire dai dati lessicali dell’Atlas des Patois Valdôtains », dans Actes du XXVIIe Congrès international de linguistique et de philologie romanes (Nancy, 15-20 juillet 2013), 3 volumes, dir. É. Buchi, J.P. Chauveau et J.M. Pierrel, Strasbourg, Société de linguistique romane/ÉliPhi, 2016, p. 183-194. Retour au texte

15 Aux 5 points de l’ALF (Courmayeur, en haute vallée ; Aoste ; Champorcher, Châtillon, Ayas en moyenne et basse vallées) et aux 4 points de l’ALMURA (Courmayeur, Sarre et Saint-Nicolas à l’ouest ; Arnad à l’est), l’APV ajoute 12 points jamais étudiés (d’ouest en est : La Thuile, La Salle, Rhêmes-Saint-Georges, Valsavarenche, Saint-Oyen, Cogne, Oyace, Quart, Fénis, Valtournenche, Emarèse et Gaby, enclave romane dans la vallée latérale du Lys où prédominent les parlers alémaniques walser), en plus de quatre (Champorcher, Ayas, Sarre et Arnad) des localités déjà présentes dans les atlas français. L’APV inclut aussi 6 points francoprovençaux en dehors de la région, à savoir Évolène et Liddes (Valais suisse), Les-Contamines-Montjoie et Tignes (Haute-Savoie et Savoie), Carema et Ribordone (Piémont). Retour au texte

16 Cf. G. Tuaillon, Le francoprovençal. Tome 1, Aoste, Musumeci, 2007, p. 100. Retour au texte

17 Pour une bibliographie et des notes sur l’histoire linguistique et sur le répertoire, cf. R. Regis et M. Rivoira, « Indizi di vitalità : le minoranze linguistiche storiche in Piemonte », dans Minoranze in mutamento. Etnicità, lingue e processi demografici nelle valli alpine italiane, dir. V. Porcellana et F. Diémoz, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2014, p. 1751, en particulier p. 29 pour le nombre de locuteurs. Retour au texte

18 Cf. G. Tuaillon, Le francoprovençal, p. 100. Retour au texte

19 Pour la complexité du contexte sociolinguistique de Suse et son histoire, cf. B. Terracini, « Minima. Saggio di ricostruzione di un focolare linguistico (Susa) », Zeitschrift für romanische Philologie, t. 57, 1937, p. 637-726. Retour au texte

20 Cf. M. Rivoira, « Nous avons besoin de ces deux langues comme de nos deux mains : il francese nelle Valli Valdesi, tra proiezioni ideologiche e realtà dei fatti », dans Plurilinguismo/sintassi. Atti del XLVI congresso della Società di Linguistica Italiana (Siena, 27-29 settembre 2012), dir. C. Bruno, S. Casini, F. Gallina et R. Siebetcheu, Roma, Bulzoni, 2015, p. 343-360. Retour au texte

21 Sur le statut ambigu de l’extrémité orientale du domaine (vallée du Pesio, val Maudagna et val Corsaglia, autour du centre de Mondovì) que l’on inclut parfois dans l’aire occitane, mais qui relève principalement du piémontais méridional, cf. R. Regis, « Comunità provenzale ». On renvoie au même auteur pour l’état des connaissances générales sur ce sujet. Retour au texte

22 Pour APV, voir les notes méthodologiques dans G. Raimondi, C. Alessandri, S. Belley et S. Favre, « “Microtesti” e iconografia nella costruzione dei saperi etnografici dell’APV-Atlas des patois valdôtains », Bollettino dell’Atlante Linguistico Italiano, t. 39 s. III, 2015, p. 99-124 (Actes du colloque Lingue e culture della montagna. Prospettive di studio e modalità di trattamento dei dati etnolinguistici, Torino-Bobbio Pellice, 1517 mai 2015). Retour au texte

23 Cf. G. Brun-Trigaud, Lectures. Les contenus de l’ALF sont disponibles en ligne à travers l’interface Cartodialect (http://lig-tdcge.imag.fr/cartodialect5/, consulté en septembre 2019). Pour les atlas italiens, les données ALEPO proviennent surtout des matériaux publiés, cités avec un renvoi à la numération du volume et à l’article ; en cas de données inédites, la référence entre crochets renvoie au questionnaire, lui aussi publié (numéro de la question et texte ; cf. Atlante linguistico ed etnografico del Piemonte Occidentale (ALEPO), Questionario. II : Testo, dir. S. Canobbio et T. Telmon, Torino, Regione Piemonte, 1994) ; pour l’APV il s’agit exclusivement de matériaux d’archive et référencés à travers le renvoi au Questionnaire Tuaillon (voir, ci-dessus, n. 9). Les cartes présentées ici ont été produites manuellement en utilisant la plateforme Google Earth Pro basée sur les images satellitaires Landsat/Copernicus. Retour au texte

24 AIS = K. Jaberg et J. Jud, Sprach- und Sachatlas Italiens und der Südschweiz, 8 voll, Zofingen, Ringier & Co., 1928-1945, version numérisée en ligne, G. Tisato-ISTC, NavigAIS, http://www3.pd.istc.cnr.it/navigais-web/. Pour les notes étymologiques, sauf indications diverses, on renvoie à TLFi = ATILF, Trésor de la langue française informatisé, en ligne https://www.cnrtl.fr/portail/. Retour au texte

25 ALF 74 aune (arbre) ; ALEPO I/1-56 ontano comune ; APV [56.01.A un aune (ou « verne »)]. Retour au texte

26 Cf. G. Brun-Trigaud, Lectures, p. 266-271 et les cartes 29, 159, 378 et 440 pour aune. Retour au texte

27 ALF 611 frêne ; ALEPO I/1-130 frassino ; APV [54.08.A un frêne]. Retour au texte

28 Cfr. G. Brun-Trigaud, Lectures, p. 280-295 et les cartes 196, 200, 430 et 440 pour frêne. Retour au texte

29 Cfr. G. Brun-Trigaud, Lectures, p. 290. Pour le concept de agonismo linguistico, on renvoie naturellement à l’œuvre de Benvenuto Terracini et à son interprétation du contexte spécifique du Val de Suse dans B. Terracini, « Minima. Saggio di ricostruzione di un focolare linguistico » [1937], dans Id., Linguistica al bivio, dir. G. Beccaria et M. L. Porzio Gernia, Napoli, Guida, 1981, p. 265-323. Retour au texte

30 ALF 417 il lui a donné un baiser ; ALEPO [3427 dare il resto] ; APV [108.07.D rendre la monnaie]. Retour au texte

31 Cfr. G. Brun-Trigaud, Lectures, p. 110 et la carte 70. Retour au texte

32 Cf. surtout G. Raimondi, « Le sub-aree dialettali » et les renvois bibliographiques contenus. Retour au texte

33 ALF 559 feuille ; ALEPO I/1-11 foglia ; APV [53.10.B une feuille]. Retour au texte

34 Comme G. Tuaillon, Le francoprovençal, Aoste, Musumeci, 2007, p. 15-18, le rappelle, il s’agit du premier des deux traits phonétiques formant la « particolar combinazione » à la base de l’individuation même de ce groupe linguistique par Graziadio Isaia Ascoli en 1873. Retour au texte

35 Cf. le panorama historique de H. Jauch, « Les frontières linguistiques extérieures du francoprovençal », dans Manuel des frontières linguistiques dans la Romania. dir. O. Winkelmann et C. Ossenkop, Berlin-New York, De Gruyter, 2018, p. 93-113. Retour au texte

Illustrations

  • Figure 1.

    Figure 1.

    L’aire gallo-romane « italienne », son appartenance linguistique (rouge : francoprovençal ; jaune : occitan), ses zones géographique (A, B, C, D : voir texte) et sa couverture géolinguistique (triangles en nuance bleu : atlas français ‒ ALF, ALJA, ALMURA ‒ ; triangles rouges : APV ; triangles violets : ALEPO).

  • Figure 2.

    Figure 2.

    Aune : distribution gallo-romane « étendue » des types étymologiques.

  • Figure 3.

    Figure 3.

    Aune : l’aire gallo-romane « italienne », avec les occurrences du type masc. *vernus (B1).

  • Figure 4.

    Figure 4.

    Frêne : distribution gallo-romane « étendue » des issues du lat. fraxinus.

  • Figure 5.

    Figure 5.

    Frêne : distribution des types *frèno (A) et fràisse (B) dans l’aire de contact entre francoprovençal et occitan-piémontais (val de Suse, vallées de Lanzo).

  • Figure 6.

    Figure 6.

    Donner : distribution gallo-romane « étendue » des types étymologiques.

  • Figure 7.

    Figure 7.

    Donner : l’aire gallo-romane « italienne » et la distribution des types étymologiques donare (A), baiulare (B) et dare (C) ; en bas, mise en évidence, l’aire des parlers du kje (Frabosa Soprana).

  • Figure 8.

    Figure 8.

    Feuille : distribution dans le centre-sud de la Gallo-Romania des issues de /a/ atone final en contexte palatalisant (folia).

  • Figure 9.

    Figure 9.

    Feuille : issues de /a/ atone final (<folia) dans le secteur francoprovençal ; cols alpins et lignes de pénétration des issues gallo-romanes septentrionales (en vert) et italo-romanes (en bleu).

Citer cet article

Référence papier

Gianmario Raimondi, « ALEPO et APV : la contribution de l’Italie à l’étude de la Galloromania peripherica », Bien Dire et Bien Aprandre, 35 | 2020, 109-130.

Référence électronique

Gianmario Raimondi, « ALEPO et APV : la contribution de l’Italie à l’étude de la Galloromania peripherica », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 35 | 2020, mis en ligne le 01 février 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/450

Auteur

Gianmario Raimondi

Università della Valle d’Aosta/Université de la Vallée d’Aoste

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