L’image de la guerre dans les Banderia Prutenorum de Jan Długosz

DOI : 10.54563/bdba.659

p. 143-158

Plan

Texte

La victoire des troupes polonaises et lituaniennes contre les Chevaliers Teutoniques lors de la bataille de Grunwald1 le 15 juillet 1410, joue un rôle fondamental dans la conscience historique polonaise2, mais aussi lituanienne. L’importance de cet élément est bien visible à travers les sources polonaises médiévales, puisqu’en plus d’un certain nombre de sources épistolaires, on remarque également la présence de cet événement dans les sources narratives. Parmi celles-ci, il convient de citer tout d’abord la Cronica conflictus Wladislai Regis Poloniae cum Cruciferis anno Christi 14103, qui est contemporaine des faits rapportés et fut de toute évidence rédigée par un témoin oculaire de haut rang proche du roi (plusieurs hypothèses existent quant à son identité exacte). Bien que plus tardive, la production de l’érudit chanoine de Cracovie Jan Długosz (1415-1480) accorde également une place importante à la bataille de Grunwald, que l’auteur, selon sa méthode travail habituelle, présente en s’appuyant des sources nombreuses et variées : sources épistolaires, documents diplomatiques, témoignages oraux… Il convient d’ailleurs de souligner que Długosz ne se contente pas d’utiliser les sources polonaises mais incorpore également le témoignage des Teutoniques, quand cela est possible. Enfin, il est également important de mentionner l’existence d’un lien particulier entre Długosz et la bataille de Grunwald, puisque son propre père prit part à la bataille.

Au sein de l’abondante œuvre de Jan Długosz, deux réalisations accordent une place de choix à la bataille de Grunwald : la première n’est autre que le chef-d’œuvre du chanoine cracovien, à savoir les Annales seu cronicae incliti regni Poloniae dont l’avant-dernier livre contient un récit de l’événement, tandis que le second ouvrage, qui fera l’objet de la présente communication, est connu sous le nom de Banderia Prutenorum4. Il s’agit d’un manuscrit contenant la reproduction de 56 étendards pris aux Teutoniques et à leurs alliés par les Polonais et les Lituaniens principalement lors de la bataille de Grunwald, mais aussi lors de celles de Koronowo, en octobre 1410, et Dąbki, en 1431.

Description, genèse et contenu des Banderia Prutenorum

Les Banderia Prutenorum appartiennent à la catégorie des livres de drapeaux (en Allemand Fahnenbüchern), et plus précisément au groupe des livres de drapeaux reproduisant les étendards gagnés sur l’ennemi lors d’une bataille. D’après Eduard Achilles Gessler, auteur d’un article sur le Fahnenbuch du canton suisse de Glaris, l’âge d’or de ce type d’ouvrage intervient au xviie siècle5, soit deux siècles après la naissance de notre source, que l’on peut donc considérer comme l’un des premiers exemples du genre. L’habitude relativement courante de suspendre les drapeaux ennemis dans les églises6, où la fonction d’ex-voto s’ajoutait à celle de trophée7, et la fragilité des drapeaux8 ont joué un rôle non négligeable dans la confection de ces ouvrages, ce qui se remarque également dans le cas des Banderia Prutenorum.

Le manuscrit original des Banderia Prutenorum est actuellement conservé à la Bibliothèque de l’Université Jagellonne de Cracovie : une courte note au début du manuscrit nous informe que ce manuscrit fut donné à la bibliothèque de cette université par Jan Długosz lui-même9, mais il convient de signaler qu’il a connu plusieurs déplacement et vicissitudes au cours des siècles. Le manuscrit se composait originellement de 48 feuillets soit quatre quinternions et un quaternion, mais le folio 43 a disparu. Fort heureusement plusieurs reproductions du verso de ce feuillet (le recto était vide) sont disponibles : on peut ainsi citer celle présente dans une copie des Banderia Prutenorum réalisée au xviiie siècle et actuellement conservée à Dresde10. Les feuillets du manuscrit original sont faits de parchemin mesurant 29,3 cm de long pour 18 cm de large. La première page contient l’ex-libris mentionné précédemment ainsi qu’un titre indiquant le contenu du manuscrit et le fait que Długosz en fut l’auteur11. Sous le titre figure également une note explicative commençant par les mots Banderia Prutenorum, qui sont désormais employés pour désigner cette œuvre ; cette note nous apprend également que le manuscrit décrit les drapeaux pris aux Teutoniques durant la bataille de Grunwald et accrochés dans la cathédrale sur ordre du roi Wladislas Jagellon (1386-1434)12.

Figure 1.

Figure 1.

Le folio 1 r° du manuscrit original des Banderia Prutenorum

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Figure 2.

Figure 2.

Le verso du dernier folio du manuscrit original des Banderia Prutenorum

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Une note située au bas du verso du dernier feuillet nous informe également sur la date de fin de la réalisation des copies des drapeaux, à savoir le vendredi 29 mars 1448 et sur l’identité de leur auteur, c’est à dire le peintre Cracovien Stanislas Durink13.

Parmi les 56 étendards décrits, 51 furent pris aux Teutoniques et leurs alliés par les Polonais et les Lituaniens lors de la bataille de Grunwald, un autre le fut durant la bataille de Koronowo, tandis que les quatre derniers furent pris à l’ordre des Chevaliers Porte Glaive durant la bataille de Dąbki. Chaque reproduction est accompagnée de la mention des dimensions originales de l’étendard et surtout d’un bref texte rédigé par Jan Długosz, dans lequel il décrit chaque étendard et présente rapidement les troupes se battant sous celui-ci, ainsi que leur chef. En outre, le chanoine polonais mentionne également parfois les circonstances de la prise de l’étendard. Bien que Długosz ajoute en certaines occasions des précisions sur le comportement des troupes au combat dans les légendes accompagnant les reproductions des drapeaux, ce type d’information demeure assez rare dans les Banderia Prutenorum. Si les renseignements fournis par le célèbre chroniqueur cracovien sont légèrement plus diserts en ce qui concerne les chefs qu’au sujet de leurs soldats, ces informations sur les chefs de l’armée ennemie, à l’exception évidente de leur nom, sont cependant elles aussi assez peu fréquentes, puisqu’elles ne concernent qu’une dizaine des 56 légendes rédigées par l’auteur.

Les informations sur les chefs peuvent être divisées en trois catégories. La première concerne le sort des chefs, et en particulier de ceux qui furent capturés. En effet, Długosz précise que certains d’entre eux furent libérés ultérieurement par le roi de Pologne et de Lituanie Władisław Jagellon ou par son fils et successeur, Władisław Warneńczyk – ce dernier libéra notamment le maréchal de Livonie (folio 44 v°). De tels ajouts visent bien entendu à exalter la clémence et la mansuétude de ces deux souverains. La seconde catégorie d’information concerne les vêtements des Teutoniques mais n’est représentée que par un seul cas dans toute l’œuvre, à savoir la description du manteau du grand maître des chevaliers Teutoniques Ulrich von Jungigen, dont Długosz nous précise qu’il était « de drap d’Arras blanc » et qu’il fut donné à une église pour servir de vêtement liturgique (folio 1 v°), selon un mécanisme qui n’est pas sans rappeler celui présidant au sort des drapeaux.

Figure 3.

Figure 3.

La reproduction de l’étendard porté par Ulrich von Jungingen dans le manuscrit original des Banderia Prutenorum (folio 1 v°) et la mention de son manteau.

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Enfin, la troisième catégorie d’informations concerne la personnalité des chefs ennemis et leur comportement au combat. Ce type d’informations est le plus fréquent dans l’œuvre, puisqu’on le retrouve à huit reprises ; néanmoins, il convient de souligner que certaines légendes contiennent des éléments concernant à la fois l’attitude des chefs de l’armée Teutonique durant le combat et leur sort après la défaite. Les commentaires de Długosz fournissent ainsi des renseignements précieux sur le destin des plus importants chefs de l’armée adverse dans la bataille et sur leur comportement au combat, mais aussi sur la représentation et la vision de l’ennemi chez l’auteur.

La représentation des ennemis

Les représentations négatives de l’attitude de l’ennemi sont, et cela n’est pas surprenant, les plus nombreuses puisqu’elles sont au nombre de cinq sur huit. Cependant, on peut y distinguer les notes concernant les Polonais se battant au côté des chevaliers Teutoniques et les Teutoniques proprement dits.

Les représentations négatives des chevaliers Teutoniques sont au nombre de trois. Si l’on suit l’ordre du manuscrit, la première (folio 10 r°) concerne Henri, chef de la commanderie de Tuchola. Długosz stigmatise tout d’abord son arrogance et rapporte qu’Henri fit porter devant lui deux épées nues et déclara son intention de ne pas s’en séparer avant de les avoir trempés dans le sang polonais. Cependant l’auteur précise que l’attitude d’Henri de Tuchola au combat fut bien différente de celle qu’il eut avant la bataille, puisqu’il s’enfuit avant d’être rattrapé et tué par des soldats polonais. Les deux éléments marquants de l’attitude d’Henri de Tuchola aux yeux de Długosz sont donc l’arrogance et la couardise, et leur association provoque un contraste saisissant qui rend le commandeur Henri presque risible. La description suivante, celle du commandeur de Brandebourg (folio 31 v° et folio 32 r°) est également marquée par l’orgueil déplacé dont il fait preuve. L’auteur rapporte en effet qu’il se permit, bien que capturé, de tenir un discours plein de fierté et de morgue au chef polonais qui s’était adressé à lui. L’arrogance paraît donc être une constance parmi les reproches adressés par Długosz aux Teutoniques. On le retrouve d’ailleurs dans la troisième description négative, celle de Verner Tetinger (folio 40v°), commandeur d’Elbłąg. L’auteur y critique également la volonté de Tetinger de faire obstacle à la paix et sa lâcheté, puisqu’il ajoute que Tetinger prit lui aussi la fuite durant la bataille. Ce portrait négatif est rendu encore plus abject par le fait qu’il est contenu dans la même légende que celui de Johannes de Veinde, que Długosz tient en haute estime : le contraste entre les deux commandeurs a pour effet de stigmatiser encore un peu plus le comportement de Tetinger. La coexistence entre les deux accusations (arrogance, mais aussi lâcheté), chez les trois dignitaires teutoniques, est souvent saisissante étant donnée la brièveté des descriptions, et contribue à présenter les chevaliers teutoniques mentionnés comme des fanfarons dépourvus de bravoure.

La représentation des deux ducs polonais combattant au côté des Teutoniques, Conrad d’Oleśnica (folio 4 v°) et Casimir de Słupsk (folio 32 v°), est sensiblement différente de celle de leurs alliés. En effet, les deux légendes très semblables consacrées par Długosz aux deux combattants polonais ne les accusent ni d’orgueil ni de couardise, mais met en avant le caractère honteux de leur trahison. L’auteur précise que leur combat « contre leur propre langue et leur propre patrie » était une « très grande ignominie et un très grand déshonneur ». Cependant, Długosz ajoute que, dans les deux cas, les ducs rebelles reçurent le pardon du roi, qui les libéra de leur captivité. Cette précision vise bien évidemment à exalter la clémence de Władisław Jagellon, en la mettant en contraste avec le comportement des traîtres, que l’auteur dépeint comme honteux et presque criminel.

Outre ces représentations négatives, les Banderia Prutenorum contiennent également trois descriptions positives du comportement de certains chefs ou membres de l’armée teutonique. La première de ces descriptions concerne Georges Kerzdorff, qui commandait les troupes placées sous la bannière de Saint Georges (folio 5 r°). Długosz souligne ici tout particulièrement le courage de Kerzdorff, en lui attribuant les qualificatifs de vaillant (strenuus) et d’intrépide (intrepidus). Il convient d’ailleurs de constater que l’auteur ajoute que le comportement de Kerzdorff fut imité par ses soldats : Długosz qualifie en effet ces derniers de courageux (animosi) et de combatifs (pugnaces), et précise que tous furent tués, très peu d’entre eux cherchant leur salut dans la fuite.

La seconde description positive d’un chef de l’armée teutonique est celle du commandeur de Gniew, Johannes de Veinde, qui mourut au combat (folio 40 v°). Ici, l’auteur ne met pas en avant la bravoure du commandeur, mais plutôt sa bonté : Johannes de Veinde est décrit comme un homme noble (nobilis) et doux (mansuetus), qui s’efforçait de préserver la paix et la concorde. Długosz précise, que, sur ordre du roi de Pologne, le commandeur fut enterré dans l’église sainte Anne de Marienbourg, capitale des Teutoniques ; cet ajout souligne une nouvelle fois la magnanimité du roi Jagellon et suggère que celui-ci savait apprécier comme il se doit la valeur de ses adversaires.

La dernière description positive dépeint non pas un chef, mais un porte-drapeau (vexillifer) ; il s’agit du porte drapeau de la ville de Chełmno (folio 5 v°), nommé Nicolas mais surnommé Niksz, et originaire de Souabe (nacione Swewus). L’auteur nous précise que deux récits concurrents circulent sur la mort de ce Nicolas. Le premier affirme qu’il fut exécuté par Heinrich von Plauen, devenu grand maître des Teutoniques à la suite de la mort d’Ulrich von Jungingen, à cause de sa couardise. Le deuxième récit mentionne au contraire que Nicolas se battit vaillamment, fut blessé, et ne se rendit qu’une fois tous les siens tombés au combat. Cette seconde version ajoute qu’il demanda alors la clémence du roi de Pologne et l’obtint mais qu’il mourut le lendemain après qu’on lui eut présenté, à sa requête, la bannière de sa commanderie ; il fut alors enterré sur place, par ordre du roi. Ces deux récits sont donc très contradictoires, mais Długosz semble accorder plus de foi à la seconde version. Toutefois, il convient de préciser que si l’auteur paraît se livrer à une réhabilitation de la mémoire de Nicolas le Souabe, cette dernière a un but précis : il s’agit pour Długosz d’opposer la cruauté d’Henrich von Plauen à la clémence de Władisław Jagellon, ce qui lui permet bien évidemment de souligner les vertus du roi de Pologne, qui sort grandi de la confrontation avec le comportement dépourvu de bonté du nouveau grand maître des chevaliers teutoniques.

Les éléments relevant de l’activité militaire sur les drapeaux capturés

Les drapeaux contenant des éléments pouvant être considérés comme relevant de l’activité militaire sont au nombre de huit, tandis que les éléments en question peuvent être classés dans trois grandes catégories : les représentations d’armes, les représentations de combattants et les représentations d’enceintes fortifiées. Parmi ces trois catégories, celle des représentations d’armes est de loin la plus importante (six drapeaux sur huit), tandis que les deux autres catégories ne figurent que dans une seule occurrence chacune.

Trois types d’armes différentes sont représentées : trois drapeaux comportent des flèches, un autre une épée et deux encore des haches, qui peuvent naturellement servir d’armes. Les trois représentations de flèches figurent sur les drapeaux des soldats de Westphalie (folio 11 v°), des soldats d’« Alémanie » (folio 16 v°) et de la commanderie de Gniew (folio 40 v°). Dans les trois cas, les flèches sont figurées par deux et disposées en sautoir. Mais si les deux flèches du drapeau des soldats de Westphalie présentent une pointe de forme assez conventionnelle, les deux autres drapeaux associent une flèche possédant une pointe aigüe à une flèche se terminant par un tranchant convexe que l’on peut assimiler à la catégorie des flèches dites « coupe-jarrets », c’est-à-dire des flèches destinées à être tirées dans les pattes des chevaux14. La présence de ces éléments distinctifs nous renseigne donc également sur les projectiles utilisés fréquemment dans la région.

Figure 4.

Figure 4.

La reproduction de l’étendard de la commanderie de Gniew dans le manuscrit original des Banderia Prutenorum (folio 40 v°).

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Figure 5.

Figure 5.

La reproduction de l’étendard porté par le maréchal de Livonie dans le manuscrit original des Banderia Prutenorum (folio 44 v°) avec la représentation de Saint Maurice.

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Les deux représentations de haches figurent sur les drapeaux des villes de Bartenstein15 (folio 22 v°) et de Elgebeyth16 (folio 41 v°). Ainsi que Długosz le souligne dans le cas de Bartenstein, la signification de ces deux toponymes est traditionnellement associée au mot « hache », et il convient de constater que la hache figure également sur les armoiries de ces deux localités. La présence de la hache sur ces drapeaux possède donc clairement une fonction emblématique. Le cas de la représentation d’épée est quelque peu différent. Celle-ci figure sur l’étendard du diocèse de Chełmno (folio 14 v°) où elle est associée à une crosse épiscopale : ces deux éléments sont disposés en sautoir et ils sont de couleur rouge, tandis que le fond est blanc. L’association de l’épée et de la crosse permet bien entendu d’identifier clairement l’origine de la troupe, mais l’apparition de cette arme a également pour fonction de symboliser le pouvoir séculier, et plus particulièrement sa dimension militaire, de l’évêque de Chełmno.

L’unique représentation de combattant est celle figurant sur le drapeau à deux faces porté par le maréchal de Livonie et pris aux Porte Glaive en 1431 à la bataille de Dąbki (folio 44 v°). Ainsi que le précise le commentaire de Długosz, ce drapeau représentait une Vierge à l’enfant sur une face et Saint Maurice sur l’autre. Saint Maurice est ici figuré en armure, tandis que sa tête est surmontée à la fois d’une couronne et d’une auréole. Sa main droite tient la lance, qui est son attribut traditionnel, tandis que la main gauche tient un bouclier aux armes de l’Ordre Teutonique ; les armoiries de l’Ordre figurent d’ailleurs également dans le coin supérieur droit. La présence des symboles héraldiques semble ainsi concourir à faire du légionnaire et martyr thébain, dont le culte était très populaire parmi les élites des pays germaniques, non seulement un protecteur, mais aussi un exemple pour les soldats de l’Ordre Teutonique et pour sa branche associée de l’Ordre des Porte-Glaive.

La seule représentation d’enceinte fortifiée figure sur le drapeau de la ville de Toruń (folio 38v°) : il s’agit d’une représentation très stylisée comprenant trois tours de couleur rouge munies chacune d’une meurtrière et surmontant une base de même couleur percée d’une porte à deux battants jaunes ouverts ; cette porte est également défendue par une herse blanche.

Cette représentation est quasiment identique à celle des armoiries de la ville puisque seul le nombre de battants ouverts change, et il convient de souligner que cet élément varie également dans les différentes représentations héraldiques.

La présence de ces nombreuses similitudes avec les armoiries de Toruń indique donc clairement l’origine de cette représentation, dont la fonction emblématique est évidente.

L’analyse des Banderia Prutenorum met clairement en évidence l’omniprésence du fait militaire, ce qui est tout à fait logique dans une œuvre visant à commémorer la victoire de Grunwald. La guerre est ainsi visible à la fois dans les reproductions de drapeaux, dont un certain nombre comportent des éléments liés à l’activité militaire, mais surtout dans les commentaires accompagnant ces reproductions.

Figure 6.

Figure 6.

La reproduction de l’étendard de la ville de Toruń dans le manuscrit original des Banderia Prutenorum (folio 38 v°).

(source : http://www.tarnautojai.lt/memorandum/ru/modules/banderia/BPindex.htm)

Figure 7.

Figure 7.

Représentation des armoiries de la ville de Toruń sur une clef de voûte dans l’église Saint Jean Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste de Toruń.

(source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Torun_herb_kosciol_ss_Janow.jpg)

Au delà des récits rapportant différents épisodes des batailles durant les quelles les étendards furent pris, les textes rédigés par Długosz sont également une source précieuse en ce qui concerne la représentation de l’ennemi, et plus particulièrement de ses chefs. Ainsi que nous l’avons vu, l’ennemi est décrit le plus souvent de manière négative, et l’auteur est particulièrement sévère avec les deux ducs polonais qui combattirent au côté des Teutoniques. Toutefois, il existe aussi plusieurs cas de représentations positives dans cet ouvrage. Les principaux critères de jugement de Długosz sont le courage, l’humilité, la loyauté et la bonté démontrés par chaque protagoniste. Cette courte liste de critères nous conduit à conclure que la représentation des ennemis, mais aussi de tous les combattants de Grunwald et des autres batailles livrées par le royaume de Pologne chez Długosz, est guidée par une vision inspirée à la fois des valeurs chrétiennes et de la culture chevaleresque. En ce qui concerne les trois différents types de représentations de l’ennemi (mauvais adversaire, traître et bon adversaire), on remarque une certaine homogénéité des descriptions à l’intérieur de chacune de ces catégories. Cette homogénéité, indéniablement voulue par l’auteur, fait surgir devant nos yeux trois « personnages-types » : le mauvais ennemi, le Teutonique belliqueux, arrogant, mais lâche quand survient l’épreuve des armes ; le duc polonais traître et rebelle, dont Długosz stigmatise le comportement en des termes très négatifs ; et enfin, le bon ennemi, le combattant humble, qui ne se rend à la guerre qu’à regret mais se comporte vaillamment sur le champ de bataille. Par ailleurs, la description de l’attitude de certains des chefs des différentes unités de l’armée Teutonique fournit également à l’auteur l’occasion de présenter en filigrane quelques traits du caractère des chefs des deux armées, c’est-à-dire les deux grands maîtres, Ulrich von Jungingen et Heinrich von Plauen d’une part, et le roi de Pologne Władisław Jagellon d’autre part. On remarque donc qu’à la brutalité montrée par les chefs teutoniques, et en particulier par Heinrich von Plauen, s’oppose la clémence de Władisław, qui n’hésite pas à libérer certains ennemis capturés, et non seulement ceux qui se battirent courageusement mais aussi les ducs polonais qui s’allièrent avec les Teutoniques. Un tel contraste est bien évidemment tout à l’avantage du roi de Pologne, et il nous paraît clair que l’une des fonctions initiales de l’œuvre, outre la commémoration de la victoire, était d’exalter la grandeur du souverain Jagellon défunt et de sa lignée.

Notes

1 La forme lituanienne traditionnelle de Grunwald est Žalgiris ; cette bataille est également appelée « erste Schlacht bei Tannenberg » en allemand et « première bataille de Tannenberg » en français. Retour au texte

2 Voir ainsi Maciej Michalski, « The Two Swords. Using the Symbol of the Battle of Grunwald (1410) in the 19th and 20th Century Poland », Przemysław Wyszewski (dir.), Meeting with Emotions, Chronicon, Wrocław, 2008. Retour au texte

3 Cronica conflictus Wladislai Regis Poloniae cum Cruciferis anno Christi 1410, éd. Zygmunt Celichowski, Poznań, 1911. Retour au texte

4 La meilleure édition est celle de Sven Ekdahl : Sven Ekdahl (éd.), Die «Banderia Prutenorum» des Jan Długosz, eine Quelle zur Schlacht bei Tannenberg 1410. Untersuchungen zu Aufbau, Entstehung und Quellenwert der Handschrift, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1976. Retour au texte

5 Eduard Achilles Gessler, « Über die eidgenössischen Kriegsfahnen und das Glarner Fahnenbuch », Zeitschrift für schweizerische Geschichte/Revue d’histoire Suisse, tome 9 (1929), p. 76. Retour au texte

6 Ibid., loc. cit. Retour au texte

7 Ibid., loc. cit. Retour au texte

8 Ibid., loc. cit. Retour au texte

9 Folio 1 r° : « Pro libraria universitatis studii Cracouiensis datum per dominum Johannem Dlugosch ». Retour au texte

10 Mscr.Dresd.G.4.Nr.13 Retour au texte

11 Folio 1 r° : « Descriptio Prutenicae cladis seu crucigerorum sub Jagellone per Joannem Dlugosz canonicum Cracoviensem ». Retour au texte

12 Folio 1 r° : « Banderia Prutenorum anno domini millesimo quadringentesimo decimo in festo Divisionis Apostolorum erecta contra Polonie regem Wladislaum Jagyelno et per eundem regem prostrata et Cracouiam adducta ac in ecclesia catedrali suspensa, que, ut sequitur, in hune modum fuerunt depicta. » Retour au texte

13 Folio 48 v° : « Expliciunt banderia Prvtenorum per manus picta Stanislai Durink de Cracovia die Veneris 29 Marcii 1448 ». Retour au texte

14 Jean Sainty et Jean Marche, « Pointes de flèche en fer forgé du Moyen Âge : recherche expérimentale sur leur technique de fabrication », Revue archéologique de l’Est, Tome 55, 2006. [En ligne] URL : http ://rae.revues.org/994. consulté le 4 mai 2016. Retour au texte

15 Aujourd’hui Bartoszowice, dans le Nord-Est de la Pologne. Retour au texte

16 En Allemand actuel Heiligenbeil, en Polonais Święta Siekierka, aujourd’hui Mamonovo, dans l’enclave russe de Kaliningrad. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Adrien Quéret-Podesta, « L’image de la guerre dans les Banderia Prutenorum de Jan Długosz », Bien Dire et Bien Aprandre, 33 | 2018, 143-158.

Référence électronique

Adrien Quéret-Podesta, « L’image de la guerre dans les Banderia Prutenorum de Jan Długosz », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 33 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/659

Auteur

Adrien Quéret-Podesta

Lycée public Sándor PetŐfi, Aszód, Hongrie

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