Évolution des zones humides de la vallée de l’Yser, l’exemple d’Herzeele

DOI : 10.54563/asgn.2301

p. 117-120

Texte

Le bassin versant de l’Yser est, cette année encore, classé en alerte renforcée sécheresse1 tant le débit de ce petit fleuve côtier est faible. En juillet 2023, des situations de rupture d’écoulement sont constatées sur la station hydrométrique de Bambecque, juste en aval de la commune d’Herzeele. Les faibles précipitations de ces derniers mois peuvent éclairer, en partie, cette situation mais vouloir expliquer ce phénomène par le simple fait du changement climatique est trop restrictif, fataliste. La nappe superficielle, qui soutenait auparavant les étiages, n’est aujourd’hui plus capable d’alimenter ce petit cours d’eau. Comment en sommes-nous, en Flandre, territoire où l’eau a façonné nos paysages, arrivés à une situation aussi critique ?

Herzeele est une commune de l’Houtland2 de 1 717 ha située au cœur de la vallée de l’Yser. En analysant la carte IGN, nous pouvons y lire que l’altitude y est comprise entre 24 m au sud et 3 m au nord. La commune est délimitée par différents cours d’eau : au nord l’Yser, à l’ouest la Sale Becque et à l’est le ruisseau d’Houtkerque, tous deux affluents de rive droite de l’Yser. La commune est également drainée par la becque de Braems, la Petite becque et le ruisseau d’Herzeele3.

La carte géologique, quant à elle, nous montre 3 affleurements différents à Herzeele. Au sud dans le secteur du Hameau du Briel, sur les points les plus hauts compris entre 17 et 24 m, nous retrouvons l’argile Yprésienne, lourde, compacte et imperméable. Sur la majeure partie de la commune, nous retrouvons ensuite les limons, recouvrant l’argile Yprésienne, terres riches et fertiles, facilement valorisables par l’agriculture. Enfin dans les lits majeurs des différentes rivières, nous trouvons des dépôts d’alluvions récents. En comparant la carte géologique avec les cartes anciennes présentant l’occupation du sol de la commune, nous pouvons voir une assez bonne corrélation, témoignant que nos ancêtres se sont adaptés à leur environnement. En effet, la carte d’état-major du XIXe siècle nous montre la présence de bois au sud de la commune. Ces bois se trouvaient là où les argiles sont affleurantes et là où la mise en culture est la plus difficile. Ailleurs dans la commune, l’occupation du sol est composée d’une mosaïque comprenant des surfaces labourables et des surfaces en herbe. Nous pouvons estimer que la surface en herbe, à cette époque, est comprise entre 25 et 30 %, ce qui était typique du paysage semi-bocager de l’Houtland.

Fig. 1

Fig. 1

Cadastre de 1806 où il est possible de distinguer les champs en orange, les pâtures en vert hachuré et les prairies de fauche en vert clair.
 
1806 land register showing fields in orange, pastures in hatched green and hay meadows in light green.

Le cadastre de 1806 de la commune nous offre des précisions supplémentaires. Tout d’abord, nous pouvons remarquer que l’habitat y est très dispersé car l’accès à l’eau est très aisé sur ce territoire. Les puits ne sont traditionnellement pas nombreux en Flandre où l’on a longtemps utilisé l’eau de surface avant de voir se développer l’usage des pompes à bras puisant l’eau dans une citerne sous la maison. A Herzeele on compte encore un puit ayant servi à une ancienne brasserie et aujourd’hui restauré. Nous pouvons également observer que le géomètre en chef Robin et l’arpenteur Delettré ont pris la peine de distinguer les pâtures en vert hachuré où vont paitre les animaux et les prés où l’on fait le foin. Nous constatons que les prés de fauche se trouvent quasi exclusivement sur les alluvions modernes des lits majeurs des becques. Ces terrains étaient trop humides une bonne partie de l’année pour que les animaux puissent y valoriser l’herbe directement en la mangeant sur place.

Cette surface en prairie est restée relativement stable jusqu’au milieu du XXe siècle. Puis comme partout ailleurs en Flandre, le déclin de l’élevage bovin s’est fait ressentir. A Herzeele, en 2013, la commune ne comptait plus que 205 hectares de surface en herbe (12 % de la surface communale). La moitié des prairies avait donc été retournée en un demi-siècle. C’est sur ces prés de fauche humide que l’on rencontre aujourd’hui les paysages de la commune les mieux préservés. Cette richesse paysagère fait que la vallée de l’Yser et ses affluents de Wylder à la frontière belge ont été classés en ZNIEFF de type 2. Deux sites sont gérés par le Conservatoire des sites naturels des Hauts-de-France4, dont le site du Vallon de la petite becque classé Réserve Naturelle Régionale depuis 2010. Ces prairies humides ont la particularité de se développer sur des sol paratourbeux5. L’humidité quasi constante de ce terrain fait que la décomposition de la matière organique se fait très difficilement engendrant l’apparition de tourbe. Cette prairie abrite une flore toute particulière que l’on ne retrouve que sur de très rares endroits en Flandre.

Diviser par deux la surface en herbe en l’espace d’un demi-siècle n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement hydrographique local. Le bassin versant de l’Yser est désormais spécialisé dans la culture de légumes et de pommes de terre qui favorisent le ruissellement et l’érosion des sols.

En effet, lors des précipitations les prairies facilitent l’infiltration des pluies dans la couche limoneuse et limitent ainsi le ruissellement superficiel. Elles jouent un rôle d’éponge. Lorsque nous parlons de prairie, il faut également ajouter les éléments associés à cette culture que sont les haies et les mares qui ont également un effet bénéfique sur le tamponnement et la recharge de la nappe d’eau superficielle. A Herzeele, nous avons 44,2 km de haies bocagères comptabilisées, soit 25,7 m/hectare, ce qui la classe parmi les communes où la haie est encore relativement bien présente par rapport aux autres communes de Flandre mais c’est également deux fois moins qu’il y a un siècle. Si l’on voulait retrouver la densité de haie qu’Herzeele connaissait il y a un siècle il faudrait concentrer les plantations de l’ensemble de l’opération régionale Plantons le décor® durant une année sur le territoire d’Herzeele (soit la plantation de 100 000 à 120 000 arbustes). C’est pourtant une solution très efficace de lutte contre le ruissellement mais trop peu mise en œuvre.

En ce qui concerne les mares, la majorité d’entre elles servait autrefois à l’abreuvement du bétail. Aujourd’hui beaucoup ont perdu cet usage mais elles jouent toujours le rôle de petites zones de stockage d’eau et participent activement à la lutte contre le ruissellement et les inondations. A Herzeele, lors du dernier recensement des mares en 2006-2007, elles étaient encore 78 et sont aujourd’hui référencées dans le PLUI. Cela représente une capacité de stockage approximative de 40 000 m3.

A Herzeele, le ruissellement semble être la cause d’une érosion quasi nulle car la faiblesse des pentes n’a pas favorisé la formation de ravines profondes. Cependant on observe que l’érosion est suivie d’un transport par saut de puce (saltation) qui déplace les sédiments sur de faibles distances. Le bassin versant de l’Yser est, à ce titre, classé parmi les territoires où l’intensité de l’aléa d’érosion des sols annuel moyen est fort. A titre d’exemple, les fossés communaux, gérés par la Communauté de Communes des Hauts de Flandre, doivent de ce fait être curés, selon les secteurs, tous les 3 à 7 ans en moyenne tant l’érosion diffuse y est importante. Des pratiques culturales sont inappropriées, telles que le labour ou les buttes de pomme de terre dans le sens de la pente, ce qui accentue l’érosion, et facilite notamment le départ de la terre arable, surtout par temps d’orage. Par ailleurs, le lit des rivières dans le secteur est aujourd’hui totalement colmaté par des sédiments, si bien que la vie aquatique y est rendue difficile. L’alternance de zones de dépôts et d’érosion n’existe plus sur le linéaire du lit mineur, au profit d’un nappage généralisé asphyxiant la vie aquatique. Récemment une opération de recharge granulométrique a été réalisée sur la Sale becque afin de diversifier les écoulements et avoir une meilleure oxygénation de l’eau. Ces opérations bénéfiques, à court terme pour la biodiversité, ne sont cependant pas durables car elles ne s’attachent pas à résoudre le problème à la source qui est de limiter l’érosion des sols.

Fig. 2

Fig. 2

Photographie aérienne de 1956 (Nord d’Herzeele) où l’on voit les méandres de l’Yser – En bleu le tracé actuel du fleuve.
 
Aerial photograph taken in 1956 (north of Herzeele) showing the meandering Yser - the river's current course is shown in blue.

Enfin, le niveau d’humidité de nombreuses prairies de la vallée de l’Yser a fortement diminué suite à l’asséchement progressif des zones humides sur le secteur. Cet asséchement a commencé lors de la mise en place quasi généralisée du drainage à partir du milieu du XIXsiècle. Ce phénomène s’est renforcé sur le secteur dans les années 1960 suite au redressement de l’Yser. Afin de limiter les inondations, la doctrine de l’époque était d’évacuer le plus rapidement les eaux à la mer6. Pour cela, les ingénieurs de l’époque ont réalisé un plan de rectification du cours aval de l’Yser entre la confluence avec la Peene Becque et la frontière belge. Cette opération a consisté à réaliser un nouveau chenal pour l’Yser en ayant un tracé beaucoup plus rectiligne. Sur Herzeele, 24 méandres ont donc été supprimés ou déconnectés de l’Yser afin que l’eau aille le plus vite possible à l’aval. Lors de cette opération, l’Yser a perdu un linéaire de 1 270 m entre Herzeele et Bambecque7. Cette rectification s’est accompagnée d’un approfondissement du lit du cours d’eau, permettant, entre autres, d’avoir les drains agricoles plus vite au-dessus de la ligne d’eau en cas de forte crue et donc d’assécher plus vite les terrains. Cette opération, réalisée entre 1959 et 1965, a donc eu pour conséquence de rabattre la nappe affleurante et d’avoir des prairies moins humides que par le passé. Des études ont été réalisées pour reconnecter certains méandres à l’Yser mais ce type d’aménagement est long et très coûteux à mettre en œuvre.

Fig. 3

Fig. 3

L’Yser est un ancien méandre sur la gauche de la photo (printemps 2023)
 
The Yser is an old meander on the left of the photo (spring 2023).

Fig. 4

Fig. 4

Surentretien d’une becque à l’aval de l’agglomération d’Herzeele, favorisant l’écoulement et la concentration du pic de crue (été 2023).
 
Over-maintenance of a creek downstream of the Herzeele agglomeration, encouraging runoff and concentration of peak flooding (summer 2023).

Nous avons donc pu voir tout au long de cet article que l’aménagement du territoire réalisé au cours du XXe siècle a fortement perturbé le fonctionnement des zones humides. Ces aménagements ont tendance systématiquement à réduire les capacités locales de rétention de l’eau au profit d’une évacuation rapide de l’excédent (ruissellement). De ce fait, par défaut d’infiltration suffisante, la nappe superficielle du bassin versant de l’Yser n’est plus en mesure de soutenir les étiages qui sont de plus en plus sévères. Cela pose un problème pour la biodiversité mais également pour le monde agricole dont le besoin d’eau pour irriguer les cultures est de plus en plus pregnant. Des réflexions de la part du monde agricole sont en cours pour stocker le « surplus » de l’eau hivernale. Ayons une réflexion globale sur le système. Les solutions existent pour redonner vie à nos zones humides, fondées sur l’observation et l’étude de l’évolution de nos territoires. Cherchons à les mettre en œuvre tout en les adaptant à notre contexte actuel.

Notes

1 Arrêté préfectoral réglementant les usages de l’eau en vue de la préservation de la ressource en eau dans le département du Nord du 28 juillet 2023. Retour au texte

2 L’Houtland littéralement le Pays du bois correspond en France à la Flandre Intérieure comprise entre la Colme et la Lys. Retour au texte

3 Christophe Delbecque, 2023 ; Richesses et fragilités des surfaces herbagères d’Herzeele, bulletin du comité Flamand de France n° 129. Retour au texte

4 Le Conservatoire d'espaces naturels des Hauts-de-France est une association à but non lucratif, reconnue d’intérêt général. Ses objectifs sont la protection et la valorisation du patrimoine naturel. Il intervient sur près de 500 sites naturels. Le Conservatoire d'espaces naturels des Hauts-de-France y préserve la faune, la flore, les habitats naturels, les objets géologiques et les paysages. Retour au texte

5 Pour être une tourbe, le dépôt doit renfermer au minimum 20 % de matière organique s'il est dépourvu d'argile, 30 % s'il est fortement argileux (M. Jamagne, 1967), proportions souvent dépassées ; des teneurs inférieures entre 12,5 et 20 % caractérisent des sols paratourbeux. Retour au texte

6 Aujourd’hui cette manière de penser est totalement dépassée et au contraire les aménageurs cherchent à retenir l’eau en amont afin d’éviter l’engorgement des réseaux et étaler la crue dans le temps tout en ayant un pic de crue moins haut. Retour au texte

7 L’ancien lit de l’Yser servait de limite entre les communes d’Herzeele et Bambecque. En rectifiant l’Yser, les limites communales n’ont pas évolué si bien que sur le cadastre on retrouve des incongruités telles que des portions de quelques centaines de mètres carrés d’Herzeele au Nord de l’Yser et vice versa pour Bambecque. Retour au texte

Illustrations

  • Fig. 1

    Fig. 1

    Cadastre de 1806 où il est possible de distinguer les champs en orange, les pâtures en vert hachuré et les prairies de fauche en vert clair.
     
    1806 land register showing fields in orange, pastures in hatched green and hay meadows in light green.

  • Fig. 2

    Fig. 2

    Photographie aérienne de 1956 (Nord d’Herzeele) où l’on voit les méandres de l’Yser – En bleu le tracé actuel du fleuve.
     
    Aerial photograph taken in 1956 (north of Herzeele) showing the meandering Yser - the river's current course is shown in blue.

  • Fig. 3

    Fig. 3

    L’Yser est un ancien méandre sur la gauche de la photo (printemps 2023)
     
    The Yser is an old meander on the left of the photo (spring 2023).

  • Fig. 4

    Fig. 4

    Surentretien d’une becque à l’aval de l’agglomération d’Herzeele, favorisant l’écoulement et la concentration du pic de crue (été 2023).
     
    Over-maintenance of a creek downstream of the Herzeele agglomeration, encouraging runoff and concentration of peak flooding (summer 2023).

Citer cet article

Référence papier

Christophe Delbecque, « Évolution des zones humides de la vallée de l’Yser, l’exemple d’Herzeele », Annales de la Société Géologique du Nord, 30 | 2023, 117-120.

Référence électronique

Christophe Delbecque, « Évolution des zones humides de la vallée de l’Yser, l’exemple d’Herzeele », Annales de la Société Géologique du Nord [En ligne], 30 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 14 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/2301

Auteur

Christophe Delbecque

Président de l’association Yser Houck jonde.tanis@gmail.com

Droits d'auteur

CC-BY-NC