Crise financière ! Crise de l’énergie ! Crise écologique ! La crise des métaux rares, présentée ici comme une véritable guerre, est-elle un épisode de plus ? Chacune, à sa façon, est le révélateur de notre réticence (voire refus) à entrer dans une logique systémique. La seconde moitié du XVIIIe siècle a vu la domestication de l’énergie thermique (vapeur), jusque-là subie dans les régions volcaniques. L’une des premières applications, en Angleterre, a été son utilisation pour extraire le matériau solide qui allait en amplifier l’usage, le charbon. C’est l’un des fondements de notre société actuelle. La découverte du pétrole, fluide, n'a fait que favoriser l’usage de l’énergie thermique. En retour, les machineries inventées grâce à cette puissance ont facilité la capacité des humains à extraire du sous-sol toutes sortes de ressources permettant de fabriquer tous les produits, ustensiles et consommables, qui nous entourent. En raccourci on peut dire que : qui maîtrise la puissance énergétique maîtrise le mode de vie de tous ses congénères.
À la fin du XIXe siècle, la découverte des particules élémentaires qui constituent toute matière a ouvert la compréhension de l’énergie chimique. Parallèlement, les physiciens ayant démontré l’équivalence entre masse et énergie, l’idée que toute transformation de nature se résout en échanges de particules élémentaires était à portée de pensée. La première des 14 annexes de l’ouvrage de Guillaume Pitron rappelle l’intuition de Mendéléiev qui a initié un classement périodique des éléments chimiques par affinités, différenciées par leurs échanges particulaires potentiels. L’auteur, journaliste au Monde diplomatique, souligne que, jusqu’au XXe siècle, l’espèce humaine n’a utilisé qu’une quinzaine de métaux (le cuivre, l’étain, le fer, le plomb, l’or, l’argent, le mercure, l’aluminium, le manganèse…), dont certains gisements étaient aisément accessibles aux humains, dès le Néolithique.
La géologie s’est distinguée en tant que science au tout début du XIXe siècle, par la stratigraphie, grâce à la clé de la paléontologie. La clé de la géochimie s’est développée durant la seconde moitié du XXe siècle. Et ce n’est que depuis le début du XXIe siècle qu’émerge une image dynamique du globe dont l’activité de recyclage permanent entre manteau et croûte conduit à associer à certains contextes soit la concentration d’éléments chimiques particuliers, soit au contraire leur extraction puis leur dilution dans des couches sédimentaires, en attente d’un nouvel épisode de recyclage. Le résultat est qu’aujourd’hui, tous les pays que se définissent les humains ne sont pas égaux dans la distribution des éléments chimiques nécessaires à leurs activités.
Alors que l’extraction du charbon, en Occident, était en plein développement, Albert de Lapparent fut l’un des rares observateurs à s’interroger par anticipation sur le fait qu’un gisement minéral est nécessairement limité1. Avec ce livre, Guillaume Pitron montre que les Occidentaux n’ont alors pas compris la leçon. A un point tel que, durant les 50 dernières années, ils ont agi comme si toute exploitation minérale serait plus rentable si elle n’était concentrée que sur les plus gros gisements à l’échelle du globe. Ce qui est vrai… pour les financiers ! Mais dès lors que la Terre n’est pas un grand village où toutes les fonctions économiques, sociales, culturelles, sont également partagées, dès lors que la souveraineté des territoires politiques entraîne rivalités et envies, dès lors que toutes les cultures ne partagent pas la perspective d’une exploitation intensive du sous-sol au seul profit des humains, nombre de problèmes se posent.
L’analyse de Guillaume Pitron est très argumentée, très approfondie. Toutes les sources consultées, toutes les rencontres effectuées sont soit relatées, soit référencées par des ouvrages consultables par tous. Les 14 annexes sont des outils qui acculent à la réflexion. En lisant cet ouvrage, il est impossible de ne pas s’interroger sur nos propres consommations, et donc sur notre propre part de responsabilité, infime mais réelle. Hubert Védrine, qui a préfacé ce livre, ne s’y est pas trompé. Ce livre ne rapporte que des faits ; il ne juge rien, il montre simplement les décalages. On peut comprendre que ce ne sont pas les différences de stratégie entre pays qui comptent, mais l’attitude de l’espèce humaine face au reste de la biodiversité, sur un support fini : une planète sphérique. Encore faut-il vouloir le comprendre !